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Étonnements 2010

Avec mes enfants, à l’époque où nous partions en vacances avec une drôle de caravane, nous  appréciions un jeu qui s’appelait « manger juste ». Il fallait tirer des cartes et composer un repas équilibré avec protides, lipides et glucides en quantité suffisante sans être trop excédentaire. Je me souviens que l’entrée avec des radis, le plat principal composé de carottes à la crème et de foie de génisse grillé, le dessert appétissant de fraises au sucre emportait nos suffrages et la partie par rapport à l’assiette de charcuterie, les chips, la choucroute et les gâteaux à la crème. Dans la réalité, et surtout en période de fêtes, l’attrait des repas à tendance à s’inverser. Et puis les enfants ont cédé la place à de jeunes adultes plus enclins aux plaisirs de la table, heureux aussi de se retrouver et de partager les trouvailles culinaires de leurs vies d’étudiants. De retour à la maison pourtant, l’ordre établi autrefois est resté souvent le même : je me mets aux fourneaux par habitude, avec parfois quelques contestations culinaires, mais la règle tacite veut que celui qui cuisine finisse par imposer le repas, d’autant que, dans la plupart des cas, il aura acheté en prévision de ses idées. Sauf pour le repas de dimanche dernier, une poularde acquise presque sur un coup de tête sans savoir comment il fallait l’accommoder. Où plutôt il y avait deux manières : l’une en laissant revenir dans l’huile la volaille découpée comme un poulet, l’autre en la laissant entière pour la faire bouillir façon poule au pot. La deuxième solution a été adoptée par trois voix contre une mais le résultat a obtenu l’unanimité : le plat était délicieux, accompagné de riz mijoté au bouillon, l’ensemble nappé d’une sauce à la crème. Je ne suis pas un cuisinier très rigoureux et si je m’inspire de recettes surtout pour connaître dans les grandes lignes la marche à suivre et les temps de cuisson, je transgresse souvent les ingrédients, en retire, en rajoute, compose un patchwork de plusieurs méthodes. La poularde en question a été ainsi élaborée comme une poule au pot traditionnelle mais la sauce était issue d’une idée de Jean-Pierre Coffe, puisée dans livre de cuisine dédicacé à mon fils par l’auteur (si, si : nous étions voisins au salon du livre du Mans). Je ne sais pas pourquoi je raconte tout cela dans cette note d’étonnement, cela n’a que peu d’intérêt, hormis oui, l’étonnement que j’ai à me remettre à cuisiner dans des occasions devenues assez rares, vacances en commun, les inévitables pâtes ou les gratins d’aubergines en Sicile, les plats d’hiver, raclette ou saucisses au chou préparés sur le pouce à l’occasion. Quand nous sommes deux, un plat cuisiné tout prêt suffit et quand je suis seul, il m’arrive d’oublier de manger ou de m’en désintéresser. Manger juste prend alors la signification de juste manger et l’instant partagé autour de la nourriture se réduit à peau de chagrin et de saucisson. Le choix des plats, l’ambiance, la signification du partage est finalement assez variée dans l’acte de manger et le luxe n’est pas forcément où on l’attend : si je me souviens d’avoir été deux fois à Saulieu, chez Bernard Loiseau, parmi mes souvenirs préférés figure un repas de nouvel an frugal et à base de riz au Yémen. Juste manger, on le voit, n’est pas dans les habitudes françaises et nos hôtes au Yémen, comme dans tous les pays où la nourriture n’est qu’un moyen de subsistance, ne comprenaient pas ces touristes qui s’éternisaient à table. Je ne sais pas pourquoi je raconte tout cela et c’est justement l’étonnement de m’apercevoir combien l’action de manger est variable d’un jour sur l’autre, allant du dégoût et de la précipitation d’enfourner n’importe quoi à la dégustation la plus raffinée, alliant le cadre aux mets comme dans ce relais de chasse en plein Paris évoqué en note d’écriture la semaine dernière. C’est donc plutôt dans la joie que j’éprouve de me poser avec d’autres, de m’arrêter un instant dans la course des jours que je trouve sans doute l’intérêt de ces pauses culinaires, petits déjeuners des dimanches quand nous sommes tous réunis, repas improvisés comme l’année précédente avec ces cousins venus bricoler chez moi, spaghettis bolognaise pour tous, ou plus ancien, le pot organisé après avoir rameuté du monde pour monter un piano au premier, ou plus récent, simplement partager une bière avec ces voyageurs inconnus qui, comme moi, étaient sans place à bord d’un TGV. Le mot « convivialité », qui correspond sans doute le mieux m’énerve cependant, tant il est dévoyé, de la même manière que l’expression « créer du lien social ». Je préfère l’adjectif « ensemble », utilisé de multiple façon, manger ensemble, boire un café ensemble, s’assoir ensemble et ce qui est le plus important, se regarder, se taire, discuter, sourire, être bien ensemble. Je n’aime les canapés et les sofas que pour cette fonction, je déteste ceux qui sont tournés devant les téléviseurs, alors s’asseoir, oui, n’importe où et juste manger, juste se sentir en ressemblance avec d’autres, mastiquer et parler, avaler des saveurs, dire des mots, caresser des mets, délivrer des sens, sentir des livres dans sa bouche, porter quelque chose d’humain en soi.
(29/12/2010)

 

Love in vain résume peut-être tout ce que les Stones doivent à leurs racines, Bo Diddley et le blues de Chicago (en fait simplement l'héritage électrifié du Mississippi) comme Keith se plait à le rappeler dans Life, constituant au début de leur carrière leur seule prétention, installer cette musique à Londres, devenir la référence de ces riffs au pays de la Reine et combien ce rêve des gamins de Dartford pouvait représenter comme aboutissement ultime au sortir des sombres années d'après-guerre. Alors oui, Love in vain de Robert Johnson, ça pouvait représenter tout un symbole, par la personnalité même de celui qui l'a créé (on suppose), va-nu-pieds du delta du fleuve, aussi démuni que les poulbots de la banlieue de Londres. Mort de manière louche et indéterminée à vingt-sept ans (le premier à rejoindre le club des 27, bien avant un autre Rolling Stones, Brian Jones, et Jimi Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison, Kurt Cobain…), il a en tout cas enregistré, seule chose dont on soit sûr, la première version de Love in vain en 1937 et c'est déjà scander le rythme avec les cordes basses de la guitare, tapant du pied ou du plat de la main sur le bois, tout ce qu'on imagine restitué dans les grésillements de l'enregistrement, la paume rêche, les chaussures fatiguées, la voix étrangement perchée dans ses trémolos, une pâte sonore étalée à la face du monde, de la même manière qu'à la même époque, Picasso couchait sous une peinture monochrome son blues de Guernica. Il était bien naturel que les Stones reprennent ce standard, ralentissent le tempo, y rajoutent des arpèges, parfois de la guitare slide ou l'harmonica de Mick Jagger dans ma version préférée. Bien naturel aussi que je m'y essaie, juste reprendre la poignée d'accords, sur la Morris acoustique, là où ils sonnent le mieux, ou sur la PRS électrique avec un son saturé (tiens je n'ai pas essayé sur la Fender made in USA). La difficulté est de chanter en même temps et le travail de groupe des Stones vole alors en morceaux, il faut choisir au plus simple comme la version solo d'Eric Clapton mais, quoi qu'il en soit, le blues a cette manière de ne souffrir aucune leçon, juste tenter d'en sortir la mélancolie et pour cela, pas de schéma prédéfini, les trucs compliqués sont à ranger dans les manuels, il faut gratter les cordes en essayant de garder ce balancement inimitable des voyages, le dandinement de la marche, la cadence des rails, le tangage infini des bateaux, tout ce qu'on laisse derrière, tout ce qui mène aux présents incertains, aux avenirs improbables. Les paroles de Love in vain sont simples, c'est du Beckett, tout est contenu dans les creux et les silences. Mon accent anglais étant désopilant, cela ajoute à ma difficulté d'interprétation, la tonalité étant un peu haute pour moi, j'opte souvent pour une voix de basse et pour une traduction simpliste en français dans le mouvement universel du blues. C'est une bluette d'amour sans espoir : simplement dire que " lorsque le train a quitté la gare avec ses deux lumières derrière, la lumière bleue était mon amour et la lumière rouge mon esprit ".
(21/12/2010)

 

Ils habitaient Sarajevo. C’est son mari qui est parti le premier. Il fallait préparer la fuite de toute la famille. C’était en 1990, au début de cette guerre. La Croatie était déjà impossible à traverser. Il n’y avait plus qu’une seule solution, franchir la Sava, mais le seul pont avait déjà sauté. Dans les bois des alentours, des passeurs avaient fabriqués de gros radeaux capables d’emporter des véhicules et proposaient à prix d’or la traversée d’un fleuve devenu tumultueux à l’approche de l’hiver. L’eau charriait déjà des cadavres mais il n’y avait pas d’autre choix. Il a payé le prix d’or et a vu la voiture qui le précédait sombrer dans les flots lors de la traversée. Il a tenté quand même et il a eu de la chance, la traversée a duré trois heures. Ensuite il a roulé sans s’arrêter, il a passé des frontières. Son activité internationale lui avait fourni des laissez-passer suffisants, mais il y avait la peur permanente que cela ne suffise pas. Quand il s’est senti en sécurité, arrivé en Autriche, il a arrêté le moteur et s’est écroulé net pendant des heures, abruti de fatigue. Il a continué ensuite jusqu’en France, le but qu’il s’était fixé, en rapport avec son travail. Elle raconte qu’elle n’a pu le rejoindre qu’un an plus tard, lorsque toutes les autorisations et les visas ont pu être réunis pour elle et ses enfants. Elle a rempli leur deuxième véhicule au maximum, elle savait qu’ils ne reviendraient pas, c’est un déchirement qui dure encore. Elle parle avec un peu d’accent, avec cette manière d’oublier parfois les articles de la même manière que le faisaient mes grands parents : il faut faire papier-cadeau ? dit-elle aux clients de la librairie. Elle ne voulait pas rester sans rien faire, perdre les études économiques, tout le savoir qu’elle avait déjà utilisé dans des entreprises là-bas en tant que directrice commerciale ou financière. Elle a repris des études en France. C’est lors d’un repas avec des amis, en évoquant l’avenir nouveau à construire que l’idée de la librairie est venue. Elle est devenue gérante. Elle évoque aussi sa vie, les enfants devenus grands, le dernier qui ne parle pas la langue d’origine, la deuxième qui s’en souvient et leur volonté commune de ne jamais oublier. Oublier est impossible. On parle de l’exil. Elle est capable de deviner toutes les blessures cachées d’un homme en exil, rien qu’au premier coup d’œil. Il faut avoir vécu cela pour le comprendre, dit-elle. Elle évoque Ismail Kadaré. Son fils aîné ne parle pas français, n’a jamais vécu ici. Plus âgé que les autres, il a quitté très tôt le pays, juste avant que les évènements ne rendent son départ impossible. Il a continué des études en Italie, en Espagne. Quand ils sont tous réunis ensemble, ils parlent anglais. Elle m’interroge aussi. Je raconte ce que je sais de cette fuite familiale qui a duré huit ans dans la débandade de la deuxième guerre mondiale avant l’arrivée en France. Avant que je ne parte, elle insiste : vous donnerez bien le bonjour à votre père de la part d’une petite bosniaque.
(16/12/2010)

 

Mirador en béton brut et gris, muraille glabre comme une joue rasée de frais. Parking et arbres malingres. A distance suffisante, les enseignes Kiabi, le garage Citroën. Tout est propre et neuf. Traverser l’allée de graviers (tout-venant grossier qui colle aux semelles). A l’entrée, une femme blonde, manteau long, mains dans les poches, un sac de linge propre posé à ses pieds. Parler devant la vitre opaque qui reflète nos visages. Puis on glisse les cartes d’identité dans le tiroir qui sort du mur. Voyant rouge. Attendre. La femme blonde reste à distance, plis soucieux au front, regards glissés vers elle. Voyant vert. Nous entrons. La femme blonde reste dans le froid, à l’extérieur. Premier malaise. Premier sas. Puis le tapis roulant pour déposer les sacs, les manteaux, comme à l’aéroport. Sonner en passant le portique. Sonner plusieurs fois. Délesté au final de la ceinture, des chaussures, de la montre pour ne plus sonner et pouvoir passer. On prend un casier commun pour déposer les affaires. Les téléphones-portables des visiteurs  sont interdits dans l’enceinte. Tout est propre et neuf, aucune affiche pour ces consignes, la vigilance suffit. Deuxième sas. Voyant rouge, voyant vert. Entrer. Courette de grillage, hauteur quatre mètres. Bâtiment administratif. L’effort fait pour les barreaux aux fenêtres, de longueurs différentes, artistiquement agencés. Voyant rouge. Voyant vert. Entrer. Traverser un couloir. Sortir. Autre courette grillagée. Grands bâtiments de part et d’autres. Toit peint en bleu, murs jaunes comme un centre de tri postal. Traverser. Remarquer deux coureurs au loin devant une pelouse gelée. La buée de leurs souffle. Rejoindre une grille. Voyant rouge, voyant vert. Traverser un couloir, prendre un escalier, monter. Autre couloir. Presque personne, de rares gardiens bleus. Un type aussi, mine patibulaire (c’en est un ?) qui s’arrête devant des barreaux peints en blanc, attend qu’on lui ouvre. Pour nous c’est un autre couloir, une autre grille. La clé qui l’ouvre est attachée à un anneau. Éclairs du métal, tintements. Le trousseau est relié à la ceinture de l’uniforme par un cordon extensible de type téléphonique. Des portes de part et d’autres du couloir qui suit. Certaines sont étiquetées. Sur une d’elle, c’est écrit « salles de cultes » et juste en dessous sur la même affichette « salles de cours ». Plus loin, une porte ouverte sur une pièce assez petite, quelques chaises alignées comme pour une mini conférence qu’on remarque dés l’entrée. C’est là. A l’intérieur, des étagères, quelques livres, des BD, le bibliothécaire (un détenu) se tient derrière son ordinateur. Trois personnes sont déjà installées sur les sièges. Elles se lèvent. Poignées de main. Retour aux mots sauvages est exposé sur une petite table, légèrement ouvert pour qu’il tienne debout sur la tranche. D’autres chaises à proximité de la petite table. Nous choisissons, posons les manteaux, marquons nos places. Restons un instant debout. On parle des livres à venir, des nouveaux locaux. Tout est propre et neuf. On attend encore quelques personnes. M’assois, me trouve trop loin, voudrais m’approcher, finalement reste. Deux autres encore qui arrivent. On peut commencer. Quelques mots de présentation de qui nous invite. On parle de la sélection du Goncourt. Certains ont lu le livre, d’autres non. Parler de l’idée de départ alors, assez longuement, développer l’histoire de ce roman. Un dernier participant arrive, s’excuse du retard, s’assoit. Continuer puis, très vite les premières questions. Comment agit le personnage ? Pourquoi cette résignation ? A gauche, un grand blond à barbe fine parle de l’aliénation du travail, relayé par son copain d’a côté un brun aux cheveux ras. Paroles intelligentes, remarques sensées, expression sans faille, directe. Alors on échange. Revenir au livre, les intentions, le but, l’histoire. A droite, un gars aux yeux très clairs apostrophe : non ce n’est pas un roman, il l’a lu. D’ailleurs il a tout lu, sept mille livres (dira-t-il plus tard) depuis 1979 (date de son enfermement ?). Échanges encore, explique mon point de vue. Le type à l’arrière, le retardataire, pantalon bleu de travail, visage épais : Moi aussi je l’ai lu, je me suis emmerdé, il ne se passe rien. Les deux jeunes du premier rang rigolent, haussent les épaules, interviennent à nouveau. Les conversations se lâchent. On se répond, eux et moi, moi et eux ensemble mélangés. On se comprend, on affûte chacun ses arguments. Bonheur de la conversation. Pêle-mêle, le boulot, la société la déshumanisation, l’abrutissement de la télé. C’est vif, franc. Le brun du premier rang tente plusieurs fois : nous, en détention. Il y a l’extérieur, ils sont à l’intérieur, et le roman, où se situe-t-il ? On parle suicides puis qu’il en est question dans le livre. On compare : cinquante en deux ans dans l’entreprise dont il est question, cent par an dans les centres pénitentiaires. Il dit qu’il est parti récemment en « perm » (ce langage de bidasse comme si ici n’était qu’une caserne), son étonnement devant les gens rivés à l’écran de leurs portables. Le retardataire évoque son passé de cocaïne, le Maroc, un besoin de trois cent euros par jour (à ces mots, celui qui ne dit rien au fond – visage d’ouvrier fatigué - répondra que certains tiennent un mois avec – ce sera ces seules paroles). On rebondit, on reparle de la société. L’extérieur fantasmé, l’intérieur contraint, admis. Puis l’homme aux yeux clairs, celui qui a lu sept mille livres veut revenir au roman, quelles sont les sources ? De qui il se réclame ? Beckett et Proust s’invitent dans cette petite salle où tout est propre et neuf. Il montre un poème qu’il a écrit, une prouesse de rimes et de contraintes en miroir. Tout le monde se lève, la salle devient trop petite pour tant de choses à dire. Celui qui a tant lu, le blond et le brun qui évoquent la facilité des médicaments propres à endormir les prisonniers les plus récalcitrants, le retardataire perdu dans ses souvenirs du Maroc, celui qui ne dit rien comme un vieil ouvrier fatigué, le détenu missionné du rôle de tenir la bibliothèque et qui parle très vite d’une voix haut perchée. Le temps passe, éclate contre les parois. La rencontre devait durer une heure, on a dépassé de quarante minutes. Alors il faut prendre congé. On serre les mains. Poignes un peu plus franches, tenues un peu plus longuement. On allonge des discussions. Le blond à barbe fine félicite une des participantes pour sa bague originale : il faut mesurer à cet instant précis, tout ce que nous représentons d’extérieur dans cet univers propre et neuf, carcéral et sans surprise. Dernières conversations avec le brun à cheveux ras : on comprend qu’il est enfermé depuis 1998, mais une famille, un bon moral, ça touche à sa fin. Il dit qu’à son retour de « perm », à retrouver sa cellule aux murs nus, sa chaise de plastique en couleur, il regrettait presque l’ancienne prison, douche collective où à ce qu’il paraît. Mais moi, j’ai jamais rien vu, ni subi, ajoute-t-il. Il tient encore à montrer par la fenêtre de la bibliothèque le stade de basket fraîchement goudronné, les lignes du terrain d’un blanc éclatant. Fait remarquer que les paniers de baskets ne sont pas installés, ne le seront jamais : trop de risques, on peut s’y pendre, on peut s’en servir pour une émeute. Ici, tout est propre et neuf. On accorde tout aux détenus, enfin, tout ce qui ne présente aucun risque Il sont à peine une dizaine à pratiquer la course à pied sur trois cent détenus. Les autres ont la télé et les médicaments, il suffit de demander. C’est une prison modèle. En ressortant, la femme blonde en manteau long n’est plus là. On retrouve le parking et les arbres malingres, l’enseigne Kiabi et le garage Citroën au fond. Longtemps, l’ombre du mirador nous suit dans le dédale des ronds-points.
(07/12/2010)



Avec la parution de Retour aux mots sauvages, il se sera rarement passé une seule semaine depuis fin août sans que je doive aller à Paris au déboulé pour une émission de radio, une télévision, une interview avec un journaliste ou une autre rencontre. J’ai ainsi retrouvé plusieurs fois avec plaisir l’étonnante maison circulaire de la radio , je ne me souvenais pas y être retourné depuis huit ans, pour une mémorable interview de Pascale Casanova à propos de Composants. Cette année, j’aurais eu droit à presque toutes les radios du domaine public, France Inter, France Culture, France Bleu et je pensais que la source allait se tarir une fois la nomination au Goncourt écartée lorsqu’on m’a proposé de participer à Plan B pour Bonnaud pour radio Le Mouv et de surcroît le 11 novembre. Arriver à la maison de la radio un jour férié est étonnant. L’agitation des jours ouvrés, renforcée d’ailleurs par les manifestations au sujet des retraites qui étaient d’actualité lorsque j’y étais passé le mois précédent avaient fait place à un calme inhabituel. Le 11 novembre tombant un jeudi, beaucoup de parisiens avaient opté pour un week-end à rallonge. Parvenu au crépuscule et reparti dans la nuit après la chaleur d’une émission en direct, j’ai longé les couloirs et les extérieurs tout en courbes, comme s’il fallait atteindre une sorte de milieu improbable : « Regarder tout cela. Comparer la rectitude des étages, vitres empilées sur vitres, cages à lapin, comparer avec l'escargot de ma quête, l'enroulement du boa. Avoir tourné en spirale, autour du pot, dans les choses immatérielles du travail […] » Central. Voir photos en webcam.
(27/11/2010)

 

Il existe un Goncourt sauvage, bien loin du luxe parisien de chez Drouant, le fameux restaurant qui accueille chacune des délibérations du prestigieux jury. C’est un petit village de Haute-Marne, qui compte exactement 317 habitants au dernier recensement. Jean-Antoine Huot, magistrat à Bourbonne, puis à Neufchâteau, grand-père paternel de Jules et Edmond, avait acquis en 1786 des terres et des fermes situées sur le territoire de Goncourt et, grâce à cette propriété, ledit Jean-Antoine avait obtenu d'être "seigneur de Goncourt". Si toutefois ce nom de lieu a pu ressembler ainsi à une proclamation, une sorte de cri de béatitude capable de raviver toute une atmosphère et un bonheur d’enfance, ce n'était finalement que le nom de famille des deux frères. Jules et Edmond ne furent pas les seuls à développer une notoriété littéraire à proximité. Bourmont, le chef-lieu de canton, vit la naissance de l’éditeur Albin Michel et d’Edmond Haraucourt, poète passé à la postérité grâce à un seul de ses vers : « partir c’est mourir un peu ». A peine plus loin, Montigny le Roi est le berceau d’une autre famille célèbre, les Flammarion avec Ernest, fondateur de la maison d’édition qui fit fortune en publiant le traité d’astronomie de son frère Camille. Autant dire que c’est vraiment une histoire de voisinage cette année 2010 avec le Goncourt attribué à Flammarion. Pour en revenir au village de Goncourt, j’ai eu la chance de participer au seul salon du livre qui fut organisé dans ce coin perdu. C’était il y a tout juste dix ans et il n’y avait pas de salle communale assez grande pour répartir les participants. Nous nous sommes donc répandus dans les granges des fermes que les habitants avaient laissé à disposition ou dans les rares commerces (il n’y a qu’une épicerie et elle s’appelle Au Prix Goncourt bien sûr !). C’est ainsi que je me suis retrouvé « dans le garage, à côté de la pompe mélange pour mobylette et tronçonneuse, sous une banderole "le contrôle technique, c’est ici" (Note d’étonnements du 15/11/2000). Pour le prochain prix Goncourt, je rêve d’accrocher cette banderole au dessus de la table de chez Drouant au moment des sélections.
(19/11/2010)

 

Franck, bien-sûr, le beau livre d'Anne Savelli, et savoir ce qui me touche aussi : comment ne pas se rappeler dix ans avant qu’il n’y arrive, le vrai Franck, même ambiance, la gare de l’Est au petit matin, à une époque où les premiers trains roulaient encore au milieu de la nuit, parvenaient ici avant l’aube. Alors c’était l'immense salle des pas perdus, les grandes verrières et le ciel sombre au-delà, une suie sale partout présente sur les quais, vieil héritage de l’époque du charbon. Je partais plus tôt encore, juste après minuit, cinq kilomètres à pied, je retenais mon sommeil pour rejoindre la gare de province, trois cents bornes jusqu’à la capitale. J’avais l’âge des virées de Rimbaud et juste une feuille posée sur la table familiale en guise d’explication. C’était un temps sans portable, même pas de téléphone d’ailleurs, chez nous ce fût bien plus tard. Partir ainsi sans possibilité d’aucune nouvelle : place à l’inquiétude. Il y a prescription depuis, il y a si longtemps, même mes enfants ont dépassé l’âge que j’avais alors. Plusieurs fois j’ai basculé vers ces voyages pendant cette adolescence, ces sentiments vagues et incertains qui me faisaient partir sans trop savoir pourquoi. Gare de l’est, c’était la première étape. Une fois, j’avais grimpé au Nord jusqu’à Enghien-les-Bains, seize bornes à pied autant au retour, Rimbaud en faisait plus. Souvenirs indécis de terrains vagues de banlieue, chemins de ronces et de buissons, herbes pelées et deux types devant un braséro qui m’avaient regardé passer. Une autre fois, cap au Sud dans le dédale des carrefours et des autoponts pour rejoindre la route nationale 19 : guère d’argent, il me fallait revenir en stop. Souvenirs encore : une station à Brie-Comte-Robert, le camionneur qui m’avait payé un repas, peut-être lui aussi qui m’avait déposé devant des flics en faction à Juzennecourt, à l’entrée de mon département. Vérification d’identité, ils m’avaient laissé repartir en stop. Une troisième fois, je n’avais pas quitté la gare de l’Est, j’avais sauté dans un autre train en direction de l’Allemagne. Une semaine de vacances dans les montagnes du Harz et la région d’Hanovre et, comme seules nouvelles, j’avais envoyé une carte postale comme si de rien n’était. Souvenir là aussi d’avoir avalé une bouteille de lait fermenté sans savoir le contenu, achetée dans le pays dont je connaissais à peine la langue. C’était l’unique nourriture de mes deux jours de voyage. Failli me trouver mal. Au retour, à Strasbourg, j'avais eu toutes les peines du monde pour trouver les correspondances horaires : c'était l'année du changement à l'heure d'été en France, je ne le savais pas, l'Allemagne n'avait pas bougé. La première heure d'été, c'était le 28 mars 1976 et cela permet de dater précisément l'époque de ces virées, j'avais 17 ans et demi, et, à cet âge, on n'est pas sérieux, disait Arthur. Gare de l’Est, donc, errances au même âge de Franck, juste la chance de n’avoir fait aucune mauvaise rencontre. Des rencontres, si, tout de même : une fille maigre, ses os saillants, vue deux fois, premières conversations d’adulte en devenir, espoirs, projets, on se quittait sans promesse dans la bien nommée rue de Paradis. Comme Franck, je connais cet espace entre Gare de l’Est et Gare du Nord, l’escalier qu’il faut monter (quatre à quatre lorsque, trois ans plus tard, bidasse, il me fallait courir pour choper un train pour Rouen et la fois où j’ai payé le taxi à prix d’or en remplacement du trajet manqué, un mois de solde, mais ne pas risquer de se retrouver au trou). Je longeais les murs anonymes en mauvais crépis, les portes écaillées,  les volets fermés. C’était rue des deux gares, rue de Dunkerque, rue de l’Aqueduc. Je garde peu de souvenirs des avenues et des lumières d’alors. Souvenir encore d’un banc dans un jardin public et le ciel noir en voûte de nuit. Des lieux, une époque qui n’appartiennent qu’à moi. J’avais l’âge de Rimbaud.
(11/11/2010)



Dans RMS, j’évoque la conversation d’une boulangère empruntant les mots stéréotypés d’un téléopérateur pour vendre ses croissants. C’est un passage que j’aime à lire et qui suscite des sourires. C’est aussi une manière de montrer que RMS n’est pas le livre sombre que quelques uns pensent trouver. J’ai autrefois travaillé dans une boulangerie. Lycéen, pendant les vacances d’été j’ai tenu le magasin dans lequel ma mère était vendeuse et occasionnellement je l’aidais les jours d’affluence, les dimanches matins, les mercredis, les jours de fête. Je me souviens du calcul mental rapide pour établir les prix : un pain et deux croissants ? ça vous fera… Il fallait aller vite, ne pas faire attendre les clients, sourire, souhaiter une bonne journée et tout cela à quinze, seize ou dix-sept ans, dans la gaucherie de l’adolescence. Ai-je rêvé ? Il me semble me souvenir d’un jour aussi où mon cousin était rentré dans le magasin avec sa mobylette Flandria, histoire de rigoler. En revanche, j’ai encore dans l’oreille d’une manière très précise le claquement de la trancheuse quand on me demandait une demi-baguette. A force de saisir le pain, la peau des mains devenait sèche, prompte aux écorchures. Il fallait vider régulièrement les mies qui s’accumulait sous les bacs, s’assurer que le comptoir demeurait propre en permanence. Le soir, c’était faire la caisse, passer le balai et la serpillière. La boulangerie était sur le trajet du lycée et les copains de classe y passaient, les pensionnaires de l’internat venaient s’y ravitailler. La pente raide d’un étroit couloir menait au fournil. C’était une pièce borgne. On sentait encore dans la pénombre du lieu déserté, l’activité nocturne qui avait eu lieu. La chaleur du four y était encore présente. L’appareil à pétrir, les bacs en inox dessinaient des formes dans l’espace et semblaient déjà attendre la nuit prochaine. L’air sentait la farine et la pâte chaude, la présence humaine aussi. La réserve de farine se trouvait juste derrière le magasin. Il y avait aussi des congélateurs avec quelques dizaines de baguettes gelées qu’on sortait au cas où on venait à manquer de pain frais, ce qui était rare. Dans ce cas, il fallait toujours prévenir le client. En relisant ce que j’écris, j’ai l’impression d’expliquer ce travail à un jeune remplaçant. Ce qu’il faut faire, ne pas faire. Tout cela est finalement très loin. Comment est-ce rentré dans moi et quelle est la part d’écriture qui ressort de ces sensations, de ces contacts rapides avec les clients. Je voudrais une baguette et deux croissants. Aujourd’hui, je suis de l’autre côté du comptoir. Je devrais dire de la camionnette car j’ai la chance d’avoir une boulangerie ambulante qui stationne devant chez moi. Je n’en profite que le week-end. Trop lent ou mal réveillé, je tarde parfois à venir au signal du klaxon et je suis obligé de courir derrière comme un dératé, en robe de chambre avec mes sabots de jardin en plastique orange jusqu’au prochain arrêt de l’avenue. Tout cela (ce passé de mitron adolescent et ce présent de client ahuri) ne fait décidément pas très sérieux pour un prétendant au Goncourt.
(29/10/2010)


Contribuer au mieux être. Accompagner la prise de leadership. Rechercher l'excellence. Soutenir la croissance. S'approprier l'évolution. Développer la marque employeur. Créer une nouvelle culture managériale. Voilà des exemples de discours d'entreprise, ça se passe en ce moment, dans une entreprise qui justement annonce à grands cris que les choses vont changer. Mais ce discours reste le même, les mêmes mots maniaques, les mêmes expressions vides de sens, le même infinitif pour masquer tout cela. J'imagine ceux qui reprennent ces expressions : quelles sont leurs motivations ? quelle perméabilité du langage a-t-on instillé insidieusement dans leurs esprits ? Ont-ils conscience de la vacuité de ce qu’ils disent, de ce qu'ils écrivent ? le mieux être et la contribution, quels rapports entre l'être ou ne pas être et le mieux ? Qu'est-ce que le leadership, capitaine accompagnateur de quoi, et pour quelles traversées, galères ? Où est l'horizon improbable de l'excellence comme un trésor à trouver ? Que faut-il s'approprier ? Quels vols commettre ? C'est quoi une marque employeur ? Une étiquette sur un bleu de travail ? Une marque au fer rouge ? La culture managériale vient-elle se substituer à la culture tout court ? à la littérature ? Il faut à peine creuser pour en révéler les contradictions linguistiques et quand on les énonce devant ceux qui les relayent, ils haussent les épaules, insultent : pinailleurs, chercheurs de poux dans la tête. Tout ce bruit pour des mots, rien que des mots. Justement, abandonnez-les si ce ne sont que des mots, donc pas grand chose pour vous. Non, ils ne veulent pas. Tous ces mots sont en partage : comprenez leur sens du mot partage à eux, synonymes d'imposition, de pouvoir, de valeurs obligatoires. Que quelqu'un n'adhère pas, non, ils ne comprendraient pas : toutes ces expressions ont été fabriquées pour démontrer la volonté de l'entreprise à devenir plus humaine : enfin, on parle du mieux être, nom de dieu ! Et qui a-t-il de mal à rechercher l'excellence ? à vouloir être meilleur ? Non, ils ne comprennent pas celui qui refuse ces progrès évidents. Et encore moins celui qui essaye de leur démontrer qu'eux mêmes sont les premières victimes de ce langage maniaco-dépressif. En réalité, ce discours séduit car il parle d'actions et qu'eux se voient comme des hommes d'actions, des managers, des "chiefs". Il suffit pour les piéger de simplement conjuguer ces verbes, de les interpeller avec : alors comme cela tu contribues au mieux être ? Oui, mais je ne suis pas tout seul, ajoute-t-il modestement... Alors comme cela tu accompagnes la prise de leadership ? Il ne répond rien... Et tu recherches l'excellence ? Il hausse les épaules... Et tu t'appropries l'évolution ? Il tente l'agressivité : oui, au moins je ne suis pas comme certains qui... Et du développes la marque employeur ? C'est quoi la marque employeur ? Ne fais pas l''idiot...Tu veux créer une nouvelle culture managériale ? Il se ressaisit : oui et j'en suis fier, nous avons trop commis d'erreurs dans le passé... Oui mais comment peut-on avec le même discours ? Oh, toi et ta manie des mots, des questions... Il s'en va fâché. Mais contre qui ? Contre son propre langage ? Contre les choses qui ne changeront jamais si on les nomme pareillement ?
(13/10/2010)

 

Sous la table de chevet, j’ai un espace d’environ trente centimètres de hauteur, espace que j’ai toujours mis à profit pour y entasser les lectures en cours. En effet, tout comme Proust a écrit A la Recherche du temps perdu depuis son lit, c’est dans un lieu identique que j’occupe la plupart de mon temps libre dévolu à la lecture. Couchers tardifs, insomnies passagères, réveils avant le réveil : on lit au lit et d’ailleurs ça s’écrit pareil, c’est un signe que Saussure avait sans aucun doute remarqué en créant la linguistique. Mais, de même que c’est en lisant qu’on devient liseron, la pile de bouquin a une fâcheuse tendance à proliférer aux abords de la table de chevet. Semblable à des fraisiers, les romans ont des variétés remontantes, les revues étendent des stolons invisibles, les journaux se sèment sur la moquette, les magazines égrènent leurs chapelets de numéros en désordre, les marques-pages ne marquent plus grand-chose, les essais s’essayent en rejets disparates, les poèmes égaillent leurs rimes ailleurs. J’ai compté pas moins d’une cinquantaine de livres, entrecoupés de diverses brochures, plusieurs kilogrammes d’une terre grasse et lourde, fertile en bons mots. Il me faudrait au moins une dizaine de coups de bêche pour venir à bout de cette motte littéraire mais je ne serais pas plus avancé : où déverser ces milliers de feuillets ? Les bibliothèques sont pleines à craquer, mon bureau est encombré, la maison a pris l’allure d’une jungle où le papier se reconstitue en arbre et les reliures de cuir en bêtes sauvages.
Imperturbable, je continue à lire, ignorant le danger.
(05/10/2010)

 

J’aurai eu une grande joie cette semaine. Et un grand honneur : on m’a proposé d’être l’invité du journal L’Humanité et ainsi de réagir à l’actualité chaque jour dans une rubrique paraissant du lundi au vendredi. Formidable ! Quelle tribune ! Et quel enjeu aussi. Être soi même, ne pas chercher à faire plaisir, donner un regard un peu particulier : tout se bouscule dans ma tête au moment où je m’apprête à rédiger ces articles. Parler des sujets qui m’intéressent, par exemple la montée du racisme mais comment ne pas éviter les retraites aussi ? Et surtout la littérature, la question du langage des entreprises que j’ai envie d’aborder aussi. A l’heure ou paraîtra cette rubrique dans feuilles de route, bien des articles seront déjà parus. Finalement peut-être n’ai-je jamais cessé depuis dix ans d’écrire ce genre d’articles et mes notes d’étonnements, d’écriture ou de lecture sont là pour en témoigner.
(29/09/2010)

 

Dans la Quinzaine littéraire, il y a eu deux articles de suite de Jean-Jacques Lefrère sur la fameuse photo retrouvée il y a peu et représentant le poète attablé à Aden à l'hôtel de l'Univers (voir ci-dessous le 28/04/2010). Très beaux articles démontant petit à petit les réticences de certains à considérer que cette photographie serait un faux. Les personnages ont tous été identifiés au cours d’une enquête fertile en rebondissements, hasards et fortunes diverses où les descendants ont reconnu un aïeul, où les spécialistes de tous poils ont analysé la technique photographique, examiné les poses de chacun, subodoré la grossesse de la seule femme de ce cliché, tenté de reconnaître les liens entre tous ces personnages. C’est du beau travail et cette photographie devient ainsi historique, datée d’août 1880, au moment ou Rimbaud, affaibli par une maladie contractée durant son périple, venait juste de rejoindre Aden. Beau travail effectivement que la proximité d’Internet a rendu possible. Les échanges entre tous les participants, qu’ils soient spécialistes ou rencontres de hasard auront été rendus efficaces et suivis à cause de cette rapidité du Web. Ce qui aurait fait l’objet de recherches patientes et d’études de plusieurs années auparavant a été achevé en quelques semaines. Voilà : c’est bien Rimbaud. Jean-Jacques Lefrère analyse aussi les réticences qui nous ont amené à nier la faible ressemblance et l’opportunité d’un cliché et d’une découverte presque trop belle. Rimbaud nous émeut en tant que poète mais pas dans cette posture lasse et adulte : il perd ses dix-sept ans et ses semelles de vent pour s’affaler dans un siège et laisser son front fatigué lui peser sur les yeux. L’élévation du poète en prend un coup. Pourtant, Arthur Rimbaud n’a jamais fait mystère de son renoncement brutal à la poésie pour épouser d’autres causes plus marchandes, plus terre à terre, fussent-elles lointaines. Le pouvoir de la poésie consiste dans l’aveuglement de l’instant et la cécité que produisent les mots les plus beaux. A cela, s'ajoute la vision permanente de l'espace, à commencer pour nous tous par la terre natale dés que nous ouvrons les yeux. De Rimbaud, je connais Charleville, sa terre originelle, et il n’y a pas de plus grande compréhension au geste de renoncement de Rimbaud devant la poésie que celui de se promener là-bas, à Roche ou dans la ville : peu d’enchantement, y compris près de la place Ducale, carrée et sans grâce, rien à voir avec la place Stanislas de Nancy. Reste la campagne et, hormis la terre brumeuse en automne, des ciels immenses et c’est ce qui pousse à s’en aller « les mains dans les poches crevées ». Mais l’enchantement passe et l’adulte finit par être capturé par la rudesse de la vie, l’exiguïté finalement de cet espace et la fin de ses propres rêves. Il faut aller dans ces Ardennes rudes pour s'en convaincre, le ressentir jusqu'aux tréfonds de soi. J'y suis retourné récemment et, fidèle à mon habitude, je suis passé par le cimetière où la tombe a mélangé le poète et sa famille, la terre ardennaise et le peu de poussière du Harar coincé sous ses ongles et dans les coutures de ses vêtements. Fidèle à mon habitude, j’en ai fait un reportage photographique. Rien à voir avec le cliché défendu par Jean-Jacques Lefrère, mis en lumière comme par un flash de poudre magnésium (procédé mis au point alors que Rimbaud était encore vivant)  mais il dessine un portrait en creux de ce qu’il fut avec et sans la poésie.
(22/09/2010)

 

Aujourd'hui, jour des encombrants. Je m'en rends compte en me rendant à la gare, tôt, si tôt le matin. Des matelas posés sur la tranche brillent sous les lampadaires, une chaise de plage attend la mer sans savoir qu'elle stagne à plus de 300 km de là. Dans mes pas précipités vers la gare, je pense à cette occasion que j'ai loupée de poser mes encombrants à moi : sans doute de vieux matelas aussi et que j'oublie dans la touffeur du grenier depuis des lustres. Et cette machine à débroussailler, infernale, qui me faisait peur avec ses couteaux d'acier tournant à toute vitesse et qui a eue la bonne idée de tomber en panne. Encombrante, donc, elle encombre mon garage. Comme ce verbe est drôle avec cet espèce de relent d'ombre qui maquille sa sonorité. On s'encombre donc, on passe sa vie à entasser des choses, des sentiments, du matériel et de l'abstrait. On les oublie dans l'ombre mais la ville est bien foutue : à intervalles réguliers, elle vous rappelle que vous pouvez déposer tout cela sur le trottoir, un matin, on viendra vous en débarrasser. C'est d'autant plus drôle parce que je longe à cette heure de nuit encore les amas de planches, les vieux sommiers et les restes indéfinis de meubles et que je pense à tout ce qui en ce moment vient remplir ma vie. Ce pourquoi je vais à la capitale, toutes les obligations de cette notoriété soudaine, tout ce qui bouscule un emploi du temps, en temps ordinaire déjà chargé, et qui devient un casse tête. Je me remplis donc d'un côté mais le corps ne suit pas : trop de repas avalés sur le pouce et la course à pied pour diluer tout cela. Mon pantalon descend, il faudrait que je perce des trous supplémentaires à ma ceinture. Je me déleste et je m'encombre à la fois, comme c'est étrange. Sans doute aussi le temps viendra-t-il ou je désirerai me dessaisir de tout ce qui accompagne mon roman. De Retour aux mots sauvages, je souhaiterai un retour à la vie calme, non pas une eau tranquille mais la course d'une rivière, bref, tout ce qu'il faut pour se dire, maintenant je passe à autre chose, un autre livre à construire. Ce jour-là, je me renseignerai dans ma ville pour connaître la prochaine date des encombrants.
(15/09/2010)


Dans la course des jours, rentrée qui se bouscule en tous points, j'ai pris pas mal d'engagements et quasi tous mes week-ends seront pris jusqu'à Noël presque. Il y a cependant un rendez-vous auquel je tiens depuis de nombreuses années et que je louperai ce week-end : la fête de l'Humanité. Et pourtant, c'était l'année ou jamais avec ce roman catalogué comme social. Zut de zut donc, mais j'avais pris un engagement il y a plus d'un an et que je ne peux remettre. Que Martine Sonnet, Philippe Annocque, René Ballet veuillent bien m'excuser de leur fausser compagnie au Village du Livre. A l'année prochaine, j'espère.
(07/09/2010)

Voilà, c’est juste dans l’effilochement de cette fameuse trêve du mois d’août. Il y a quelques jours encore, la chaleur, la plage de sable à gros grains, le parasol, les habits suspendus sur les baleines de l'ombrelle, la serviette de bain qui s’envole au vent ou demeure clouée au sol dans la léthargie brûlante. Les peaux étalées un peu partout, devant, à droite à gauche, les enfants qui jouent en défilant, armés d’une pelle ou d’un râteau de plastique, un seau de Mickey retourné sur leur tête. Et l’eau, bien sûr, bleue, si bleue, fraîcheur des vagues parfois. Voilà, c’est l’univers que j’aime, je suis un rat de plage, j’aime à m’y ennuyer, avec des mots fléchés ou un livre, c’est encore mieux. Souvenirs encore frais donc que je vais essayer de garder encore un peu malgré le retour, les deux milles bornes avalées en vingt-quatre heures non-stop, la maison et son désordre d’avant vacances ajoutée d’un plafond de plâtre qui s’effondre dans mon bureau suite à l’infiltration d’une pluie d’orage et juste au-dessus d’où j’écris mes livres (espérons que cela n’augure pas d’un naufrage de mon roman qui sort en ce moment) mais non, en fait, tout va bien, très très bien, je suis un indécrottable optimiste doué pour le bonheur, dopé à là vitamine C du soleil, tête en l’air, semelles de vent. Vœux pieux : que tous ceux, rats de plage comme moi, échoués sur leur nattes de bambous, que tous ceux, dans l’anonymat des peaux multicolores, pain d’épices, écrevisse, blanc, noir jaune, que tous ceux côtoyés là-bas, directeurs à cravate ventripotents sans leur costume, ouvriers délestés de leurs cottes et leurs outils, chauffeurs routiers exténués sans leur volant, tous ceux réunis dans l’anonymat pour aider leur progéniture à bâtir des châteaux de sable, toutes celles, ici une secrétaire sans son ordinateur, là, la crémière sans l’argent du beurre, tous les pans de l’économie donc en maillot de bain sur les plages, trêve estivale d’une guerre économique en suspens, les concurrents réunis à deux jets de pelle à sable, tandis qu’à l’ombre d’un parasol à fleurs une directrice de ressources humaines blanche comme un cul épie sans vergogne sa voisine au beau hâle (sa tête me dit quelque chose) sans se souvenir qu’il s’agit de la petite stagiaire du quatrième qu’elle a viré deux mois auparavant. Vœux pieux : après donc que se soient mélangés tous les habits sacerdotaux du travail, après que les peaux nues aient pu bâtir ce semblant d’égalité où le charcutier du quartier arbore le même tatouage de dragon que l’énarque, prière pour que se prolonge l’état de grâce des vacances.
(28/08/2010)

Je ne connaissais pas la place de la Bourse. C’est bête comme chou à trouver : métro Bourse et on se retrouve sur un espace presque entièrement mangé en son milieu par le palais Brongniart. Le temple de la finance est à l’image de ses colonnades arrogantes. En sortant du métro, rencontré deux cravatés dont l’un expliquait à l’autre à grand geste d’attaché-case balancé à bout de bras une manœuvre subtile de finance. Mais l’objet de ma visite en ces lieux n’était pas lié à quelques placements juteux et j’avoue ne pas y connaître grand-chose au-delà du livret A et de l’écureuil qui garde mes noisettes. Place de la bourse, c’est aussi le siège de l’AFP, de quelques autres officines de presse et j’avais rendez-vous avec un journaliste. J’avais un peu d’avance et j’ai joué au baroudeur qui revient d’un grand reportage en rentrant avec emphase dans un des cafés de la place. J’avais pris soin de me vêtir d’une veste reporter aux poches bien remplies, jusqu’au canif multi lames et je me sentais l’âme unique d’Indiana Jones. J’aurais pu régler mon café en laissant négligemment traîner un des billets iraniens qui encombrent toujours mon portefeuille mais je n’ai pas osé pousser la plaisanterie si loin. Bref, après avoir joué en rond dans mon coin le globe trotter, je suis ressorti sur la place carrée. Presse, journalistes, monde, me voici ! Ah, j’oubliais : avant de vaquer à mon rendez-vous, penser à rappeler un collègue de travail qui m’avait laissé un message et lui, tout surpris d’entendre un bruit de circulation, lui qui me croyait tranquillement installé dans mon bureau de province. Quelle vie exaltante, je mène ! Dernier coup de fil pour prévenir que j’étais arrivé en bas de l’immeuble et mon interlocuteur s’empresse de m’indiquer qu’il arrive de suite m’ouvrir. C’est là, tandis que j’attends devant la porte que j’aperçois Julien Gracq : deux petites affichettes collées sur une descente d’eau de pluie en zinc. Deux petites affichettes avec ce portrait en noir et blanc si connu de lui, celui où il a le regard pénétrant et le visage d’un instituteur un peu austère. Elles annoncent une mise en scène d’Un Balcon en forêt. Le spectacle est passé depuis quelques semaines. Me vient alors l’envie irrépressible d’en décoller une sans trop savoir pourquoi. Souvenir, porte bonheur, manière de marquer l’endroit, le lieu, ce rendez-vous tout de même important. En vacances je ramasse des galets sur les plages parce que je suis heureux. Souvenir aussi d’avoir récolté quelques pavés à Rio et à Manaus, ça me revient en lisant Le Brésil de Blaise Cendrars (en note de lecture cette semaine). J’ai cueilli un coquelicot un jour à la gare de Vitry le François et il sert de marque page à un livre de Claude Simon (Note d'étonnements du 21/05/2003). Ces pensées me traversent à toute vitesse. Je n’ai que quelques secondes pour réagir. Je cueille une des deux affichettes, simplement fixée par deux morceaux de scotch sur la descente d’eau. Je la place dans ma poche, celle qui contient le permis de conduire. Je sais qu’elle y restera longtemps et ce moment anodin avec. Le journaliste arrive. Nous entrons dans l’immeuble. Autre temps, autre moment à vivre. La porte se referme sans que j’y prête attention. Sur le trottoir, il ne reste plus qu’un seul visage de Julien Gracq, accroché sur une colonnade de zinc, et qui regarde d’un air rogue le péristyle prétentieux du palais Brongniart.
(30/07/2010)

 

J’ai souvent raconté mes périples dans ce grand Est, déplacements pour raisons professionnelles la plupart du temps. Et, à chaque fois, le choix du transport ne se pose même pas, on grimpe dans la voiture, on avale les kilomètres en longeant les champs de betteraves entre Châlons, Troyes  et Charleville, les terres à patates de l’Aisne, les villages encombrés de l’Oise. Dans la léthargie des autoroutes, on en oublierait presque la raison ou la cause qui nous pousse à choisir la voiture et la facilité des grands axes. Aux péages toutefois, les douze euros qu’il faut débourser entre Reims et Amiens nous rappellent cet octroi démesuré qu’on croyait perdu dans les oubliettes du Moyen âge. On peut s’attarder à réfléchir sur les quasi dix centimes du kilomètre que nous valent les autoroutes françaises, le comparer à la gratuité allemande, à la vignette suisse ou au prix raisonnable des autoroutes italiennes (45 euros pour 800 km entre Milan et Naples). Mais il suffit qu’on se glisse sur les routes encombrées de poids lourds et de ronds points, aux revêtements incertains pour mesurer la déliquescence du réseau routier. Autrefois on appelait cela des routes nationales mais l’état s’est désengagé et elles ont été déclassées  (c’est le terme officiel) en routes départementales, entretenues au bon vouloir de Conseils généraux qui ne poursuivent pas tous la même politique cohérente d’investissement et d’entretien. Les quelques routes nationales qui demeurent ne sont pas mieux loties : je viens d’en faire l’expérience en allant à Nancy où les nids de poule (d’autruche même) de l’hiver dernier ne sont toujours pas refaits. Quelqu’un que je connais à même cassé une roue dans un de ses énormes trous. Pourquoi donc choisir la voiture si cela devient pénible ? Ah, oui, j’oubliais de vous signaler  la raison ou la cause de ce choix, perdu dans la mémoire des générations d’ici. Les transports en communs, les autobus interurbains ont depuis toujours un réseau si peu dense que tous les parents poussent leurs enfants à passer le permis de conduire dès 18 ans, question de facilité, et un plus sur le CV pour l’employeur, il n’y a pas le choix ici, c’est une évidence. En discutant avec quelques parisiens « pures souches », je suis souvent surpris du peu d’intérêt qu’ils éprouvent à la conduite et à la possession d’une voiture. Ici, en province, c’est une question de survie, c’est naturel. Je me souviens même avoir expliqué à un policier de banlieue un jour où j’avais emprunté un couloir de bus avec mon véhicule que je ne savais pas comment faire car il n’y en avait pas dans ma ville : il ne m’a pas cru, j’ai échappé de justesse à l’amende, je devais avoir la tête de l’idiot du village. Reste le train me direz-vous ! Ah oui, le train ? Souvenir des horaires nombreux, trains de nuit, wagons à soldats tandis que j’effectuais mon service national à Amiens et jusqu’au Havre même. Mais le service national a disparu et la plupart des trains avec. Car la décentralisation est aussi passée par là : trains « déclassés » en TER, notre régie nationale qui n’investit quasiment plus que sur les lignes TGV. Chaque région est autonome et c’est autant de frontières qu’il faut passer pour circuler en Alsace, en Lorraine, en Bourgogne ou en Franche Comté. Lorsque mon fils était étudiant à Dijon, j’avais déjà noté un écart de 17 heures séparant deux trains pour revenir. Vous en loupez un, vous êtes marron. Ma fille s’est récemment aperçue en arrivant sur le quai pour repartir à Paris que son train habituel avait été purement et simplement supprimé et remplacé par rien. J’ai récemment recherché des horaires pour aller à Besançon et le site de la SNCF m’a proposé sans honte un trajet de 7h, cumulant deux TGV passant par la capitale pour rejoindre cette ville alors qu’il faut trois heures en voiture. J’ai voulu aller en Alsace et si j’avais une possibilité pour partir, je n’avais qu’un seul train pour revenir avec un trajet de cinq heures, deux heures de plus qu’en voiture. On ne m’a pas proposé plus de possibilité à la gare et on m’a conseillé de partir en voiture : un comble ! Mais j’ai insisté, j’ai recherché sur Internet et quelle n’a pas été ma surprise lorsque j’ai scindé mon voyage en étapes logiques de m’apercevoir qu’il y avait plusieurs possibilités satisfaisantes. Si la SNCF bâtit des frontières même sur le Net, où allons-nous ? Ce doit être encore une preuve du déclassement des transports.
(21/07/2010)


Ce serait de ces heures perdues que parfois le sort vous impose. On emmène quelqu’un à un rendez-vous dans une ville voisine mais suffisamment éloignée pour devoir attendre de la ramener et c’est toute l’après midi qu’il faut passer ici. Il fait beau, très chaud même. Je me suis garé à l’ombre devant le parc municipal. Des familles, des enfants qui jouent, c’est un dimanche. Le sort a voulu que c’est à peu près au même endroit que je me réfugiais pour écouter chaque jour François Bon me raconter les Stones, il y a déjà quasi huit ans (note d’étonnements du 02/10/2002). Même calme, même sérénité et cette impression du temps à délayer sans fin, une parenthèse à avoir. Mais c’est de courte durée cette impression de calme, les enfants en période de fin d’année étudiante (et justement c’est le motif de l’attente de l’un d’eux), les choix stratégiques, décisifs, que la complexité toujours croissante de la vie engage pour plusieurs années. Donc, en ce moment, à l’heure des repas, les mots se bousculent, chacun y va de sa propre histoire, de ses espoirs ou de ses contrariétés. On s’interrompt, on fait des apartés, on énonce des débuts de projets qui commencent toujours par les mêmes phrases, avec l’utilisation fréquente des vocables « absolument » ou « surtout », sorte de  suppliques qui sonnent comme un grelot agité dans la course folle des derniers jours avant les vacances de tout un chacun, administration, rectorat, entreprises. Ces injonctions («   il faut absolument que tu me fasses penser à… », « surtout ne pas oublier de… ») me paraissent cependant désuètes devant le livre que j’ai entrepris d’entamer dans le parc, L’Espèce humaine, de Robert Antelme, récit de cette survie des camps et grand écart devant nos piètres difficultés, nos bonheurs immenses. Je suis ainsi assis dans l’herbe, le livre posé sur un genou ou dans le creux des jambes en tailleur. Un anglais accompagné de ses deux enfants est venu jouer au ballon devant moi. De l’autre côté du talus, je peux voir la voiture que j’ai garée à l’ombre. Tout à l’heure, je suis allé me chercher une boisson et un pain au chocolat : vie tranquille comme dirait Marguerite Duras (en Notes de lecture, cette semaine). Je regarde ma montre : dans vingt minutes, il faudra m’en aller. J’ai écrit cette maigre rubrique, tellement banale, uniquement pour me souvenir que j’ai commencé à lire L’Espèce humaine un jour de soleil heureux.
(11/07/2010)

 

Le regard de la violoncelliste à cet instant précis en direction du violoniste qui ne le perçoit pas.
Ce reportage sur le blues où il y a ce type qui a fabriqué une guitare avec un capot de tondeuse à gazon.
L’ampli Fender qu’on allume et l’odeur des lampes qui chauffent.
La corde neuve de la mandoline qui casse par deux fois en des endroits différents.
La valse des choses domestiques à faire et le moment où on passe devant le piano ouvert en laissant courir les doigts sans le souci du temps.
Le luth ramené du Maroc et qui attend qu'on monte ses cordes neuves en haut d'une armoire.
Le chat qui ne supporte pas la guitare électrique.
L’entendre répéter un passage compliqué sur son violon et être pris d’une joie indescriptible.
La valse des sept guitares et trois violons dans toute la maison dans l'obsession de tous les accorder.
Le petit ampli acheté sur un coup de tête pour emmener en vacances.
Sa partition qu’elle ne retrouve pas alors que le concert a lieu dans une demi-heure.
Le bonheur de s’asseoir parmi les spectateurs pour ne regarder qu’elle.
Le son du mi mineur, mon accord préféré à la guitare.
Le Canon de Pachelbel à l’occasion d’un mariage comme ma seule prestation publique au violon.
Le copain d'enfance après son concert : fredonner avec lui la chanson que j'avais composée et que nous répétions ensemble trente ans avant.
Les notes au hasard du piano ou la pichenette sur le bord d’un verre juste pour tester son oreille absolue.
Les voir chantonner une partition (la mère et la fille même sourire et même regard) et se sentir énervé de ne pas y arriver.
Le souvenir d'avoir joué Les feuilles mortes à deux guitares dans le jardin pendant un après-midi.
Ce fameux week-end à Samois dans l'ombre de Django.
Les plaisanteries de Jean-Mi avant qu'il ne ferme son magasin de musique
La note aiguë de Mick Taylor dans Wild horses des Rolling Stones et ne l’écouter que pour cette seconde.
Ma joie de jouer sur la PRS électrique sans la brancher.
L’accordeur qu’on ne retrouve jamais quand on en a besoin.
Le choix cornélien entre un médiator light ou médium.
Ses répétitions à caser dans le programme déjà chargé de la semaine.
Sa manière de trouver Bedrich Smetana difficile, d'aimer les quatuors de Beethoven et les tangos d'Astor Piazzola.
Mes mains crispées sur les genoux à l’instant précis où son concert débute.
(25/06/2010)


J’ai repeint la grille de ma maison un samedi, il y a peu de temps. Je l’avais déjà réparée un ou deux mois auparavant, un coup de vent avait rabattu le battant sur ma voiture lors d’une marche arrière un peu hâtive. Il avait fallu régler l’ouverture qui avait souffert du choc. J’en avais profité pour la nettoyer et donner un coup de papier de verre. Depuis, il fallait juste une paire d’heures disponibles et un temps clément pour lui donner une couche de peinture. L’affaire a donc été rondement menée un samedi orageux (ouf, c’est seulement la nuit qu’il a plu). J’en ai profité pour repeindre les murets qui, du coup, paraissaient miteux à côté de ma belle grille blanche. Tout en terminant d’étaler au rouleau la peinture sur le béton brut, j’ai pensé à Beckett.
Il y a cinq ans en effet, je suis allé à Ussy-sur-Marne où l’écrivain possédait une maison. C’était un voyage imprévu et j’étais moi-même englué dans une période incertaine (note d’étonnement du 13/04/2005). J’ai débarqué là-bas dans cet état d’esprit un peu perdu mais la chance était tout de même avec moi. Il faut savoir que Samuel Beckett s’est séparé de sa petite maison de son vivant, sans doute lorsque sa santé ne lui a plus permis de se rendre là-bas dans la solitude qu’il affectionnait. Car l’endroit est effectivement bien isolé sur les hauteurs d’Ussy. Le panorama y est très beau. En face, il y a les monts Moyens que le peintre, ami de Beckett, Joseph Hayden, a immortalisés à de nombreuses reprises. La propriété de l’écrivain est toutefois cerclée de hauts murs qui ne permettent pas de jouir du paysage. Quand je dis que j’ai eu de la chance, c’est parce que la grille d’entrée était ouverte et laissait voir la petite maison figurant sur quelques rares clichés. Une femme se tenait dans la cour et je me suis permis d’entrer et de lui expliquer la raison de ma présence. Chance encore parce que cette dame a été la voisine attentive qui a veillé sur la maison du temps de Samuel Beckett. Elle l’avait ainsi bien connu et c’est d’ailleurs à elle que la petite maison d’Ussy a été proposée par le grand Sam. Chance toujours parce que ce sont ses propres enfants qui l’occupent et qu’elle est rarement présente. Nous avons ainsi beaucoup discuté en faisant le tour du jardin. C’était formidable de voir cette maison qui vivait à nouveau. Il y avait des jouets, d’autres aménagements, quelques vieilles chaises sur un coin de la terrasse (qui lui avaient appartenu, soulignait-elle). Elle m’a raconté de nombreuses anecdotes sur la vie du temps de Beckett. J’ai d’ailleurs toujours gardé dans mon bureau la page de notes que j’avais rédigée après ma visite pour pouvoir me souvenir de tout. Par exemple ceci : alors que nous nous promenions, elle m’a désigné les poteaux de béton qui supportent les plaques disgracieuses mais efficaces de la clôture qui cachait l’écrivain des inopportuns. On y voyait de vieilles traces de peinture blanche. Vous voyez, m’a-t-elle dit, c’est Samuel Beckett qui les avait peints.
Et alors que je termine de passer le rouleau sur mon propre muret, dans la répétition des gestes, j’imagine le bonheur qu’a du éprouver le grand Samuel à passer de la même manière le pinceau inlassablement sur ses poteaux de béton. Rien d’autre à faire que de constater la couche blanche qui recouvre petit à petit le grain du ciment ou de la pierre. Dans les tâches manuelles, l’esprit peu ainsi voguer ailleurs. Lorsque je tonds le gazon – et la manière d’escamoter l’espace d’une couche d’herbe neuve ou d’une couche de peinture est également similaire – me viennent des idées de roman, des pensées à verser dans le creuset de l’écriture. Recouvrir l’espace pour mieux creuser le temps, il y a de cela sans doute. Et qui sait si Comment c’est ou Fin de partie ne sont pas nés de cet instant précis. L’espoir est grand qu’une partie du rêve soit encore contenue dans les écailles insignifiantes de la peinture de Beckett : là, sous une trace blanche à l’abri d’un angle, c’est la vieille femme de Mal vu mal dit qui guette le ciel ; ici, protégée sous une ronce, un poil de pinceau encore collé et c’est la voix de L’Innommable qui murmure « Il est plus facile d'élever un temple que d'y faire descendre l'objet du culte » ; là encore, délavée par le soleil, la grande marque toujours visible n’est-ce pas Winnie qui s’écrie « encore une journée divine » dans Ô les beaux jours ?
(16/06/2010)

 

Paris, Saint-Dizier, Amiens, Reims, Troyes, Châlons-en-Champagne: c'est le programme de la semaine. au total, ça fera à la louche 1500 kilomètres, soit la distance que j'effectue en été pour rejoindre Naples avant de glisser plus bas encore jusqu'en Sicile. Semaine dense et danse des transports, train, voitures, toute l'organisation pour réserver les véhicules du boulot, aller les chercher directement depuis Paris, les voyages solitaires ou en covoiturage, les plans compliqués, les réunions avec tous les collègues éclatés dans ce grand Est – on habite Lille, Amiens, Beauvais, Compiègne, Troyes Châlons, Arras - et comment on parlera de tout et de rien, du boulot surtout. A nouveau les trajets, les autoroutes qui défilent, le mauvais café au hasard quand on est trop fatigué. Il y aura des départs matinaux : pour être à Amiens à 9h, c'est vers 5h30 qu'il faudra se lever en rentrant de Paris. Et ce matin même, en y allant, me trompant de réveil, m'apercevant m'être levé une heure plus tôt pour partir à Paris par le train. J'en ai profité pour quelques mises à jour de feuilles de route à publier bientôt et concernant un making off du roman à paraître J'écris maintenant cette rubrique étonnement dans le train qui m'emmène dans la capitale. C'est jour de congé, l'excitation du Service de presse à préparer chez l'éditeur, une rencontre importante aussi prévue à midi. Heureux donc de cette journée même si elle participera aussi à la valse des kilomètres. Il y a peu, on m'a demandé comment j'arrivais à tout concilier. On me pose assez souvent cette question. A vrai dire, je n'ai pas l'impression d'accomplir un exploit dans l'organisation de tout ce qui m'occupe, famille, écriture, boulot, bricolage, aller courir, tondre la pelouse, même le temps d'un peu de farniente au soleil parfois ou celui de regarder la télévision. Il suffit d'un bon agenda. Ou d'écrire cela, même si c'est court, même si ça a peu d'intérêt. Je vis dans l'accumulation, que ce soit des kilomètres de route ou de mots. Ces notes, cette course, c'est aussi construire son propre bonheur.
(10/06/2010)

 

Alors voilà : j’ai couru. C’était un samedi soir, mi-mai, une date retenue depuis longtemps. Un an en fait, depuis que j’avais participé à l’édition précédente de la course populaire de ma ville. Sauf que l’année passée, un peu faiblard, m’essoufflant encore assez vite, j’avais opté pour un parcours de trois kilomètres et demi. Vingt minutes de foulées cacochymes : pas de quoi pavoiser mais un vrai bonheur d’arriver en sueur avec mon pantalon de jogging qui ne me donnait pas l’air très malin. Vrai bonheur, sans que je sache trop bien pourquoi. Le fait d’avoir osé m’inscrire, d’avoir osé courir, d’avoir su rester indifférent à figurer dans les derniers. Cette année, c’était beaucoup plus honorable. D’abord, la distance - dix kilomètres – et le temps – 55 minutes -. Rien d’extraordinaire, performance moyenne, mais le même bonheur que j’éprouve à courir. Et avant tout, celui que j’ai eu, depuis un an, à me contraindre à enfiler mes chaussures, si possible trois fois par semaine. En tout, j’aurai accompli entre ces deux courses populaires, 650 km en une centaine de séances. Voilà pour la quantité. Au-delà de la brutalité des chiffres, c’est tout ce qui se passe pendant la demi-heure ou l’heure passée à poser un pied devant l’autre : le trajet – toujours le même, le long d’un canal – qui change suivant les saisons, la connaissance de son souffle, de ses foulées, de ce qu’on devient capable de faire. Une joie. En réalité, j’ai toujours couru un peu. J’ai encore dans mes papiers ma carte de l’association sportive du lycée, année 1975, avec, collée dessus, ma tête d’adolescent rigolard à longs cheveux. Je m’étais inscrit pour faire du cross et, déjà à l’époque, j’avais passé outre les quolibets de mon prof de sport parce que je n’étais pas très doué. Merci à lui de m’avoir ouvert les yeux sur la connerie humaine et compétitive. Je lui dois d’avoir commencé une carrière de parfaite indifférence, voire de franche moquerie devant les égos disproportionnés, qu’ils fussent de nature physique ou intellectuelle. J’ai fini par laisser tomber le cross et j’ai passé quelques années à fumer et à tousser. Plus tard, au début des années quatre-vingt, j’ai eu ma période préparation du marathon, qui s’est bornée à acheter deux bouquins de conseils avec photographies de sportifs habillés comme Starsky et Hutch, tee-shirts moulants enfilés dans des shorts soyeux, visages portant rouflaquettes et moustaches. Je courais à l’époque au parc du Héron à Villeneuve d’Ascq le soir, et j’apprenais dans la journée les mystères de l’électronique. Après j’ai couru à Reims où mes amours m’avaient mené. Puis j’ai de nouveau arrêté pour élever les fruits de mes amours. De temps en temps, un peu de ski de fond et quelques parcours de santé me permettaient de ne pas perdre tout à fait l’habitude. Au fil des années qui ont suivi, j’ai ainsi régulièrement repris et tout aussi soudainement arrêté jusqu’à l’année dernière où je me suis décidé de frapper un grand coup en demeurant régulier. Je ne sais pas pourquoi la course et l’entraînement me plaisent autant. Je pense qu’il y a quelque chose qui tient à la sensualité de la respiration, tout comme l’apnée – que j’ai pratiquée un peu – et qui offre l’étrange jouissance de bloquer tout mouvement respiratoire pendant la durée de la plongée. A force d’entraînement, la perception de son propre corps se modifie. L’amaigrissement, la sensation de légèreté est pour moi très récente, un ou deux mois seulement, après avoir enfin épuisé les stocks de chocolats de Noël enchaînés avec ceux de Pâques. Avec, vient de pair l’impression que mon souffle est inépuisable : j’ai couru ce dimanche quinze kilomètres pendant une heure et demie, et aucune fatigue, pas la moindre tension musculaire à l’arrivée. Plus étonnantes sont les manifestations physiologiques du cœur, les battements qui descendent parfois à 45 pulsations par minutes alors que, quand je fumais encore, il m’était impossible d’avoir un cœur battant à moins de 70 au repos. Finalement, ai-je remplacé l’accoutumance à la nicotine par celle de l’oxygène ?
Reste donc la course et tout ce qui se construit autour. Je n’aurais jamais pensé, un an auparavant, que les dix kilomètres prévus seraient l’occasion de rassembler mon cousin – nous avons terminé ensemble – et l’ami de ma fille qui avait pris largement les devants. Ambiance familiale donc et encouragements proportionnés. Et c’est seulement au moment de la collation prévue par la municipalité que j’ai réalisé combien l’écriture même de cette scène de course avait déjà précédé la réalité. Je l’ai raconté devant mes coéquipiers interloqués. Tout cela, en effet, figure dans le dernier chapitre du livre à venir (voir en notes d’écriture). Et combien m’apparaît tellement plus véloce et rapide le mouvement de l’écriture en regard de la réalité.
(02/06/2010)

 

Pour continuer l'hommage à Jean Robinet, voici un de ses textes les plus beaux peut-être, Arbres (in La Rente Gabrielle).
" C’était dans une pâture récemment acquise et que je débroussaille, en un endroit où la serpe et la pioche ne sont pas passées depuis cent ans au moins. Parmi les ronces et les épines, des arbres ont grandi. Il en est de tordus, il en est de frêles et il en est d’énormes, il en est qui partent vers le ciel dressés comme des cierges. Très grands, un chêne et un cerisier aux branches étroitement mêlées étaient de ceux-là.
Je laisse le chêne qui ombragera mes bestiaux et fera plus tard un bel arbre, pensais-je.
En insensible que je fus, je plantai l’acier dans l’écorce cerclée du cerisier, dans le bois rouge comme une chair où eût couru du sang. J’assénai les coups, indifférent à ma tâche honteuse.
Lorsque, à force d’acharnement, j’eus détaché le fût de la souche, l’arbre ne bougea pas, toujours aussi droit et solide : le chêne, pris dans ses branches, ne comprenait point ; ne sachant pas son compagnon mort déjà, ou le voulant soutenir et le garder près de lui, dans son amour d’arbre, comme un mari ferait de son épouse foudroyée, ne voulant pas croire à ce dur coup du sort, n’acceptant pas cette douleur profonde, le chêne gardait le cerisier enlacé et le maintenait debout contre son flanc. Et moi, la brute, je me demandais comment j’allais les désunir, comment j’allais jeter à terre la moitié de ce tout, de cette unité que j’avais tuée…
Mes poussées ne dissocièrent tous ces membres mêlés, ne brisèrent point cette étreinte à la fois puissante et tendre, qui avait commencé il y a tant d’années pour durer une éternité. Le cerisier mort, le chêne ne l’eût jamais lâché, et ce corps que n’eût plus parcouru la sève, duquel n’eussent jailli ni feuilles ni fleurs au printemps, il en eût amoureusement, désespérément gardé contre lui le squelette, sans le secours d’une machine qui allait pour moi jusqu’au bout de mon forfait.
Mais la force désespérée de l’arbre ne pût résister à la force sans pitié du tracteur, et dans les cimes, là-haut tout contre le ciel, des craquements douloureux se firent entendre, et le chêne eût beau se raidir, se crisper, vouloir garder contre lui son compagnon ou mourir avec lui, ceux qui avaient grandi liés furent à jamais séparés. Le chêne, dans son effort, s’inclina, mais ses membres se rompirent, sa proie morte lui échappa, et il se redressa dans un mouvement et dans un bruit qui ressemblèrent à un sanglot : le cerisier, effondrant, eut le cri des êtres qui finissent d’un seul coup. A terre, maintenant, gisait son cadavre brisé.
Le chêne, pantelant, laissait vers son ami pendre ses branches rompues, et des branches du cerisier mort restaient dans la cime du chêne debout…
Les plantes, qui comme nous vivent, seraient-elles comme nous capables de souffrir ? Où donc alors irais-je cacher ma honte ?
"
(28/05/2010)

 

Jean Robinet n’est plus. Je redoutais ce moment même si je savais que le « grand âge » comme disait Saint John Perse, aurait raison de lui. Il est donc parti dans sa 98 ème année, il s’est lentement endormi au fil des derniers mois, comme la campagne pendant l’hiver, juste sort d’une nature qu’il n’aura cessé de célébrer toute sa vie durant. Je l’aurai finalement connu que pendant ces douze dernières années. Un peu intimidé d’abord à mon arrivée à l’association des écrivains de Haute-Marne, je m’étais fait une joie de lui faire parvenir mes publications futures. Je crois que celui qu’il avait le plus apprécié, c’était Paysage et portrait en pied de poule. Je l’ai lu d’une traite, disait-il, et ses compliments demeurent parmi ceux à qui j’attache le plus de prix. Reste les souvenirs de nos visites Je préfère employer le mot de « visites » plutôt que de « rencontres » lorsque le hasard ou l’occasion nous réunissait. « Rencontres » me paraît trop solennel. Trop combatif aussi : « rencontres » c’est venir de face, à l’encontre, littéralement « contre cela », alors que « visites » vient de visitare, « voir » en latin et, contenu dans ce vocable, toute une manière d’écarquiller les yeux, une saine curiosité, l’étonnement, l’ouverture vers autrui sans a priori. Nous avons eu la joie de nous retrouver ainsi, au hasard de manifestations littéraires ou lors de rendez-vous de l’association des écrivains dont nous faisions partie. Une fois, c’était à Paris au Salon du livre, il y a quelques années, ses jambes usées le portaient déjà moins bien et il vivait mal de ne pouvoir arpenter les allées à sa guise. Une autre fois, il m’avait fait la surprise de venir à une de mes dédicaces à Langres, moment inoubliable. De même, j’étais venu le voir, toujours dans la ville de Diderot, alors qu’il présentait Instants, recueil de souvenirs, paru en 2006. Sur mon exemplaire, il a écrit une longue phrase que son impatience bonhomme résume dans ces derniers mots « amitié tout court ». Je suis allé aussi plusieurs fois chez lui, dans ce fond de département magnifiquement isolé et prodigue, clairsemé de villages et de fermes comme celle, abandonnée, qu’il avait fait revivre quatre ans après la fin de la deuxième guerre mondiale et qui n’a cessé depuis de prospérer. Souvenir d’avoir été invité à rencontrer dans sa maison et sur son initiative, il y a déjà cinq ans, un des inventeurs de la cocotte-minute, injustement spolié de son innovation. Nous devions écrire ensemble le véritable récit de la célèbre casserole, mais le projet n’a jamais vu le jour. Les dernières visites ont eu lieu aussi chez lui, ses jambes le trahissaient de plus en plus et il ne pouvait plus assumer la coquetterie des dernières années qui le poussait à cacher ses béquilles chaque fois que nous le prenions en photographie, par exemple lors des rituels clichés de groupe de l’association des écrivains. En revanche, si le corps le trahissait, trop usé par les travaux des champs – ah ! sa poigne de fer lorsqu’il donnait le bonjour à vous broyer la main, son esprit est resté jusqu’à la fin vif et alerte. Sa conversation était un plaisir : curiosité, érudition, courtoisie pour ses hôtes mais aussi un humour parfois coquin et une espièglerie qui faisait souvent fendre son visage d’un sourire et plisser ses yeux de plaisir. Modeste, mais sans bouder les joies de sa popularité, il savait aussi relativiser d’un geste ou d’une réflexion les hommages qu’on lui rendait sur sa vie de légende : je suis un paysan qui écrit, pas un écrivain qui laboure, avait-il l’habitude de dire. Ces dernières années, nous avons essayé de venir le voir chaque année en été avec Gil, une amie également auteur. Divertissement pour nous de descendre au fond du département à travers les petites routes fleuries en voiture de sport décapotable, récréation pour lui de nous recevoir autour d’un verre de champagne et d’un goûter toujours trop copieux. J’ai parfois comparé ces visites à celles que d’aucuns ont rendu à Julien Gracq, Jean Robinet, donc, comme mon Julien Gracq à moi, mais cette comparaison facile et possessive est fort éloignée de la visite au « grantécrivain » qu’on imagine, versée dans le silence et le recueillement. La porte de sa maison restait ouverte sur la rue et le soleil. Nous restions attablé dans la fraîcheur de la cuisine. L’après-midi ne se passait pas sans qu’une voisine, un enfant ne vienne le saluer. Si un tracteur ou une voiture surgissait devant sa fenêtre, il ne manquait pas de regarder et de reconnaître le voisin. On discutait joyeusement, parfois un peu moins gaiement : souvenir de la fois où il avait évoqué avec tristesse sa capture – il était alors mobilisé pendant la deuxième guerre mondiale –, il avait aussi parlé du sort pénible des chevaux qu’il aimait tant, malheureusement laissés sans soins pendant cette débâcle. Je n’avais pu m’empêcher de penser à la similitude d’aventures qu’il avait partagée avec Claude Simon, magistralement raconté dans La Route des Flandres. De même, pour Jean Robinet, le destin d’écrivain s’était-il mis en route à ce moment précis : en captivité, il trouverait la force de vivre en rédigeant Compagnons de labour et ignorait bien entendu tout ce qui s’en suivrait. Grande peine à savoir que je ne pourrai pas lui faire parvenir prochainement un exemplaire de mon roman à paraître.
(20/05/2010)
 


Je n’avais jamais visité le musée Carnavalet. Très bel endroit, très vaste et qui présente l’histoire de France et de la vie parisienne à travers une visite classique classée par siècle. On y retrouve tous les aléas qui ont jalonné la capitale, la révolution et la Bastille, Louis XVI enfermé au temple. Il y a, à ce sujet, un curieux autel qui fut détenu par un nostalgique de l’ancien régime et constitué de reliques royales, mèches de cheveux du roi, de Marie-Antoinette et du Dauphin. On y trouve également l’histoire de la commune, le siège de Paris et toute l’histoire des arts et des lettres contemporaines à chaque époque. Il est à regretter que Baudelaire et Rimbaud ne soit que cités dans la phrase laconique d’un panneau explicatif de la littérature au XIX° siècle. Dans la partie du XX° siècle qui résume la vie littéraire, on trouve reconstituées dans trois alcôves les chambres d’Anna de Noailles, de Marcel Proust et de Paul Léautaud. En réalité j’étais surtout venu au musée voir celle de Léautaud, simple curiosité de midinette, après être déjà allé à Fontenay aux Roses où il vécu 45 ans dans une modeste maison remplie d’animaux. Étrange de constater combien dans cette alcôve étroite ont été réunis, le lit, l’armoire, le bureau et quelques objets personnels, dont le fameux buste de Diderot, ici juché par manque de place sur l’armoire alors que les photographies de l’époque le montre posé sur une des cheminées de la maison. La pièce la plus émouvante est sans doute le bureau maculé d’encre : Léautaud écrivait à la plume d’oie et la secouait ardemment avant de jeter les mots sur son journal. Par ailleurs, les parties réservées de son journal intime, sorte de cabinet secret (Voir le Journal particulier et Le petit journal inachevé en Notes de lecture cette semaine) révèlent qu’il a dû s’en passer de belles dans le petit lit de bois, ici, sagement recouvert d’un couvre lit alors que, du temps de l’écrivain, une armada de chats devait cohabiter avec l’occupant. Marie Dormoy, dernier amour de l’écrivain, acheta même une étoffe pour s’y sentir plus à l’aise et plus propre dans ses ébats. La chambre de Marcel Proust jouit d’une place à peine plus grande dans ce musée de l’intime. Quelques objets plus cossus que chez Léautaud, une canne aristocratique et le fameux lit à armature de laiton dans lequel Marcel Proust écrivit la quasi-totalité de la Recherche. Et c’est tout de même un choc de s’apercevoir que, d’un horizon si petit, ait pu naître une des plus fabuleuses épopées littéraires du monde : incroyable puissance de l’écriture.
(14/05/2010)

 

Traditionnellement, on va chercher du muguet le premier mai. C'est férié, on en profite pour se lever tard - enfin tard pour moi signifie à 8h15 - enfiler la robe de chambre et attendre quelques minutes le klaxon de la boulangère, surnommée "la" Madeleine, avec l'habitude d'ici de faire précéder les prénoms d'un article. Un bien être à la Proust peut-être, mais c'est un bonheur incommensurable de pouvoir descendre dans le jardin en robe de chambre et s'approcher de la camionnette qui a pris l'habitude de stationner juste devant ma porte. La Madeleine travaille tout le temps et c'est une sacrée richesse de pouvoir ainsi aller chercher le pain frais et les croissants de cette manière, en pleine ville, avec les avantages de la tournée d'un boulanger. Mais ce premier mai, j'ai un peu d'avance et j'en profite pour aller cueillir du muguet dans le jardin de mon beau-père à une centaine de mètres à peine de là. Bonheur donc de marcher ainsi en chaussons de jardin avec les pans de la robe de chambre qui balancent sur les jambes. La rue est déserte, il fait un peu frais mais assez beau et les oiseaux se poursuivent déjà au raz des buissons. L'air embaume le lilas. La grille s'ouvre, on connaît de mémoire la sensation de la poignée en forme d'oeuf dans la paume de la main, la poussée exacte qu'il faut, le léger grincement. Le muguet est à droite un peu après l'entrée, sous la haie. Je repère les feuilles et quelques brins dont la plupart sont encore en boutons. L'année passe, je crois me souvenir que le muguet était presque défleuri à la même époque. Je cueille quelques brins parmi les plus avancés. La rosée mouille mes manches. Au retour, il me reste quelques minutes avant le passage de la Madeleine, juste le temps de dresser la table pour le petit déjeuner et de disposer à côté de chaque tasse un échantillon du porte bonheur. Klaxon. Trois croissants, une baguette, pas de journal aujourd'hui, c'est férié. Quelques mots aimables et la camionnette repart. A table, tandis que je distribue mes souhaits de bonheur, quelqu'un dira lily on the valley, je penserai par analogie au Lys dans la vallée. Balzac, Proust, la littérature, le printemps, tout se mêle. Je suis quelqu'un d'heureux.
(04/05/2010)

 

Alors oui, tout à déjà été dit. On trouve une nouvelle photographie de Rimbaud. Jean-Jacques Lefrère, spécialiste pointilleux du poète avait déjà fait le coup pour sa belle et grande biographie en présentant une photo en pied, prise, je crois me souvenir, au pied d’un bananier, le poète au mains épaisses et rouges qui avaient étonné Verlaine à la première rencontre avait déjà fait place à une sorte de chat efflanqué par les courses dans la chaleur du Harar, vêtements de coton écru, pose fatiguée mais posture droite et semelles devant.. Cette fois-ci, c’est un visage extrait d’une tablée. On reconnaît la moustache fine, le posé du regard, une tête d’homme mûr, pieds sur terre, à mille lieues du portrait romantique de Fantin Latour ou du visage effronté photographié par Carjat. Tout à été dit. Par exemple ici, par François Bon. Peu nous importe si le vieux cliché, acheté à prix d’or sans doute, présente Rimbaud de manière incontestable. C’est ce qu’il nous renvoie, visage morne, ce qu’il a compris pour lui et qui est un absolu abominable : la poésie ne mène à rien, elle n’a pas de chemin, elle est l’instant. Les carrières de poètes à la Hugo, les apprêts de Saint John Perse qui supervise lui-même son édition Pléiade, échappent à cette vision, ils sont tous petits en face de ce gamin qui renonce parce que c’est dans l’ordre des choses. Ainsi la petite moustache et l’air aussi austère que sur un dessin d’Isabelle Rimbaud, celui où il porte sa coiffe africaine. Et combien j’avais trouvé que mon fils lui ressemblait un jour, hormis la moustache, alors coiffé lui-même de ce chapeau acheté au Yémen, pas très loin des comptoirs d’Aden du poète devenu marchand. Même regard échappé d’une rêverie, même allure familiale identique sur ma carte professionnelle avec en gros la mention « salarié » qui me servait à prendre le bus à Toulouse en août 1978 ; j’avais 20 ans je travaillais depuis un mois, manière de renoncer aussi aux vies antérieures, d’avancer, et la même moustache fine, un faux air de Starsky, celui du feuilleton américain, c’était l’époque. La carte retrouvée il y a peu, va savoir pourquoi et comment, j’ai déjà oublié mais elle sert de marque-page à mes livres (parmi un fouillis d’autres index utilisés, vieillies photos, notice de médicaments, bouts de papiers divers). Ma face sans sourire, donc, l’expression de lassitude identique à celle de Rimbaud, qui se ferme un peu plus entre les pages quand je m’endors sur mes lectures. Voilà : tout cela est écrit rapidement, sans souffle, comme la trentaine d’années qui a suivi jusqu’à ce que mon visage devienne éclaté comme une pastèque, fendu en sourire sous les coups de boutoir d’un bonheur que j’ai cherché, fini par trouver. Va, c’est sans regret de n’avoir que peu connu l’intelligence du malheur, j’appartiens définitivement aux imbéciles heureux, pas comme Rimbaud, trop tôt parti. Qui sait ce qu’il serait advenu de lui : un propriétaire foncier sur les terres d’Ardennes à son retour, et marié comme il en exprimait le désir dans ses lettres, un patriarche aux cheveux blanchis, visage émacié à la Beckett. Mais pas de gloire posthume alors. Mais pas de sourire, pas le visage en pastèque, trop usé, lissé au soleil, il en serait revenu pour laisser son regard se perdre sur le plateau de Roche, vers la route d’Attigny, pays où l’on n’arrive jamais, dernières saisons en enfer. Laissant son esprit divaguer devant une absinthe avec de vieux amis retrouvés place Ducale à Charleville, lassant ses interlocuteurs à ressasser des souvenirs d’Afrique et devenu à son tour bourgeois comme ceux qu’il dénonçait à l’adolescence.
Ou alors terminant sa vie comme Jack Kerouac, d’hémorragie alcoolique. Ne pas s’empêcher de constater combien ces deux là sont proches (je lis en ce moment une biographie du poète de la beat génération – voir en Notes de lecture). Même regard inquiet, même absolu à dénicher, même goût pour les drogues, même incertitude sexuelle, même rapport compliqué à leur mère. Et surtout la fuite en commun, on the road pour l’un et l’autre, pareillement clochards célestes. Que signifie alors une photo ? Rien qu’un peu plus de vide, rien qu’un prétexte pour m’apercevoir que ça fait longtemps que je n’ai pas arpenté les terres d’Ardennes,, ou .
(28/04/2010)

 

Longtemps que la vie de VRP ne m’avait pas repris. Quelques réunions rapprochées en Picardie et dans le Nord vont me donner l’occasion de renouer avec les chaînes d’hôtels des zones artisanales que j’affectionne (Webcam du 30/05/2008). Ce soir, par exemple (mercredi soir en fait), je prépare cette mise à jour à Compiègne. Description des lieux : derrière moi, un grand lit blanc avec deux bonbons posés sur le couvre lit, à ma gauche, une télé que j’allumerai sans doute demain matin pour écouter les informations, à ma droite, une lampe, une petite bouilloire et quelques sachets de café soluble, de thé et de tisane, devant moi, l’écran et les lignes que j’écris. Il y a aussi mon agenda de travail ouvert, le téléphone portable qui se recharge, les clés de la chambre et celle de la voiture. Chaussures alignées par terre, la veste et la chemise dans la penderie. Le livre à lire ce soir est déjà sorti du sac : c’est La Centrale d’Elisabeth Filhol. En préparant mes affaires avant de partir, il m’est apparu évident que je devais l’emporter, en commencer la lecture dans ce lieu. C’est bizarre, mais c’est de la même manière, dans une chambre d’hôtel, qu’il m’avait semblé logique de commencer La Route de Cormac Mac Carthy (Note de lecture du 31/07/2009), ou Une Suite française d’Irène Némirowski (Webcam du 05/06/2007). La lecture se nourrit autant de conditions de lectures et d’intuitions que de texte. C’est ainsi que Maurice Genevoix est associé à une plage de Corse, Blaise Cendrars à une terrasse brûlée par le soleil, Samuel Beckett à un Mac Donald, Yun Sun Limet à l’Égypte (Note de lecture du 11/02/2004) et, dernièrement, Dominique Fabre à la Syrie (Note de lecture du 07/04/2010).
(23/04/2010)

 

Pierre Lefaucheux, patron des usines Renault, fauché en pleine gloire dans ma ville ! Albert Mevys, qui vient parfois en voisin sur mes pages (voir ici son site), me révèle ce scoop vieux de cinquante cinq ans en réaction à mon billet sur la Mathis de mon grand-père. En effet, le 11 février 1955, l’industriel dérape sur une plaque de verglas à l’entrée de notre ville au volant de d’une Frégate, modèle qu’il avait lancé cinq ans plus tôt. Il se rendait à Strasbourg et il paraît que la valise qu’il emportait, posée sur le siège arrière, lui a brisé le cou lors de l’accident. Mort en scène finalement, comme Molière. J’ignorais cette anecdote, de même que j’ignorais que l’endroit de l’accident est marqué d’une plaque, pourtant assez volumineuse, indiquant simplement son nom et la mention de Compagnon de la libération (qualité qui le propulsa à la tête de Renault dès la fin de la guerre). Et pourtant, je passe deux fois par jour en voiture à cet endroit me rendant et en revenant de mon travail. Et pire : la stèle se trouve devant mes yeux, à l’étape ultime de mes trajets de courses à pied. C’est là que je choisis d’être à bout de souffle au moins deux fois par semaine, de faire demi-tour sur le parking et de revenir sur mes pas dans la ferveur de mes petites foulées cacochymes. Dans la préparation du demi-tour, le coup d’œil sur la montre, le ralentissement des pas, je ne me suis jamais soucié de ce qui m’entourait. Parfois un automobiliste esseulé regarde l’hurluberlu en sueur qui fait volte face devant lui, je le remarque à peine, je suis déjà dans le choix du retour : le trajet de 4 km ? La boucle de 6 km ? A bout de souffle, donc, ignorant la stèle abritée par un arbre et une petite haie plantés pour l’occasion, là où Pierre Lefaucheux rendit son dernier soupir. L’endroit est d’ailleurs étrangement isolé maintenant au milieu des réaménagements successifs des carrefours. La vieille chaussée qui le borde, vestige de l’ancienne route nationale, n’est plus accessible, barrée par des tas de terre. Étrange destin de ce macadam qui a fini par manger cet endroit et le protéger en même temps, dévorer comme une mante religieuse le patron d’un constructeur de voiture qui fût sa raison d’être.
Ça fait quelque chose d’avoir été tenu dans l’ignorance de cette anecdote. D’autant plus que si des familles sont fidèles à certaines marques, comme les Citroën chez François Bon, la mienne a toujours été accrochée aux Renault. Va savoir quelle pensée inconsciente me pousse à perpétuer la tradition commencée par mon père avec sa première voiture, une 4CV (tiens, lancée aussi par Pierre Lefaucheux) qui succéda à sa moto Terrot 125 dont les deux selles étaient tout de même insuffisantes pour emmener une famille de quatre personnes. Il y eut une Renault 8 pour lui succéder tandis que mon oncle, après avoir usé une Dauphine (encore proposée par Pierre Lefaucheux) se portait acquéreur d’une Renault 10 (Françoise Dorléac fut également victime d’un accident dans ce modèle). Puis vint une Renault 12 TS avec des sièges baquets, des longues portées et un moteur muni d’un carburateur double corps, je m’en souviens, j’ai fait mes premières armes de conducteur avec (souvenir d’avoir emmené une tripotée de copains passer le bac à Chaumont avec). N’oublions pas la 4L de ma frangine (toujours un modèle induit par Pierre Lefaucheux) que j’ai parfois utilisée pour faire quelques dérapages sur la neige. Mon père à continué, Renault 9, Mégane, mais déjà nos chemins s’étaient séparés, relié par le losange toutefois : si mon premier véhicule a été une Simca 1000, j’ai embrayé par quelques Renault 5, Supercinq, Clio, une fois une Audi 80 pour vérifier que je n’avais aucune affinité avec les allemandes, et retour aux R19, 21, Laguna. Modèle préféré ? Une R21 2L turbo que je n’ai gardé qu’un an, j’aurais fini par perdre tous les points de mon permis avec. Tout cela n’est pas très intello, plutôt macho même, parler bagnole et mécanique. Mais c’est raisonner un peu vite : nous gardons dans un coin de nos mémoires des destins à la Pierre Lefaucheux, Françoise Dorléac, des mythologies de DS à la Roland Barthes, le drame d’Albert Camus et de Michel Gallimard dans une Facel Vega, Françoise Sagan démolie avec son Aston Martin. Demeurent nos rêves de voyages en Fiat Topolino comme Nicolas Bouvier.
(13/04/2010)

 

Non, ce n’est pas un de ces prénoms à la mode, Mathis, mais une marque ancienne de voiture. Chez nous ça représentait quelque chose : on disait la Mathis du Paul, avec cette contraction régionale des articles habituellement cités devant chaque prénom, moi, c’était le Thierry, ma frangine, la Patricia, mes cousins, l’Hervé et le Philippe. Et le Paul, c’était notre grand-père, né en 1901, vosgien des Hautes Vosges, ce qui signifiait têtu, caractère trempé et rude comme le climat des montagnes. La Mathis du Paul, quand nous étions enfants, on ne savait pas trop ce que ça signifiait, sinon qu’on prononçait ce nom ponctué d’un silence éloquent. Une sacrée voiture. Mais on avait du mal à imaginer la voiture disparue. Le grand-père rangeait alors son Ami 6 blanche dans une grange. Il avait aussi une 2CV camionnette pour aller chercher l’herbe pour les lapins. C’était des voitures d’époques, banales. Il y avait bien un vieux camion dans un hangar mais la Mathis demeurait qu’un nom, une idée. Un jour, des étrangers étaient venus jusqu’au faubourg. C’était sans doute à la fin des années soixante-dix. Je crois me rappeler qu’ils avaient une belle voiture, une Porsche 928. Il y avait mes cousins. S’en souviennent-ils ? Comme la plupart des gamins, tout ce qui était mécanique nous intéressait, plutôt l’époque des Mobylettes d’ailleurs. J’en avais une orange à clignotants, l’Hervé une Peugeot 103 et le Philippe se démarquait avec une Flandria à vitesses au pied et non pas à variateur comme les nôtres. Le grand-père avait vendu des pièces détachées de la Mathis, tout ce qui devait rester de la voiture et c’était la raison de la visite de ces étrangers. Quelques vieilles pièces poussiéreuses, peut-être entreposées dans la petite pièce de l’alambic, au mur patiné par les vapeurs de la prune distillée. Il avait dû les vendre à prix d’or, il s’y connaissait en affaire, le Paul, et avait repéré l’aisance de ces visiteurs venus en voiture de luxe.
Les dernières traces de la Mathis avaient ainsi disparu dans l’indifférence de notre jeunesse. Les années quatre-vingts étaient venues, nous avions eu nos vies à construire, on était passé à autre chose. Depuis, j’ai retrouvé un cliché de la Mathis et je l’ai placé en dernière photo de l’hommage à ma ville natale que j’ai tenté d’écrire en 2005, Langres s’use.
Il y a quelques jours, je ne sais plus comment je suis arrivé sur le site internet qui retrace l’histoire des automobiles Mathis, fabriquées à Strasbourg, En lisant l’historique (très complet) on s’aperçoit du prestige de cette marque qui a démarré au début du siècle, notamment avec l’association d’Émile Ernest Charles Mathis et… d’Ettore Bugatti ! Naissance sous les meilleures auspices donc mais la production ne se contentera pas d’être uniquement aristocratique. Lorsque que mon grand-père acquiert son véhicule (identifié par Francis Roll, webmaster du site, comme un modèle EMY SY, 6 cylindres de 13 CV de 1934), Mathis a la réputation d’un constructeur solide, capable de construire des véhicules utilitaires aussi bien que des cabriolets. La célèbre Mistinguett possédait d’ailleurs un torpédo et j’imagine que mon grand-père devait parader dans notre campagne de l’Est comme à Deauville. Moins de parade toutefois un peu plus tard : ma mère se souvient que la Mathis servit à entasser toute la famille et quelques biens lors de l’exode de 1940 qui les mena pendant quelques jours en Auvergne pour fuir l’avance allemande. Toute la famille ? Sauf mon arrière grand-mère, qui resta sur place, attendit l’arrivée des allemands et empêcha par sa présence que la vaste maison des faubourgs ne soit réquisitionnée.
(07/04/2010)

 

C’est le printemps, enfin presque, alors le jardin n’attend pas. Chaque année, je me fixe début mars pour tailler les rosiers qui du reste démarrent leurs bougeons et parfois même leurs feuilles un peu avant. Cette année, j’ai anticipé la taille à l’avant-dernier jour de février. J’ai laissé passer la tempête du dimanche avant de ramasser le tapis de feuilles des peupliers tombé pendant l’hiver. Voilà pour les travaux habituels. Ajoutons cette année que la tranchée qui a balafré un côté du jardin va m’obliger à quelques travaux de nettoyage et de réfection de la pelouse pour réparer les allées et venues des maçons (lire l’article du 27/01/2010, même rubrique). Et cela n’est pas fini, d’autres travaux imprévus, menés bientôt par EDF, vont cette fois-ci s’attaquer à un autre coin de pelouse. Toute cette débauche d’énergie rejaillit forcément sur moi et je me suis attaqué gaillardement à débarrasser un cerisier et deux peupliers du lierre qui les avait envahis. La tempête ayant déraciné deux petits arbres d’ornements chez mes voisins, je me suis offert de les faire disparaître par la même occasion (les arbres, pas les voisins). Résultat, déjà quatre voyages à la déchetterie avec mon inusable remorque. Ce dimanche, dans l’élan ininterrompu, je me suis mis en tête de continuer à décimer le lierre qui avait fini par étouffer ce que nous nommons entre nous « la forêt », un entrelacs d’arbres divers, à l’origine sans doute savamment disposés par le précédent propriétaire quarante ans auparavant, articulé autour de deux arbres de Judée (de haute futaie, comme le fait rimer Brassens dans « auprès de mon arbre »). Sous le vent qui avait repris de la vigueur, mais dans un sens différent que la précédente tempête, j’ai raccourci de quatre mètres la cime d’un cyprès entièrement envahi par le satané lierre. La technique éprouvée de la corde attachée un peu plus haut que la coupe prévue devait permettre de faire choir le tronc où je voulais. Mais les arbres et moi, ça fait deux (voir rubrique webcam du 22/12/2004) et celui-ci est resté bêtement suspendu en l’air, comme en lévitation. En effet, tout un réseau de lianes le maintenait accroché aux autres branches voisines. Ces véritables cordes d’une dizaine de mètres provenaient d’un pied monstrueux que je ne sais nommer que par l’appellation de mon beau-père : du "bois fumé", parce que paraît-il, on pouvait fumer autrefois ces ligneux comme des cigarettes. Renseignements pris, c’est une clématite des haies, appelée aussi viorne des pauvres, une variété sauvage et tenace qui a fini par devenir gigantesque par la faute du jardinier négligent que je suis. Il faut dire que les années d’études universitaires fièrement reprises ont accaparé pas mal d’un temps que j’aurais pu consacrer à cet entretien. Au lieu de cela, je me suis glissé avec insouciance dans l’écriture, les devoirs et la lecture. Ainsi mise à profit, la fameuse phrase « c’est en lisant qu’on devient liseron » a pu décupler une réalité que son auteur, Raymond Queneau, n’aurait jamais soupçonnée.
(10/03/2010)

 

Comment les gens arrivent ici ? Par quel hasard ? Question intéressante à laquelle mes précédentes pages perso ne me permettaient pas de répondre. Le changement d’hébergement me permet maintenant d’examiner la liste des mots clés de Google et autres moteurs de recherche qui aboutissent sur Feuilles de route. Comme mes autres collègues écrivains blogueurs( voir Questions d’automne emportées par le vent, de Martine Sonnet), je vais enfin pouvoir m’étonner, ce qui est le propre de cette rubrique, voire même tenter, comme Martine, d’aider « les internautes naufragés sur mon île ».
D’abord il faut convenir que la plupart des arrivées sur mon rivage sont justifiées : rien ne me fait plus plaisir de savoir que ceux qui écrivent un laconique « Samuel Beckett », « Paul Léautaud » ou « Guernica Pablo Picasso » viennent visiter mes centres d’intérêts. Même chose avec «Duras et Khomeiny » : on doit trouver matière avec tout ce que j’ai déjà raconté au sujet de Marguerite ou à travers mon voyage en Iran l’année passée. Même plaisir aussi de savoir qu’Yvon Régin et Jean Fermier, grands auteurs, soient toujours demandés. Par exemple, à celui qui cherche un « CV écrit sous forme d’un roman », s’il ne pouvait pas mieux tomber, je doute pourtant que le futur employeur à qui il le destine, aie la patience de lire les 350 pages de celui que j’avais ainsi rédigé en 2007. Je suis sûr d’avoir fourni la réponse à qui cherche un « écrivain né à Villeneuve Saint Georges ami de René Clair ». Je me fais fort aussi de pouvoir renseigner celui qui a tapé « poste téléphonique S63 » et j’aimerais savoir si l’affamé qui cherchait une « recette d’andouille du Val d’Ajol » a trouvé son bonheur dans ma rubrique d’étonnements du 06/10/2004. Mais, malgré que je revendique d’être un écrivain rock n roll, je n’ai sans doute pas pu répondre à l’intellectuel qui réclamait le « contexte historique et culturel de The Rose de Janis Joplin » ou de renseigner la personne qui avait des vues sur le fameux journaliste musical « Fabrice Gabriel est-il célibataire ? ». D’ailleurs, je me sens bien inutile aussi à ceux qui m’ont lancé comme un cri dans les moteurs de recherche « tu occupes toujours mes pensées », même si ça me réconforte de le savoir. Sentiment d’inutilité aussi pour qui cherche « une nounou anglaise sur Toulouse » ou la « liste des postiers camionneurs de la poste d’Aubervilliers ». Par contre à qui cherche « comment se débarrasser d’un opérateur trop collant », je propose d’alterner la réponse type que j’emploie : « pourquoi vous m’appelez ? je n’ai pas le téléphone » avec l’accent de bonne portugaise « la madame elle est chortie » qu’utilise parfois mon entourage pour décourager l’inopportun. Je propose néanmoins à celui qui désire faire un «portrait écrit à l’imparfait d’une très jolie femme avec des verbes variés » de me contacter, on devrait arriver à trouver quelque chose du côté des grands romanciers du XIXème. Dans ces « gougueuleries », avoir écrit un livre qui s’appelle Bestiaire domestique me vaut pas mal de demandes. Hélas, je ne sais pas « pourquoi un lapin domestique fait du bruit sur le plancher », ni confectionner un « chevreuil entier empaillé », encore moins à quoi ressemble « un scolopendre frisé ».
(03/03/2010)

 

Sylvie Thieblemont, libraire, de la Librairie Alinéas à Langres, m’avait écrit le 23 août 2007 : « De toute façon, je ne suis pas encore bien remise de ‘Paris-Guernica’, ça va rester parmi mes émotions de lecture (qui se faisaient rares ces derniers temps) Votre façon d’écrire est vraiment bizarre : pas de péripéties, des ambiances, des couleurs, des sons, des apartés, des flash-back… On se laisse emporté par un flot qui n’a rien de tumultueux, plutôt un fleuve tranquille et quand on arrive au bout du livre, on se dit : Oh zut, c’est déjà fini, pourquoi n’y a-t-il pas plus de pages ? La croisière sur le fleuve est terminée, il faut descendre du bateau à regret mais il reste en mémoire toutes ces images, toutes ces impressions accumulées au fil des pages et qui reviennent en mémoire à maintes occasions. ».
C’est le genre de message qui fait très plaisir. Hélas, ma libraire préférée de ma ville natale ne pourra plus m’écrire de telles missives : la croisière est en effet terminée, Charon, le passeur, lui a fait traverser le fleuve des morts dans les premiers jours de janvier. Je ne l’ai appris que très récemment. Décidément, l’année nouvelle tient plus du crabe que du tigre dans la proximité de mon astrologie. Je ne doute pas un seul instant qu’elle soit descendue du bateau à regret comme elle l’écrivait. Sa mémoire, toutes ces images, toutes ces impressions accumulées, est devenue maintenant la mienne : souvenirs de ces séances de dédicaces dans sa librairie : ça compte d’en faire dans sa propre ville de jeunesse, avec parents et amis. J’y ai eu la surprise et la joie d’y rencontrer Guy Baillet, qui fût mon professeur d’allemand, puis maire pendant quatre mandats. Lui aussi a traversé le fleuve (note d’étonnements du 18/06/2003). Jean Robinet est également venu m’y saluer de son lointain village, du temps où il se déplaçait encore : bizarrerie de la nature, la grande faucheuse vient de le laisser entrer dans sa 98ème année. Souvenir aussi de la librairie de Madame Alinéas, comme on disait : un local tout en longueur, obscurci par les livres serrés, empilés, une débauche de pages qu’elle savait retrouver à coup sûr. Située au milieu de la rue principale, c’était devenu un lieu de rendez-vous pour toute une jeunesse qui avait succédé à la mienne mais avec les mêmes manies et le même parler qu’à mon époque des seventies : faire la rue Diderot, ça voulait dire arpenter cette artère jusqu’à la statue du philosophe et repartir en sens inverse à la recherche de copains de classe, d’amis d’enfance. On se retrouve où ? A part égale, c’était soit au café, soit chez Madame Alinéas avec l’accueil toujours bavard et dynamique de la libraire. On la savait malade depuis quelques années : la librairie, qui ne tenait que par sa détermination, avait fini par fermer. Elle n’est toujours pas rouverte et, au pays de Diderot, il n’y a plus de librairie digne de ce nom, un comble… Reste quelques rayons dans les grandes surfaces excentrées de la ville, en dehors de ses remparts millénaires. Même celle que citait François Bon dans son texte Langres un soir, visitée par lui en 1998, avait fini depuis longtemps par se transformer en une boutique de gadgets : quelques cartes postales et un best-seller poussiéreux doivent vaguement s’y trouver et rappeler l’origine du magasin. Charon, pour sûr, ne savait pas tout ce qui serait aussi délaissé en embarquant Madame Alinéas sinon il l’aurait reconduite derechef sur la berge pour qu'elle y continue son travail de libraire.
(24/02/2010)

 

Cette semaine, j’ai appris trois départs à mon travail. Un suicide, un décès par maladie et un simple départ en retraite dont l’aspect serein et joyeux paraît presque cruel dans cette dissolution. Passons sur le suicide (que je relate en note d’écriture), j’ai découvert en premier le décès par maladie d’une collègue, c’était le lundi à mon arrivée. Le vieux crabe malfaisant contre qui elle se battait depuis deux ans, avait eu raison d’elle. J’avais travaillé avec cette collègue, ingénieur commercial, de 1998 à 2003.A cette époque, j’intervenais en soutien pour aider à monter des projets d’informatisation d’hôpitaux ou de cabinets médicaux. On s’était perdu de vue depuis : plus dans le même secteur géographique et plus la même activité. Mais ça fait quelque chose de le savoir, c’est repartir quelques années en arrière et partager à nouveau toute une organisation. On perd aussi cela, soi-même comme partie d’un grand tout. Le jeudi suivant, le deuxième départ, programmé depuis quelques temps, est plus joyeux. C’est un collègue qui bénéficie d’un assouplissement des conditions de départs en retraite. Il lui restait deux ans à faire et une dizaine de mois de congés qu’il n’avait jamais pu prendre à une époque où son travail était plus intensif. Dernière réunion, repas le midi dans un restaurant pour fêter cela en petit comité, cinq personnes au total et on se dit au revoir, on se souhaite bonne chance. On s’inquiète de savoir comment il va s’occuper : deux grands enfants qui travaillent et du bricolage en perspective dans les maisons qu’ils viennent d’acquérir. Là encore, c’est une partie de soi qui s’efface, plus récente cependant, un partage de « trois petites années, mais très riches » a-t-il dit. Nostalgie et joie avant la tristesse de découvrir le même jour en lisant la presse le dernier et trente cinquième suicide de l’entreprise en deux ans.
Trois départs sans point commun, donc.
Enfin, si, deux points communs en y réfléchissant :
Le premier est que ces trois agents avaient dépassé la cinquantaine. Normal, la moyenne d’âge de l’entreprise tourne dans cette tranche d’âge.
Le deuxième, mais auquel on ne fait plus attention par habitude : aucun d’eux ne sera remplacé. On a appris à se passer de la collègue malade, oubliée depuis deux ans, et son travail a été réparti sur le restant de l’équipe. Pareil pour celui qui part en retraite : on répartit son boulot, un peu plus sur chacun. Quant à celui qui a accompli un geste désespéré, de toute façon, il travaillait dans un service voué à disparaître, donc pas de nouvelle embauche, c’est certain. Voilà la réalité brutale.
Les deux points communs se rejoignent : la moyenne d’âge augmente parce qu’il n’y a qu’une part infime d’embauche. Quand je suis entré au Central, il y a vingt-cinq ans, j’étais un des plus jeunes et, si j’y étais resté, je le serais toujours, c’est dire… Ces dernières années, le rapport était sans doute d’une embauche pour dix départs et encore... La moyenne d’âge a augmenté de six à huit mois par an pendant des années. Ce vieillissement est énorme pour une entreprise. On le savait mais on personne ne s’en est soucié. Et maintenant, on parle d’allongement de la vie au travail. Ce qui veut dire que, dans quelques années, au moins les trois quarts des salariés de mon entreprise auront des cheveux blancs, des rhumatismes, une allure pépère ou mémère, des enfants et des petits-enfants et je ferai partie du lot. Voilà la réalité du travail d’aujourd’hui car mon entreprise n’est pas un cas isolé. Comment voulez-vous que la génération qui pourrait nous succéder soit attirée par l’avenir laborieux que nous allons leur laisser en héritage ?
(17/02/2010)

 

Une semaine passe si vite. Parfois c’est à se demander comment se scande le tempo entre deux mises à jour. Bref retour donc sur les sept jours précédents.
Mise à jour le 3 février. Peu de chose ce mercredi de mise à jour, hormis la sensation de n’avoir pas fait grand-chose, côté écriture s’entend et que cela me gène forcément dans cette fin proche du livre que j’entrevois. Côté cuisine, carottes à la crème et escalopes de dinde.
Jeudi 4, boulot à Reims pour une réunion dont les horaires prévus, 8h-18h m’ont fait me lever avant six heures pour m’apercevoir arrivé là bas que j’aurais pu dormir encore une heure. Merveilles de l’organisation. D’autant plus que j’apprends en cours de matinée en consultant mes mails par hasard que le projet qui explique ma présence tombe à l’eau. Que faire ? Repartir ? Rester ? J’ai fait comme si je ne le savais pas et j’ai patiemment attendu la fin. A 19h33 le même jour, message sympathique de Philippe Didion qui, après avoir lu ma note d’écriture de la veille, me montre LA machine à écrire de René Fallet (et que je place en page d’accueil illico cette semaine). Pas de souvenir du repas du soir.
Vendredi 5, réunion hebdomadaire de boulot. L’après-midi, je me débats avec un projet de voyage et je réussis à boucler la paperasse inimaginable concernant les demandes de visas. Une bonne chose de faite. Ensuite, six kilomètres de course à pied, mais bien usé par les énervements de la journée. Pâtes le soir, il me semble.
Samedi 6, jour de labeur pour l’aménagement de la maison : un électricien, un menuisier et un apprenti réunis, ça avance, c’est sympathique, concret. Envoi des passeports pour le voyage puis supermarché. Choucroute à midi pour tout le monde. Bricolage l’après midi avec mes hôtes. Bibliothèque : j'emprunte un CD de James Blunt et m'attelle à No Bravery à la guitare. J'enchaîne avec quelques Cranberries, ça faisait longtemps que je n'avais pas déballé la PRS électrique et la Morris acoustique.
Dimanche 7. On commence par dix kilomètres de course à pied, histoire de laisser se décanter l’agitation de la veille. Reste de la choucroute à midi. Un invité surprise : on rajoute des pâtes. L’après-midi, bon sang, il n’y a pas, il faut se remettre à l’écriture. Et là, miracle : on continue d’un trait vers la fin qu’on sentait proche.
Lundi 8. Retour au boulot. Ce que j’ai écrit hier ne me plait qu’à moitié, je cherche la cohérence avec tout le reste. Le soir, tout seul à la maison : j’en profite pour tout relire encore. Décidément la fin ne me plaît pas. Antilope à la cantine le midi et riz le soir à la maison.
Mardi 9. Retour au boulot, plus hard que la veille, j’ai pris du retard. Je parviens à boucler néanmoins une fin plus logique du manuscrit et j’envoie le tout par mail à l’éditeur après un petit coup de fil préalable (voir note d’écriture). Magasin de bricolage pour les travaux prévus samedi prochain. Pot au feu en rentrant : ce sera le repas du mercredi aussi.
Mercredi 10. Rangement de paperasse, pot au feu et six kilomètres de course à pied pour digérer (ah si, justement, encore une anecdote étonnante : en allant courir, je tombe sur deux collègues du Central et l’un d’eux figure dans les pages du livre que je viens juste de terminer, marrant, non ?). Parti chercher le fils à la gare et, autre étonnement : vu un collègue avec qui j’avais travaillé jusqu’en 1994 à Chaumont. Pas changé d’un poil. Visite encore d’un magasin de bricolage. Préparation de cette mise à jour : ce que j’écris exactement en ce moment ; en me demandant bien à quoi ça rime tout cela. Ce soir, ce sera encore le bouillon du pot au feu, avec peut-être des pâtes lettres dedans pour ne pas oublier l’écriture.
(10/02/2010)
 

"C'est le Ramadan ; trois heures de l'après midi
Il pleut mais les gens ont soif.
Les hommes transpirent, malgré qu'il fait froid.
Leurs cheveux sont humides et les gouttes qui brillent sur leur front tombent.
Les dents et tout le corps frissonnent, même le grand chapelet qui est bien attaché entre les doigts glacés de ce vieil homme.
Encore 3 heures pour manger.
Quelques uns crient alors que les autres klaxonnent dans les rues.
On sent l'odeur du bain en voyant la fumée qui monte des cheminées après que les femmes aient entamé leurs travaux à faire la cuisine.
Les hommes sont dans la cour, au moment où les jeunes rentrent avec les achats en mettant les paquets du Qat sous leurs bras.
Et l'arc-en-ciel annonce le commencement de la vie d'aujourd'hui. "

J’ai retrouvé ce mail d’un habitant du Yémen que nous avions rencontré lors d’un voyage dans ce pays, il y a déjà deux ans. Il l’avait écrit quelques mois après notre retour. Je n’y ai rien changé, ni les tournures de phrases, ni la difficulté qu’il a eu à l’écrire dans une langue qui lui est étrangère. Ce texte prend toute son importance à travers l’actualité perturbée qui traverse ce pays. Une réunion internationale à eu lieu à Londres le 26 janvier pour soutenir cette véritable république qui lutte contre le terrorisme, pour garder son indépendance et assumer sa sécurité. Les visas touristiques accessibles aux postes frontières sont également interdits depuis quelques jours. Il sera plus difficile maintenant de rencontrer les habitants toujours en costume traditionnel, portant fièrement leur jambia.
Souvent nous regardons ce Moyen Orient avec l’arrogance des européens : la tentation terroriste, la pauvreté qu’on assimile à du laisser aller et, pire que tout dans nos enfermements dominés par les dérives de l’identité nationale, ce sont des pays incompréhensibles où on porte la burqa. Pour mieux comprendre cependant, il faut relire ce qu’a écrit cet ami yéménite.. C’est pour moi de la poésie à l’état pur, la simple idée de retranscrire au plus près de la réalité de ce que l’on voit et de ce que l’on ressent. Les mots alors, même incertains (surtout incertains) accomplissent leur miracle et nous emportent. Celui qui avait rédigé ce mail nous a souhaité à nouveau une bonne année il y a quelques jours : même douceur et espérance dans ses propos.
(03/02/2010)

 

Il remplit du haut de la benne la brouette que pousse un type âgé, petit et pressé. A peine le temps de les saluer qu’il est déjà reparti en direction du jardin, là où ils ont ouvert la tranchée. On échange quelques banalités. Ça caille, déclare celui resté en haut du camion. Je propose du café et j’ouvre le garage pour rentrer la voiture. A mon retour il dit c’est à vous la moto ? Je reste un instant sans comprendre : il désigne la porte du garage maintenant refermée. Depuis le temps qu’elle s’y trouve, la bécane, j’ai tendance à oublier son existence. Oui, c’est une Honda 125 K3. Elle date de 1971 mais elle ne roule plus, l’embrayage est cassé, je ne retrouve pas de pièce. Il dit que lui aussi il va acheter une moto. Samedi prochain. De cross, précise-t-il. On se met à l’abri du vent pour le café. Il s’appuie sur le rebord d’une fenêtre et poursuit. Une Kawasaki, je l’ai trouvée à Châlons. Je nomme le principal magasin de cycles. Non, dit-il, à un particulier. Histoire d’en ajouter, je parle du frère d’un de mes collègues, un gars qui en est à son huitième Paris-Dakar, en moto. KTM, je souligne. Il hoche la tête. Il en faut du fric. L’autre maçon nous rejoint et consent à lâcher les manches de sa brouette. Il me baragouine quelque chose, montre le mur, la tranchée, explique comment il va reboucher. On a du mal à le comprendre : accent indéfini, peut-être portugais. Il porte un bonnet de laine et n’est vraiment pas tout jeune. A peine le temps de le voir saisir un café qu’il est déjà reparti. KTM c’est de la qualité. Il allume une cigarette. La tranchée est déjà moitié recouverte par le sable. Au loin le bonnet s’agite avec une pelle.
Le temps que dureront les travaux de maçonnerie, les échanges seront ainsi calqués. Le maçon le plus jeune, cheveux ras avec une mèche longue derrière la tête, souvent d’un tempérament râleur, le plus vieux et son éternel bonnet, toujours actif et pressé. On parlera moto avec le plus jeune et boulot avec le plus vieux à chaque fois que je passerai apporter une boisson ou voir si tout va bien. C’est aussi le plus jeune qui placera le camion de l’autre côté du mur et qui pilotera la mini pelle Bobcat pour évacuer la terre dans la benne. L’autre, on sent que tout ce qui sort du maniement de la truelle et de la brouette  n’est pas son fort. Il hésite à se servir de la tronçonneuse circulaire pour couper la descente d’eau à refaire mais c’est lui qui prend tous les repères et qui calcule en comptant sur ses doigts et en chuchotant. Il a l’air d’avoir une sacrée habitude. Un jour où le plus jeune est parti pour décharger la terre, je discute avec le plus ancien. Il m’explique comment fixer la porte intérieure dans le studio que j’aménage. Il mesure, fait des gestes rapides et parle vite dans son mauvais français en avalant la moitié des mots.
Le dernier jour (le vendredi) alors que le travail est presque terminé, histoire de discuter, je demande au plus jeune s’il va toujours chercher sa moto le lendemain. Il a prévu d’aller acheter une petite remorque pour la transporter. Il dit encore qu’il ne l'achètera que si elle est vraiment en excellent état. Pour trouver une bonne affaire, il ne faut pas être pressé. On parle encore un peu mécanique pendant que l’autre maçon rebouche une ouverture avec dextérité. Il s’arrête, sa truelle à la main et me demande brusquement depuis combien de temps j’habite ici. Il précise, avant que je lui réponde, que c’est lui avait maçonné les arrondis des murs qui encadrent la grille d’entrée. Je lui affirme que ça ne date pas d’hier, l’ancien propriétaire avait fait refaire toute la clôture en 1978, j’ai encore les devis dans le fatras des papiers du notaire. Bientôt trente deux ans ! Le vieux maçon rigole et fait un signe de la main qui signifie que les années ne comptent pas pour lui. Plus tard, le patron viendra, on discutera un peu, lui et le plus jeune adossés au camion, fumant chacun une cigarette, tandis que le vieil immigré balaie la cour de ses gestes toujours saccadés.
(27/01/2010)

 

Pas grand-chose en fait : il s’agissait juste d’emmener la voiture pour savoir si elle avait une fuite. On avait repéré quelques traces à l’endroit où elle stationne, mais avec la neige, la pluie, tout ce qu’on embarque en la remisant le soir, c’était passé inaperçu. En la déplaçant, donc, il y avait eu ces quelques gouttes sombres et le doigt passé dedans, à renifler ça sentait le liquide de refroidissement. Alors la peur que se reproduise la grosse panne du quatorze juillet, la durite percée de telle manière que tout s’écoulait en fontaine sur le sol, on était loin de la maison, impossible de trouver un garage dans ce week-end férié. Il avait fallu repartir en train, la dépanneuse appelée le lundi, puis revenir en train pour récupérer le véhicule après une semaine d’immobilisation dans ce garage d’apparat d’une banlieue chic où le chef d’atelier portait cravate et vous recevait dans un salon (on n’avait pas eu le choix). La note avait été à l’égal du luxe déployé. Donc, là, la peur que ça recommence, on avait pris rendez-vous au garage du coin, qu’on connaît bien, surtout du temps de l’ancien propriétaire, mécanicien hors pair qui réparait les moteurs en étoile des vieux coucous de l’aéro-club (il y avait une photo derrière lui, dans son bureau, un Morane Saulnier 317, et on reconnaissait la tête du pilote à l’air libre, malgré les lunettes et le casque de cuir : un cousin à elle). Un monde petit, donc, provincial, où tout se côtoie, famille, amis et le garagiste qu’on connaissait bien, un type compétent, dégarni, le genre de gars qui ne fait pas trop attention à lui, à sa santé, fumant comme un pompier, avec une dent qui manque devant, toujours dans une vieille cotte graisseuse et le ventre en avant. C’est lui qui est de service ce samedi. C’est le patron, le nouveau, qui a donné le rendez-vous la veille. Le samedi, on a plus de temps, a-t-il dit. L’atelier réparation de la plupart des grosses concessions est fermé, on considère comme un acquis social l’idée d’un week-end de deux jours, difficile de bouger la troupe des jeunes mécanos. Les petits garages sont plus souples. Ici, c’est la secrétaire et le garagiste, trente ans de boîte chacun, et visiblement, ça ne les défrise pas d’être sur le pont. Sur le pont, justement, il engage une Seat Ibiza et me fait signe de rentrer la voiture derrière lui. Il referme le rideau de l’atelier : quel vent, ça caille ce matin. Il prend le temps de souhaiter la bonne année. L’expression se serrer la paluche. Puis, il ouvre le capot et on discute de cette satanée fuite. Il hoche la tête et plonge une lampe dans les entrailles du moteur, en gardant la main qui tient sa cigarette loin derrière lui à cause des vapeurs d’essence. Non, rien, pas de trace de fuite. Il ouvre le vase d’expansion et le relie à une sorte de pompe pour pousser le liquide de refroidissement à un ou deux bars de pression. Avec ça, s’il y a la moindre fuite, on va le voir tout de suite. Enfin dans cinq minutes. Dans un coin, il y a une machine à café et une table haute, genre bar, mais encombrée d’outils comme si l’atelier ne cessait de manger l’espace. Il en propose un, on refuse, sans trop savoir pourquoi. Le samedi, c’est plus peinard, on prend son temps. Il transporte son café et sa cigarette qu’il pose sur le pont élévateur. Il entreprend de démonter la roue avant gauche en pestant contre cette quincaillerie de bagnole étrangère. Histoire de lier conversation, on cause voiture : mieux vaut acheter une voiture qui a fait cent mille kilomètres en deux ans, qu’un véhicule de dix ans qui a très peu roulé, affirme-t-il. De temps en temps, il va regarder si on voit une fuite apparaître, puis il repart vers le pont pour achever de démonter la roue. On regarde dans l’atelier. Il y a l’inévitable calendrier avec une femme à poil, une affiche graisseuse, marquée Motul, des cartons de pièces détachées s’empilent un peu partout. Des hauts parleurs d’autoradio sont accrochés à la charpente métallique. La musique d’une station populaire s’arrête : c’est le temps des infos. On entend des nouvelles sur le drame d’Haïti. Ah, ils font chier avec Haïti, on entend que ça depuis trois jours. On ne dit rien, juste la pensée de la trouille qu’on avait eue : une amie devait y aller, on imaginait le pire. Et, en retour du mail inquiet, la réponse rassurante : le départ aurait du avoir lieu quelques heures après le drame, une chance pour elle, malchance pour la population. Non mais, qu’il fait avec un geste d’une main graisseuse (on comprend que ce n’est pas le mauvais bougre, ces types là-bas sont bien plus malheureux que nous). Puis enchaîne sur l’argent de la solidarité si vite trouvé, alors que, dit-il, on est incapable de résorber le trou de la sécu, tout ça… Il revient vers la voiture, redonne un coup de pompe puis conclut : non, vraiment rien pas de fuite, vous pouvez partir tranquille.
(20/01/2010)

 

En 1999, Internet était un champ vide en France : moins de trois millions d’internautes alors qu’on compte 25 millions de foyers équipés maintenant. Trois millions ça suscitait au demeurant pas mal de dialogues : on sentait que quelque chose allait se passer du côté des nouvelles technologies comme on disait alors. La bulle spéculative Internet qui allait se dégonfler un à deux ans plus tard amorçait sa gonflette, tel un chewing-gum insouciant. D’aucuns commençaient à se lancer dans l’aventure de la création d’un site web avec le même enthousiasme qu’en 1981 au moment de l’essor des radio libres. Et la même naïveté : faire tournoyer sur ses pages perso de petites flammes et autres images animées possédait à l’époque la même fraîcheur que celle qui consiste à installer des nains de jardins sur sa pelouse. C’était un temps béni de pionniers : à peine mandaté par mon entreprise de télécommunications, j’allais parfois montrer à des hordes de citoyens assoiffés de connaissances, ce que permettait une connexion Internet (à bas débit uniquement). Comble de l’émerveillement, j’étais capable de leur faire voir en temps direct comment vivaient les pingouins du biodôme de Montréal, sans doute l’une des plus anciennes webcams existantes. Et d’ailleurs, il ne serait pas étonnant que j’aie appris l’existence de cette caméra en ligne permanente du côté de François Bon et de son Remue.net d’alors qui n’était encore pas le site associatif qu’on connaît. En bordure du champ vide d’Internet, les vaillantes petites maisons numériques dédiées à la littérature se comptaient sur les doigts d’une seule main, poing refermé.
« Dédiées à la littérature » : voilà ce qui m’intéressait, la confuse écriture, l’envoûtement des mots et c’est pour cette raison que j’avais poussé la porte de l’Association des écrivains de Haute-Marne (en 1998, je crois), ça tombait bien, j’étais originaire de ce département. Et que j’avais remis à un éditeur ami de cette association un manuscrit qui deviendrait La Réserve, deux ans plus tard (et à compte d’éditeur, s’il vous plaît).
Internet dans cette histoire ? Justement, histoire de me sentir utile à cette association, j’avais émis l’idée d’en bâtir le site web, une page perso donc, dans laquelle on trouverait les activités de l‘association et leurs auteurs. Et tout cela à vécu. La dernière mise à jour date de plus de trois ans. Beaucoup d’eau sous les ponts de la Marne a coulé pour notre petite vie associative. Après avoir connu quelques animations avec Yvon Lallemand, un des fondateurs, j’en suis devenu secrétaire avec Gil Melison comme présidente. Nous avons dirigé l’anthologie 52 écrivains haut-marnais, parue en 2002 aux éditions Guéniot, tenu un salon dans un château en 2001, dans une gare en 2004 avec promenades en autorail.
De nos jours, Annie Massy est devenue la présidente de l’association haut-marnaise d’écrivains (qui en a profité pour changer de nom). Mieux centrée sur Chaumont, l’association essaie de participer tout azimut aux échanges culturels. Elle s’est dotée d’un nouveau site Internet, www.ecrivains-haute-marne.com : suite mais non pas fin de son aventure numérique.
(13/01/2010)
 

Dans les bons voeux que j'ai reçus cette année, quelqu'un a eu la bonne idée de m'envoyer cet extrait de Leslie Kaplan (Les Outils, POL, 2003)Cela me semble convenir merveilleusement comme bonne résolution, ligne de conduite à garder pour toute l'année nouvelle, alors, voici, en partage :
"- Il y a une phrase d'un de mes écrivains préférés, c'est Kafka (...) Il parle de l'acte d'écrire, il dit qu'écrire, c'est sauter en dehors de la rangée des assassins. Pour moi jouer c'est ça.(...) Les assassins, contrairement à ce qu'on pourrait croire, sont ceux qui restent dans le rang, qui suivent le cours habituel du monde, qui répètent et recommencent la mauvaise vie telle qu'elle est. Ils assassinent quoi ? Le possible, tout ce qui pourrait commencer, rompre, changer. Kafka dit qu'écrire, l'acte d'écrire, c'est mettre une distance avec ce monde habituel, la distance d'un saut. Il dit, sauter en dehors, sauter ailleurs. Ça suppose un point d'appui ailleurs. Jouer... c'est inventer quelque chose, un point d'appui, qui soit ailleurs, qui permette de saisir d'où on vient, d'où vient ce vieux monde, le vieux monde des assassins. Si on ne fait que redire, recommencer, répéter… on ne s'en sort pas, quel intérêt. Sauter, je trouve ce mot tellement juste, sauter, on le voit, c'est un acte, un acte de la pensée, une rupture, ça n'est pas une simple accumulation, un processus linéaire, on continue, on continue et voilà ça se fait tout seul. Non. Il faut se décoller."
Merci Anne-Marie de nous aider quotidiennement à décoller dans ta belle et dynamique librairie des halles à Niort !
(06/01/2010)