Cette année, cela fera 10 ans que jai publié Faux
nègres chez Fayard. Le titre de ce roman est inspiré dune citation
dArthur Rimbaud, extraite dUne saison en enfer et que jai placée
en épigraphe de mon roman : « Vous êtes de faux nègres, vous maniaques,
féroces, avares. Marchand, tu es nègre ; magistrat, tu es nègre ; général, tu es
nègre ; empereur, vieille démangeaison, tu es nègre : tu as bu d'une liqueur non
taxée, de la fabrique de Satan. ». En réalité, javais le désir
daccoler au fameux parti raciste dextrême droite, qui sappelait à
cette époque le FN, cette locution forcément dérangeante en guise de titre : Faux
Nègres.
Dailleurs, ce titre est-il devenu obsolète en plus de ses initiales révolues
? En 2020, les Dix Petits Nègres dAgatha Christie, ont été renommé Ils
étaient dix dans la version française pour dénoncer cette vieille expression
contemporaine de Rimbaud et de lépoque coloniale, devenue désormais péjorative.
Faudra-il que je renomme mon roman Ils étaient faux ?
Mais je tiens à ce titre, car, comme souvent, les titres ont plusieurs sens : mon
histoire mettait en jeu un journaliste improvisé, parachuté dans un village qui votait
à outrance pour le FN, un « faux » reporter donc qui joue le rôle dun
vrai « nègre », au sens littéraire, chargé de récolter les paroles des
habitants.
Dix ans après, La FN a changé de nom, en pariant sur labsence de mémoire
politique des citoyens. Ça fonctionne en apparence : le parti fait tout pour se
doter dune nouvelle virginité, cadres jeunes et lettrés, mais, en revanche, le
programme raciste, catho intégriste et anti-républicain demeure le même. Cest
pourquoi je persiste à le nommer dans son ancienne appellation.
A lépoque, mon roman était parti dune exaspération : la cheffe du
parti sarrogeait le droit de venir comme une chatelaine de lancien régime
dans un village à 20 km de chez moi pour chaque rentrée politique. Pourquoi ce village
plutôt quun autre ? Tout était parti de là. Et grand plaisir pour la
parution du roman, davoir pu le présenter à Hénin-Beaumont, commune nouvellement
acquise par le FN, à Chaumont avec le libraire et éditeur Francis Zahn (dont le père
fût résistant) à deux pas de la permanence du parti. Grand plaisir aussi davoir
énervé Bruno Gollnisch, toujours éminence gris foncé de cette droite, qui écrit que
jajoute mon « petit caillou à lédification du roman
antinational ».
Tout cela était bien réjouissant dautant plus que la cheffe à « allure de
poissonnière » (Faux nègres, p. 313) a fini par se lasser de venir dans ma
campagne, mais hélas, les crispations continuent : mon département est le seul à
avoir 100% de députés dextrême droite (2 seulement, mais 2 de trop). Ajoutons
aussi, dans le tissu local, un indéboulonnable sénateur LR qui traine ses casseroles
depuis 23 ans, lequel sest joint à eux pour voter contre linscription de
lIVG dans la constitution.
Bref, il faudrait que je refasse un petit opus sur les Renégats Nouveaux à la
Rancur Néfaste, il y en a pléthore, de la matière à Roman Noir.
(15/03/2024)
Escapade parisienne, touristique pourrait-on dire : rien de
prévu, hormis un rendez-vous administratif le lundi. Donc on joue aux touristes :
quelques magasins le samedi et la pluie qui nous réfugie aux Halles. Le dimanche, concert
classique à la Maison de la radio, la Tour Eiffel est toujours là, on nous bassine avec
les J.O. jusque devant, mais laccueil nest pas gagné : un espace dévolu
à Paris 2024 reste fermé malgré lheure douverture et les hôtesses
acariâtres nous toisent lorsquon veut y pénétrer. Et puis la saleté est
partout : papiers gras, bouteilles, déchets divers qui stagnent dans les flaques,
crottes de chien (2 fois sous les semelles) (ça promet pour les jeux). Heureusement, le
concert est de haute volée (quatuor de Bacewicz et la fameuse truite de Schubert dans son
quintet original) et, après le repas, la maison de Balzac adoucit les murs avec une
très belle expo croisée Daumier/Balzac (où on saperçoit que les caricatures parisiennes du XIXème sont
dune cruelle actualité). Lundi, rendez-vous prévu, puis rue de Rivoli, la
Samaritaine (hélas, Henri Plantin, vendeur au Rayon pêche dans Paris au mois
daoût de tonton Fallet nest plus quun souvenir poétique).
Jenchaine par un autre temple de la consommation aux Galeries
(Décor) Lafayette (pensé à Anne
Savelli). Les touristes chinois sont de retour, les vendeuses asiatiques en grand
nombre. Je suis allé pour la première fois sur la terrasse (pensé à Jules Védrines
qui y posa son avion en 1919 !). Le soir Issy et ristorante italiano. Il pleut
toujours des cordes. Derrière moi (je suis le seul à la voir) une consommatrice
esseulée, très jeune, en stage ? formation ? trop jeune pour être VRP
et dailleurs le métier nexiste plus mange son repas et vide
consciencieusement un demi litre de vin les yeux rivés sur son portable. La serveuse
(italienne), aimable et efficace, nous offre à la fin du limoncello (- gracie - prego).
Fin de lescapade parisienne. Je rêve maintenant de Sardaigne et dItalie.
(01/03/2024)
Du nouveau chez Rimbaud cette année.
Passons bien-sûr sur les fausses images du poète générées par IA, qui sont anecdotiques. Il
y en aura dautres, nen doutons pas.
Attardons-nous dabord sur le Cahier de Douai qui
a été choisi pour représenter la poésie du XIXème siècle au programme du bac de
français 2024. On nomme ainsi deux liasses manuscrites sur lesquelles sont recopiés les
premiers poèmes du jeune Rimbaud, alors âgé de 16 ans en 1870. Y figure notamment Sensation
et Le Dormeur du val. Arthur sétait enfui à cette époque de chez lui pour
Paris, mais, sans un sou, il est arrêté. Pour le sortir de ce mauvais pas, il contacte
son professeur de Français Georges Izambard, qui habite Douai et qui le recueille
là-bas. Revenu à Charleville, il refait une fugue un mois plus tard et repart
directement à Douai. Là-bas, il a rencontré le poète Paul Demeny, habitant également
cette ville, et qui vient de publier un recueil Les glaneuses. Cest lui qui
sera destinataire du Cahier de Douai, donc, de la vingtaine de poèmes recopiés
quArthur dépose chez lui avant de rejoindre Charleville où sa mère attend de pied
ferme le galopin
A noter que Rimbaud avait demandé à Paul Demeny de détruire les
poèmes quil avait recopiés. Ce dernier nen fera rien : ouf ! (il
paraît que Le Dormeur du val nest connu que par ce biais).
Mais hormis cette programmation au bac de français par lÉduc Nat, la véritable
nouveauté cette année concerne quatre documents, dont trois offerts au musée de
Charleville-Mézières par un mystérieux donateur.
Ce don fait suite à une vente effectuée par la maison Piasa à Paris en décembre
dernier, vente dans laquelle la ville de Charleville-Mézières fera lacquisition
pour 78 000 euros dune lettre écrite en février 1891, et où le poète racontait
le début de sa maladie. Au cours de cette même vente, la municipalité navait pu
acquérir le manuscrit du poème LEternité, car son prix avait atteint
700 000 euros.
Cependant, beau lot de consolation, au cours de ces mêmes enchères, avaient été
vendues deux autres lettres dArthur, lune à sa mère, datée de 1883,
lautre à sa sur écrite en juin 1891, ainsi quun poème (« Ce qui
retient Nina ») recopié par Verlaine en 1880. Et le mystérieux acquéreur les a
offerts à la ville pour son musée Rimbaud.
Ce legs, dune valeur de 280 000 euros tout de même, a été remis le week-end
dernier. Pour loccasion le musée a été ouvert gratuitement. On a ainsi pu
connaître le nom du généreux mécène : il sagit de lentrepreneur Pascal Urano,
ex-joueur, entraineur et président du club de foot de Sedan. Son attachement pour les
Ardennes la conduit à offrir ces documents inestimables. Son rêve serait
quune Fondation Rimbaud voit le jour, à lexemple, dit-il, de la Fondation
Guggenheim installée à Bilbao et qui a su redorer laspect culturel de la ville
portuaire.
Si Charleville na pas la dimension de la ville espagnole, elle possède néanmoins
beaucoup davantages comme la proximité de la Belgique et une passion certaine pour
le fameux poète, immanquablement associé à la vie ardennaise. Alors, à quand la
fondation Rimbaud ?
(23/02/2024)
Pour faire suite à mon inventaire télévisuel de la semaine
dernière, pas fait depuis 15 ans, voici le panorama des entrailles de mon smartphone,
représenté par le fameux « temps décran ». Je ne suis jamais penché
dessus auparavant, mais il est vrai quen 15 ans, nos téléphones portables se sont
mués en outils indispensables.
Je nai pas succombé tant que cela au prolongement inconditionnel de lécran
tactile. Il nest pas greffé en permanence à ma main, ni tendu devant mes yeux
lorsque jarpente les trottoirs, ni préféré aux conversations de restaurant dont
lusage place les couples en tête à tête dans des bulles hermétiques. Il me faut
toutefois anticiper les utilisations de mes voisins, faire gaffe aux lycéens qui
traversent les yeux rivés sur la lueur magique, deviner lautomobiliste obnubilé
par son téléphone, ménerver devant les sonneries intempestives en plein concert
ou au milieu dune réunion.
Ceci dit, je continue à utiliser des ordinateurs portables ou de bureau, une tablette,
dautres machins qui diversifient lutilisation de mon smartphone. Mais
voilà : le petit rectangle plein de technologie est presque toujours à ma
proximité (en ce moment, posé sur mon bureau à 10 cm de ma main gauche, prêt à être
saisi). Je le prends en permanence, je lenfourne dans une poche, il me suit partout,
comme une proéminence physiologique, disponible à lemploi. Il remplace les montres
que je ne porte presque plus, il minvite à chercher en permanence un signe
extérieur quon maurait adressé, une notification WhatsApp, un nouveau mail
reçu. Parfois même je reçois un appel téléphonique
Jai cependant récemment changé de mobile : le nouveau a un appareil-photo
hors pair dont la technologie na rien à envier avec les bons vieux Reflex
amateurs : facile, un évènement familial, un voyage, une excursion, clic-clac
Kodak, le cliché est transféré, partagé en moins de deux minutes.
Tout cela bien sûr augmente le fameux « temps décran », qui a envoyé
aux oubliettes le « temps de cerveau disponible » réservé à la
télévision. Il paraît que le temps moyen décran sur smartphone est
denviron 5 heures par jour, hors activité professionnelle, durée qui a presque
doublé en 10 ans.
Récemment, démonstration a été faite à une adolescente de mon entourage qui se
plaignait de maux de tête, dun temps décran de 53 heures par semaine. La
palme dor du temps décran revient à lemploi des réseaux sociaux. Bien
entendu, cette comptabilité alimente les aigris de tous poils, vieux ou jeunes, adeptes
du « cétait mieux avant » et pourfendeurs du progrès. Mais les
réseaux sociaux sont devenus indispensables, mêmes chez ceux (jen fais partie) qui
continuent à refuser les X-twitter, Facebook, Insta ou TikTok. Bien-sûr, jai
installé WhatsApp, ne serait-ce que pour pouvoir téléphoner en Belgique fréquemment ou
partout dans le monde occasionnellement, et je fais partie de groupes familiaux, amicaux,
associatifs.
Du coup, mon temps décran - au demeurant plutôt faible : moins de 2h par jour
est dévolu pour moitié à la catégorie « réseaux sociaux » via
WhatsApp (avec quelques incompréhensions toutefois : pourquoi 40 mn de temps de
connexion à cette application entre 12 et 13h hier, alors que mon portable était loin de
moi ?). Un quart de mon temps décran est aussi réservé à mes mails, et le
reste à la gestion de lAgenda, à lutilisation de la calculette, consultation
de la météo, GPS, lampe torche et autres utilitaires. Car et cest la grande
force de loutil -, le machin sert à tout, au point quil est devenu illusoire
de vouloir gérer ses déplacements ou les actes de la vie courante sans smartphone.
Mais surtout sans Internet ; une récente étude a conclu que notre temps sur le Web
est de 2 heures par jour (les trois-quarts réalisés sur mobile). En effet, la moindre
démarche requiert Internet. On sanctionne même ceux qui le refusent par des
complications supplémentaires, voire une impossibilité de bénéficier de services. Tous
les organismes (impôts, sécu, mutuelles et autres obligations légales) imposent
désormais une accessibilité à tout moment, pour tous les citoyens, y compris pour ma
mère de 95 ans, qui se désintéressait déjà des avancées techniques à lépoque
du Minitel.
Notre téléphone de poche sert donc à tout, rarement à téléphoner ce qui est
un comble.
Un silence pesant tend ainsi à remplacer la conversation, le dialogue. Nous lavons
tous vécu : silence devant une requête administrative, silence devant une
réclamation, silence devant labsence de réponse, silence devant
linsupportable attente dun accusé de réception, dun mail ou dun
message.
Temps décran en hausse ? On préfère se gausser de lutilisation abusive
des réseaux sociaux, mettre laccent sur les influenceurs, les trucs qui font le
buzz, plutôt que de remarquer la hausse de labsurdité des demandes numériques
indispensables à nos vies.
A lheure où on parle de plus en plus de lillettrisme
numérique (rejetant ainsi la faute aux utilisateurs), on ferait peut-être mieux de
sinterroger sur la facilité illusoire avec laquelle nous avons augmenté notre
communication numérique : formulaires exclusivement en ligne sans possibilité de
contact, chatGPT comme unique discussion, utilisation abusive des réseaux sociaux pour
diffuser des informations (qui na pas Facebook est exclu de la vie municipale,
associative, dentreprise
).
A lillectronisme, donc, il faut créer en parallèle un concept de « politesse
numérique » afin que chacun puisse avoir droit aux échanges courtois que
nimporte quelle sollicitation est en droit dattendre. Et pourquoi ne pas
lintégrer à nos statistiques de temps décran (nombre de réponses
reçues, émises, daccusé de réception, pertinences des échanges,
cordialité
etc.) ?
(16/02/2024)
Il y a longtemps que je nai pas fait dinventaire
télévisuel. Si jen crois la mémoire fiable de FdeR, ça date du 26/09/2008 dans cette même rubrique et ça
fait plus de 15 ans, mince !
Mes habitudes de téléspectateurs ont-elles évolué depuis ce temps si long ? A
priori, probablement, dabord parce que la télévision a elle-même changé,
ainsi que le rapport que nous entretenons avec ce média. Dailleurs, de nos jours,
on ne se pose même plus la question de ce que lon regarde et pendant combien
dheures, on a remplacé cette comptabilité par le « temps
décran » passé sur nos smartphones, qui ont largement remplacé les vieux
postes (tiens il faudra que je consacre un article à ce temps décran prochainement
dans cette rubrique).
Car il faut avoir un âge canonique ou être dans une génération de grands-parents pour
sintéresser encore à la chose télévisuelle. A lépoque de mon dernier
recensement, javais été capable de retracer jour par jour mon addiction, toute
relative, autour dune heure par jour en moyenne. Le premier constat que je pourrais
faire aujourdhui, cest que je ne suis plus capable de compter dune
manière précise mon « temps décran TV ». Cest probablement
beaucoup plus quà lépoque, peut-être de lordre de 2 à 3 heures par
jour, car mon « poste » (ça fait ORTF comme terme) demeure souvent allumé,
je ne cherche pas forcément à regarder quelque chose de précis, cest plutôt une
sorte de veille télévisuelle qui manime.
Prenons une journée type. Quelque chose qui, en revanche, na pas changé,
cest le rituel de Télématin de 7h30 à 8h, avec toutefois quelques
modifications, je change (très) souvent de chaine : il suffit que linvité
politique me défrise (genre FN, Ciotti et autres hurluberlus) pour que jaille faire
un tour sur Arte : ça tombe bien, mon émission favorite Invitation au voyage
commence avant 8h. Arte reste ainsi allumé toute la matinée. Je regarde parfois un petit
reportage, mais souvent je vaque à mes occupations très rapidement. La télé demeure
donc en fond sonore (la maison est grande, je lentends vaguement au loin)
jusquà 12h30 où je regarde mollement quelques infos en zappant. Parfois, il arrive
que je me fasse capter par une rediffusion dArte en début daprès-midi (comme
aujourdhui Vacances avec Audrey Hepburn, et auparavant les excellentes
fictions Hôtel fantôme et Le Silence des ânes de Karl Markovics). Mais ce
nest pas vraiment de la télévision, plutôt du cinéma. Le soir en revanche,
cest calme plat, les programmes sont désespérants pour qui naime pas les
divertissements et autres niaiseries. Je me rabats sur Arte TV (encore !) ou des
séries courues davance (Alex Hugo a le mérite des beaux paysages de montagne). Les
mystères insondables du manque dimagination des producteurs matterrent (mais
pourquoi faut-il toujours une femme-commissaire au caractère imbuvable dans la moindre
série policière française ? Et pitié pour nos oreilles : pourquoi faut-il
que les dialogues de la langue de Molière soient aboyés à toute vitesse ?). Bref,
après avoir attendu des plombes un dénouement fastidieux, je peux mendormir
dun sommeil dabruti (non sans avoir toutefois réparé mon temps de cerveau
disponible -dixit autrefois TF1- par de nombreuses lectures).
Mais heureusement, tout cela nest quéphémère, ma vie est autrement
trépidante et riche, pleine de sollicitations diverses, rassasiées dexpériences
sur lécriture (par exemple FdR), remplies dinterrogations sur le monde
des lettres, dénigmes sur le sens de ma vie, dexigences philosophiques, de
démarches spirituelles, de controverses idéologiques, de questions qui me
taraudent : qui suis-je ? où vais-je ? dans quel état jerre ?
que vais-je regarder à la télévision ce soir ?
(09/02/2024)
Après Lyon la semaine précédente, voici la Normandie ce
week-end à loccasion dune projection particulière de Lhomme debout dans un
château. Il sagissait dune toute première rencontre cinématographique, dans
un lieu habitué à recevoir des plasticiens et des créateurs. Il semblait tout naturel
que le septième art puisse bénéficier de ce très bel endroit, dautant plus que
la petite salle de projection (une quarantaine de places) était dotée dune
technique suffisante pour se croire dans une vraie salle de cinéma. Bref, lendroit
idéal pour regarder des films comme la splendide adaptation dIls désertent,
longs métrages à la fois intimistes et ayant connu un succès mesuré. Ceci dit,
Florence Vignon, la réalisatrice, qui ma, une fois de plus, embarqué dans cette
aventure, ma annoncé que « notre » film avait dépassé les 30 000
entrées, ce qui est plutôt pas mal pour celui-ci que nous avons tenu, Florence et moi,
à bout de bras tout au long de sa sortie au printemps dernier.
Nous nous sommes ainsi prêtés avec grand plaisir au jeu des questions/réponses après
la projection, avec un public conquis par la poésie du film. Belle première édition de
ce nouveau festival qui, nen doutons pas, deviendra un rendez-vous incontournable.
Le temps déchanger avec les participants autour dun verre, et nous voici,
cette fois-ci dans le véritable château, la projection ayant eu lieu dans les Grands
communs, 500 m2 tout de même, refaits à neuf avec une splendide bibliothèque. Nous
étions ainsi les hôtes de nos châtelains à particule, qui nous ont fait la visite
guidée de leur demeure familiale portraits illustres, nobles et généraux,
académiciens ou prix Nobel, tout une partie de lethnographie française que je
nai jamais eu loccasion de côtoyer (si une fois, dans un salon du livre dans
le XVIème en 2002 pour Composants). Grand moment pour moi, dont la haute
lignée se résume à un père chauffeur-routier et une mère vendeuse en boulangerie.
Ainsi, ce monde existe, si, si, je lai rencontré, il y avait même un ambassadeur
et son épouse
Éminemment sympathiques, toutefois nos hôtes, avec cette
décontraction distinguée qui laisse rêveur : Madame, pétulante,
extraordinairement jeune, roule en scooteur à Paris mais chasse le canard sur ses
terres ; Monsieur nous emmènera le matin en Kubota utilitaire faire le tour de
limmense propriété, et nous voici à larrière, secoué comme des sacs de
patates, avec des chapeaux de feutre munis de plumes de faisans
Bref, je nai pas boudé ces plaisirs normands, comme quoi, lécriture de ce
fameux Ils désertent continue à membarquer 12 ans après sa parution vers
des aventures étonnantes.
(02/02/2024)
Lyon : nous y arrivons ce samedi vers midi, échappés de
la circulation touristique ; les véhicules surmontés de skis ont contourné la
métropole à grande vitesse, pressés dapercevoir la neige des Alpes. En ce début
de week-end, nous sommes loin également de la circulation laborieuse de la semaine.
Villeurbanne Gratte-Ciel nous accueille, mélange dimmeubles et de pavillons de
périphérie. Mais cest le souvenir dun discret faubourg dune petite
ville denfance qui nous réunit là, quelques éléments disparates dune
histoire familiale dont nous démêlons encore et toujours les fils.
Ne pas croire que le roman familial a entretenu nos relations. Chacun a suivi sa route,
chacun a élaboré son univers, conjoints, enfants, petits-enfants, nos vies, nos
souvenirs, nos joies et nos peines nous appartiennent, rien na été partagé avec
une parenté qui, jusque-là, a été ignorée : bâtir sa propre vie est une tâche
solitaire.
Et pourtant, ce samedi vers midi, les sourires en disent long sur nos joies à
lidée dêtre réunis de nouveau, maintenant sexagénaires et plus, tous
membres dune généalogie dont nous cherchons à démêler les feintes et les
brisures. Rien dextraordinaire : toutes les dynasties, ascendances,
descendances, filiations ont leur énigmes, leurs cachoteries qui se perdent dans les
arcanes des générations. Tolstoï débute Anna Karenine par cette célèbre
phrase : « Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille
malheureuse l'est à sa façon. ». Le malheur, pour chacun dentre nous, ne se sent
pas, nest pas évoqué. Il y a eu des drames particuliers, bien entendu, mais
cest la joie qui nous réunit.
Cependant, certains, plus que dautres, ont souffert des secrets anciens, ce
quon taisait par souci du « quen dira-ton » ou pour dissimuler
linavouable. Nous nous étonnons : cest presque un groupe de parole qui prend
forme. Nous en convenons : les drames, les épisodes douloureux, même vieux
dun siècle, même tus autant que faire se peut, ont traversé les générations,
alimenté un malaise persistant, introduit des doutes et des questions sans réponse, ont
parfois orienté nos agissements.
Tout cela est raconté, échangé entre nous, précisé. Nous sommes surpris de nos
trajectoires. Lun est devenu pilote de voltige aérienne, et nous comprenons la
formidable allégorie : comment affronter les mystères immatériels de sa parenté
autrement que par des pirouettes célestes ?
Mais les zones dombre se dévoilent. La généalogie, les états-civils ont apporté
leurs lots de réponses. Le brouillard des ans est déjà moins épais. Les discrets
faubourgs qui en furent le théâtre, qui nous ont embarqués autrefois au hasard des
visites et des rencontres, justement, ne sont plus le fruit du hasard : nous sommes
réunis à Lyon, tout exprès.
(26/01/2024)
Quelques extraits dÉtonnements
publiés il y a 20 ans :
« avoir éteint le téléviseur lorsque jai vu la tête de Sarkozy et avant
même découter ce quil disait. De plus en plus dailleurs, je coupe les
journaux dactualités au bout dune ou deux minutes, par une sorte de
saturation des problèmes franchouillards-franco-français qui y sont évoqués »
(28/01/2004)
« constater que des événements comme la guerre en Irak, la situation Israël
Palestine, pour ne citer queux, influent sur la teneur générale dun discours
et du langage qui y est associé. Les conséquences de ce langage guerrier sont
sous-estimées : peu importe finalement que la France se soit opposée à la guerre,
les mots "terrorisme ", "check point ",
" attentats ", " voitures piégées " vrillent
notre cerveau » (25/02/2004)
Nous voici donc une génération plus tard
Quest-ce qui a changé ?
Rien : jai ajouté des noms à la liste de ceux qui me font éteindre le
téléviseur. Par exemple, notre ministre de lintérieur (en 2004 cétait
Sarko), visé pour 2 plaintes pour viol, et notre ministre de la justice qui sest
auto-blanchi de son procès. Je rajouterai certainement sous peu dautres noms du
nouveau gouvernement qui me feront changer de chaîne (je me suis aperçu quil
existait un ministère de la « souveraineté alimentaire » (sic),
quon a fait un package mêlant travail, santé et solidarité ou sport et éducation
nationale, tandis quun ministre est entièrement dévolu aux relations avec le
parlement : ça en dit long sur lintérêt quon porte aux simples
citoyens par rapport aux élus députés et sénateurs). Je boude aussi notre président
qui défend les indéfendables, je conspue le FN qui se multiplie à grande vitesse
(désolé, je narrive pas à changer le nom du parti dextrême-droite). Tous
sont au service de lesprit « franchouillards-franco-français »,
bien protégé désormais par la nouvelle loi immigration.
Rien de nouveau non plus côté international : la guerre en Irak sest achevée
par la destruction du pays où règnent désormais insécurité et corruption. La
situation Israël Palestine dépasse en horreur linimaginable. Y rajouter la guerre
en Ukraine depuis 2 ans, les pays abandonnés depuis plus longtemps, lAfghanistan,
Haïti
Les mots terrorisme et attentats ont décuplé leurs sens : attentats,
Paris, Nice, Bruxelles, Madrid pour ne citer que quelques exemples occidentaux survenus
depuis le jour où jécrivais ces rubriques. De même terrorisme est utilisé
dans un sens identique par tous les gouvernements pour justifier dactions
guerrières disproportionnées.
Et, bien évidemment, rien na changé concernant discours et langage : le flou
et labscons simposent. Par exemple, désormais, en France, le mot
« territoire » est un euphémisme de plus pour désigner labsence
daction politique et sa division en « zones » (d'aménagement du
territoire, d'éducation prioritaire, de redynamisation urbaine ou rurale, ZEP, ZRU, ZRR,
il en existe une quarantaine pour diluer lincompétence de nos élites - Il paraît
que la France compte 14000 sigles ou acronymes, à titre de comparaison, la Belgique en a
500 et lItalie 200).
Cependant, quelques tics langagiers sont plus inquiétants dune dérive
guerrière : je nai pas voté pour entendre un président me parler la semaine
dernière de « réarmement » civique ou démographique. Je préfère me
régaler des contrepèteries qui émaillent les titres des médias rendant compte de la
gesticulation gouvernementale sur tous les sujets : « Cet hiver, le plan grand
froid » ou, tout récemment, « Emmanuel M, son grand plan pour lutter contre
linfertilité ».
(19/01/2024)
Se retrouver en note détonnements sous un simple prénom
nest jamais bon signe. Après François le 23/01/2021, de vieux tontons et des tatas
disparaissent, vicissitudes du grand âge ou de maladies soudaines.
Coup sur coup, à deux jours de différence, à cheval sur deux années, cest
maintenant Françoise une dizaine dheures avant 2024, puis Bernard, le lendemain du
nouvel an.
Françoise avait 94 ans et son cur a lâché brutalement.
Bernard a eu une brève maladie implacable : quelques mois auront suffi pour diminuer
cet oncle avec qui je discutais avec vivacité en juillet dernier lors dun mariage
familial : il me disait sa fierté, il venait dapprendre quon allait le
décorer de la médaille du mérite. Impliqué dans plusieurs associations depuis des
décennies, il est vrai que son engagement était réel et important. Pendant des années,
chaque semaine, il nous a apporté du vrai lait de ferme à lépoque où je
fabriquais moi-même les yaourts de mes enfants.
Et Françoise, pareillement, symbolise aussi la chance que nous avons dhabiter un
petit département délaissé et rural. Le verger familial, héritage de son père,
continue à nous réunir depuis des années. Elle navait pas son pareil pour nous
délecter dans ce lieu de sa fameuse tarte « à la galiche ». On trouve des
traces régulières de ces émotions champêtres dans FdR, par exemple en Webcam le
10/07/2008 ou le 26/09/2007 où javais écrit un sonnet pour loccasion. Je
le recopie, il me parait de circonstance. Je le dédie à Bernard, à Françoise, à
Michel, son frère (mon beau-père) parti 11 ans avant elle, et à Bernadette, son épouse
(ma belle-mère) disparue voici 26 ans, le premier janvier 1998. Les débuts dannée
ne nous portent pas chance
Et pourtant : jétais passé au verger le 29 décembre pour cueillir du gui
afin que lon sembrasse dessous en se souhaitant bonheur et joie comme le veut
la tradition.
C'est l'histoire d'un verger familial qui perdure
Les saisons y trépassent comme des bougies de cire
Les tablées et les nappes envolent nos souvenirs
Ajoutant pour chacun un peu de sa verdure
C'est par exemple aux pommes que nous forçons l'allure
Grimpant sur des échelles, le ciel en ligne de mire
Nous éloignons la terre propre à nous engloutir
Nous cueillons et les fruits, et le temps, sa fêlure
Nous rions des démons, préférons les génies
habituels de ces lieux. Les pommes rouges et or
garnissent nos paniers et tombent en harmonie
Avec des bruits ténus, elles réveillent nos morts,
ceux qui venaient aussi cueillir ces ambroisies
Et qui reposent céans dedans nos poésies.
(13/01/2024)