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Notes de lecture
La tentation du pire, lextrême droite en
France de 1880 à nos jours, de Pierre-Louis Basse et Caroline Kalmy, avec les
regards de Dany-Robert Dufour, Benjamin Stora, Jérôme Leroy et Adrien Gombeau, éditions
Hugo Image.
Cétait la veille de Noël, derniers achats en vue du Réveillon, dans une librairie
de Mont-de-Marsan, jai vu ce livre, je me le suis offert égoïstement (non merci,
pas de papier cadeau). Ce qui ma attiré dans le titre cest 1880, car
cest exactement à ce moment précis quil me semblait que justement,
lextrême-droite avait commencé. Plus précisément 1885, pleine affaire du Tonkin
avec Jules Ferry, quelque chose qui me paraissait emblématique des relations
colonialistes de lépoque et que je creuse un peu dans le nouveau livre à venir,
bref
Ceci dit, lextrême-droite démarre vraiment sur le sol français avec
laffaire Dreyfus, antisémitisme, méfiance de la démocratie, manipulation des
foules
Tout cela est magistralement retracé dans cet ouvrage qui fait la part belle
aux documents dépoque. Bien sûr, lhistoire va senchaîner via les
drames quon connaît et qui mèneront à Pétain, englueront lhistoire.
Hélas, ce nest pas que dhistoire quil sagit et cest là
tout lenjeu de ce livre, de montrer comment les faits (qui sont têtus, comme le
répète souvent Pierre-Louis Basse) découlent de celle-ci, comment lactualité a
un lien évident avec nos vieux démons, une guerre dAlgérie ravalée à grand
peine et des racines qui prennent jusque dans le terreau de lancien régime.
Cest détaillé, opiniâtre, partisan et on en redemande. Heureux davoir pu
lire les contributions des co-auteurs cités, je noublie pas la reproduction de
larticle ô combien nécessaire dAnnie Ernaux à propos des dérapages
dextrême-droite rédigés par Richard Millet. Quant à Pierre-Louis Basse, je me
souviens avoir été interviewé par lui et avoir constaté un lecteur précis, véritable
passionné de littérature. Oui, on peut aimer les écrits de Céline, Drieu ou
Brasillach, et détester les idées quils ont véhiculées. Faire la part des
choses, savoir comment fonctionne le mouvement des idées nauséabondes est devenu
salutaire dans notre époque où les « roms » deviennent les juifs à abattre, où il
est si facile de hurler avec les loups quand tout semble aller mal, la crise est toujours
la faute des autres
Bravo pour ce livre indispensable !
(15/08/2024, note initialement parue le 08/01/2014, reproposée le 02/05/2017)
New York sans New York, de Philippe Delerm, Seuil.
Écrivain minimaliste (comme il se décrit lui-même dans ce livre, reprenant
létiquette qui lui colle à la semelle comme un chewing-gum), Philippe Delerm
na jamais mis les pieds dans la ville-pomme, et on comprend quil nira
jamais. Ce qui ne lempêche pas de parler avec passion de cette ville, de la même
manière que je suis capable de décrire Sarajevo dans Yougoslave, bien que je
ny ai jamais mis les pieds. Beaucoup de lieux sont ainsi dépassé par la charge
mythique quils représentent. Souvenir dun voyage en Égypte, où juste après
avoir atterri, nous voilà propulsé pour un son et lumière aux pieds des gigantesques
pyramides, ce qui fait dire à une voisine de voyage : « cest bien joli
tout cela, mais quand est-ce quon verra les vraies ? ».
New York porte en elle ses légendes, la ville cosmopolite, la ville démesurée, la ville
qui ne dort jamais
Philippe Delerm les reprend à son compte mais se sert de la
manière dont la ville apparaît dans les livres ou au cinéma avec Woody Allen. Il
évoque aussi Vivian Maier, la photographe ignorée de son vivant, récemment découverte,
et qui a su magnifiquement exprimer les situations de quartier et les poésies urbaines.
On voyage donc, Central Parc, Madison square Garden, Bronx, Brooklyn, Harlem, on court le
marathon avec Dustin Hoffman (qui ne figure pas dans le livre, mais quand même).
Lécrivain évoque le World Trade Center et le Onze septembre, mais à travers la
photo controversée de Thomas Hoepker qui montre 5 jeunes gens discutant paisiblement sous
le soleil alors que les tours brûlent. Mais cest cela aussi New York, un endroit
immuable, invincible, où la vie des hommes se régénère sans cesse.
(01/03/2024)
Correspondance dArthur Rimbaud, de
Jean-Jacques Lefrère, Fayard.
Jean-Jacques Lefrère a réalisé un travail titanesque pour réunir toute la
correspondance établie autour du vivant dArthur Rimbaud, mais aussi toute celle qui
a suivi la disparition du poète jusquen 1920. Cette somme considérable représente
4 tomes et plus de 5500 pages.
On mesure la générosité et lesprit scientifique de lauteur, par ailleurs
éminent hématologue, pour livrer le fruit de ses recherches. Le grand intérêt de cette
étude consiste en labsence de commentaires, digressions ou avis personnels,
auxquels un personnage mythique tel quArthur Rimbaud ne peut ordinairement
échapper. La correspondance nous est livrée ainsi, brute de fonderie (avec toutefois un
nombre abondant de notes de bas de page, sur la provenance et les circonstances des
articles retrouvés) et cest à nous, lecteurs, de voyager entre les lettres
écrites par le poète, celles qui le concernent, les articles de presse qui vont
participer à la construction de la légende, à nous donc, de nous faire une opinion.
Cest assez rare en littérature de laisser un champ ouvert au lecteur et cest
important de le souligner. Bien sûr, il faut empoigner cette prose et ces missives à
bras le corps. Mais quel voyage dans la fin du XIXème et le début du XXème !
Je me suis largement inspiré de cette somme pour écrire Vie Prolongée dArthur
Rimbaud et jai dailleurs dédié ce roman « en mémoire de
Jean-Jacques Lefrère (1954-2015) » lors de sa parution en 2016. Jaurais dû
en effet rencontrer lauteur de cette quantité fantastique de recherches. Mon
éditeur allait organiser un rendez-vous, mais hélas, Jean-Jacques Lefrère a
soudainement disparu. Il reste ces quatre tomes, inépuisables dans lesquels je vais
fréquemment regarder.
Ainsi, à loccasion des lettres à sa famille récemment données au musée de
Charleville, sachez quelles étaient déjà recensées (dailleurs existe-t-il
une seule missive encore inédite relative au fameux poète ?). Jean-Jacques Lefrère
a précisé pour chacune delle « localisation actuelle inconnue », mais
désormais elles sont revenues à leur destination voulue par Arthur Rimbaud : dans
les Ardennes.
(23/02/2024)
Ermites dans la Taïga, de Vassili Peskov, Actes
Sud.
Cest mon cousin Philippe qui ma conseillé ce livre. Curieux de tout,
il sest découvert une vocation tardive pour les voyages, Sardaigne, Italie,
Roumanie, Dordogne, Autriche et bien dautres escapades accomplies depuis décembre.
Et ainsi ce récit Ermite dans la Taïga lui a beaucoup plu. Je lai dévoré
à la suite.
Ce nest pas un récit de voyage proprement dit, ou plutôt, les héros de cet
ouvrage sont sédentaires, reclus au fin fond de la Sibérie depuis toujours ou
presque
En février 1982, le journaliste russe Vassili Peskov entend parler
dune petite communauté qui vit dans une contrée totalement perdue. Quelques
années auparavant, des géologues installés à proximité ont repéré depuis un
hélicoptère des traces de potagers et de constructions. Ils entrent en contact en 1978
avec cette petite famille qui vit isolée de la civilisation depuis les années 30, suite
à un schisme religieux qui les avait contraints à lexil. En effet, ces
« vieux croyants », comme on les nomme également, sont profondément pieux,
prient et renient leurs supposés pêchés avec ferveur. Si cette vie spirituelle
constitue la base de leurs relations, il leur a fallu sadapter aux conditions
extrêmement rudes de la Sibérie sans contact avec lextérieur.
A partir de 1982, donc, Vassili Peskov réalise une véritable étude ethnographique,
relevant leurs habitudes, leur nourriture, évaluant la façon dont ils ont utilisé les
matières premières à leur proximité, écorces, peau de bêtes, mais économisant aussi
les ustensiles dorigine qui les avaient suivis dans leur exil, seaux de fer, outils,
cordes et sacs de toiles. Malheureusement, la vie rude et peut-être sans doute les
maladies apportées par les visiteurs extérieurs, ont provoqué la perte de plusieurs
membres de la famille. Il ne reste bientôt plus que le chef de famille, un vieillard, et
sa fille la plus jeune, nommée Agafia, qui ne tarde pas à se retrouver seule. Elle fera
une tentative pour rejoindre la civilisation dans un monastère avant de renoncer et de
retourner dans sa chère forêt perdue. Cest ce que raconte le livre de Vassili
Peskov, paru en 1992.
Le journaliste est mort en 2013 à lâge de 83 ans. Aux dernière nouvelles, Agafia
vit toujours en ermite sur ses terres dans la Taïga, dans une nouvelle maison quon
lui a offerte. En avril, elle aura 80 ans.
(16/02/2024)
Des hommes, de Laurent
Mauvignier, éditions de Minuit.
Paru en 2009, le livre Des hommes raconte en filigrane lhistoire
sombre de la guerre dAlgérie.
Mais lintrigue se met en place de façon progressive, insidieuse comme la manière
avec laquelle les soldats de lépoque que nous connaissons tous, vieux tontons
octogénaires maintenant, ont été appelés sous les drapeaux, parfois pour plus de 2
ans. La plupart en sont revenus avec des traumatismes comme Bernard, lanti-héros de
Des hommes, qui noie ses angoisses dans lalcool. A loccasion dune
fête familiale, ce passé resurgi, par lintermédiaire notamment de son cousin
Rabut qui était incorporé en même temps que lui. Entre culpabilité et innocence, ce
livre montre comment toute une génération a subi ces « évènements » comme
on disait.
Un film
éponyme a été réalisé par Lucas Belvaux en 2020. En parlant de cinéma, sur le
sujet de la guerre dAlgérie, on peut aussi revoir le très beau film Avoir
vingt ans dans les Aures, de René Vautier, ou encore Dupont
Lajoie dYves Boisset, sorti à la même époque.
(09/02/2024)
Lenfant dans le taxi, de
Sylvain Prudhomme, éditions de Minuit.
Sorti au mois de septembre dernier, Lenfant dans le taxi raconte une quête
sur fond de secret de famille. Lors de lenterrement de son grand-père, le narrateur
découvre quil a eu un premier fils avec une allemande alors quil était en
garnison dans ce pays. Mais remuer le passé nest pas chose aisée, la vie
sest construite sans ce fils oublié et peu tiennent à ce que léquilibre
familial soit rompu. Pourtant, comme dans la plupart des cas, certains - vieux oncles,
tantes âgées en savent plus. Nous suivons ainsi le narrateur de Sylvain Prudhomme
qui dénoue fil après fil les nuds de cette histoire, avec finesse et poésie.
(02/02/2024)
Un pedigree, de Patrick Modiano, Gallimard.
Paru en 2005, neuf ans avant lattribution du Nobel de littérature, Un pedigree est
une biographie des première années de Patrick Modiano. Écrit à la fois avec distance
et ironie, cette biographie rejoint la fiction en apportant, outre les éléments déjà
connus de lécrivain (sa mère, lactrice Luisa Colpeyn, Alberto Modiano, son
père avec lequel il se brouillera définitivement), des personnages qui traversent ses
romans, comme Jean et Kiki Daragane, dont le narrateur (lauteur ?) est
amoureux.
Ironie aussi, car la définition du mot anglais « pedigree » renvoie à la
généalogie dun animal de race, chien ou cheval le plus souvent, bref, la parfaite
alliance du hasard et de laprès-guerre qui ont fait se rencontrer une actrice
belge, fille dun docker dAnvers, avec un trafiquant de marché noir au sortir
de la guerre. Mais Paris, où les protagonistes vivent, est la ville de tous les
possibles. Lauteur se promène avec Raymond Queneau, finit par se tourner vers
lécriture : on connait la suite
Pour en savoir plus : le
réseau Modiano...
(26/01/2024)
Linconnu de la
poste, de Florence Aubenas, éditions de lOlivier.
Florence Aubenas, journaliste, nous emmène du côté dun fait divers sordide :
le meurtre dune employée des postes en 2008. Or, cest la personnalité du
principal suspect qui nous interpelle : Gérald Thomassin, acteur trop tôt encensé
pour sa participation à 16 ans dans Le petit criminel. Titre prémonitoire
A
la suite dune carrière chaotique, devenu toxicomane et alcoolique, il est accusé
du meurtre de la postière en 2013. Or, bien des incohérences sont constatées, notamment
la présence dun ADN qui nest pas le sien sur la scène du crime. Ces
incohérences aboutissent à un non-lieu rendu en 2020, mais cest trop tard :
Gérald Thomassin a disparu soudainement depuis 10 mois. A ce jour, il na pas reparu
et est considéré comme mort par ces proches.
Comme dhabitude, la plume de Florence Aubenas est précise, sachant donner vie à
tous ceux qui ont gravité et disparu autour de cette petite agence postale aux confins
des Alpes. Aucun pathos, ni parti pris dans cette affaire qui ne sera sans doute jamais
franchement élucidée malgré la condamnation en octobre dernier du suspect qui avait
laissé son ADN.
(19/01/2024)
Cutter dYves
Ravey, éditions de Minuit.
Lauteur bizontin, une fois de plus, nous régale dune histoire mi-policière,
mi-série noire quil concocte avec un soin précis. Les intrigues sont
généralement puisées dans des situations en apparence normales, vies ordinaires qui
finissent par déraper gravement.
Cutter met en scène un jeune handicapé placé dans une institution, son oncle,
jardinier chez une belle jeune femme, mariée à un entrepreneur. Le mari est retrouvé
mort. Il sest suicidé par asphyxie en laissant tourner le moteur de sa voiture. Du
moins, cest ce qui apparaît lorsque la belle épouse et le jeune handicapé, venu
aider son oncle à des travaux de jardinage, le découvrent dans son garage.
Évidement, on se doute que la vérité sera toute autre
Yves Ravey, comme dhabitude, excelle à révéler la part noire des personnages
auxquels on aurait donné jusque-là le bon Dieu sans confession.
(12/01/2024)
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