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Rimbaud, dans l'affection et le bruit neufs

 

en deux épisodes et cinquante photos

textes en désordre d'Arthur Rimbaud

sous-textes cachés de Thierry Beinstingel ©

 

Premier épisode : Charleville                              Deuxième épisode : Roche      
                        

Rien de riche  - la ville !  
Du désert de bitume fuient droit en déroute avec les nappes de brume échelonnées en bandes affreuses au ciel qui se recourbe, se recule et descend, formé de la plus sinistre fumée noire que puisse faire l'Océan en deuil, les casques, les roues, les barques, les croupes...

Jeudi 12 octobre, 152 ans et huit jours après ta naissance, T'en souviens-tu d'où tu me regardes ? Et me voici dans ta ville, Charleville, Charlestown. Non, ce n'est pas la première fois mais c'est toujours à travers toi que je vois l'étrange et brutale Ardennes.

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Ce sont des villes ! Je suis un éphémère et point trop mécontent citoyen d'une métropole crue moderne parce que tout goût connu a été éludé dans les ameublements et l'extérieur des maisons aussi bien que dans le plan de la ville.

On arrive dans ces rocades, peau de goudron sauvage, alors commence la valse des panneaux, tatouages des rues, scarification des trottoirs, une beauté identique au harar, tu aurais aimé.

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Sur les passerelles de l'abîme et les toits des auberges l'ardeur du ciel pavoise les mats. Des groupes de beffrois chantent les idées des peuples. Sur quelques points des passerelles de cuivre, des plates formes, des escaliers qui contournent les halles et piliers j'ai cru pouvoir juger de la profondeur de la ville !

Comme toi échappé des eaux boueuses du travail, je descendais des fleuves impossibles, je ne me sentis plus guidé par mes voleurs, nous nous sommes accoudés au parapet humide, t'en souviens-tu ?

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Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles, la blanche Ophélia flotte comme un grand lys, flotte très lentement couchée en ses longs voiles. On entend dans les bois lointains des hallalis. Les fleuves m'ont laissé descendre où je voulais et dès lors je me suis baigné dans le Poème de la Mer, infusé d'astres, et lactescent, dévorant les azurs verts ou flottaison blême et ravie, un noyé pensif parfois descend.

Semelles devant, dans l'affection et le bruits neufs,   nos pas sonnaient comme des crécelles sur les trottoirs, nous allions vers le centre, là où se côtoient la foule, nos frères et nos cousins, nos sœurs bien-aimées.

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Ce sont des villes ! L'acropole officielle outre les conceptions de la barbarie moderne les plus colossales. C'est la crapule, Sire, ça bave aux murs, ça monte, ça pullule.

Las ! Il n'y avait pas de vie. Sur les rideaux baissés, les peaux rouges criards avaient décorés les vitrines de tâches suspectes de gribouillis infâmes.

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Un souffle ouvre des brèches opéradiques dans les cloisons, - brouille le pivotement des toits rongés - disperse les limites des foyers, éclipses les croisées,

Les rues étaient clouées aux poteaux de couleur, évidées. Les textes abscons ne passaient pas les barrières, nous arrivions joyeux, réjouis de multiples gaiétés. Nous repartions décus, solitaires.

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des routes bordées de grilles et de murs, contenant à peine leurs bosquets.
Boulevart sans mouvement ni commerce.

Sur les trottoirs délaissés, des poubelles porteuses de blé flamand et de coton anglais n'ont pas subi de tohu-bohu triomphants. Pour qui, pour quelle engeance cachée nous épiant nous les volets baissés.

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En quelque soir, par exemple, que se trouve le touriste, retiré de nos horreurs économiques, la même magie bourgeoise à tous les points où la malle nous déposera.

Un instant, nous songeâmes aux plaisirs, un sex-shop triste étalait ses caoutchoucs, une boite de nuit décorait son enseigne juste en face de ton musée.
Ton musée ! Je le connais par coeur : vieux, poussiereux, on entend la meuse couler en dessous des planchers solitaires. Tu t'en serais moqué de ton musée, à part ta malle de voyage aux étiquettes vieillies, au cuir solide et caressé des regards par delà la vitrine.

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Ce sont des villes ! L'acropole officielle outre les conceptions de la barbarie moderne les plus colossales. Impossible d'exprimer le jour mat produit par le ciel immuablement gris, l'éclat impérial des bâtisses... On a reproduit dans un goût d'énormité singulier toutes les merveilles classiques de l'architecture.

Enfin nos pas nous où menés où tu voulais. Place Ducale aux fiacres noirs, rien n'a changé hormis les mots nouveaux, parking, horodateur. Tout est sale, gris, utilitaire. Hors nous qui déchantions, bateaux perdus sous les cheveux des anses.

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A vendre les habilitations et les migrations, sports, féeries et comforts parfaits, et le bruit, le mouvement et l'avenir qu'ils font !

Puis à un coin de rue, tu t'es exclamé. Ton nom ? Il est commun ici, il faudra t'habituer aux usages divers que l'on en fait. Ici, une librairie à façade vieillotte, aux étals tristes et convenus.

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A vendre l'anarchie pour les masse ; la satisfaction irrépressible pour les amateurs supérieurs !
J'ai suivi des mois pleins pareil aux vacheries hystériques la houle à l'assaut des récifs.
Encore tout enfant, j'admirais le forçat intraitable sur qui se referme toujours le bagne.

Là, une autre encore, loisirs et France, tout ce que tu abhorrais et juste au dessous de ta maison natale. Provocation. On dit que d'aucuns y affichèrent, il y a quelques années, ton portrait en grandeur nature et qu'il fut déchiré par le libraire...

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A vendre les Corps les voix, l'immense opulence inquestionnable, ce qu'on ne vendra jamais. Les vendeurs ne sont pas à bout de soldes ! Les voyageurs n'ont pas à rendre leur commission de si tôt...

Vois, tu es partout et maintenant sous la forme d'une banque... Ô négociants...

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Puis la vierge n'est plus que vierge du livre. Les mystiques élans se cassent quelquefois... Et vient la pauvreté des images, que cuivre l'ennui, l'enluminure atroce et les vieux bois.

Tu es partout, c'est ta fête Jusqu'au delà des vitres usées qui abritent les poubelles. Frénésie d'un monde qui te hait mais ne peut t'oublier.

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Voilà, c'est le siècle d'enfer ! Et les poteaux télégraphiques vont orner -lyre aux champs de fer- tes omoplates magnifiques ! Voici l'ombre des routes voilà mille loups, mille graines sauvages.

Et partout on t'empechera d'aller, on inventera mille supplices, mille machinations, pitoyable frère. Je t'accompagnerai, je le jure, je ne te laisserai pas, il ne nous restera plus que l'errance (nourris du vin des cavernes et du biscuit de la route).

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Là bas, ne sont-ce pas des âmes honnêtes qui me veulent du bien... Venez, j'ai un oreiller sur la bouche, elles ne m'entendent pas , ce sont des fantômes... Puis jamais personne ne pense à autrui, qu'on ne m'approche pas, je sens le roussi. Je pense qu'il y a une police, mais la loi doit être tellement étrange que je renonce à me faire une idée des aventuriers d'ici.

Nous irons par les rues, inlassables et résolus, vers les clins d'œil, dans la folie de leurs signes, leurs poteaux noir et blanc, leur trottoirs désolés, nous irons toujours, je te promets.

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Sur la place taillée en mesquines pelouse, square où tout est correct, les arbres et les fleurs, tous les bourgeois poussifs qu'étranglent les chaleurs portent les jeudis soir leur bêtise jalouse. Le long des gazons verts ricanent les voyous.

Et mes pas m'ont guidé vers ce parc que tu aimais tant. Mais regarde, même ici, les gardiens nous insultent, les chiens sont mieux traités que nous...

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Moi je suis débraillé comme un étudiant. Sous les marronniers verts les alertes fillettes, elles le savent bien et tournent en riant vers moi leurs yeux tout plein de choses indiscrètes. Je ne dis pas un mot, je regarde toujours la chair de leurs cous blancs brodés de mèches folles...

Ta statue est bien peignée aux fientes de pigeons. Tu te disais martyr lassé des pôles et des zones. Pareillement la mer dont le sanglot fait son roulis doux monte vers toi ses fleurs d'ombres aux ventouses jaunes. Ô bateau ivre...

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Je suis sous le corsage et les frèles atours, le dos divin après la courbe des épaules. Je reconstruis les corps brûlés de belles fièvres. Elles me trouvent drôles et se parlent tout bas... Et je sens les baisers qui me viennent aux lèvres.

Et je regarde leurs faux hommages, on te mélange à la guerre, Pater te monte le Bourrichon, Alphonse est un pot de Colle, amitié et combats de coqs. On s'est assez payé ta tête, viens, partons !

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Kiosque de la folle, par affection : une misérable femme de drame, quelque part dans le monde, soupire après des abandons improbables. L'automne déjà  ! mais pourquoi regretter un éternel soleil si nous sommes engagés à la découverte de la clarté divine...

Mes pas m'ont guidé vers ce parc que tu aimais tant, c'était une erreur. Nous sommes jeudi 12 octobre 2006, tu as exactement l'âge de 152 ans et huit jours et je t'écris tout cela un vendredi 10 novembre, au jour précis du cent quinzième anniversaire de ta mort. Je dédie ce texte à cette femme aperçue sur un banc. Ta mère s'appelait Vitalie, née Cuif.

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Alors je levais un à un les voiles. dans l'allée en agitant les bras. Reprenons l'étude au bruit de l'œuvre dévorante qui se rassemble et remonte dans les masses.

Nous avons quitté le parc. De l'autre côté des arbres, à l'hôtel de Paris, j'ai le souvenir d'y avoir passé une nuit. Pour quel travail ? Dans quelle attente ? Me suivais-tu déjà dans l'ombre ?

 

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A sept ans, il faisait des romans sur la vie du grand désert où luit la liberté ravie. A moi, l'histoire d'une de mes folies. J'aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enluminure populaire, la littérature démodée, latin d'église, livres érotiques sans orthographes, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l'enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs.

Petit à petit, nous nous sommes éloignés du centre, toi et moi. Les affiches stupides n'avaient jamais cessé. Des textes éparpillés comme ceux des poèmes respiraient la crasse. Nos coeurs déçus des hommes cependant s'apaisaient, nous errions dans la ville déserte et close, déjà poussé vers les faubourgs prometteurs...

 

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Oh ! Le pavillon en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs arctiques... Douceurs !

... et les vitrines joyeuses des boucheries nous faisaient rire.

 

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Je suis descendu dans ce carrosse dont l'époque est assez indiquée par les glaces convexes...

Monde de glaces. Avant de repartir,nous avons confondu nos silhouettes. Placements sûr, doublement garanti du capital. Ô négociants du Harar ! Nous partirions un jour faire fortune, nos rêves échangés...

 

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Je suis le saint en prière sur la terrasse. J'ai seul la clef de cette parade sauvage.

Puis je t'ai  raccompagné jusqu'aux portes baroques de ton cimetière. Juste à droite, derrières les voitures, c'est une agence d'Intérim, douce étape de la précarité avant l'éternité.

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Voici le temps des assassins. Loin des gens qui meurent sur les saisons. Qu'on me loue enfin ce tombeau, blanchi à la chaux avec les lignes du ciment en relief - très loin sous la terre.

Voilà, je t'ai laissé à ta porte de marbre.  Tu t'es glissé entre les fleurs, sous le gravier. De grands ifs sifflaient sous la bruine et le vent. Toi qui n'allait vêtu que de coton grossier sous les chaleurs épouvantables, tu ne crains plus le froid, ni le gel. Arthur aux trente-sept ans éternels, nous sommes le dix novembre, je ne prierai pas pour toi.

 

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A une distance énorme au dessus de mon salon souterrain, les maisons s'implantent, les brumes s'assemblent. Ville monstrueuse, nuit sans fin. Je suis maître du silence. Assez eu, rumeurs des villes, le soir. Un goût de cendres vole dans l'air.

Comme d'habitude et longtemps, je contemple les balcons derriere toi où personne n'apparaît jamais. Souvent, au crépuscule, des lumières de blues jouent aux poètes de sept ans sur les petits écrans. Personne ne te regarde, tu peux dormir tranquille.

 

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Un pas de toi, c'est la levée des nouveaux hommes et leur en-marche.
Arrivée de toujours qui t'en iras partout. Mais vrai j'ai trop pleuré ! Les aubes sont navrantes, toute lune est atroce et tout soleil amer. Je ne puis plus, baignés de vos langueurs, ô lames, enlever leur sillages aux porteurs de cotons, ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes, ni nager sous les yeux horribles des pontons.
Je m'en allais mes poings dans mes poches crevées.

Et je suis reparti descendre des fleuves impossibles, rejoindre les peaux rouges criards et leurs poteaux de couleur.