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Etonnements 2005
Cest un délice vraiment de sasseoir chaque jour à la table
décriture, surtout avoir du temps, foutu temps, et sy consacrer à
" loisirs " (à condition que le mot " loisirs "
soit pris ici dans son acceptation maximale, la nécessité, lexigence, presque la
question de vie ou de mort). Du coup, dans lusure inévitable, larc boutant du
corps tendu vers lécriture vitale, le geste du repas permanent à la table des mots
finit par pousser dehors : une résolution, aller courir, saérer.
Cest tôt le matin, la nuit est présente encore, les merles, haut perchés sur les
peupliers, saluent déjà un jour incertain, poussent quelques trilles au dehors du
gosier, attendent la réponse dun congénère. Le trajet est ainsi marqué par les
pas qui se cherchent, la respiration qui sallonge et les chants doiseaux qui
sélèvent darbre en arbre comme des guirlandes au-dessus du rythme de la
course. Des guirlandes. Au début, on ne fait pas attention, on a pris le chemin de sable
qui longe le canal, on traverse en courant le carrefour de la gare, on croise des
voyageurs emmitouflés, sacoche à la main. Bref regard en les croisant, le souffle qui
martèle, la cadence des pieds sur le sol, vieux réflexes retrouvés. La course conduit
à larrière des pompiers, on pense maintenant aux guirlandes, celles aperçues hier
en passant en voiture, sur le fronton de la caserne avec un gros 2006 lumineux. On pense
aussi à lusine de tracteurs IHF toute proche, le Noël gâché de ceux qui y
travaillent : un plan social est annoncé, plus de 200 licenciements, 1000 emplois
indirects menacés. Il y a eu une opération ville morte au début décembre, toute
lagglomération était solidaire mais cette résolution à trouver un dénouement
heureux se dilue au fur et à mesure des jours et du silence réinstallé. Il y a quelques
jours, les ouvriers en désespoir ont brûlé le sapin de Noël installé sur la place de
la mairie. Oui, le désespoir : les journaux télévisés nationaux nen parlent
même pas, déjà tant dautres quon annonce, on ne ferait que cela. Rien que
le jour où le sapin a brûlé, les actualités régionales ont montré quatre autres
manifestations dans la région pour des situations similaires. On shabitue
Justement, lusine, on pourrait passer devant, le chemin du canal y conduit, on sent
lodeur de la fonte en fabrication. Les mauvaises langues disent que les ouvriers qui
sont en grève empêchent la production, empêchent daccéder au sacro sain travail
ceux qui voudraient bien : lodeur de grésil des hauts fourneaux prouve
quil subsiste une activité proche, qui y est liée. On pourrait passer devant, voir
peut-être le feu de palette du piquet de grève qui a veillé toute la nuit. Mais ne pas
trop tirer sur le souffle et les jambes pour cette première course : faire
demi-tour.
Au retour, les ombres des entrepôts qui bordent le canal semplissent de bruits, il
est 7h30, les premiers ouvriers commencent leur journée. A nouveau, on traverse le
carrefour de la gare et toujours ces voyageurs qui hâtent le pas. Et toujours le bref
regard échangé, le souffle qui rythme les pas, le bonheur de cette respiration forcée
mais intacte. Plus loin, sur une tour dimmeuble, une guirlande entoure un
appartement. Non pas juste le balcon illuminé dun sapin et dun un père Noël
gonflable comme on remarque parfois, mais lensemble de lappartement est
parfaitement délimité par une auréole lumineuse : voilà, jhabite là,
semble dire le locataire, cest ma maison. Et du coup jéprouve une tendresse
presque envers cette mode récente des décorations à outrance des façades de maison que
jai tendance à juger hâtivement stupide, empesantie du fardeau de la tradition. Et
si décorer sa maison avec 30 m de guirlandes sétait se mesurer, mesurer sa vie, sa
place dans la ville ? Et comment lexpression se faire enguirlander révèle un
sens bien différent, du genre, prendre la vraie mesure de
Prendre la vraie mesure de : ainsi ceux qui passeront de bien mauvaises fêtes à se
demander sils font partie des licenciés. Les mauvaises langues ont honni les
manifestants qui ont détruit le sapin de Noël, les enfants ont été choqués,
cest vrai, les propres enfants des futurs chômeurs aussi. Cest aussi une
question de mesure : 30 m de guirlandes pour mesurer sa vie, un sapin de 12 m et qui
devient symbole du désespoir pour 200 licenciés, et moi qui cours 5 km pour mesurer à
nouveau mon écriture, mon souffle.
(21/12/2005)
-
- Sylvain Schiltz. Cest un étonnement qui porte maintenant un nom. Je ne
connaissais pas le nom au début. Son histoire, je lavais lue dans le journal local,
cétait un fait divers qui ne devait pas dépasser ma région dEst : un
type, on dit un SDF, était mort de froid dans sa voiture. On pouvait bien entendu relier
le petit article dune dizaine de lignes dans la page régionale (cela cétait
passé dans un endroit que je connais bien) avec les informations nationales : il
faisait froid, un peu partout on présentait les équipes aux brassards de la Croix Rouge
intervenants dans des soupes populaires, cétait lactualité du moment de
même que traditionnellement la première semaine de janvier est la semaine du
" blanc ", draps, couettes, taies doreillers et peignoirs. On
pouvait voir aussi en page météo ce qui nétait jamais quun temps de saison,
les gelées en novembre, souvenirs des premiers flocons de neige sur les cérémonies du
11 novembre auxquelles jassistais enfant.
Rien que de très banal, un fait divers d'hiver. SDF mort de froid dans le grand Est. Quel
étonnement ? Dans ces campagnes, la vie est rude et vide, on le sait déjà.
Mais létonnement, cétait quelques quotidiens nationaux qui avaient enquêté
sur ce " premier " SDF mort gelé : on avait su son nom, Sylvain
Schiltz. Et létonnement rejoignait lécriture : cétait François
Bon qui en parlait dans le Tumulte, puis Philippe Rahmy alors même que létonnement était
cette histoire qui cheminait en moi aussi.
Connivence décriture mais pas seulement : hasard des coïncidences, nous nous
étions retrouvés tous les trois, dans la chaleur de l'amitié des Petites Fugues de
Besançon. Les écrivains y participant s'appretaient à sillonner les routes de Franche
Comté les jours suivants. C'était à quarante kilomètres à peine de ce coin de
Haute-Saône où on le retrouverait mort de froid, trois jours après. Qui est passé à
côté de Sylvain Schiltz endormi pour la dernière fois ?
Connivence décriture mais pas seulement : ce qui nous choque et nous inspire,
cest que lon puisse mourir de froid " dans sa voiture ",
symbole de possession, richesse, protection, évasion, rien ne peut arriver semble
til en voiture, on travaille, on se la paie, on est arrivé, on peut quitter sa vie,
on peut partir, sen aller du grand Est froid et sombre en hiver, on est dans le
définitif mouvement du monde des hommes libres, on est sauvé. Et bien non : Sylvain
Schiltz prouvait que ce nétait pas possible, que cette liberté est un leurre, que
la misère est immobile et partout.
- Et ce qui métonnait aussi, me touchait plus personnellement, cétait cette
contrée côtoyée et que je connais bien : lannée dernière à la même
époque que Sylvain Schiltz, jy étais souvent, il faisait également très froid,
je garde le souvenir de malaises provoqués par cette extraordinaire minéralité,
dureté, inhumanité : jamais dhabitants visibles, le peu de contacts avec un
cafetier, un boulanger ou un pompiste était dur et coupant, dans des bars au formica
usé, des magasins humbles, des stations services froides en plein vent. Paysages
tranchés et vides à la fois, les miens pourtant, ceux de mon enfance, ceux qui me
devenaient insupportables parfois, ceux que javais voulu décrire dans Paysage et
portrait en pied de poule.
Le SDF était mort à Gray et le hasard a voulu que jy passe. Javais
prémédité cette escapade, javais un appareil photo et je voulais toucher dans la
pérennité de limage cette dureté qui métait remontée à travers ce fait
divers, tout au plus une anecdote quon oublierait ici dans les lentes successions
des saisons. Jai ainsi imaginé le dernier soir de Sylvain
Schiltz.
Et en même temps, retour à létonnement : François Bon, pendant ce même
week-end, renchérissait dun texte sur Sylvain Schiltz.
Sylvain Schiltz. Cest beau de nommer, donner un nom au vide : Sylvain Schiltz
ressemble à la petite gare perdue de Blesme-Haussignemont, aperçue et citée par Julien
Gracq, François Bon et et que je connais aussi (voir dans cette même rubrique au
24/08/2005). Le désespoir a maintenant un nom, Sylvain Schiltz. C'est, non pas un
sentiment exacerbé et hystérique, mais la sensation vraiment que quoi que lon
fasse, cette région ne changera jamais (et nous avec) quelle sera toujours dure,
tranchante comme un silex (et nous aussi). Sylvain Schiltz dans son nom aux consonances de
lEst comme le mien. Sylvain Schiltz, 38 ans est le personnage jamais nommé de Paysage
et portrait en pied de poule.
(14/12/2005)
-
- Après une petite séance décriture pour laquelle je me suis servi de mon recueil
de poésie de Rimbaud, je me suis surpris à en embrasser la couverture avant de le
reposer sur l'étagère. Geste qui marque sans doute lattachement à la poésie et
la littérature, mais qui, plutôt comique et incongru, est généralement effectué
inconsciemment et toujours dans la plus grande solitude afin de ne pas effrayer vos
proches quant à votre santé mentale. Cela procède de la même attitude que de parler
seul, ce qui marrive aussi fréquemment, ne serait-ce que par la lecture à voix
haute. Là où le burlesque se révèle, cest bien entendu devant des spectateurs
inattendus. Dun caractère plutôt absent et distrait, perdu la plupart du temps
dans mes pensées, jaccumule depuis longtemps ces petits actes réservés à
moi-même mais pour lesquels jai eu un jour lair ahuri devant autrui. Comique
de situation, il faudrait relire Bergson
Il y a deux familles de ces petits faits amusants et pour lesquels le geste est, dans les
deux cas, automatique et irréfléchi. La première contient ceux que la récurrence et la
répétition finissent par vous en donner pleine conscience (cest souvent aussi
votre entourage qui vous le fait remarquer). Cest, par exemple, la matière
inintelligible de mots inventés, donomatopées et dexclamations dont on abuse
seul (croit-on) et que lon découvre un jour copiés par ses propres enfants.
Cest aussi le geste de revenir plusieurs fois pour clencher une porte que lon
vient de fermer à clef afin dêtre bien sûr
de mieux y revenir encore une
fois. Citons aussi, dans cette première famille, la fâcheuse manie qui vous incite à
pousser une chansonnette généralement scabreuse ou idiote et vous rendre compte au
dernier moment que vous nêtes pas seul dans la pièce.
La deuxième famille est aussi cocasse : elle est constituée de gestes ou
dattitudes effectués une seule fois de façon inopinée et qui peuvent constituer
des anecdotes amusantes. Par exemple, je me souviens avoir dit merci le plus sérieusement
du monde à une machine qui mavait délivré une photocopie, avoir appelé jadis un
de mes professeurs par son surnom peu charitable sans men rendre compte, avoir tenu
à létranger une conversation en anglais à une hôtesse daccueil qui me
répondait dans un français impeccable, avoir oublié de descendre du télésiège.
Mais ce qui me paraît le plus remarquable dans ces petits tropismes, comme dirait
Nathalie Sarraute, cest davoir fugitivement conscience de frôler
létourderie, lacte manqué, dapercevoir un instant la porosité entre
le réel et la fiction. Et cest dans ce sens que lon embrasse Rimbaud aussi.
(23/11/2005)
- Cest ma dernière journée de travail. Entendons bien : je ne pars pas en
retraite, je narrête pas du jour au lendemain, mais jai une vacance qui
sannonce pour six mois de congé formation. Bref je vais me trouver éloigné de mon
travail habituel jusquau milieu du printemps. Congé formation donc, cest pour
suivre une 2° année de licence de Lettres Modernes, la première a été validée en
juin et septembre derniers et suivie en parallèle de mon travail habituel et nourricier.
Jai rarement expliqué cette étrangeté qui me pousse à toucher du stylo examens
et cours que lon se réserve à vingt ans sans trop savoir par ailleurs pourquoi
dans cette vie débutante sinon pour y espérer plus tard relier toute cette dépense
dénergie et dargent à un emploi, sans que je sache à deux fois vingt ans
largement passés pourquoi aussi sinon pour poursuivre enfin des études universitaires
que lentrée rapide dans la vie active ne mavait pas permis hormis au milieu
des années quatre-vingts, avec une année spécialisée pour les télécommunications,
intense tout de même délectronique, dinformatique et de maths. Tous ceux qui
apprennent cette reprise détudes sont étonnés, la surprise va pour certains à me
trouver du courage, pour dautres de linutilité avérée envers ces épreuves
que je minflige. Il est vrai que mon métier en est éloigné et si cela à un vague
rapport avec la littérature et la casquette décrivain, le parcours de débutant
que jaborde semble bien faible. Dans ce regard de ceux qui se rappellent leurs
propres études et pour moi-même au bout de cette première année estudiantine, il y a
toujours limage de léchec qui transparaît et léloignement du monde
des études avec la réalité. Echec car tous ceux qui ont abordé la vie scolaire ou
universitaire ont ressenti à un moment ou à un autre une insatisfaction bien éloignée
du plaisir dapprendre, dont la manifestation générale consiste à claquer des
genoux à la perspective des examens. Une amie qui fut étudiante dun autre pays me
disait que les français ont un rapport étrange avec les études : ils ont tous en
commun davoir raté quelque chose à un moment ou à un autre. Il est vrai que notre
système favorise plus la frustration que la réussite : il ny a quà
voir la variété dembûches examinatrices qui se dressent devant vous pour vous
empêcher daboutir, il ny a quà voir les méandres administratifs et
rigides qui vont m'empêcher simplement de valider deux épreuves optionnelles
simultanément : ça ne se fait pas, ma ton répondu
Le manque
dadéquation du monde universitaire avec le monde du travail est aussi flagrant,
létudiant est considéré comme un vulgaire apprenant sans que lon se soucie
le moins du monde de son avenir et la rage parfois de certains professeurs envers eux est
bien révélatrice de générations de déçus de tous poils que le système a généré.
Le classement des spécialités sur concours est particulièrement caricatural : mes
résultats ne me permettent pas dêtre le neurochirurgien que jai toujours
rêvé dêtre, il ne me reste que la psychiatrie pour laquelle je ne me sens aucune
disposition, tant pis, je vais aller dans cette voie pour garder le bénéfice du
concours, constatent, amers, bien des étudiants en médecine. Comment ne pas laisser
transparaître plus tard ces déceptions ?
Au départ je ne pensais pas raconter ces petites constatations sur le système
universitaire, je voulais juste raconter ma dernière journée de travail. Il me reste
quelques dernières images, toutes simples : jai quitté la cafétéria le soir
où un Directeur fêtait son départ, silence retrouvé de la cour et de la nuit après le
brouhaha joyeux des collègues au milieu du champagne et des petits fours, je suis monté
jusquà mon bureau, jai serré la main à mon coéquipier qui repartait chez
lui, je lui ai souhaité bon courage, jai récupéré quelques maigres affaires
vidées de mes tiroirs, ma collection de cailloux qui interpelle toujours les visiteurs de
passage, jai envoyé un dernier courriel d'au-revoir à ceux avec qui je travaille,
jai fermé mon bureau et jai redonné la clef.
" Arrêter l'évocation du Central sur ce souvenir. Mais voir chaque jour une
lignée de fils téléphoniques suspendus entre des poteaux, un collègue aperçu, le gros
cube du bâtiment entrevu par hasard dans ma ville, une touffe de broussailles dans un
fossé, un rayon de soleil sur le goudron d'une route, la fuite des jours, tout cela sans
préméditation me rappelant le Central dans des flashes inattendus même si passer bien
vite à autre chose avec une tendresse persistante dans la rétine. Une
nostalgie. " (Central)
(02/11/2005)
Discours :
" La lutte contre l'immigration irrégulière doit constituer le deuxième
axe majeur de votre action.
Lors de notre dernière rencontre, je vous ai fixé des objectifs chiffrés, en vous
demandant de procéder, au minimum, à 23 000 éloignements d'étrangers en situation
irrégulière cette année. Je constate qu'à la fin du mois d'août, 12 849 étrangers
avaient fait l'objet d'une mesure effective d'éloignement : sur huit mois, 56 % des
objectifs ont été atteints. Il vous reste donc cinq mois pour accentuer leffort.
J'observe dailleurs que, d'une préfecture à l'autre, les résultats sont inégaux.
Or, j'attends de tous une entière mobilisation. Et j'invite les préfets dont les
résultats sont inférieurs à la moyenne à se rapprocher du Centre national de
l'animation et des ressources (CNAR) pour bénéficier d'un appui opérationnel. Le CNAR
dailleurs ne sera plus seulement un organisme dappui aux préfets. Il va
devenir un centre dimpulsion, danimation. Il sera mon relais pour orienter vos
objectifs.
Plus encore qu'une obligation de moyens, c'est une obligation de résultats qui vous est
fixée. Votre implication personnelle, aux côtés des agents des bureaux des étrangers,
des policiers et des gendarmes, est une nécessité. Il est de votre responsabilité de
mobiliser vos collaborateurs.
Le décret portant création de la police de l'immigration est en cours de finalisation.
Il permettra de mieux coordonner l'action des forces de sécurité et de vous apporter une
aide supplémentaire. A partir de 2006, de nouveaux outils statistiques vous garantiront
un suivi plus précis des mesures d'éloignement.
Il vous faut aussi ne pas hésiter à utiliser toutes les marges de manuvre
autorisées par la loi. Elles sont réelles. Vous devez ainsi faire usage des pouvoirs que
vous donne le code de l'entrée et du séjour des étrangers, quelles que soient les
sollicitations locales. Je vous demande de savoir résister aux pressions de tels ou tels
"collectifs" ou "coordinations", qui ne représentent qu'eux-mêmes. "
(Intervention du Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du
territoire devant les Préfets, vendredi 9 septembre 2005)
http://www.interieur.gouv.fr/rubriques/c/c1_le_ministre/c13_discours/2005_09_09_prefets
Action :
"Louisa, Ruslan et Elsa sont élèves de dispositifs
adaptés: classe d'accueil du collège Henri Guillaumet à Blagnac pour Louisa, classe
d'intégration à l'école Paul Bert de Colomiers pour Ruslan et dispositif " Mission
générale d'insertion " au collège de la Reynerie pour Elsa. Ils sont originaires
de Tchétchénie, pays que leurs parents ont été obligés de fuir. Arrivés en avril
2005 et entrés dans l'espace Schengen par la Pologne, ces enfants ont été
régulièrement inscrits par l'Inspection Académique dès septembre. Ils sont aujourd'hui
avec leurs parents sous le coup d'une mesure de " réadmission " vers la Pologne
conformément au règlement Dublin II. "
- Discours, action, réaction:
Je mévertue à faire connaître le discours dun Ministre qui se vante de
toujours faire ce quil dit. Lisez-le : vous ne direz pas que vous ne saviez
pas.
Les cas de Louisa, Ruslan et Elsa ne sont pas isolés : il reste 10 000
" étrangers " à sortir de notre pays rien que pour cette année.
Ceux qui tentent de sopposer à cette politique policière en subissent les
conséquences, ce nest pas Brice Petit et Jean-Michel Maulpoix qui me
contrediront... Une pétition circule, je
lai signé et je signerai toutes celles qui se présenteront sur des cas similaires.
A lire aussi, Le prix de notre bien être de Michel Séonnet en Notes
décriture cette semaine.
(26/10/2005)
-
Vendredi soir : je baille devant mon ordinateur. Ce nest pas lennui,
cest la fatigue. Lautre travail, le nourricier, est prenant en ce moment.
Toute la journée, jai accumulé tâches après tâches, géré les priorités
(comme on dit), une réunion téléphonique le matin, une autre laprès-midi, plus
lâche et moins informelle mais aussi prenante quand on lanime. Le travail aussi
avec un salarié le matin, chercher les bons mots, laider : 2 heures encore. Et
le stagiaire qui sen va, lautre qui le remplace et shabitue. Et
lapplication informatique dont on a la responsabilité et qui nest plus à
jour, et les coups de fils, problèmes résolus ou reportés, minute après minute, le
temps file. Et cette concentration qui fuit parce que la veille cétait Reims toute
la journée, réunions, discussions et 250 km aller et retour et quavant il y avait
eu Charleville, réunions, discussions, 400 km, Chaumont, réunions, discussions, 300 km,
Paris, réunions, discussions, 400 km, Troyes, réunions, discussions, 200 km, Châlons,
réunions, discussions, 140 km (ça cest le trajet journalier minimum). Ce travail
fait dexplications, de dialogue, danalyse, de synthèse, de réflexion alors
il faut comprendre que, parfois en aidant un collègue, en replaçant les mots dun
CV, les fautes de frappe sont plus fréquentes, on bafouille, on perd des idées en cours.
Signal dalarme devant la fatigue : on préfère en rire.
Certains bouffent du fonctionnaire toute la journée et moi, fonctionnaire, je mange mes
mots, je mets au défi tous ces donneurs de leçon de tenir une seule journée avec moi
non stop de 7h à 20h. Joubliais : avant il y a lécriture à 6h et
après 20h jusquà
.. Alors qui vient ? Qui sy frotte ?
Et pourquoi la fatigue me rend ainsi agressif ? Travail, travail, pas de sot ni de
métier meilleur quun autre, juste lidée quêtre enchâssé dans le
monde via le travail donne la conscience dêtre socialisé, collectivement répandu.
Cette dispersion de nous ailleurs est un tiraillement, une fatigue dans cette volonté
permanente dêtre au maximum de sa présence aux autres.
(05/10/2005)
Cétait sur le chemin dun restaurant dentreprise à
Charleville-Mézières. Nous étions quatre à marcher dans les rues bordées de pavillons
de ce quartier périphérique. Il faisait un temps magnifique, un ciel très bleu. Après
un carrefour, le nez au sol, jai aperçu le trottoir et la chaussée jonchés de
marrons luisants. Nous avons plaisanté sur la rentrée, cette époque de châtaignes que
lon associe immanquablement aux écoliers. Jai ramassé une de ces bogues,
enveloppe encore verte et renflée de piquants, intacte après la chute dun de ces
hauts arbres qui bordaient maintenant la route. Je lai ouverte dun coup de
talon et jai sorti les deux marrons humides, cirés et patinés comme de vieux
meubles de bois. Je les ai enfouis dans ma poche, nous continuions de marcher, nous
discutions toujours de ce métier qui nous passionne, de ce quil faudrait faire pour
améliorer notre travail. Nous avons rejoint le restaurant et jai oublié les
marrons dans ma poche Je les ai retrouvés parfois au cours de la journée, en prenant les
clefs de la voiture par exemple, ou lorsque mon téléphone portable sonnait. En rentrant
chez moi, tard le soir, je les ai posés sur mon bureau, à côté de celui que
javais trouvé et photographié lannée dernière, tout fripé maintenant
(Voir en Webcam...). Jai pensé à Rimbaud puisque cétait à Charleville que
je les avais trouvés. Dhabitude, je dispose toujours dun peu de temps quand
je suis seul pour marrêter au cimetière et grimper lallée de graviers
jusquà la tombe du poète (ce nest pas un grand détour). Si javais
fait cette promenade, jaurais sans doute partagé ces marrons, un pour lui, un pour
moi. Le sien posé sur la pierre blanche quil partage avec sa mère Vitalie et sa
sur Isabelle ou plutôt laissé discrètement glisser de ma main, à proximité de
sa tombe, le laissant se mêler aux cailloux, sen remettant au sort dêtre
picoré par les oiseaux, disparaissant sous des semelles de vent ou des pas alourdis de la
pluie. Geste gratuit et sans aucune signification. Mais je nétais pas seul en
voiture et nous sommes revenus directement dans loubli des marrons en poche, dans
nos conversations joyeuses. Nous sommes passés au pied du monument commémoratif de la
ferme Navarin où l'écrivain Blaise Cendrars perdit son bras droit en 1915. Jy ai
pensé comme à chaque fois. De même quà Attigny, jai songé à André
Dhôtel qui y vivait. Jai aussi dû penser à Roche aussi, comme à chaque fois que
je vais à Charleville où que jy reviens. Roche, lendroit perdu, paumé où
fut écrit Une saison en enfer. Et justement, je ne me souviens jamais de la route
quil faut prendre. Où tourner ? Quel carrefour ? Tout cela était oublié
au fond de la poche. Tout cela est ressorti sous forme de deux marrons qui vieilliront un
an sur mon bureau avec toutes ces pensées, avant peut-être dêtre remplacés
lannée prochaine.
(28/09/2005)
Jai acheté une voiture rouge (le constructeur précise même " rouge
de feu ") et je suis allé à la fête de lhuma. Ny voyez aucun
rapport. La voiture rouge était disponible et proposée avec une remise confortable,
lancienne, bien que récente, accumulait déjà un nombre de kilomètres respectable
(dont beaucoup sont dus à la curiosité liée à lexercice de lécriture,
ateliers et participations à des salons divers
), bref il fallait prendre une
décision. Cest fait. Quant à la fête de lhuma, cest déjà une
vieille habitude daller y rencontrer quelques lecteurs ou collègues au Village du
livre, également une volonté de raconter chaque année ce morceau
" dhumain " ( voir en Etonnements en septembre 2000 et 2004, en
Notes décriture en 2002 et 2003). Donc cette année, jai retrouvé les
piétinements dans la poussière des allées (non, il ne pleut pas tout le temps à la
fête de lhuma
), un concert le samedi soir où je faisais figure de
grand-père parmi 100000 personnes, le village du livre, ses auteurs habitués que je
revois avec plaisir comme Maxime Vivas, René Ballet, Didier Daeninck que je ne connais
pas mais qui est fidèle au poste. Cette année, jai retrouvé aussi Michel Séonnet
(à lire Le pas de lâne, chez Gallimard, Le Matricule des Anges en avait
fait un très bon article) et jai beaucoup parlé avec Florence Beaugé, journaliste
passionnée du Monde, qui est à lorigine des aveux du Général Aussares et de la
découverte dautres horreurs de la guerre dAlgérie commises par un certain Le
Pen. Tout cela, cest la fameuse Res Publica, oui, à la fête de lhuma, on a
limpression que la politique revient dans le giron du commun des mortels.
Rouge sang, rouge de feu, rouge passion, cest une couleur qui dérange : la
preuve est cette voiture peut-être en promotion à cause de cette couleur difficile. Nous
sommes habitués à des compromis plus souples : le classique " gris
métallisé " permet daccéder à une confortable bourgeoisie cossue qui
entend que linvestissement notable, constitué par lachat dun véhicule,
lui soit rendu sous forme dune reconnaissance " de bon père de
famille ", dirait Sarkosy, par lensemble du voisinage. Le rouge, on
sen méfie, tout juste est-il détourné, admis dans sa représentation de la
voiture de sport, plutôt dévolue à des post-adolescents avides dépater la
galerie ou des quadras, quinquas, en pleine crise existentielle. Mais dans ce dernier cas,
le rouge saccompagne dun coupé ou dune décapotable, ce que dément la
familiale diesel récemment acquise.
Au milieu du siècle dernier, une marque de véhicules proposait le choix des coloris
" pourvu que ce soit noir
". Lépoque a changé, la
couleur a fait son apparition en même temps que le marketing. Les publicitaires ont tous
lus les Mythologies dans lesquelles Roland Barthes vantait la DS et le mythe de
lautomobile. Ainsi le symbolisme des couleurs demeure persistant, preuve que la
société névolue pas si vite : entre anthracite foncé, gris boréal, blanc
glacier ou rouge de feu, il nous faudra toujours choisir. Hormis ces appellations
tapageuses, remarquons que la plupart des couleurs sont dépourvues de sens et ne semblent
exister sur des modèles banals que parce quelles sont dans la nature, alors le
rouge pour les coloris chauds et ses nuances allant de lorange au bordeaux, alors le
bleu pour les couleurs froides conduisant jusquau bleu marine ou bleu nuit. Reste
que tendent à disparaître les couleurs originales quun excès de non-conformisme
comme le jaune réserve à des voiturettes ressemblant à des jouets, ou le rose trop
féminin qui diminue du coup de moitié léchantillon des acheteurs potentiels. Car
la couleur est affaire économique et rien ne semble mieux convenir à la majorité
quune carrosserie dans toutes les nuances grises duniforme. Retour au
sens : vous avez donc le choix de paraître marginal ou de vous fondre dans
linvisible troupeau des véhicules, mais il nempêche que la carrosserie de
votre voiture, partout visible et par tous, associe immanquablement son propriétaire à
ce quil " semble être ", cela, en deux temps, trois
jugements
Jai choisi rouge, cétait un concours de circonstance. A lannée
prochaine pour la fête de lhuma .
(21/09/2005)
Jai déjà évoqué mon désintérêt croissant pour la télévision.
Désintérêt qui apparemment fait tache dhuile, le petit écran restant de plus en
plus souvent éteint même pour mes enfants qui pourtant sont un des publics chouchoutés
par ce média. Tout juste marrive til de chopper au hasard dun matin
quelques minutes dinfos en buvant un bol de café et cest à peu près tout.
La question autrefois récurrente de collègues ou damis : quas tu
regardé à la télé hier soir ? tend à disparaître, et si par hasard elle mest
posée, il mest pour la plupart du temps impossible de me souvenir de quand date la
dernière soirée télévisuelle. Certains prennent mon désengagement comme de
lindifférence à légard du monde qui mentoure
Comment leur
expliquer que de toute façon, on est toujours mis au courant des évènements dune
manière où dune autre, articles sur le web, infos de lautoradio
aléatoirement glanés, non, le monde arrive de toute façon jusquà vous et
cest tant mieux sil y arrive de la façon la plus hasardeuse possible, cela
dissout les gesticulations médiatiques, les manipulations politiques, économiques ou
autres quun suivi régulier ne manque pas de vous faire tomber dans le panneau.
Manipulations politiques, non le mot nest pas trop fort. Ayant été invité à
déjeuner chez un proche parent, plutôt accroc au petit écran, de telle sorte
quelle aliène le repas dans un brouhaha fatigant et insipide, de telle sorte
quil soit quasi impossible de parler dautre chose quà travers ce qui
est présenté à la télé, jai donc subi un de ces jeux télévisuels du temps de
midi, chargé en principe de divertir le pèlerin et lui faire oublier les difficultés de
sa vie plus où moins lointaine ou quotidienne et largement relayée dans le journal
télévisé qui suit. Il y avait une question où le candidat devait donner la (bonne)
réponse parmi quatre choix proposés. Question : Combien y a til de logements
inoccupés à Paris ? Propositions : 5000, 10000, 15000 ou 20000. La réponse à
donner est débattue avec les proches du candidat, le public et lanimateur toujours
joyeux aime à apporter un peu de suspense
Généralement, le candidat hésite entre
une des deux propositions médianes hésitant à faire jouer les extrêmes. Mais là, la
bonne réponse était de 20000 (un peu plus je crois me souvenir), ce qui ne manqua pas,
bien évidemment, de provoquer une exclamation de mon proche parent : tu te rends compte,
20000 logements libres à Paris ! La réponse la plus forte des quatre propositions
effectivement incite à cette réaction. Si celle-ci avait été la plus petite des
quatre, la réaction aurait été moindre, chacun aurait effectivement comparé le chiffre
de 20000 bien plus petit que les 25000, 30000 ou 35000 qui auraient pu être proposés.
Bien entendu, ce nest pas la réaction détonnement qui me préoccupe mais les
associations didées qui suivent et que ce proche parent na pas manqué
dénoncer, notamment loccupation illégale de ces logements par des africains
(cest ce quil fallait retenir de lactualité du moment
*),
doù amplification de la peur par ignorance, du racisme le plus primaire, brefs tous
ces moteurs principaux de lactualité qui font quon y revient à chaque
journal télévisé (qui suit ce jeu, je le répète, après les inévitables spots
publicitaires ) pour savoir la suite des malheurs qui nous guettent
Et toute cette
manipulation sest réalisée sans presque sen rendre compte, en regardant la
fin de ce divertissement joyeux où tous, participants et public sapplaudissent sur
fond de confettis.
Pour une fois que je regarde la télévision à cette heure de grande écoute, je ne peux
mempêcher de penser que cette utilisation malsaine doit se répéter constamment.
Cest effrayant, de même que je constate avec tristesse les ravages dans les
pensées de ce même proche parent (qui dailleurs fustige souvent mon indifférence
à légard de cette fabrique de vérité quest la télévision) :
durcissement des opinions politiques, obsession de la sécurité, racisme de
linquiétude éternellement alimentée. Tout cela doit bien profiter à
quelquun, à une institution désireuse de ses prérogatives de plus en plus
musclées, voire à une prise de pouvoir future, non ? Souvenez-vous en le moment
venu...
* à lire, sur le site officiel du Ministère de l'intérieur, le
discours aux prefets du 09/09/2005, notamment les paragraphes concernant
l'immigration...
(14/09/2005)
Comme je lai écrit la semaine dernière, jai reçu pour mon anniversaire les
deux tomes des uvres complètes de Julien Gracq dans la collection Pléiade. Ces
livres de qualité sont un régal pour tous les sens : au regard, dans leur finition
rehaussée dor sur la tranche, dans leur étui de carton blanc, dans la lecture des
fameux caractères soignés, à certaines lettres en arabesques exotiques ; au
toucher, à les sortir de leurs boîtes, à feuilleter leur fin papier, à la douceur de
soie des marques pages que lon insère à la lecture en suspens ; à
louie, tant le froissement infime des pages que lon tourne une à une est
souple et agréable à loreille, tant le chuchotement de celles égrenées à la
recherche dun passage est une dimpatience joyeuse ; au gouter presque,
car la finesse des feuilles rend souvent nécessaire la langue sur le bout du doigt !
Et bien sûr, reste le parfum et ce petit choc qui mémeut chaque fois quand je
retire le volume de son étui de carton, que jouvre le livre souple et que
séchappe devant mon nez volontairement avancé (et souvent maintenant dune
façon inconsciente et automatique), reste le parfum donc, toujours renouvelé, même dans
les volumes déjà anciens, une odeur neuve de colle et de papier qui me tire à chaque
fois une inspiration de plaisir.
Au risque dimiter Proust devant sa madeleine et sa tasse de thé, cest mille
souvenirs qui surgissent, mille émotions dont le point commun me semble être issu de
lenfance, une sorte de bien être, une sécurité, une attente inéluctable. Cette
suspension mévoque immédiatement lautomne, et précisément cette époque de
rentrée. Est-ce lassociation aux parfums également aimés ceux du cuir
dun cartable neuf, ceux des mines de graphite des crayons -, cette odeur devient une
évidence, une promesse de découverte comme bien souvent est cette impatience contente à
démarrer une nouveauté, que ce soit une nouvelle classe ou simplement un changement de
saison plus serein. Contrairement à cette période éphémère et que les pluies
doctobre, un ciel bas et les lumières allumées dès quatre heures viennent
irrémédiablement corroder, il me suffit de sortir à nimporte quelle époque, en
hiver où en été sur un banc cerné doliviers dans la chaleur de la Sicile
- un volume Pléiade de son étui pour que ce parfum de sous bois vienne dune façon
neuve marracher un soupir.
Pour me faire plaisir, mon père ma donné son volume Pléiade de Tolstoï, Guerre
et paix. Nous lui avions offert quand nous étions enfants, cest resté pour moi
le symbole de son intégration dans ce pays qui lui fut au départ étranger. Je lai
accepté avec émotion pour cela et comme le signe quil me passe à nouveau le
témoin de ce quil fut, de ce qui compte maintenant pour lui. Le livre est
usé : il ma avoué avoir eu du mal à bien le lire dans sa langue neuve. Je
louvre inévitablement en replaçant dans le même rayon mes volumes de Gracq ou
Faulkner, cest devenu un rite et je respire bien entendu lodeur disparue,
évaporée comme un aboutissement de bonheur.
(31/08/2005)
"La rame arrive. Peau dun visage appuyée sur la vitre,
corps coincés, souvenir dune valse lente, impossible.
La micheline sarrête à Blesme-Haussignemont, autant dire en rase campagne. Blesme
et Haussignemont sont deux villages minuscules, la gare est à mi-chemin de chacun comme
lenjeu dune gare de TGV construite entre deux villes importantes et qui ne
cèdent pas dun pouce sur lorgueil dêtre une ville qui compte.
Merde, poussez pas, dit une dame, qui elle-même devait bousculer les autres à une
station précédente.
Micheline est un prénom qui va bien : deux wagons renflés à vieille robe rouge et
jaune, comme une ménagère à qui on ne la fait pas.
Ceux restés sur le quai, faute de navoir pu monter, aident les portes à se
refermer, poussent ici un sac, rentrent là un parapluie.
Le contrôleur joue également au chef de gare, il descend sur le quai, si lon
peut appeler ainsi la petite surélévation de goudron trouée dherbes folles.
Les portes se referment dans un essoufflement pneumatique, la rame repart. On se
rapproche un peu plus du bord en espérant que la prochaine fournée sera la bonne.
Il regarde à droite et à gauche la venue dun improbable voyageur. Des oiseaux
chantent. Il sort aussi son sifflet, remonte : il faut mettre les formes
réglementaires de la SNCF, même dans la plus petite gare.
Enfin, on monte, poussé, aspiré, on ne sait plus, on se retrouve coincé dans la
forêt des corps, le bras se faufile pour attraper un appui.
La micheline repart, rechigne à avancer, veut rester encore un peu dans le petit coin
tranquille. Quelque part, à Blesme ou Haussignemont, une vieille femme entend le
grincement du petit convoi qui sébranle et regarde lheure par habitude sur un
carillon mural.
On entend des réflexions sur le droit de grève, toujours les mêmes mots, passagers
en otages, avantages des fonctionnaires. Serrés comme des sardines, on ne peut même plus
se regarder le nombril.
Centimètre par centimètre, on passe devant la salle dattente semblable à un
arrêt de bus ou un abri pour vélo : armature métallique rouillée, toit en plastique
ondulé, vitres fendues.
Ejecté sur le quai, on respire enfin, chercher la correspondance. Haut-parleur :
par suite dun mouvement social le trafic est perturbé sur lensemble des
lignes
On pourrait recycler labri en serre, casser le béton du sol, y planter des
courgettes, qui trouverait à redire ?
Ligne 12, métro toutes les vingt minutes, ça se gâte
Il faut réfléchir,
voyons : de Montparnasse à Corentin Celton, un quart dheure, plus
lattente et comparé au trajet à pied, simple mais long, descendre la grande rue de
Vaugirard jusquà la Porte de Versailles
Dans les herbes folles poussées sur le quai, il y a une petite troupe de coquelicots,
même variété fragile que celui cueilli un jour en attendant un train à
Vitry-le-François :
" sais-tu que jai trouvé un jour un coquelicot :
il est dans "Histoire" de Claude Simon,
comme un marque page séché maintenant "
Cest une note décriture du 27/11/2002. On pense aussi à " Paysage
fer " de François Bon.
La rame arrive enfin. Il faut jouer à nouveau des coudes, mais enfin, on arrivera
bientôt au terme du voyage. Et le soir, même galère pour repartir sans doute
Cest le soir, quelques secousses encore, la micheline accélère poussivement.
Les petites robes rouges des coquelicots séloignent, Blesme-Haussignemont retourne
à sa torpeur. Dans des bureaux, on prépare le journal télévisé : au menu,
grèves, galères du métro pour une vieille femme sous le regard dun carillon."
C'est une une note d'étonnements, du 21/05/2003, que je retrouve et publie à nouveau.
J'avais oublié la galère de cette journée de grève des transports, j'avais oublié
jusqu'à ce récit croisé, contraste entre Paris, complexe, compliqué et remuant à une
extrémité des rails et la petite gare de Blesme-Haussignemont, presqu'à l'autre
extrémité pour moi, paisible, endormie, justement vouée à l'oubli : j'avais oublié...
Et c'est Julien Gracq, dans un tome de la Pléiade qui lui est consacré, que j'ai reçu
pour mon anniversaire et que je lis dans la chaleur de la Sicile, qui me la rappelle à
travers Lettrines !
" Pour une duchesse de Balzac : j'ai trouvé très beau, et plein d'un parfum
de noblesse viride et de forêt, ce nom cueilli au vol, de l'express de Metz, sur une gare
banale de la Marne : Blesme Haussignemont."
Je me souviens avoir été étonné de m'apercevoir que François Bon l'évoquait dans Paysage
fer : ainsi d'autres posaient pareillement leur regard sur cet endroit si minuscule
qui possède le charme suranné des lieux perdus, abandonnés, échappés du monde,
laissés pour compte... Et ainsi avec Julien Gracq nous étions maintenant trois à avoir
tenter de garder une trace de ce coin infime, chacun venant de son côté, paysages de
Loire ou de Marne, chacun en des temps différents, chacun avec sa vie, sans se
connaître. Avec comme seul point commun l'écriture, et cette seule explication diminue
sans aucun doute la part du hasard à avoir voulu chacun garder trace et mémoire de cette
géographie désuète : combien le nom de Blesme-Haussignemont qui signe ici l'endroit sur
une vieille pancarte, donne force de résistance à ces quelques maigres bosquets, vieux
bâtiments, tellement anonymes à d'autres places. C'est croire à la force du langage qui
fait nous rejoindre.
"...la gare aperçue avec l'inscription Blesme Haussignemont où l'on ne s'arrête
pas...",
extrait de Paysage fer, confirme encore ce besoin essentiel, vital de nommer. Mais
une autre surprise, une autre jonction (j'allais dire un autre aiguillage) viendra aussi
quelques pages plus loin quand François Bon évoque :
"Et qu'en littérature c'est ce sentiment aussi qu'on sait reconnaître et que si
souvent on cherche pour lui-même, loin des oeuvres de fiction, dans ces oeuvres plus
immobiles qui paraissent, à toute époque, des promenades dans cette épaisseur de choses
reconstruites (Nuits d'octobre de Nerval) et comment les images s'y assemblent, la liste
des lieux singuliers où passe Julien Gracq...".
Fraternité des écritures !
Un marque page était resté dans mon exemplaire de Paysage Fer : c'est un billet
de train, Paris Est - St Dizier, à composter avant l'accès au train et
utilisable du 24/01 au 24/03/2000. Et il est indiqué, comme un passage
incontournable, cette incroyable et unique escale alors que l'Express traverse tant de
gares, La Ferté sous Jouarre, Epernay ou Châlons : via Blesme Hauss...
(24/08/2005)
Je nai jamais vu YS quà Paris. Dans la ville de tous les possibles, ce
sont des moments agréables où lon peut sasseoir de préférence à une
terrasse au soleil de printemps, discuter avec sérieux autour dune salade et
dune eau pétillante mais aussi plaisanter avec la gaieté et la vivacité de YS.
Justement, en évoquant nos vacances prochaines, nous nous apercevons que nous serons à
Naples au même moment
et la perspective de se rencontrer dans nos cercles familiaux
et dans une autre ville, de surcroît en vacances, devient une éventualité étonnante !
Nous nous retrouvons donc dans un village de pécheur qui jouxte la mégapole et, après
létape de 1500 km avalée dans la journée, cest presque sans fatigue et avec
un dépaysement complet que je me laisse véhiculer par le flot des scooters, voitures,
klaxons dans le désordre incroyable des nuits napolitaines, encore chaudes du soleil de
la journée. YS et sa petite famille, débarquée de la veille, est aussi dans la surprise
de ses premiers jours de vacances.
Nous voilà devant un restaurant typique bâti en surplomb sur les rochers de la digue
avec la baie de Naples et ses lumières comme paysage. Plus attentifs à discuter
quà choisir la gastronomie locale, nous nous laissons apporter un assortiment
dantipasti locaux, forcement à base des produits de la mer avec toutefois,
détranges pousses de soja relevées au vinaigre
que le mari de YS, avec un
entrain et un amusement non dissimulé, trouve bien singulières avec la présence de deux
points noirs comme des yeux à une extrémité. Exclamations ! Ce sont des alevins de
poissons, ou plutôt des larves blêmes à la ressemblance de vers blancs ou
dascaris
Passé lécurement que procure pareille ressemblance,
nous continuons tous à manger ces assortiments, fameux par ailleurs, avec lesprit
de savouer que sils sont présentés ici, cest quils sont
comestibles, et de se remémorer chacun les plats extraordinaires que nous avons goûtés.
Plus tard lambiance de voyage emportera nos conversations sur Chicago ou même
Bobigny, délices dune soirée napolitaine bien agréable, nous qui commencions tous
nos vacances, dans lexcitation de la rupture avec nos habitudes et nos retrouvailles
bien venues avec la chaleur.
Mais cest sans doute lexpression avaler des couleuvres qui pourrait mieux
convenir dans lacceptation de ces alevins peu ragoûtants au départ qui vient tout
naturellement à lesprit. Et de se rendre compte combien cette maxime peut
comporter, comment dire, de volonté au sens de hardiesse, décision pour celui qui la
prend à son compte. On a souvent lhabitude de prendre cette phrase dans son sens de
soumission : il me fait avaler des couleuvres, je suis donc victime pourrait-on
entendre. Mais pour avoir vécu ici ce retournement soudain ou plutôt par une subtile
association de sêtre fait avoir par ce que lon pensait être du soja, et, en
même temps, de réaliser que finalement le plat avait plutôt bon goût, nous décidons
justement davaler ces couleuvres et dinverser non pas le sens de la maxime,
mais plutôt den réaliser tout son sens volontaire.
(17/08/2005)
Ni en Etonnements,
ni en Notes décriture,
ni en Notes de lecture,
ni en Webcam,
un texte à suivre dans ses imperfections, en élaboration chaque semaine pour une durée
indéterminée,
dans l'instant brut de l'émotion : Langres s'use
(18/05/2005)
Longtemps, jai vu Marcelle Bazar... Marcelle Bazar, que je ne connais pas, ce
sont deux mots gravés sur un caveau dans un cimetière familial. Pour les lire, il faut
dabord aller honorer ces grands-parents connus trop tard et à présent réunis
juste à lentrée, derrière la grille et en face la petite fontaine qui sert à
arroser les morts, commencer à gravir la légère inclinaison qui mène à dautres
tombes de proches dont lapproche un peu lente et triste marque laffection
portée à ces trop tôt disparus. Marcelle Bazar apparaît à mi-pente : prénom et
nom gravés suivis en dessous de deux dates 1903 19. Date tronquée qui, à chaque
venue éveille la curiosité.
Au milieu des années 80, époque à laquelle les douloureuses visites ont commencé, le
19 suivi de rien, laissait entendre que Marcelle Bazar, en femme prévoyante, avait déjà
préparé son dernier voyage jusque dans les détails les plus précis. Comme seule
incertitude, une ou plusieurs dizaines dannées, cest bien suffisant pour
laisser le loisir ou la latitude à Dieu de vous rappeler auprès de lui... Et puis, les
années passant, l'absence d'inscription des deux derniers chiffres liés à un rapide
calcul sur lâge canonique de Marcelle, laissa le doute dans les esprits. Peut-être
était-elle déjà enterrée depuis des lustres, une sorte de malchance ayant empêché de
se souvenir de la date de son dernier voyage. Ainsi, place à limagination : la
mairie et les registres de lEtat Civil brûlés dans un incendie ; Marcelle Bazar,
décédée et retrouvée des années plus tard quasi momifiée dans sa maison ; Marcelle,
exploratrice à la recherche des sources du Nil, morte dune fièvre équatoriale
sans quaucun indigène ne puisse témoigner de la date précise
La légende de
Marcelle Bazar suivait tranquillement son cours dans la mélancolie des deux ou trois
tombes familiales visitées de temps en temps et toujours dans le même ordre...
Or, quelle ne fut pas ma surprise lors de la dernière visite de mapercevoir que
linscription avait changé : Marcelle Bazar, 1903 2004
Ainsi, la
légende trouvait sa lumière, son explication ! Marcelle était devenue centenaire,
une banale centenaire, avant de séclipser malicieusement et de faire effacer à
coup de burin linscription préparée
Mais qui avait eu lidée de tâter
le terrain de la future morte et de lui placer d'autorité un pied dans la tombe du
dernier millénaire? Elle-même ? Sa famille ? Peu importe... Il reste - pour
léternité, jallais dire - cet extraordinaire transformation d'un pied dans
la tombe en pied de nez au destin. Vive la facétie de la vie !
(04/05/2005)
Une errance inattendue mayant emmené au hasard des routes de la Seine et Marne,
jai eu la bonne idée daller rendre visite à Beckett dans sa maison
dUssy-sur-Marne. Petite maison insignifiante dont javais gardé le souvenir
sur une des photos de la biographie très complète de James Knowlson (Note de lecture du
27/08/2003). Je lai cherché en vain en arpentant les rues de la bourgade assez
petite et simple, tout en me disant que depuis les années cinquante dans laquelle elle
avait été construite, lenvironnement volontairement isolé quavait désiré
Beckett avait certainement dû changer. Je ne trouvais rien de ressemblant, grosses
demeures arrogantes ou maisonnettes dont les balançoires et nains de jardin laissaient
peu despoir, jusquà ce que jaborde par chance le facteur qui faisait sa
tournée et qui me renseigna illico. Oui, la maison existait toujours, il y avait même
une plaque à la mémoire de lécrivain. Oui, elle était toujours isolée car
située à la périphérie du village. Je me suis rendu à lendroit prévu et
jai eu la chance de rencontrer N qui lavait connu. La maison est à nouveau
habitée, toujours par les mêmes propriétaires auxquels Beckett lavait vendue de
son vivant. Elle sest agrandie, elle vit, ce nest pas un musée et cest
tant mieux. Je raconterai cette visite en détail dans un article plus complet
ultérieurement, je voulais juste marquer cette note détonnement, dater en quelque
sorte cette rencontre avec un lieu simple et sans fioriture, bien dans limage de
lécrivain et dans lequel " linnommable " ou
" les beaux jours " ont été écrits.
Marquer la couleur de cette journée, donc : vent frais, discussion avec N sur la
route déserte devant la maison. Les Monts Moyens, si souvent peints par le peintre
Hayden, ami de Beckett, (voir note de lecture du 26/03/2003), la fenêtre du bureau de la
petite maison dUssy, lombre de Beckett proche à la toucher : ceci est
mal vu, mal dit, innommable sans doute, cest pourtant vraiment cette sensation
davoir été accompagné dans ma fuite dun jour, dêtre rentré, comment
dire, physiquement presque, dans lenveloppe de ses mots et toucher leur désespoir
en même temps que le mien.
(13/04/2004)
Dans lexcellent " Paysage ouvrier " (Notes de lecture du
27/10/2004), fruit de deux ans de travail sur ce thème avec lassociation
Entre-tenir à Saint-Dizier, il y a un texte superbe de Jean-Pierre Roussel intitulé
" Comme un ouvrier ou linfini mourir de Pablo Neruda ". Ces
pages évoquent lautomne de 1973 " où mûrit le fruit, pour la première
fois produit fragile, surveillé, convoité comme une pomme dor, que la gauche
française a baptisé lannée davant Programme Commun de
Gouvernement " mais cest aussi " à Santiago du Chili, depuis
dix jours et déjà dix nuits, lUnité Populaire et le gouvernement de Salvatore
Allende, au printemps venant de leur mort agonisent
". Cest loin de
nous, terriblement loin, ajoute Jean-Pierre Roussel. Cependant, pour lui et ses camarades
qui nhésitent pas à sengager (Les autres parlaient des travailleurs. Le
parti cétait celui des ouvriers, nuance !), on comprend tout à fait
limportance qua pu revêtir la poésie suivie, espérée dun Pablo
Neruda, depuis 1936 et son cri sur Federico Garcia Lorca : face à vous jai vu
le sang de lEspagne se lever
Car cest bien la force du poète
daccompagner la vie et lespoir et quelle se fonde dans les idéaux de
tout un chacun (Et ma voix porte aux orées de toutes terres parce quelle est la
voix de tous ceux qui nont pas parlé), dans la vie même, ses amours et ses
rencontres (tes hanches furent toute la lune pour moi, le soleil, les plaisirs de ta
bouche profonde). Ainsi rend compte Jean-Pierre Roussel de ce compagnonnage, avant que le
poète, lui-même compagnon dAllende, expire quelques jours après le coup
détat. Dernière indignation encore : le saccage de sa maison par les
militaires. Reste, comme dit lauteur, des rues qui portent son nom. Reste sa poésie
dans les mémoires : un oiseau revêtu de lenteur et de pluie.
(30/03/2003)
Neige, neige. Chaque jour un peu de neige, pas grand chose, parfois à peine un
centimètre qui vient recouvrir le blanc déjà accumulé. Arbres saupoudrés du matin,
des grues cendrées à la lisière dun bois au crépuscule, un sanglier en pleine
journée qui traverse à découvert deux champs plus la route devant moi, puissance des
muscles, échine drue. Quelques bonheurs neigeux encore, chants doiseaux joyeux,
printemps dans de silence douate. Mon chat qui saute comme un cabri dans
létendue immaculée. Un lion apathique regarde les flocons tomber au-delà des
barreaux de sa cage : un cirque sest installé en ville. Des perce-neige
perçant vraiment la neige. La route du bois de Crogny, talus, routes, chemin de
débardages, fûts, rondins couchés recouverts, arbres alourdis : lointain souvenir de
paysages semblables dans les forêts germaniques du Hartz. Et le crissement des skis un
dimanche, nos souffles évadés dans le jour déclinant. Au dessus des sapins, le ciel
encore clair comme une promesse : attendons les beaux jours...
(09/03/2005)
En 2003, les éditions Flohic ont mis la clé sous la porte. Peu dentre-nous se
sont ému du drame que représente la disparition dun éditeur en France, coincés
que nous étions dans les préoccupations dune canicule dévastatrice et le bruit
des bottes en Irak (voir note dEtonnements du 10/09/2003). Aujourdhui, qui se
réjouira de la naissance dune maison dédition ? Quelques-uns, les
mêmes sans doute qui étaient désolés deux ans auparavant. Cet évènement na
til quune portée familiale ? Catherine Flohic a le plaisir de vous
annoncer la naissance dArgol, maison dédition, la maman et le bébé se
portent bien
Et bien non, cest le genre dévènement quil faudrait crier sur les
toits, celui dont nous avons besoin entre la froideur de lhiver, la tiédeur les
tergiversations médiatiques, constitution européenne, Marseillaise chantée ou pas
Il faudrait investir le JT de JP Pernaud pour annoncer cette naissance. Oui, cela fera
quelques livres en plus, quelques lecteurs de plus, des évasions, bref, tout le contraire
des autodafés que le pouvoir et léconomie favorisent.
Les éditions Flohic avaient une très belle collection, dont la production et les livres
sont devenus, par la force des choses, pièces de collection ; gageons qu'Argol sera
synonyme de cette qualité et singularité.
Laissons le dernier mot à Julien Gracq : bonne chance, de tout cur, à une
maison dédition à laquelle toute ma bienvenue est acquise
(02/03/2005)
En 1793, lîle Bourbon devient La Réunion, terme mystique du jargon
révolutionnaire. Mot douverture plutôt que cercle cerné par locéan ou les
idées, il est toujours étonnant de constater létonnante symétrie entre les
mondes créoles des Antilles et ceux de la Réunion ou de lîle Maurice : à
partir de Pointe à Pitre ou de Fort de France, traversez la terre en passant peu ou prou
par le centre à la manière de Jules Verne (dont on fête le centenaire cette année),
vous devriez déboucher de lautre côté sur un trottoir de Saint Denis.
Diamétralement opposés par la géographie, mais "réunis " au point de se
ressembler comme des surs jumelles, les lieux portent les mêmes noms, la faune, la
flore et le climat sont identiques même si dans la géographie un paysage de ravines
remplace les mornes guadeloupéens, la montagne et sa foret tropicale difficilement
pénétrable a concentré villes et routes (et donc embouteillages) sur la côte.
Linévitable instinct grégaire a adapté religions, traditions, métissages et
garde pareillement traces de lesclavage. Bref, aux vieux rêves, à la science
fiction des mondes et planètes symétriques répondent ces mondes créoles. Restent de
discrètes différences : des fruits typiques, les étonnants et jolis pitayas du
cactus, les longanis qui rappellent les litchis.
Sans oublier la pluie de saison, abondante, qui nous a accompagnés sans parvenir à nous
décourager.
Sans oublier le volcan qui se réveilla le jour de notre départ, gesticulant de sa lave
en guise dau revoir.
Voir aussi en Webcam, quelques photos...
(23/02/2005)
A linitiative de Vincent Petitjean, professeur de lettres à Langres, je suis
revenu dans le lycée de ma jeunesse. Et létrangeté de retrouver des lieux trente
ans après (les mêmes tables dans les salles de classes !), le stade et juste
derrière la station météo qui indique chaque jour aux actualités les températures les
plus froides de France. La fine couche de neige qui recouvre le lycée ajoute à ses
sensations. Souvenirs aussi qui reviennent comme celui davoir eu l'habitude
d'escalader le balcon de lappartement où nous habitions - au
rez-de-chaussée, heureusement - juste en face du bahut, HLM les Glycines, alors que
jentendais la sonnerie qui marquait le début des cours
Et là, se retrouver
parmi les élèves, deux classes sympathiques, reçu comme un visiteur de marque par toute
léquipe de direction alors que mon sentiment dêtre un élève renaissait
intact en parcourant les couloirs. Merci, merci donc à tous de mavoir permis de me
replonger dans cette ambiance, ce nest pas donné à tout le monde. Un seul regret
cependant, navoir pas eu le temps de saluer danciens professeurs, mais
dautres retours sont prévus
(02/02/2005)
-
- Homo habitus, cest ce qui me vient en tête en ce moment, partagé entre désir,
volonté et nécessité de bousculer mes habitudes et ma vie. Habitude et habitus, le
premier, selon la définition du Petit Larousse précise la disposition requise par des
actes répétés, insiste sur la manière de vivre, propose comme exemple avoir de bonnes
habitudes, indique lorigine latine, habitudo, lextérieur, la manière
dêtre, lattitude. Bien entendu, habito en est proche, dans ses sens
d"avoir habituellement", de "porter dordinaire" ou
simplement d'habiter. Habitus aussi dans ses sens dêtre (bien) portant, être dans
telle disposition physique, lextérieur, le dehors, mot relayé également par sa
signification médicale ou lhabitus est laspect du corps en rapport avec
létat de santé.
Quon induise un changement dhabitude donc, et tous ces sens sont en quelque
sorte bousculés, le lien que lon pressent entre soi et les autres, son intérieur
et lextérieur est différent. Le jugement " bonnes ou mauvaises
habitudes " sefface, habitudes simplement autres. Pierre Bourdieu propose
une autre définition de lhabitus, " une sorte d'hypothèse pratique
fondée sur l'expérience passée, une sorte de programme (au sens informatique)
historiquement monté, un principe non choisi de tant de choix, une intériorisation de
l'extériorité ". Jai eu recemment une longue discussion qui a abouti sur
lêtre et le paraître, notions proches de lhabitus, habitude. Et cette
impression que si lon se situe du côté de lêtre, cela relève, comment
dire, de lhonneur dexister. Le mot honneur nest pas trop fort relié à
lacte social, lextérieur, le regard : être, plutôt que paraître,
cest ce qui pourrait sauver, semble t-il, du déshonneur de vivre en commun,
ensemble, intériorisation de lextériorité, comme dit Bourdieu. Ou exposé, comme
est la raison dêtre de ces Feuilles de route.
(19/01/2005)
-
Horoscopes 2005 : il est difficile d'y échapper en cette période. Celui qui me
concerne et que j'ai lu me renvoie l'image d'une année à venir déroutante. Ceci dit,
est-ce mon propre désir d'un futur déroutant que je retiens entre les lignes ? Puisé au
hasard : "Puisque rien n'avance selon vos souhaits, vous déciderez de vous
occuper de ce qui vous plait en cessant d'angoisser sur les échéances. En mars,
certaines personnes du second et troisième décan investiront du temps dans une double
activité. L'utile et l'agréable se rejoindront." Ainsi selon ses aspirations,
on retiendra les mots "rien n'avance", en extrapolant, année difficile donc, ou
"l'utile et l'agréable se rejoindront", pour ceux qui recherchent une année
paisible... Cette projection de nos envies rejoint l'éternel et universel débat
fiction/réalité, ses modes futur/passé/présent, nous sommes très proches du roman de
nos vies individuelles, littérature encore et toujours. Et comme toujours, l'addition de
l'universel et de l'individuel est égal au commerce, donc, le marché des horoscopes est
florissant, il suffit de parcourir Internet pour se convaincre des sollicitations directes
et parfois très onéreuses de ceux qui proposent de telles divinations.
Horoscopes, divinations, superstitions. Cela me rappelle que j'avais participé à une
enquête du magazine Lire sur les "rituels et de manies (des auteurs) censés
favoriser l'inspiration et la chance". Jeu du chat et de la souris (d'ordinateur)
avec soi-même, il faut écrire quand même. Finalement, j'ai tendance à être très
superstitieux, tout en sachant que cette attitude qui échappe à la rationalité n'est
qu'un leurre. Je me soigne, donc, Régis Jauffret, dans la même enquête me persuade que
la superstition n'est qu'un "dieu minable qui n'a jamais aidé personne". C'est
vrai. Et y croire porte sans doute malheur.
(03/01/2005)
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