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IDRIMB1-2.JPG (7800 octets)

Autour d'Ils désertent

Comme à chacune de mes publications, voici comment s'est élaboré le livre, quels en ont été les signes avant-coureurs et que je n'ai pas manqué de relater dans Feuilles de route.
Si Rimbaud est l'un des fils conducteurs de mon inspiration (et depuis longtemps, voir, ici, , encore ici, aussi et céans ...), Ils désertent a été rédigé entre juillet et novembre 2011. Décors, personnages et papiers peints sont des créations originales. Les costumes sont de la boutique Au travailleur, à Charleville-Mézières. La musique est de Cordas do sol, de l'île Santo Antao, Cap-vert (on conseille vivement l'album Terra de sodade pour accompagner la lecture).

Génèse d'Ils désertent

-    Le texte qui taraude

-    Bon qu'à ça

-    Irrévocabilité du roman

-    En vacances

-    Recommencer

-    Quinze pages par semaine

-    Ce texte qui travaille

-    Trois-quarts de bouquin

-    Terminer

-    Bonne nouvelle

Préparation de l'édition, questions et argumentaires

-    Ils désertent : ça se précise

-    La question du kitsch  
(le décor est une interrogation permanente d'Ils désertent)

-    La question du vous   et  La question du tu
(le principe de tutoyer et de vouvoyer les deux personnages principaux d'Ils désertent n'est pas nouveau : Butor, Apollinaire, Perec, Pavese...)

-    Rencontres avant parution

-    Le choix de l'épigraphe

 

 

 

 

 

 

Génèse d'Ils désertent :

Le texte qui taraude (Notes d'écriture du 13/07/2011)
C’est juste une journée, mais une vraie journée sans rien, qui commence un matin et qui se termine le soir, avec, entre les deux, de longues heures d’écriture, comme une libération, un apaisement, la délivrance de ce qui c’était accumulé dans les espaces impossibles du travail, sur les trajets d’autoroutes, dans les occupations familiales et domestiques, toute cette bousculade finalement solitaire où l’esprit échafaude de vagues pensées, des intentions d’écritures, des projets incertains remis à plus tard, tout un côté qui paraît alors tellement inopportun, inconcevable dans cette vie faite de mille contraintes professionnelles, personnelles à un tel point que m’apparaît parfois comme une fable irréelle, une sorte de rêve que j’aurais eue, toute cette agitation de l’automne dernier lorsque RMS s’était retrouvé par hasard sur les listes du Goncourt. Bien sûr, il y a ces parenthèses, rencontres, salons, librairies médiathèques, invitations diverses où cette autre existence revient. Et même ces Feuilles de route, tenues le plus régulièrement possible afin de ne jamais oublier ce qui constitue finalement cette vraie raison d’être et qui disparaît parfois sous l’écume. Il y a eu aussi cette journée passée à Paris en juin, tellement tendue, un jour de congé posé exprès pour, et comment j’avais couru pour rencontrer tous ceux que je devais voir pour divers projets ou même sans motif, comme faire un signe à mon éditrice, simplement pour marquer ce temps sans écriture, discuter, discuter toujours, sentir le fourmillement, tout ce qui remue encore. Et vient cette journée, un vendredi d’apaisement et ses longues heures à aligner des mots. Reste à ce que tout cela prenne corps. Des idées oui, justement choisissons des noms de codes : ID pour ce texte qui me taraude depuis quelques mois et que j’ai démarré (est-ce que ça tiendra ?). Et N, apparu soudainement dans ce jour faste, seul point vraiment réel et fini puisqu’il a donné quelques jours plus tard une nouvelle que j’avais promis à une revue et dont je voyais l’échéance se profiler sans rien. Et JDV qu’il faudra peut-être finir aussi par la même occasion, ce serait le moment. Est-ce que tout cela pourra résister au-delà de l’engloutissement ? Car déjà la vie à repris ses vagues et ses marées, il faudra bien tenir la barre derrière le simple apaisement d’un jour.

Bon qu'à ça (Notes d'écriture du 20/07/2011)
Bon qu’à ça, avait maugréé le génial Beckett lorsqu’on lui avait demandé pourquoi il écrivait. Et c’est vrai que c’est un grand mystère que ces élans de plume ou de clavier, les raccourcis d’une pensée vers les doigts, l’abrégé d’un neurone dévolu à cette mécanique. Inspiration,   expiration. Expiation, pénitence et rédemption. Finalement c’est très compliqué cet aboutissement d’écriture, on comprend qu’il n’y ait pas d’explication rationnelle et quand bien même on la percevrait, ce serait comme un mirage, un soudain éclaircissement vite obscurci, une exhibition honteuse vite cachée. Dans la litanie des pourquoi et des comment, il y a le surgissement soudain, comme ce vendredi faste par exemple qui m’étonnait la semaine dernière dans cette même rubrique. Et comme ces textes lancés aux noms de code N et ID, et comment tout ça tient. Pas grand-chose finalement : une vingtaine pages format roman pour ID, moins de dix pour N, mais ce qui m’étonne bien plus, c’est comment ils se bâtissent l’un l’autre en parallèle. Que je sois capable d’aligner un paragraphe dans un des textes et l’instant d’après de continuer avec le même enthousiasme l’autre. Étrange dédoublement, drôle de schizophrénie (mais je n’en suis pas à une près…) et puis plus rien d’un seul coup pendant quelques jours ni sur un texte, ni sur l’autre, juste la sensation souterraine qu’ils continuent leur lent travail de stalactites à l’intérieur du crâne et l’espoir que la lumière du jour puisse encore se faire de temps à autre jusqu’à devenir plus régulière et pouvoir sentir le fourmillement du texte qui avance, puis dépasse la moitié et s’achemine vers la fin.

Irrévocabilité du roman (Notes d'écriture du 24/08/2011)
[...] quelle ne fut pas ma surprise en relisant ID, manuscrit en cours, d’y trouver un prénom qu’un personnage, certes secondaire, laisse échapper lors d’une répartie, et ceci sans qu’il m’est semblé que ce prénom ait fait l’objet de tractation dans mon inconscient, il est simplement apparu dans une réplique, et ceci, d’une manière définitive. Et c’est peut-être cette irrévocabilité qui me fascine dans le roman. Que j’ai ainsi choisi ce prénom, ou choisi, également dans ID, de faire habiter un des personnages principaux dans une ville de Bourgogne, me paraît un choix péremptoire, définitif qu’on ne pourrait remettre en question et même pas moi. C’est écrit, ça s’est fait, ça a été décidé ainsi par une force occulte, ça ne peut être remis en question. Et savoir que celui qui l’a décidé est doué de ce pouvoir – un dieu puissant qui me ressemblerait, logé dans ma tête mais qui ne serait pas moi – me fascine au plus haut point. C’est sans doute à travers ces choix définitifs que je ressens le plus le pouvoir d’invention, le pouvoir du romancier, l’extrapolation de ses propres rêves au-delà du cerveau.

En vacances (Étonnements du 24/08/2011)
2 août : [...] quelques pages sans doute de ID à gratter avant d’aller à la plage.
4 août : [...] cet après-midi ID (qui commence à me réveiller la nuit, excellent signe quand un roman – car c’en est un – quand il agit de la sorte).
9 août : [...] ID en marche, ça avance !
10 août : [...] Dans une heure nous descendrons à la plage pour goûter jusqu’au  derniers rayons du soleil. En attendant, j’écris cela et je vais vite tracer quelques lignes sur ID.
12 août : [...] En écriture ID toujours (déjà 70 pages)
16 août : [...] Côté écriture, ID avance, j’espère dépasser les 100 pages pour la fin du séjour qui se profile déjà.
17 août : [...] je pense que ce sera un peu juste pour dépasser les 100 pages de ID, il me reste trois jours ici et avec les quelques virées au village et ailleurs, le temps réservé à l’écriture s’amenuise. Hier pourtant bonne séance d’écriture, pas moins de huit pages. Le mot séance me fait rire : c’est ainsi que Léautaud désignait dans son Journal littéraire les occupations moins littéraires qu’il entretenait avec une femme.


Recommencer (Notes d'écriture du 31/08/2011)
[...] Reste qu’en ce moment j’écris, ce n’est jamais facile, toujours chancelant, et que seul cet objectif doit compter pour cet automne. Histoire peut-être de recommencer bientôt une rentrée, sait-on jamais ?

Quinze pages par semaine (Notes d'écriture du 07/09/2011)
Quinze par semaine, ce n’est pas une performance culinaire ou fantasmagorique, juste une résolution de rentrée : pour terminer le texte en cours, au nom de code ID, il faudrait que je puisse écrire l’équivalent-roman de quinze pages par semaine. L’équivalent-roman est une mesure qui me permet d’imaginer ce que représentent les caractères numériques et fuyants que j’aligne sur mon ordinateur en pages de vrai roman papier (compter en moyenne à peu près 1000 caractères (espaces compris) pour 1 page d’équivalent-roman). Donc, pour bien faire, c’est quinze mille signes que je dois aligner par semaine, soit trois mille par jour d’écriture, ça semble faisable, ça correspond généralement une séance d’écriture de une à deux heures. Au-delà, on devient improductif et en-deçà, la page d’écriture s’apparente à un simple paragraphe au goût de trop peu. Bref, au-delà, c’est être trop gourmand et digérer lourdement, en-deçà, c’est rester sur sa faim au risque de grignoter quelques phrases boulimiques et désordonnées. Ce programme de quinze pages par semaine devrait me permettre de boucler le premier jet (comme on dit) vers la mi-novembre. Allez ! Je me fixe la gageure de terminer pour le 11 novembre, on verra bien… Quinze par semaine, c’est aussi la régularité que j’essaie d’avoir à la course à pied, deux séances par semaines et quinze kilomètres, pour l’instant, déjà presque six cents kilomètres depuis le début de l’année : ça tient. Ces deux objectifs de quinze par semaine, pages ou kilomètres, ont bien des points commun d’ailleurs. Le souffle bien-sûr et bien des auteurs ont déjà fait le rapprochement, d’Haruki Murakami à Jean Echenoz, mais aussi cette imprévisibilité, ne jamais savoir comment ça va se passer, est-ce qu’on va traîner les pieds, courir comme un elfe, tapoter d’un doigt léger sur le clavier ou plus lourdement, façon rapport de police sur une antique machine à écrire. Écrire, comme la course à pied, c’est ne jamais savoir ce qu’il y a devant, ce que cache le virage, c’est y aller au jugé, un peu au pif, mais en revanche, si on s’arrête pour marcher un peu, pour reprendre son souffle, on refait rarement le chemin en arrière, c’est du passé déjà, du définitif, tout comme les choix et les options de l’écriture. Ce qui ne veut pas dire qu’on n’hésite pas, qu’on ne cherche pas à parfaire le chemin ou la course. Le plus plaisant, c’est de trouver après coup des explications à ce que l’on sentait confusément en soi, non pas une justification, non pas une glose, une paraphrase de la pensée, s’enferrer dans le piège de l’intention (qui bien souvent est un postulat a priori) mais trouver un éclaircissement, quelque chose qui fait avancer – allez, osons le mot ! – l’œuvre. C’est un état presque physique, d’ailleurs carrément corporel, organique et c’est sans doute cette sensation de réflexe qui m’attire à la fois dans la course et l’écriture. Quinze par jour : tenir bon !


Ce texte qui travaille (Notes d'écriture du 21/09/2011)
Quinze pages par semaine, quinze kilomètres de course, ai-je écrit il y a trois semaines. Ça tient à peu près, mieux pour la course que pour l’écriture, mais je me heurte à cette sensation, souvent maintes fois ressenties du trop plein de la vie qui fait que vous vous retrouvez dans ce retour rapide à la table d’écriture avec la page précédente juste terminée, sans avoir eu le temps de penser à une suite. S’ensuit parfois une sensation de décousu, de chapitres qui se suivent avec des choix définitifs, choses racontées auxquelles je ne saurais renoncer, simplement parce que c’est écrit et que je me fie à cet instinct qui m’empêche de tout reconsidérer. Et d’ailleurs pour quels bénéfices ? Qu’est-ce que la réécriture apporte ? C’est sans doute exagéré. J’ai borné de jalons cette écriture au long court et j’ai mûrement réfléchi aux options narratives, de style qui s’offraient à moi. Reste aussi au long des insomnies, ce texte qui travaille. Je dors très bien mais chaque réveil sera automatiquement occupé par le livre en préparation, c’est peut-être ma manière de ne pas l’oublier et de mettre à profit le moindre interstice de ma vie au service de ce qui est en cours. N’empêche que je retrouve au lendemain la page, non pas blanche, souvent précédée de ce qui a été écrit avant et que cela provoque, non pas un vertige, mais une attente que les mots qui vont suivre puissent s’insérer dans une vision globale qui se construit, un sens qui se révèle au fur et à mesure. Bien sûr, il y a des relectures, ce qui précède, des ajouts, des aboutissements déjà devinés, des enchaînements, des engrenages, tout une mécanique de plume Alors quinze pages par semaine, c’est vraiment être dans la hâte que ce qui s’écrive soit terminé, non pas pour se débarrasser d’une tâche fastidieuse mais au contraire pouvoir se glisser dans une vraie réflexion, comment ça s’intègre aux autres textes, à ce qui est déjà paru, bref, savoir un peu plus où j’en suis.


Trois-quarts de bouquin (Notes d'écriture du 18/10/2011)
Trois-quarts de bouquin, c’est à peu près la distance déjà effectuée pour le nouveau livre en cours. Nouveau livre d’ailleurs, l’appellation est prématurée. Je ne l’ai même pas encore présenté à mon éditrice, je n’ai aucune idée de ce que ça « vaut » (traduire : est-ce publiable ou non ?). En attendant le secret espoir de pouvoir envisager une parution pour l’année prochaine, je continue, à peu près dans les objectifs que je m’étais fixés : pouvoir terminer vers mi novembre. Trois-quarts de bouquin, donc, une distance que j’avais envisagée de faire avancer en même temps que ce qui me tient d’aplomb, quinze pages et quinze kilomètres par semaine avais-je annoncé dans cette même rubrique comme bonne résolution de rentrée. Force est de constater que les quinze pages sont parfois difficiles à tenir, j’accuse un déficit d’une dizaine de pages sur le programme prévu, ce qui n’est pas énorme, ceci dit. En revanche, côté course à pied, j’ai accompli quatre-vingts kilomètres de plus que prévu et l’entrainement pour le semi-marathon y est pour quelque chose, forcément. Même si cet équilibre est un peu différent, je demeure persuadé que ces activités sont intimement liées pour moi et pour l’instant, elles doivent avancer de concert.

Terminer (Notes d'écriture du 08/11/2011)
Terminer un livre est toujours un moment magique. Pour le texte en cours, je m’étais fixé une date depuis deux mois, disons plutôt une intention de fin aux alentours du 11 novembre. A force d’écriture, on sait comment le texte en cours avance, on en connaît les enjeux, les rythmes, on y ajoute les propres cadencements de la vie autour, boulot, famille et autres occupations. Sans compter qu’une écriture est toujours chancelante et mystérieuse : comment savoir dés les premières pages qu’on ira jusqu’au bout ? Et combien de pages ça va prendre ? Donc, dans cette même rubrique, il y a deux mois exactement, c’est 15 pages par semaine que j’avais imaginé pour terminer le machin au nom de code ID. Et ça a tenu ! J’ai même terminé avec un peu d’avance, ce samedi matin, avec la veille une longue séance d’écriture, comme on dit la dernière ligne droite - et c’est peut-être aussi pourquoi je m’étais suis fixé un objectif de courses à pied en parallèle. J’aurais ainsi mis exactement quatre mois moins deux jours pour écrire ID. Commencé le 7 juillet je l’aurai débuté chez moi avant de le solidifier pendant mes vacances en Sicile et c’est au retour que j’ai comptabilisé chaque vendredi l’avancement : si au 2 septembre, j’en étais à peu près à la moitié (120 pages, format roman), j’étais plutôt sur un rythme de 12 pages par semaine et je constatais ici même le 18 octobre un retard d’environ une semaine. Pas très grave, mais c’était sans compter l’aiguillon que provoque un tel constat. Bref, les deux semaines suivantes ont compté 40 pages et le machin s’est terminé ce samedi sur une longueur qui devrait avoisiner les 250 pages (à noter que pendant les quatre mêmes mois d’écriture, j’aurai couru exactement 387 km). C’est à la fois étrange et magique de sentir ce moment où le livre s’achève. Pourtant, rien de très romantique : les derniers mots du premier jet se sont écrits dans une impatience naturelle ce samedi matin, alors que, seul à la maison, je surveillais l’heure d’aller aux commissions et de ramener vite fait de quoi confectionner un gratin d’endives au jambon. Voilà donc à quoi pense un écrivain en terminant son livre... La suite ? Correcteur d’orthographe le lundi, impression papier (juste pour le confort d’une relecture plus pointilleuse) et corrections finales ce mardi. Envoi à l’éditeur par mail à 14h59. La suite ? C’est exactement là qu’on commence à avoir peur…


Bonne nouvelle (Notes d'écriture du 23/11/2011)
Il y a quinze jours, dans cette même rubrique, j’annonçais la remise d’un texte au nom de code ID et je terminais par l’inévitable peur qui vous taraude une fois le manuscrit remis. La peur ? Elle existe pour tous, je crois en de pareilles occasions, qui plus est pour qui, comme moi, manque de recul pour apprécier un texte : je ne fais jamais lire à quiconque, je ne fournis pas d’extraits, je balance à la fin la totalité de mon écriture au dessus de la piste aux étoiles sans le moindre filet. Ceci dit, mon numéro de trapéziste a duré quatre mois, c’est finalement pas grand-chose comme durée d’écriture. C’est sans compter l’inévitable gestation impalpable des mois précédents, les atermoiements, les fausses routes, les répétitions, la part de travail. Comme pour l’artiste de cirque qui doit inlassablement répéter son numéro pour rester dans cette comparaison de chapiteaux, il ne faut pas minimiser cette part d’ombre besogneuse. Pour autant, quatre mois d’écriture, c’est très rapide et ramassé : on demeure dans l’ignorance et dans l’incapacité de savoir « ce que ça vaut », est-ce que c’est publiable, de deviner le sort final du manuscrit : restera-t-il dans les tiroirs, se matérialisera-t-il en un nouveau livre ? La peur à la remise du texte se construit à travers cette ambiguïté, cette perplexité. Cette peur aura été de très courte durée. Nous avions convenu d’un rendez-vous à la fin de la semaine suivante. Et j’avais abordé sans trop vouloir y penser la petite dizaine de jours qui me séparait du rendez-vous éditorial et de la sentence finale. Heureusement, un week-end entre amis prévu depuis de longue date devait me distraire de cette attente. Le samedi donc, un peu avant midi alors que j’appréciais une promenade radieuse le long des canaux de Briare (temps et paysages magnifiques, joie de se retrouver tous), j’ai reçu sur mon portable le signal d’un SMS : le message provenait de qui devait lire ce fameux texte et les termes étaient suffisamment rassurants pour provoquer en moi une joie incommensurable au milieu de cette promenade. Le même message me fixait, sans attendre la fin de la semaine, un rendez-vous téléphonique pour le lundi suivant. Inutile de dire que la peur s’est instantanément évanouie. Mais paradoxalement, pas l’inconstance qui présidait à celle-ci : je demeurais incapable (je le suis encore) d’évaluer ce que j’avais fourni. Ainsi, le lundi, lors de la conversation qui prolongea de vive voix le SMS, je suis demeuré embarrassé par les quelques compliments qu’avait suscité le texte remis, je suis resté confus, désorienté, empoté et emprunté (c’est le mot, on m’avait emprunté comme une sorte d’objet qui ne m‘appartenait pas). En même temps je m’en voulais de ma gaucherie, j’avais l’impression de donner une piètre image de moi en tant qu’auteur à qui on attribuait quelque intérêt. Il n’y a aucune fausse modestie dans cette attitude, je crois qu’elle s’explique simplement par l’absence de toute réflexion entre le texte à peine terminé et sa remise. Le manque de recul, l’élaboration des phrases à peine terminées et qui dansaient encore en moi empêchaient encore tout discernement, toute compréhension. J’ai toujours constaté à chaque fois que j’ai terminé d’écrire un texte, une étrange amnésie, souvent brutale, un incontrôlable oubli envers le texte à peine terminé, comme si, en relâchant la pression d’écriture, j’abandonnais jusqu’au souvenir même du texte et de son intrigue. Je crois que celui-ci n’échappe pas à la même attitude et je sais que je retrouverai avec un plaisir immense la réalité du texte lorsqu’il s’agira de travailler les mots au corps à corps pour parfaire la publication. ID est prévu pour septembre 2012, le titre demeure incertain.


Préparation de l'édition, questions et argumentaires :

 

Ils désertent : ça se précise (Notes d'écriture du 14/03/2012)
Ils désertent : voilà, c’est le titre du nouveau livre à paraître en septembre. Ce que j’avais évoqué par initiales et nom de code ID dans cette même rubrique, la première fois c’était le 13/07/2011, le texte était commencé depuis une semaine, même si, sans doute, l’idée et la structure devait m’obséder depuis plus longtemps. Donc, Ils désertent et j’arrive. Il est temps de commencer à en parler. Neuvième livre en douze ans, septième chez Fayard et grand merci à cette noble maison dans laquelle je me sens très bien, à ma place, et combien c’est important, pour qui comme moi, pense que la littérature est un sport d’équipe. Ne pas raconter tout de suite l’histoire, faire languir un peu, si peu d’ailleurs puisque je serai à la disposition des libraires qui le souhaitent le lundi 19 mars, lors de la journée professionnelle du salon du livre de Paris et d’un public plus large les 20 et 21 mars, d’abord à Aulnay-sous-Bois, puis à Romainville dans le cadre du festival Hors Limites (et retenez aussi Anne Savelli le vendredi 23).  Donc, en guise d’introduction à ce roman, s’appesantir sur le titre Ils désertent, remarquer combien il est complet, sujet plus verbe, une phrase fermée, et en même temps, riche de sens et d’ouverture, une fuite, du mouvement, tels que seuls le roman peut permettre. Ils désertent et l’assonance avec le mythe de Robinson n’est pas feinte, tout est jeu de langage. Ils au pluriel, parce que la vie moderne jongle avec les autres, dans le frottement continu des rencontres et dans l’esprit grégaire qui est la marque de l’humain : donc Ils parce que deux personnages se croisent, des anonymes accompagnés de ceux qu’ils cachent dans leurs mythologies, Arthur Rimbaud et Hannah Arendt. J’en ai déjà trop dit. A suivre.

La question du kitsch (Notes d'écriture du 04/04/2012)
Le Petit Robert nous apprend que le mot « kitsch », usuellement employé avec un air de dépit, vient de l’allemand kitschen, qui veut dire rénover, revendre du vieux. Son sens premier est donc « un style et une attitude esthétique caractérisée par l’usage hétéroclite d’éléments démodés ». Par extension, on l’utilise pour tout mauvais goût manifeste. Avec une nuance toutefois, car le mauvais goût et les bons sentiments se rejoignent inévitablement. L’écrivain qui a le plus abordé cette contradiction est Milan Kundera dans L’insoutenable légèreté de l’être. « Le kitsch fait naître coup sur coup deux larmes d’émotion. La première larme dit : Comme c’est beau des gosses courant sur une pelouse ! La deuxième larme dit : Comme c’est beau, d’être ému avec toute l’humanité à la vue de gosses courant sur une pelouse ! Seule, cette deuxième larme fait que le kitsch est le kitsch. La fraternité de tous les hommes ne pourra être fondée que sur le kitsch. » ; « Le kitsch, par essence, est la négation absolue de la merde ». Ces déclarations péremptoires s’expliquent : dans L’insoutenable légèreté de l’être, un des personnages, Tereza, peintre tchèque, doit lutter en permanence contre le conformisme qui a sublimé l’art dans un idéal communiste. Le kitsch est ainsi est étroitement associé au totalitarisme (« Au royaume du kitsch totalitaire, les réponses sont données d’avance et excluent toute question nouvelle »). Le kitsch serait ainsi un mensonge et « à l’instant où le kitsch est reconnu comme mensonge, il se situe dans le contexte du non-kitsch. Ayant perdu tout pouvoir autoritaire, il est émouvant comme toute faiblesse humaine. ».
Dans mon nouveau roman à paraître, il y a deux fois le mot « kitsch ». Et l’action ne se situe pas dans un pays totalitaire ; la notion de mensonge pourrait ainsi sembler moins présente dans le sens que je lui donne. En réalité, j’ai écrit ce livre avec la même perception que les autres textes, dans le sentiment que nous faisons partie intégrante d’un décor universel, et que seul le hasard nous dispose au sein de ce décor (cf le titre-manifeste de mon 3° livre paru en 2004,
Paysage et portrait en pied de poule). Si mensonge il y a, c’est le hasard qui l’efface. La conséquence est donc que tous nos actes sont forcément en lien avec toute forme d’entourage, vivant ou inerte, par ce seul truchement du hasard. Le mensonge n’existe pas dans une société purement distribuée par le hasard. Dans ce sens, la fiction, le roman, n’est peut-être pour moi qu’une manière commode de justifier via le hasard une incapacité à mentir, à inventer (en quelque sorte me sentir en accord avec Nathalie Sarraute et les réticences romanesques de L’ère du soupçon).    Pourtant, le kitsch existe bien : c’est la manière dont nous, placé là par le hasard, jugeons tel décor de mauvais goût. Mais c’est bien justement ce hasard qui le précise (entendre par là toutes les diverses situations qui nous ont permis d’arriver à l’instant précis où l’on va juger le bon ou le mauvais goût). Ainsi, le personnage masculin de mon roman, un vrp qui vend des papiers peints depuis quarante ans, est incapable de juger sur une si longue période quel décor est (ou a été) kitsch ou pas. A l’inverse, le personnage féminin, regrette un petit taureau de plastique, posé autrefois sur une télévision, et sans doute très moche, mais lié étroitement au souvenir de son père. En revanche, là où je rejoins pleinement Milan Kundera à propos du kitsch, c’est son rapport étroit avec la peur (toutes les peurs et notamment celle du vide) et qui nous fait obligatoirement choisir entre bon au mauvais goût : « la vraie fonction du kitsch : le kitsch est un paravent qui dissimule la mort ».

La question du vous (Notes d'écriture du 25/04/2012)
Dans La modification de Michel Butor, le choix génial du « vous » pour évoquer le personnage principal a évidemment été souvent commenté, parfois rapidement expédié dans les caractéristiques formelles du « nouveau roman ». La disparition du personnage (ici à peine nommé) fournit un alibi récurrent aux théoriciens du genre (voir par exemple Alain Robbe-Grillet, Pour un nouveau roman (1963), reproduit ci-dessous dans cette même rubrique).
La question du « vous » ne saurait être éludée si rapidement sans l’aide des linguistes et de la sémiotique. Amir Biglari, dans les Nouveaux actes sémiotiques propose une réflexion argumentée et complète à ce sujet. Il y a d’abord ce constat initial que « dans un roman, le choix du pronom personnel par l’auteur est déterminant parce que le glissement d’un pronom à un autre transforme le point de vue du lecteur. ».
Les avis des linguistes ont parfaitement décrit les interactions entre ces différents pronoms. Pour Émile Benveniste, « il » est une non-personne, seul, « je », « tu » sont des « personnes »  car c’est la condition de dialogue qui forme la « personne ». Mais selon André Joly, la question de la non-personne se pose : ce pourrait-être simplement une personne absente du dialogue au moment du récit et « Benveniste a confondu l’absence de personne avec la personne absente ». André Joly préfère ainsi le terme de personne locutive (je/tu) et de personne délocutive (il).
A ces questions de spécialistes s’ajoutent les spécificités du pluriel. Et si la première personne plurielle est le « nous » il ne peut pas être une pluralisation du « je », selon Benveniste car « l’unicité et la subjectivité inhérentes à « je » contredisent la possibilité d’une pluralisation. ». Pour le « vous », même chose, selon « qu’il s’agisse du « vous » collectif ou du « vous » de politesse, on reconnaît une généralisation de « tu », soit métaphorique, soit réelle, et par rapport à laquelle, dans des langues de culture surtout occidentale, le « tu » prend souvent valeur d’allocution strictement personnelle, donc familière. ». Ce à quoi André Joly renchérit : selon lui, le « vous » présente un «  type d’allocutivité médian entre le premier et le troisième degré, entre « tu » et « il » ; pas très direct, pas très indirect ; pas très proche, pas très distant. ».
Si la théorie peut paraître rébarbative, disons pour résumer qu’elle identifie que le « vous » de La modification, permet de s’adresser à un certain locuteur (personnage ? lecteur par osmose ?) à une distance plus grande que si l’auteur avait écrit son récit à la première personne. Et d’ailleurs Michel Butor, à la fois romancier et théoricien littéraire explique  que « dans le récit à la première personne, le narrateur raconte ce qu’il sait de lui-même, et uniquement ce qu’il en sait. Dans le monologue intérieur, cela se rétrécit encore puisqu’il ne peut en raconter que ce qu’il en sait au moment même. On se trouve par conséquent devant une conscience fermée. ». Et la justification de la deuxième personne serait qu’« il y a quelqu’un à qui l’on raconte sa propre histoire, quelque chose de lui qu’il ne connaît pas, ou du moins pas encore au niveau du langage » ; « Nous sommes dans une situation d’enseignement : ce n’est pas seulement quelqu’un qui possède la parole comme un bien inaliénable, inamovible, comme une faculté innée qu’il se contente d’exercer, mais quelqu’un à qui l’on donne la parole. » ; « que le personnage en question, pour une raison ou pour une autre, ne puisse pas raconter sa propre histoire, que le langage lui soit interdit, et que l’on force cette interdiction, que l’on provoque cette accession. C’est ainsi qu’un juge d’instruction ou un commissaire de police dans un interrogatoire rassemblera les différents éléments de l’histoire que l’acteur principal ou le témoin ne peut ou ne veut lui raconter, et qu’il les organisera dans un récit à la seconde personne pour faire jaillir cette parole empêchée ». « Comme il s’agissait d’une prise de conscience, il ne fallait pas que le personnage dise je. Il me fallait un monologue intérieur au-dessous du niveau de langage du personnage lui-même, dans une forme intermédiaire entre la première personne et la troisième. Ce vous me permet de décrire la situation du personnage et la façon dont le langage naît en lui. », explique encore Michel Butor
Autrement dit, l’enjeu narratif est d’arriver à exprimer ce que le personnage principal de La modification ignore encore dans son voyage initiatique vers Rome. En cela, le « vous » permet un questionnement à travers l’invisible « destinateur » (selon le terme de la sémiotique qui introduit alors un élément ternaire dans la relation traditionnelle entre le sujet et l’objet), une voix qui oblige non pas au monologue intérieur mais au dialogue intérieur entre ce personnage et ce destinateur. Et comme le dit Amir Biglari : « en réalité, c’est nous, vous et moi, qui sommes représentés, c’est notre identité qui est en construction, c’est nous qui prenons conscience, c’est nous qui sommes l’objet du « faire faire » du destinateur». Bref, le « vous », c’est nous.
En réalité, histoire de compliquer un peu plus ces rapports de pronoms personnels, le « vous » de La modification glisse à la fin vers le « je », au fur et à mesure où le personnage prend conscience de sa « parole empêchée » et le dialogue intérieur s’évacue en monologue : « […] s’il n’y avait pas eu cet ensemble de circonstances, cette donne du jeu, peut-être cette fissure béante en ma personne ne se serait-elle pas produite cette nuit, mes illusions auraient-elles pu tenir encore quelque temps ». On ne saurait mieux résumer cette « donne du je », sauf peut-être Roland Barthes (qui assurait par ailleurs que « la langue est fasciste » parce qu’elle « oblige à dire ») qui explicite davantage le véritable enjeu de ce roman « cette interpellation [ndla : via le « vous »] est capitale, car elle institue la conscience du héros. C’est à force de s’entendre décrite par un regard que la conscience du héros se modifie. ».



La question du tu (Notes d'écriture du 09/05/2012)
Pour continuer dans les aspects de la narration à la deuxième personne, élaborée avec le « vous » de La Modification de Michel Butor dans cette même rubrique quinze jours auparavant, il est également intéressant de s’occuper du « tu ». Ce système de narration n’est pas exceptionnel. Un des exemples emblématiques qui me viennent à l’esprit est celui du poème Zone de Guillaume Apollinaire : « A la fin tu es las de ce monde ancien ». Le premier vers donne le ton du recueil Alcools et la narration novatrice en « tu » constitue, de même que pour La modification, un sujet classique de dissertations. Le « tu » force ainsi l’introspection et c’est un formidable déclencheur par exemple lors d’atelier d’écriture. Sauf  une des rares fois où j’ai utilisé ce poème à cette fin, dans un Centre hospitalier spécialisé, l’un des pensionnaires ayant flairé le danger de la dissociation induite par ce pronom comme allant à l’encontre de sa schizophrénie, il m’a expliqué avec une très grande intelligence son refus de participer à l’exercice.  Pour en revenir à la narration en « tu », l’exemple romanesque entre tous est le formidable Un homme qui dort de Georges Perec (Notes de lecture du 15/06/2011). A Pierre Desgraupes qui l’interview au sujet de cette narration rare, Georges Perec  répond que beaucoup de journaux intimes sont écrit de cette manière (Pavese, Kafka) tout en reconnaissant que « ce n’est pas une forme naturelle », Georges Perec insiste sur les choix qui s’offrent à l’auteur : « où bien on assume complètement ce que l’on dit et on dit « je », ou bien on essaie de l’éloigner beaucoup et on dit « il » ». Pour avoir testé les deux formules, Georges Perec a constaté que « ça ne marchait pas ». Le « tu » devient alors une forme intéressante car elle « mélange, le lecteur, le personnage et l’auteur » (au passage Perec précise qu’il y a peu de rapport entre La Modification de Butor sans toutefois l’expliciter d’avantage) . « Ce « tu » est à la fois un « je », précise-t-il, j’essaie de parler de moi en essayant d’avoir un certain recul ». Au cours de l’interview, Georges Perec insistera encore sur la narration à la deuxième personne du journal de Pavese, qui semble l’avoir beaucoup marqué. En relisant ce journal que l’on trouve également avec le titre Le métier de vivre, ce mode narratif n’apparaît pas dans les premières années de 1935 et 1936. Pavese utilise un « je » classique qui se mue parfois dans un « nous » de généralisation, édicte souvent des vérités sur un mode neutre (« il y a quelque chose de plus triste de vieillir et c’est de rester enfants »). Il faut attendre Noël 1937 pour voir une narration en « tu » intervenir. Là encore, c’est pour appuyer une introspection douloureuse, il est en proie à des désillusions amoureuses. En revanche, au dernier jour de cette année 1937, Pavese pose les jalons d’une nouvelle narration : « Jusqu’à présent, tu as fait parler le protagoniste à la première personne sans te soucier de le caractériser même dans son mode d’expression, maintenant il va falloir que tu t’occupes aussi de sa singularité : le créer comme personnage, ne pas le laisser sous la forme d’un neutre toi-même ». Cette formule renversante, car elle entraîne dans une mise en abyme auteur et personnage, a probablement beaucoup inspiré Georges Perec.

 

Rencontres avant parution (Notes d'écriture du 09/05/2012)
J’ai peu évoqué ces derniers temps le livre à paraître en septembre. Il est pourtant presque prêt (voir en Webcam). Quelques exemplaires hors commerce, destinés au service de presse, professionnels du livre, auteurs amis, donnent une idée précise de ce que sera l’aspect final du livre (il y a encore quelques corrections de prévues, un texte de quarante mille mots présente toujours quelques imperfections). Ces exemplaires d’essai constituent autant de premières touches pour les libraires aussi. Pour eux, j’ai participé à deux présentations, l’une à Lyon et l’autre à Bordeaux. C’est toujours un moment émouvant de pouvoir parler de son livre et des pages agencées dans une solitude monacale. Impression d’un coup de flash. Mais c’est toujours avec délices que j’entreprends l’exercice : ce qui m’intéresse le plus dans l’écriture est le sport d’équipe que constitue la sortie d’un livre, éditeur, distributeur, libraires, la chaîne du livre comme on dit. La première sensation d’un tel travail en commun date de douze ans. Alors que j’arrivais chez l’éditeur pour signer mon premier service de presse, j’ai vu débarquer un camion dans la cour pavée de la rue des Saints-Pères, avec une palette solidement bâchée de plastique mais qui laissait voir tous les exemplaires du premier tirage de Central. J’en ai ressenti une vive stupeur à découvrir ainsi mon texte à l’état d’objet manufacturé mais, à voir combien s’affairaient le chauffeur livreur et le manutentionnaire pour rentrer ces livres au magasin, tout aussi brutale et joyeuse a été ma perception que tout un monde pouvait vivre de cela, du commerce des livres. Bien sûr le mot « commerce » est à prendre en son sens élargi, celui des relations sociales, professionnelles, grégaires qui réunissent tout un secteur d’activités, donnent un sens, une cohérence, fabriquent du temps, des gestes, un langage, prolongent bien au-delà un univers inventé et contenu dans les pages, le détournent en quelque sorte vers un monde bien réel.
Là, à Lyon et à Bordeaux, c’est donc à toucher les libraires que je me suis évertué, en face à face, directement et avec le même enthousiasme qu’il y a douze ans. Et comment ne pas sentir que le livre, le nouveau livre, Ils désertent, participe de la même franchise des rapports humains : dans l’histoire que j’ai voulue, on fait face, on est placé droit devant les personnages,  aucune condescendance à avoir, aucune modestie à ressentir, rien à subir d’eux-mêmes qui semblent tombés là par hasard. On est lecteur, on participe, on voit la vie moderne qui bouge et palpite. On rencontre.

 

Le choix de l'épigraphe (Notes d'écriture du 04/07/2012)
Tous mes livres comportent des épigraphes, des citations d’auteurs en exergue, comme on dit aussi. Je ne me suis jamais vraiment posé la question de savoir pourquoi. Ça doit participer de la même imitation que lorsque je bâtis un livre. Je fais comme si. Comme si, dés le départ, je voulais que le livre soit déjà dans une présentation achevée, directement assimilée. Je me projette en tant que lecteur, j’ai besoin d’une manière chronologique d’en sentir le titre et d’en lire l’épigraphe, puis l’incipit. Voir si l’ensemble tourne rond, si ça sent le vrai livre. Il me semble que cette première sensation est celle qui prévaut d’abord à ma volonté d’inscrire une épigraphe. En deuxième lieu vient seulement la question de l’intention du livre, et l’épigraphe fonctionnera comme une sorte de pense-bête, un rappel permanent de pourquoi le livre existe.
Pour Ils désertent, j’ai hésité tout au long de la rédaction du livre entre plusieurs choix. D’un côté, Rimbaud et Hannah Arendt convoqués par les deux personnages principaux justifiaient les deux suivantes : « On ne reçoit aucuns journaux, il n’y a point de bibliothèques, en fait d’Européens, il n’y a que quelques employés de commerce idiots qui mangent leurs appointements sur le billard, et quittent ensuite l’endroit en le maudissant. » (Arthur Rimbaud, lettre à sa famille, 14 avril 1885, Aden) ;
« On peut parfaitement concevoir que l’époque moderne – qui commença par une explosion d’activité humaine si neuve, si riche de promesses – s’achève dans la passivité la plus inerte, la plus stérile que l’Histoire ait jamais connue. » (Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne). Mais le monde des représentants de commerce dont le livre se fait l’écho m’a également fait hésiter avec cette très belle réplique de Mort d’un commis voyageur, d’Arthur Miller : « Qui sait de quoi un homme est fait, Biff, surtout un commis voyageur ?... Essaie d’en peser un pour voir ! Plus léger que l’air, il te filera entre les doigts, il plane bien haut dans les nuages, chevauchant sa valise d’échantillons, avec son sourire comme armure et ses chaussures bien cirées comme stratégie. ». En revanche, celle qui a depuis le début hanté ce livre est de Georges Perec, tirée d’Un homme qui dort, dont la lecture et la narration à la deuxième personne a été un élément déclencheur dans la rédaction de mon roman (voir ci-dessous au 09/05/2012) : « Ma chambre est une île déserte et paris un désert que nul n’a jamais traversé ». A celle-ci, peut-être un peu trop abstraite quant au contenu du livre, j’ai préféré le vers résigné de Guillaume Apollinaire, et qui débute le poème Zone :  « A la fin tu es las de ce monde ancien ». Commencer par « à la fin » et continuer par cette sorte de mouvement, me paraissait être un bon trait d’union entre le titre Ils désertent et l’incipit (« Maintenant que le camion est parti, la femme pourrait ouvrir la portière de sa voiture, s’installer et démarrer. »). La phrase courte, quasi-lapidaire d’Apollinaire plonge sans ambages le lecteur au cœur de l’histoire. Et puis Apollinaire a été découvert par Léautaud. N’oublions pas qu’une épigraphe est aussi la meilleure manière de rendre hommage à ceux qui comptent.