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Étonnements 2016


J’ai eu mon époque Renaud, François Béranger, Joan Pau Verdier, des gens qui se disaient libertaires, j’aimais bien, il y avait le mot liberté dedans. Et puis j’ai découvert à la même époque l’écrivain René Fallet (re-dose de liberté) et forcément son copain Brassens, qui fut même un temps, parait-il, encarté à la fédération anarchiste. Je me sentais assez en symbiose avec toute cette mouvance faite de bric et de broc, de même que le Nouveau roman fit son miel d’écrivains aussi différents que Beckett, Butor, Duras, Simon ou Sarraute. Mais voilà : quelques années plus tard, Renaud, dans son retour à vie musicale, nous gratifie d’une chanson intitulée « J’ai embrassé un flic ». En gros, l’histoire de cette chanson est celle de la manif qui a réuni tant de monde suite à Charlie, le narrateur (enfin, le type qui chante) remarque que les flics ont « un regard bienveillant » et mu par une inspiration soudaine, il va serrer dans ses bras l’un d’eux. Voilà : la chanson tient en trois maigres strophes et dix répétitions de « J’ai embrassé un flic ». Personnellement, je préfère Renaud quand il chante « Hécatombe » de Brassens en particulier ce passage : « Frénétique l'une d'elles attache /le vieux maréchal des logis /et lui fait crier: "Mort aux vaches! /Mort aux lois! Vive l'anarchie ! ». A propos d’anarchie, Renaud dans sa chanson se repend,  s’excuse, regrette : « Nous faisaient avec leurs bras / de grands signes d’amitié / Et de solidarité / Alors pour les remercier / Et pour la première fois / De ma vie d’anarchiste / Je suis allé embrasser un flic ». Brassens avait dit : « Je suis anarchiste au point de toujours traverser dans les clous afin de n’avoir pas à discuter avec la maréchaussée». Si maintenant il faut en plus traverser la rue pour venir les embrasser, je ne suis pas d’accord.
(19/12/2016)

 

L’idée initiale, pour repérer les différences entre roman, récit et fiction, serait de partir de cette rubrique justement : l’étonnement, le truc qui fait qu’on se met en marche, qu’on éprouve un sentiment et, pour faire savant, ajoutons un peu de latin moveo, s’émouvoir, mouvoir, se motiver, se mettre en mouvement, avancer. L’étonnement peut être colère, joie, tristesse, comme la semaine dernière : grande peine à me souvenir d’Alep. Prenons cette idée comme exemple. Au départ, horrifié par l’actualité désespérée d’Alep, je cherche et je retrouve des photos prise le 18 mars 2010, seul jour (et nuit) que j’aurais passé dans cette ville, du matin au soir à l’arpenter, à la découvrir, itinéraire d’un touriste ordinaire. Je mets mes photos de touriste en regard des reportages de guerre (voir en webcam), il est facile de retrouver les mêmes lieux symboliques, les mêmes angles de vue. Le récit, puisqu’il s’agit de relier la rhétorique à l’émotion, serait à prendre en son sens premier de réciter, dire à haute voix, exprimer la douleur. On abolit les genres, pas question de poésie tragique, de pleurs de théâtre, le récit est juste l’élan préalable, le prétexte en son sens propre, le souffle, la voix qui forme les mots ou la plume qui les écrit. Le récit part du sentiment vécu (ici, un bonheur de voyage), une réalité éprouvée. On le remarque à peine, mais nous sommes reconnaissables sur les photos du 18 mars 2010 : nous étions là. Dans les reportages de guerre, mêmes lieux, mais nous sommes absents, effacés, devenus irréels au milieu de décombres. Il faut refaire le chemin, se demander ce que nous avons fait entre cette journée de printemps six ans auparavant et aujourd’hui, comment ceux qui n’ont pas quitté ces quartiers ont vécu, à quel moment les soldats sont apparus, pourquoi tant de décombres. La réalité a disparu, place à la fiction. Le récit que l’on commence pour raconter cela (ce que je fais à l’instant précis) est imprégné de cet imaginaire : nous n’étions plus là, nous n’avions plus rien à raconter. Il faut combler les vides, colmater les trous par des mots : c’est la fiction. Lorsqu’on lit dans un dictionnaire la définition du mot fiction, on tombe rapidement sur « mensonge » en synonyme. Mais lorsque je récite cette histoire, je n’ai pas l’impression de mentir. Probablement que j’enjolive la vérité de cette ville d’Alep visitée en 2010, nos voyages sont souvent plus beaux à raconter quelques années plus tard, ce sont des moments forts que nous vivons. Et je ne mens pas non plus à regarder les clichés d’aujourd’hui : cette réalité existe et ma peine est réelle, non feinte. Pourtant je ne peux raconter la vérité, puisque je n’y suis plus, je ne suis plus témoin dans ces rues, ces allées de souk, ces mosquées. Le roman, alors, peut s’installer : quelque chose qui dépasserait l’émotion ressentie, une obsession qui serait telle que je ne pourrais la réprimer, telle qu’il me faudrait l’écrire sur un temps assez long, une longueur conséquente, quelque chose, qui, une fois terminé, me laisserait exactement la même impression qu’au début : avoir tourné et retourné les sentiments originaires au récit, étonnement, ou colère, ou joie, ou tristesse, ceux-là bien réels. Dans ce cas, la fiction n’aurait aucune importance, d’avoir menti ou pas.
(12/12/2016)

 

Quand vous déclariez vouloir aller en Syrie six ans auparavant, on ne vous regardait pas de travers, vous n’étiez pas fiché terroriste. Les plus pantouflards trouvaient étrange cette destination, tant de choses à voir dans notre beau pays. La Syrie s’était pourtant imposée naturellement à nous, après la Jordanie en 2007, le Yémen en 2008, l’Iran en 2009. L’Orient nous avait conquis, histoire millénaire, culture à découvrir. Nous étions revenus enchantés, comme les années précédentes. La Syrie m’avait étonnée. A Damas, les églises orthodoxes voisinaient avec les mosquées, les rapports semblaient francs et mesurés comme toute action humaine en temps de paix. J’ai gardé longtemps cette impression d’un pays accueillant. Un an plus tard, le printemps arabe a rebattu les cartes un peu partout. Bachar s’est accroché à son pouvoir, des rebelles se sont organisés, enfin Daesh a fini de brouiller les cartes : la Syrie s’est enfoncée dans l’enfer. On s’est ému de Palmyre que j’avais également visité, mais maintenant le drame s’est déplacé à Alep (ou plutôt il a continué), et, comme d’habitude, c’est la population qui souffre. J’ai vu récemment un reportage, où les bombes tombaient aveuglément sur la ville, et qui ne cesse de me hanter depuis. Alep, à l’époque de notre voyage, avait été une étape chaleureuse (voir Carnet de voyage). Nous avions passé la nuit précédente chez l’habitant à El Bara, à 80 km d’Alep, je me souviens d’une petite fille qui dansait sur la musique du portable de son papa. On se comprenait peu mais l’enfance, les plaisanteries en toutes langues tissent des liens universels. Au réveil, nous avions déjeuné à l’orientale, thé et pain trempé dans un mélange d’huile d’olive avec thym et sésame. Avant d’aller à Alep, nous avions effectué une petite visite au monastère de Saint Siméon qui vécut en ermite haut d’une colonne pendant trente-sept ans. Je me souviens avoir quitté à regret cette campagne isolée et calme avant de retrouver la grande ville. Mais Alep est accueillante. Pour preuve, le chauffeur qui nous accompagnait avait tenu à nous emmener auparavant chez son épouse. Souvenir d’un petit immeuble de banlieue, une cage d’escaliers et, sur un palier, une jeune femme jolie et souriante nous avait ouvert la porte. Elle nous avait invité à partager un thé à la cardamone. Conversation gaie, un peu d’anglais, elle souhaitait devenir esthéticienne (beautician). Ses deux garçons, très jeunes encore, nous montraient leurs jouets. Nous sommes repartis avec une insouciance qu’on imagine éternelle dès que le charme s’invite dans nos rencontres. Nous avons visité Alep : je garde le souvenir d’une ville répandue autour de sa fameuse citadelle que nous avons visitée dans tous ses recoins. Il n’y a pas de meilleur endroit pour appréhender à nos pieds la grandeur et l’activité incessante de la ville, les immeubles de la périphérie, les rues tortueuses du centre, la rumeur des souks, l’odeur des savons d’Alep. Nous plongerons dans cette ambiance le soir après avoir visité la mosquée des Omeyyades, mais aussi la cathédrale avec la chance d’avoir pu rencontrer l’évêque d’Alep et d’avoir échangé quelques mots avec lui. Au milieu des multiples joies de cette journée, nous l’avions trouvé bien pessimiste : il trouvait la situation globale très inquiétante. La suite, hélas, lui donnera raison, mais sur le coup, dans la douceur du soir, à regarder les jeunes filles voilées converser joyeusement avec d’autres adolescentes têtes nues et portant visiblement une croix, c’était un Orient tolérant et ouvert que nous avions devant les yeux.
D’Alep, il me reste cette impression heureuse ancrée dans ma mémoire et des photographies. Lorsque je les regarde, je retrouve cette sérénité, passants nonchalants, enfants rieurs, monde en paix. Six ans après, tout est dévasté, les images sont intolérables : je place en webcam ce bonheur d’autrefois en vis-à-vis du malheur d’aujourd’hui, parce qu’il le faut, parce que c’est la réalité, parce que c’est maintenant, parce que c’est l’urgence. Et continue de me hanter la petite famille de notre chauffeur d’Alep, je nous revois repartir de chez eux, descendre le petit escalier de l’immeuble, lui si fier de sa petite famille, elle refermant sa porte sur un dernier sourire à notre intention, ses enfants curieux derrière elles, nous tous heureux d’avoir pu partager un peu de nos cultures si différentes. Je n’ai gardé aucune coordonnée, aucun nom. Puissent-t-ils avoir pu s’échapper à temps de cet enfer. J’ai déjà raconté cela dans Faux nègres, caché sous couvert des souvenirs de Pierre, le principal personnage. Je place cet extrait en Webcam, histoire d’illustrer mes photos. J’ai dû écrire cela fin 2013, début 2014, mais hélas, l’actualité d’Alep est encore pire aujourd’hui. Et qu’avons-nous fait depuis tout ce temps ? A peu près rien, ou plutôt si : nous regardons de travers les migrants syriens qui débarquent chez nous.
(05/12/2016)

 

« Verlaine met la dernière main à la préface des Poésies complètes d’Arthur Rimbaud, qui va paraître chez Léon Vanier. Texte ampoulé, plein d’amers regrets, incapable de s’élever au-delà du petit monde des lettres qui l’a pontifié, nommé l’année passée « Prince des poètes », ce qui aurait fait beaucoup ricaner Arthur-Nicolas s’il l’avait appris. »  (Vie prolongée d’Arthur Rimbaud, p 191 ). C’est en écrivant VPAR que je me suis aperçu de l’existence de ce titre, récolté par Verlaine. A la mort de celui-ci, quelques mois après avoir rédigé la préface en question, Mallarmé lui succédera, par ailleurs invité au mariage d’Isabelle, la sœur de Rimbaud, avec Paterne Berrichon (Mallarmé déclinera l’invitation). Prince des poètes, donc, et de suite, j’ai imaginé cette fine appellation comme un prolongement d’ancien régime, vieux titres académiques que le XIX° et sa république balbutiante laissaient perdurer. En réalité, il n’en est rien. Il paraît que Léonard Cohen, récemment disparu, a été sacré Prince des poètes en 2011(prix Prince des Asturies, espagnol en fait). Mais concernant nos princes des poètes bien français, l’avant-dernier en date était Léopold Sedar Senghor, nommé en 1978. Mort en 2001, son titre n’a été relayé qu’en 2013 pour Jean Ristat. Les conditions d’attribution restent floues et le jury fluctuant à chaque nomination. Pourtant c’est une vieille institution : le premier « prince des poètes » fut Clément Marot, auquel succédera Ronsard. Et puis on oublie au fil des siècles de l’attribuer et il faut attendre le XIX° pour que Lecomte de Lisle l’obtienne et laisse perdurer l’habitude au XX° avec, par exemple, Paul Fort et Maurice Carême.
Evidemment, c’est le mot « prince » qui me hérisse, vieil héritage de droit divin, de domination, avec ses élections obscures, ses désignations arbitraires : persistance d’une aristocratie dépassée. Je me souviens d’un écrivain que nous avions accueilli dans une association et qui était venu se présenter avec une valise pleine de diplômes encadrés avec soins, chevalerie française, savoir vivre et autres médailles de courtoisie. Etonnant.
Surprenant, mais peut-être pas tant que cela : et si nos nombreux prix littéraires étaient signes d’identiques allégeances ? Singeant de pareilles simagrées ?  (Je n’avais jamais remarqué jusqu’alors que signe et singe étaient des anagrammes).
C’est probablement pour ces artifices, cabotinages et snobismes que j’aime à imaginer les sarcasmes d’Arthur Rimbaud s’il avait appris la nomination de prince des poètes de son ancien amant.
(28/11/2016)

 

A son anniversaire, nous sommes tous réunis. Tous : il faut comprendre la petite famille que nous formions autrefois, deux adultes, deux enfants, agrandie bien sûr des conjoints. Pas de petits enfants présents à l’exception d’un neveu : notre progéniture est partie depuis longtemps et vole de ses propres ailes en France ou à l’étranger. Réunis donc, parents, enfants, conjoints, neveu et nos sourires expriment la joie d’être ensemble. Ce n’est pas que cela arrive rarement, mais chacun a ses activités et le temps file si vite. Souvent, ce qui est programmé au dernier moment, comme pour cet anniversaire, est plus facile. On sourit donc, en guise de pied de nez à la vie qui nous bouscule. J’ai plaisir à le voir, à peine voûté, juste un peu chancelant à cause de son peu d’équilibre. Il a maigri, les os des épaules saillent sous le pullover. Je me souviens de ces vieilles photos, carrure large, muscles des bras solides. J’ai toujours été fier de la force de mon père. Le temps, oui, a filé si vite… On parle tout à la gaité de ces retrouvailles. Mon beau-frère évoque le Verdon qu’il a revu récemment, quelques jours en octobre ; nous regardons les photos aux couleurs d’automne, les falaises à pic, les paysages. On parle escalade, exploits, vertige. C’est là, je crois, qu’il intervient pour nous dire qu’il en a fait de l’escalade, avec le prof qui le suivait à l’époque, un week-end d’initiation et il l’avait emmené. Il précise le lieu (l’Autriche), son âge (seize ans). Peu de choses, juste ce souvenir qui lui revient. Et moi, je l’écoute avec attention. J’essaie de situer ce peu de choses dans le peu d’autres choses éparses qu’il m’a déjà racontées : qu’il était au sud  de Berlin en 1945, donc à quinze ans et le voilà, un plus tard en Autriche, à seize ans, dans cette étrange période de guerre finissante. Et son prof, était-ce celui qui lui apprenait l’électricité ? Autre anecdote minime qu’il m’avait racontée, son apprentissage pour devenir électricien et le bombardement (allié ?) qui l’avait enseveli dans l’atelier. Je ne retrouve plus le papier où j’ai noté les quelques bribes de souvenirs qu’il m’a parcimonieusement données. Je l’interroge peu, ce n’est pas facile : tous ceux qui ont connu la guerre remuent rarement leur mémoire (mais voir il y a quinze jours dans cette même rubrique). Le temps d’alors si différent, la volonté d’oublier cette sombre période, l’impression d’avoir vécu de modestes histoires perdues au milieu de tant d’autres, autant de raisons. Pourtant, combien cela nous aiderait en notre époque : quelle différence entre la famille de mon père ballottée de pays en pays après la guerre et les migrants d’aujourd’hui ? Je l’interroge peu : peut-être que je préfère combler les vides par l’imagination, la fiction, me glisser dans un parcours qui va du sud d’un Berlin occupé par les armées russes et qui dérive jusque dans les Alpes autrichiennes un an plus tard. L’histoire de mon père devient plus claire à partir de son arrivée en France. Des traces sont restées et que j’ai connues comme la vieille motocyclette Terrot 125 avec deux selles (une pour emmener ma mère) qu’il avait rapidement acquise. C’est son anniversaire et il parle peu, ma mère non plus, comme si le quotidien qui les réunit avait encore moins d’importance à être raconté ; seul compte ce vieux souvenir d’escalade : 1946, Autriche…
(21/11/2016)

Il y aurait de quoi faire se retourner dans sa tombe Jean-Pierre Coffe, récemment disparu (voir cette même rubrique au 04/04/2016 ). La gastronomie  est entrée dans une révolution extraordinaire : des abolitionnistes déclarent malsain le gluten, le blé, le lait, les noix, des ultras vantent la smart-food, l’avoine, le sarrasin, le soja, le lin, l'acacia, les pires extrémistes plaident la disparition de toute trace animale, on jette ses chaussures en cuir pour des baskets en plastique et on sort en ville acheter des fromages végétaux. D’autres ayatollahs se nourrissent de tortillas aux criquets, de pâtes au grillons, de vers de palmiers et autres sauterelles à la provençale. Dernière invention en date, le lait de cafard, particulièrement riche en protéines. Tout ceci pourrait faire rire si notre entourage n’était pas de plus en plus marqué par ces pratiques : combien d’entre nous ont renoncé au bol de lait le matin, sont persuadés aller mieux grâce à une alimentation sans gluten, passent des heures à comparer la traçabilité d’une viande, à déchiffrer les étiquettes des produits. Tout ceci, bien sûr avec nos contradictions habituelles, continuer à fumer, à jointoyer ou plus, à aller chercher en vélo un thé issu d’une agriculture solidaire et qui aura parcouru dix mille kilomètres pour atterrir dans la boutique bio de votre quartier. Tout cela aussi en feignant d’ignorer que dernières ces modes nouvelles, cuisines en vogue et autres engouements, s’est érigée une industrie libérale particulièrement efficace. Une preuve ? Vous qui avez renoncé récemment au gluten, au lait ou à d’autres modes de consommation, essayez avec honnêteté de remonter l’origine de votre décision : vous devriez trouver les conseils d’amis, de membres de votre famille, de sites internet, d’échanges twitter et autres facebookeries qui vous ont conforté, vous ont aidé à trouver le bon naturopathe, le bon hygiéniste, et d’ailleurs vous êtes tellement mieux depuis ! J’ai assez travaillé dans le marketing pour savoir que tous ces conseils, sites web et facebookeries, la manière dont l’expérience-client s’est substituée à la qualité (voir cette même rubrique au 22/08/2016) ne sont en fait destinés qu’à faire tomber un maximum de gogos dans les filets de ces nouvelles tendances.  Réussir à faire consommer ainsi les tenants de la déconsommation que nous sommes est un joli tour de force : il y a un gâteau industriel et commercial à se partager, fut-il maintenant fabriqué avec de la farine de petit épeautre, des graines de chia et de l’agar-agar..
Mais je m’égare, je m’égare : et la littérature dans tout cela ? Et bien elle suit la mode, la littérature : elle tente de profiter du grand succès des émissions culinaires télévisuelles, elle en parle même comme dans Chemin de tables de Maylis de Kerangal (note de lecture du 10/10/2016), elle présente des chefs ou des cheffes comme Marie NDiaye (en note de lecture cette semaine), bref, que des gens importants qui réussissent avec de bon produits bien naturels et sains. L’idée est de vous faire croire que vous êtes égaux à ces gens importants, qui sont finalement comme vous et moi : c’est le côté adhésion à ces romans, on s’y reconnaît et moi aussi je pourrais en faire autant, et puis tout le monde cuisine, le potentiel lecteur est important. L’autre versant, c’est la culpabilité façon Jean-Baptiste Del Amo avec Règne animal. Les animaux souffrent, c’est intolérable. C’est vrai : donc, il ne faut pas consommer de viande. Je ne suis pas végétarien, mais j’en connais et je les respecte sans aucun jugement lorsque je dois leur faire à manger. D’ailleurs moi-même je me passe très souvent de viande et de poisson. Ce n’est pas une raison pour traiter les éleveurs comme des brutes attardées comme le fait Del Amo dans son livre. En plus utiliser un style fictivement joli, lyrique et bien tourné pour décrire l’horreur permanente de la souffrance des animaux renforce notre culpabilité, plutôt fausse d’ailleurs car le côté voyeur l’emporte rapidement : on se « repait » de ces scènes, ce qui est un comble de perversité. Tout cela, bien sûr Del Amo le sait et il sourira s’il découvre ces lignes :  tout le monde est pervers, le potentiel lecteur est important. Dans les années 70, on défilait contre la faim dans le monde ; il faut croire que ça n’existe plus, aujourd’hui, on se défile devant notre cynisme et là le potentiel lecteur est immense. Voilà, c’est fait, j’ai parlé nourriture et littérature, mais, comme pour Julien Gracq et Pierre Jourde (en note d’écriture cette semaine), je n’ai pas pu m’empêcher d’aller au pamphlet : j’en suis tout estomaqué.
(14/11/2016)

 

C’est un premier novembre comme les autres : entendez par là, provincial, fait de cimetières de village, de noms essaimés sur des stèles (Boivin, Bazelot), générations enfouies sous des concessions à perpétuités, pèlerinage accompli parce que justement jour des morts, chrysanthèmes achetés la veille, déposés le jour même et s’apercevoir des tombes entretenues (mais par qui ?) ou abandonnées (et le coup de nettoyage donné avec les moyens du bord, l’eau pour arroser les plantes, le plastique qui enrobe la plante servant d’éponge), repérer les dates des vieux aïeuls (cet Armand, né la même année qu’Arthur Rimbaud et mort quatre ans après lui). C’est un jour doux et ensoleillé. On a prévu un repas le midi avec de vieux oncles et tantes, décidé ensemble trois jours avant, agrémenté d’une amie, même génération (et ce sera le toast porté à l’apéritif : « à nos morts, mais surtout aux vivants… »). Je vais chercher l’amie qu’on n’arrive pas à joindre au téléphone, une personne jusque-là alerte, mais que le poids des ans force à la prothèse de genou : ce sera pour dans quinze jours, dira-t-elle. En attendant, montée avec peine dans la voiture, le long du trajet qui prendra moins de cinq minutes, je ne sais pas quelle raison la fait parler de son frère mort (probablement la circonstance de ce jour de Toussaint) : c’était pendant la guerre, en 41 - ou en 43 rectifiera-t-elle aussitôt -, mort en prison à 21 ans, arrêté dans une rafle avec cet unique prospectus retrouvé sur lui, l’incitant à rejoindre le Général de Gaulle à Londres. Mort en prison, elle n’en dira pas plus. Alors les circonstances, ce jour de Toussaint, ma pièce de un euro traditionnellement  glissée à peine une heure avant aux portes du cimetière dans le tronc de la quête nationale du Souvenir Français (et coller la vignette bleu blanc rouge sur le porte-monnaie avec quatre autres des années précédentes), c’est voir d’un coup la formidable histoire devenir vivante : mort en prison, son frère, 21 ans, pendant la dernière guerre. Si peu de choses, elle, née après lui, et son père tout à sa joie d’avoir une fille (qui donc ne fera pas la guerre) se trompant d’orthographe en déclarant son prénom (Nicole, mais avec deux « l »), erreur qui la poursuit encore dans les méandres administratifs, elle, donc, résumant les circonstances troubles de la mort de son frère : il s’était laissé entraîner par d’autres (sous-entendant qu’il n’y était pour rien, innocent, incapable de fomenter quelque complot contre l’ennemi) et moi, dans ce court trajet d’à peine cinq minutes, argumentant : Mais peut-être a-t-il été torturé ? Avec le billet retrouvé sur lui, on imagine que… Non, la version de mon père est qu’il est mort en prison, et cette curieuse phrase qu’elle dit et qui résume tout : c’est ce que mon père a cru en tout cas, et pas question d’y revenir, sinon c’était toute la famille qui aurait disparu. Cette vieille mauvaise conscience… Ainsi étaient ces temps inconcevables de la guerre, comme cette histoire que mon propre père m’a racontée à propos de son cousin tué à une halte d’un train en Yougoslavie parce qu’il essayait de s’enfuir à travers champs pour soustraire aux soldats les bénéfices de son marché noir. Combien de morts, de souvenirs français ou d’ailleurs jamais identifiés  - et pour cause – dans ces temps de guerre. On ne cesse de nous répéter actuellement que nous sommes en guerre. Qu’on y admette aussi quelques morts à cacher : migrants noyés cherchant à y échapper, et quelques vivants aussi à disperser, essaimés après la jungle de Calais. Toujours  cette vieille mauvaise conscience, alors portons un toast : « à nos morts, mais surtout aux vivants… ».
(07/11/2016)


Le proverbe du jour : en septembre, rentrée littéraire, en octobre les feuilles mortes se ramassent à la pelle. Petit raccourci de saison sur la vanité de nos livres éphémères. Mais après tout, l’automne est aussi le temps du provisoire, petit équilibre entre soleils tardifs et pluies précoces, derniers soubresauts d’été avant la grande glissade de l’hiver. Ainsi les champignons : les sous-bois trop secs ont longtemps retenu leur pousse. Nous avons arpenté dès la fin août nos endroits familiers avec un faible succès, quelques chanterelles échappées de l’été et des pieds de mouton dénichés dans l’ombre d’un coteau. Peu de bolets, glanés çà et là un peu de ceux que nous nommons « tête rouge » Toutes ces variétés bien sûr ont fini dans la poêle avec toutefois un « goût de reviens-y », comme on dit. Il fallait attendre les pluies. Puis, l’humidité revenue, il fallait attendre un peu de soleil. Enfin, il fallait attendre l’opportunité d’un week-end de libre. C’est fait. Mais c’est la chasse et les chasseurs ne signalent pas toujours à l’orée des forêts leurs battues en cours. Bref, à peine rentré sous le couvert des arbres, on entend des coups de feu, que j’estime assez loin et dans la direction opposée à celle que nous prenons. Pour plus de sureté, j’ai enfilé le gilet auto jaune fluo, en espérant être vu de loin, avant qu’une balle perdue ne m’atteigne (souvenir de cette expression courante  «  il a pris une balle perdue » et mon beau-père répliquait aussitôt « pas perdue pour tout le monde »). On peut enfin commencer à chercher les champignons, nez au sol, regard exercé. Le trajet à travers les tranches et les sentiers est connu. A un mètre ou deux près, nous sommes capables de nous rappeler des endroits propices. Mais la récolte s’annonce maigre. C’est alors que j’avise une vieille souche, connue pour abriter un champignon rare. Et miracle ! Il est là, d’une fidélité au temps à toute épreuve ! De suite les mots viennent pour le nommer : poule des bois, fraise de veau, panse de vache, appellations communes pour ce champignon qui est un polypore en touffe. Il suffit cependant de prononcer l’un de ces trois noms campagnards à un habitué de nos régions « poule des bois, fraise de veau, panse de vache » pour qu’il s’exclame aussitôt, reconnaisse votre chance et le délice du repas qui vous attend. Ce champignon jouit en effet d’une aura particulière dans notre grand Est : généreux lorsqu’on le trouve, fidèle lorsqu’on repère l’endroit précis, il est très apprécié des gourmets, à la fois très fin et légèrement anisé (voir recette en Webcam). Seule incertitude : sa repousse, il faut être là au moment précis, il attend que les conditions le satisfassent, il se passe parfois plusieurs années avant de le revoir (si j’en crois cette Webcam, la dernière fois c’était le 30/09/2009…). Et bien sûr, la promenade s’en trouve illuminée. Quelques cèpes de bordeaux et des pieds de moutons complèteront la récolte. Mais peut-être que le plus beau, le plus rare, c’est de pouvoir encore nommer les champignons avec ces locutions charmantes et centenaires, issue du vieux monde agricole : pied de moutons, poule des bois, fraise de veau, panse de vache. Le dernier de la saison à apparaître s’appelle trompette de la mort. J’irai bientôt en chercher.
(31/10/2016)

 

 

L’aiR Nu, j’en ai déjà parlé en note d’Etonnement le 4 juillet dernier. Ça veut dire Littérature radio numérique, et moi j’ai retenu la manière dont on m’avait parlé de ce projet un an auparavant : fabriquer une web radio, attention, pas un monstre copié de France culture qui enchaîne les émissions toutes les heures, mais vraiment une radio sur Internet qui ne serait consacrée qu’à la littérature. Et donc, avec journaliste et matériel. Une structure souple, capable d’accompagner de modestes auteurs dans des petites librairies de banlieue, d’y rester tout le temps, de se faire oublier et de restituer par un coup de baguette magique et beaucoup de travail l’ensemble complet de la rencontre. Et c’est bluffant ! Une heure découpée en tranches de quelques minutes dans lesquelles j’ai dû aborder quasi toute ma vie littéraire. J’y découvre que je suis bavard (je le savais déjà en fait) et plutôt à l’aise. Je suis ainsi très fier d’inaugurer cette nouvelle rubrique Chemin de lecture de L’aiR Nu. Techniquement, le travail est fabuleux : on clique sur une image qui représente un des moments de la rencontre (ici, chacun de mes livres), on accède à plusieurs pistes audio. Ça paraît simple, mais il a fallu tout réécouter, tout découper, tout mettre en ligne : connaissances web approfondies, programmation internet, solutions techniques pour la fluidité, pour la découpe des sons, bref de vrais métiers, des compétences de professionnels (c’est le chargé de recrutement qui parle). Pour moi c’est l’avenir de nos salles de bains qui se joue avec de telles web radio : bientôt, au moment de se raser ou de se laver les dents, on n’écoutera plus France culture, mais on laissera L’aiR Nu vous proposer ses programmes comme 36 secondes de lecture hebdomadaire d’un livre (j’y suis aussi avec Bestiaire domestique). De la même manière, j’écoute déjà sur ma tablette en préparant le repas François Bon me parler de Cendrars. Par moment, on se sent terriblement ringard d’avoir à subir encore les vieilles manières télévisuelles ou radiophoniques, le Télématin redondant mais si facile à mettre en route ou la radio qui ronronne à allumer. Lorsque les flux Internet seront aussi répandus et aisés à manipuler les vieux pouvoirs médiatiques auront vraiment du souci à se faire.
(24/10/2016)

 

Je suis retourné dans ma ville natale, à Langres, à l’occasion des Rencontres de la philosophie et à l’invitation d’un ami libraire. En sortant de la séance de dédicace, j’ai rencontré une camarade de classe qui organise cet évènement. Nous ne nous sommes pas trop perdus de vue, si on considère qu’un signe de vie en moyenne en dix ans est suffisant. Elle travaille depuis toujours dans le domaine culturel et n’a jamais quitté notre ville de jeunesse. Je lui ai fait remarquer que nous étions tout près du collège qui nous avait réunis après l’école primaire. Et comme il convient, nous avons échangé des nouvelles de ceux qui nous accompagnaient. Surtout elle, parce que j’ai une mémoire assez faible. D’ailleurs, dans l’inévitable inventaire de ceux qui nous ont quittés, elle a prononcé un nom, en précisant qu’elle avait disparu, mais vraiment disparu, on pense qu’elle se serait noyée en Corse. Je ne sais pas pourquoi, à l’énoncé de son nom, j’ai pensé à une connaissance de mon cousin, nous étions alors tous inséparables dans notre petite ville. Ce n’est que plus tard que j’ai réalisé que ce nom m’évoquait quelqu’un d’autre, et quelqu’un même que j’avais bien connu. Le souvenir est alors revenu. C’était au début de nos allées de collège. D’ailleurs j’ai retrouvé une photo de classe de sixième et les années soixante-dix n’ont pas encore commencé. Elle est assise devant au premier rang, je suis derrière avec une sorte de veste de survêtement alors que tout le monde est en manteau ou en pull (on ne voit pas bien, mais on dirait qu’il y a de la neige sur le sol de la cour où nous posons tous). J’ai une tête de onze ans d’âge, la bouche enfantine, l’air ahuri qui va avec les lunettes (le quolibet « têtard à hublots » dont on m’affublait alors correspond parfaitement). Ça doit être vers cette époque, ou peut-être un peu plus tard, que nous avions pris l’habitude de nous raccompagner l’un l’autre après l’école. Je me souviens d’allers et retours incessants, au gré de nos conversations, repartir vers la maison de l’autre si nous avions encore mille choses à nous raconter. Je retrouve d’instinct le trajet, les lieux : remonter du collège jusqu’à la place Diderot, passer la rue du Petit Cloître où j’habitais, puis commencer à descendre la rue de la Boucherie, la porte Boulière et, passé les remparts, la pente qui s’accentuait jusqu’à glisser parmi les jardins des faubourgs (des Trois rois ?) où se trouvait sa maison. J’ai oublié les sujets, les motifs de nos discussions, les profs probablement, l’école, des bavardages. J’étais sérieux. Plus tard je voudrais des petites amies et j’aurais bien aimé qu’elle fût l’une d’elles. Ce n’est pas encore sortir de l’enfance, on se voudrait plus grand qu’on est. Après, mes parents, ma sœur et moi avons déménagé dans les quartiers neufs (à savoir un immeuble moderne qui nous changeait de l’appartement sans confort et malcommode du centre-ville). J’ai grandi (un peu, pas beaucoup), on a dû se perdre de vue, j’ai fait d’autres trajets, d’autres bavardages avec d’autres filles. Si, un dernier souvenir : elle avait passé le concours d’infirmière, j’étais passé la voir à Chaumont, à trente kilomètres de Langres où elle avait son école. Je redoublais ma terminale, je n’avais pas encore le permis voiture, je conduisais une Honda 125 modèle K3 (toujours dans mon garage avis aux amateurs). Je me souviens d’un appartement tout blanc, de posters aux murs. C’est tout. C’était il y a quarante ans tout juste. Je pense à la chanson Les passantes de Brassens : « Pour peu que le bonheur survienne il est rare qu’on se souvienne des épisodes du chemin ». C’est ce qui s’est passé pour moi, apparemment pas pour elle : j’ai retrouvé sur Internet des coupures de presse relatives à sa disparition et qui la décrivent comme une personne dépressive ; on l’a cherché, on ne l’a jamais retrouvée, on suppose qu’elle s’est jetée à la mer. Pourquoi ? Quel est ce sort étrange qui fait que certains vivent dans le bonheur et d’autres meurent dans l’abandon ? Où est-ce que nos destins bifurquent ? Nos conversations enjouées, gaies, l’avenir devant nous à onze, douze ou treize ans quand nous passions tous les deux rue de la boucherie ou porte Boulière : est-ce qu’il y avait déjà une fatalité suspendue au-dessus de nos têtes ?
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17/10/2016)

 

Cette semaine a été riche au boulot. J’en avais perdu l’habitude, mon temps partiel et mes multiples activités avaient dilué l’intérêt professionnel, que je retrouve avec plaisir. Travailler dans les ressources humaines, c’est fouiller justement au plus profond des ressources et qualités que nous possédons au travail, matière première. Mon job de chargé de recrutement m’y incite pleinement et cette semaine j’ai été comblé : six candidats à un nouvel emploi, un poste d’expertise de la qualité, pour faire simple, et en promotion pour compliquer le recrutement. Compliquer parce qu’autant il suffit de faire coller les compétences (le savoir-faire) pour obtenir un emploi, autant la promotion, le niveau du dessus que l’on vise, apporte d’autres critères et questions, qu’est-ce qui justifie que j’en suis capable, qu’est-ce que je vais apporter de plus, bref, quel est mon savoir-être. Savoir-être et savoir-faire à évaluer, double enjeu pour moi avec un objectif bien défini, sélectionner les deux ou trois meilleurs pour ce job. Boulot horrifiant en apparence, car c’est bien de moi seul ou presque que dépend l’avenir de ces personnes, et pas question de fuir : il me revient d’expliquer aux candidats non-retenus de la manière la plus factuelle possible, pourquoi je ne les retiens pas. Chances égales pour tous, pas question de piston, juste évaluer savoir-être et savoir-faire. A ce sujet m’est revenue une expression que nous utilisons : zone de confort. Qu’est-ce qui va nous faire sortir de notre zone de confort pour briguer un nouvel emploi, et quels risques prenons-nous ?
Patati patata, bla bla bla. Voilà que je parle comme un vrai DRH, un type comme je voudrais que soient ceux que je recrute, impliqués, professionnels. Zone de confort ? Oui, j’expliquerai lundi - je sais faire, c’est mon job - à ceux que je n’ai pas retenu pourquoi ils ne méritent pas de promotion. Pas d’état d’âme, juste du factuel, leur dire : « écoute (le tutoiement est de rigueur, ça facilite), je ne te retiens pas car tu ne m’as pas démontré ta capacité à sortir de ta zone de confort, sous-entendu, tu fais ton métier (je rajouterai « très bien » pour rester dans une dynamique positive) mais sans plus, or la promotion que tu vises démontre de « l’agilité » (c’est un nouveau mot très tendance à employer), une manière de te dépasser que tu ne m’as pas prouvée (là, il convient que je cite des exemples : à telle question que je t’ai posée, tu m’as répondu évasivement ; ou : je t’ai tendu la perche tu ne l’as pas saisie ; ou : tu dis que tu veux évoluer mais ta motivation est de retrouver un métier rassurant…etc) ». Bref, la zone de confort, c’est être plan-plan, ringard, attaché à des certitudes, des compétences, faire bien son travail et c’est tout. Une promotion exige plus. A l’inverse est dévalorisée la zone de confort, c'est-à-dire être payé à sa juste valeur seulement, rester modeste sans faire savoir à la cantonade qu’on travaille. Mais quelle est ce monde où l’obligation de se dépasser est loi ? Lundi, je vais me dépasser, renoncer à ma zone de confort et oser dire à « mes » candidats qu’ils ne sont pas retenus. Je mérite ma promotion, d’ailleurs j’en ai eu une récemment... Quant à la zone de confort pour l’écriture, comment se manifeste-t-elle ? Est-ce que Proust qui écrivait dans son lit était dans une zone de confort ? Est-ce que Claude Simon, qui n’a cessé de relater dans tous ses livres l’épisode vécu de la Route des Flandres était dans sa zone de confort ? On est lundi maintenant, j’ai annoncé le verdict à ceux qui n’étaient pas retenus. Je me suis fait copieusement recevoir, c’était attendu, et maintenant plus personne n’est dans sa zone de confort, ni eux, ni moi. Et combien je la regrette...
(10/10/2016)

 

En lisant le livre de François Maspero consacré à Gerda Taro (voir en Notes de lecture), je me suis étonné - et c’est le propre de cette rubrique - de m’apercevoir combien la photographie m’a toujours attiré. Grande fierté pour moi que Raymond Depardon ait accepté que figure en couverture de Faux nègres un de ses clichés de La France (note de lecture du 09/07/2014). Mes Feuilles de route sont jalonnées de lectures sur le sujet : Olivier Roller pour Face(s) en note du 02/06/2010, suivi le 10/06/2010 par l’étonnant Afga box, album personnel de Günter Grass et la même année, le 07/12/2010, par Willy Ronis avec Ce jour-là. Doisneau est, avec Photo poche, en note le 27/01/2011. La compagnie de photographes m’est toujours très agréable. Sophie Bassouls qui m’a mitraillé à deux reprises m’a offert une photo de René Fallet qui figure dans son recueil Ecrivains. Jérôme Sessini, qui rentrait tout juste d’un reportage dans un pays en guerre, m’a gratifié d’un très beau portrait pour Le Monde il y a deux ans. Dernièrement, Richard Dumas a réalisé les clichés promotionnels pour la rentrée littéraire et j’ai eu grand plaisir à le questionner (il ne travaille qu’en argentique). Evoquant ses rustiques appareils chinois et russes, il a eu cette réponse amusée à propos d’une pellicule qui avait refusé de livrer plus de douze clichés : « C’était forcément les meilleurs ! ». Grande leçon, car dans ce qui sépare l’argentique et le numérique, c’est évidemment une philosophie à étendre à notre monde moderne : abondance et facilité, alliés souvent au refus de choisir, nous empêchent d’apprécier le quotidien. Ainsi, les photographes nous apprennent la vie.
Curieusement, je n’ai pratiquement jamais évoqué Cartier-Bresson dans FdR. Pourtant, je me souviens avoir visité une exposition (devenue mythique, il me semble) en 1978. Cette année est très importante pour moi : j’ai vingt ans, à peine passé le Bac, je quitte pour la première fois ma ville natale, je pars à Toulouse pour cinq mois avant de rejoindre Paris. Pas d’études secondaires, j’entre de plein pied dans la vie active, et je profite de mes premières paies pour m’acheter deux choses : un carnet dans lequel j’écris pour la première fois un récit qui deviendra Martin Martin et qui sèmera l’écriture en moi, et un appareil-photo, un FUJICA ST605N avec lequel je réalise mes premiers clichés dans la ville rose. A savoir que mon fils a fait trente quatre ans plus tard la même chose et a investi ses premières paies dans du matériel photo (pour le carnet, je ne sais pas, il ne me dit pas tout). Et comme un vent de nostalgie m’a pris en évoquant cette période, j’ai cherché et retrouvé quelques-uns de ces clichés (voir en Webcam). C’est l’avantage avec l’argentique, on a les épreuves. Ceci dit, je n’ai pas encore perdu de clichés numériques (touchons du bois), les premières ont été faites au début des années 2000 avec un Camedia d’Olympus, pompeusement appelé digital camera. C’est d’ailleurs avec cet appareil que j’ai inauguré ma rubrique Webcam en 2004. Enfin si, justement, j’ai perdu ma toute première photo (ma bibliothèque) et il ne reste que le commentaire à la date du 30 mars 2002. Avant, puisqu’on est dans la technique, j’avais remplacé l’efficace mais fragile réflex par un baroudeur étanche qui m’a été bien utile pour les fonds marins de Guadeloupe, j’ai partagé mes images fixes avec la mode des caméras à cassette pour filmer ma progéniture. Bref, j’aurai succombé à toutes les tendances, et, pour succéder au Camedia basique, j’ai acquis un bridge numérique efficace avant d’opter pour l’actuel et infatigable Pentax que j’emporte partout depuis 4 ans par « réflexe » si j’ose dire. Pour en revenir à cette année fondatrice de 1978, à vrai dire, j’ai recherché ces vieux clichés probablement pour visualiser les parallèles que j’élaborais avec l’écriture. Ça fait froid dans le dos, surtout quand on retrouve deux autoportraits avec casque et pompe à vélo sur l’un, réveil à la place du cœur sur l’autre avec air ahuri et moustache à la Tom Selleck dans Magnum. Man Ray au plus fort du surréalisme n’aurait pas fait mieux.
(03/10/2016)

 

Tolstoï compte beaucoup pour moi. En réalité, pas plus qu’un autre écrivain concernant son œuvre, mais considérablement en raison d’une histoire personnelle. Comme ne l’indique pas forcément mon nom, ma famille paternelle, originaire de Yougoslavie, s’est disloquée dans les remous de la deuxième guerre mondiale et a fini par s’installer en France. Mon père, ainé de six enfants, y a trouvé du travail, a appris le français et a rencontré ma mère. Longtemps j’ai été fasciné par cette histoire familiale. Lorsque nous rendions visite à mes grands-parents, je mesurais l’écart qui nous séparait des autres : une langue un peu bancale, parfois relayée d’allemand ou de serbo-croate avec les plus anciens des enfants. Nous séparait aussi la relégation aux confins du village : mon grand-père était devenu porcher. Tout cela avait fabriqué en moi la vague impression d’une origine un peu extraordinaire, slave, yeux étirés et pommettes hautes, et j’ai guetté longtemps les signes d’une telle hérédité, jusque dans les coutumes du café qu’on y buvait en permanence, les gâteaux roulés et les plats typiques que ma grand-mère préparait. Je me sentais à ma manière un peu de cette descendance, même si on en parlait très peu : tout cela s’était dissous dans les innombrables péripéties qui avaient suivi le remaniement des peuples à l’échelle européenne après la guerre. Petits secrets, modestes mystères pour ceux qui, comme nous, tentaient de reconstruire une vie en paix ; on avait appris pendant les temps troublés que la discrétion valait survie. Mon père, donc, avait suivi les périples de l’histoire : ballotté au gré des exodes en Hongrie, en Tchécoslovaquie, il avait eu 15 ans en 1945 pas très loin de Berlin, avait fêté ses 20 ans en France, années mises à profit pour parler allemand, français et même un peu de russe, sans oublier bien sûr sa langue d’origine. Un vrai polyglotte, mais pourtant je ne l’ai pratiquement jamais entendu s’exprimer autrement que dans notre langue. Encore aujourd’hui, il parle avec une modulation régionale, une manière de rouler certaines syllabes, comme font ceux qui ont appris par contact direct avec les conversations. Lorsqu’on me demande comment se prononce mon nom, je le francise (Baisse-tain-gelle) de la même manière qu’il a dû le faire à son arrivée. Un jour, une serveuse dans un restaurant (il était routier et je l’accompagnais parfois dans son camion pendant les vacances) lui a dit qu’il parlait parfaitement notre langue et j’éprouve encore la fierté que j’avais eue à partager ce compliment avec lui. Il n’est jamais revenu dans son pays natal, j’avais espéré ce retour ensemble et qu’il me fasse visiter ses contrées d’enfance pas très loin de Sarajevo : la guerre de Bosnie au début des années 90 a réduit à néant ce dernier voyage. Revenons à Tolstoï : pour son anniversaire, nous (ma mère, ma sœur et moi) lui avons offert l’album Pléiade de La guerre et la paix. Je ne sais pas l’âge que j’avais, 8, 10 ou 12 ans (le livre a été imprimé en 1964), mais je me souviens exactement de la solennité de cet instant (ou peut-être l’ai-je magnifié par la suite, cela n’a pas d’importance). C’était manière de lui dire : ton français est si correct que tu peux lire les 1500 pages de ce livre qui te relie aussi à tes origines slaves. Il faut imaginer ce que cela signifiait pour nous, modeste famille, d’offrir cette édition prestigieuse. Rien n’était plus beau que ce livre, horizon de tous les possibles et symbole de cette culture qu’il maitrisait maintenant parfaitement. La suite est célébrée, exaltée, commémorée : je me plais à me rappeler mon père ouvrant avec gravité ce livre pour le lire. A force, j’en ai fait un des éléments déclencheurs de ma passion d’écrire. Nous avons tous besoin d’inventer nos propres légendes, sont-elles si différentes de la réalité ?
(26/09/2016)

 

Je sors tout juste d’un week-end que j’avais organisé pour vingt amis dans les Ardennes avec obligatoirement l’ombre de Rimbaud dans les trouées que nous aura laissé le soleil (fierté d’avoir tout organisé moi-même !). C’est le château de Charbogne qui nous a accueilli, récemment transformé en deux gîtes tout confort. Le lieu est très proche de Roche, 6 km à vol d’oiseau, et il me parait impossible qu’Arthur n’ait pas intégré dans ses paysages familiers les tours rondes de cette ferme fortifiée qui date du XVI° siècle. Situé au-delà des méandres de l’Aisne, après Attigny, au-delà de la vieille voie ferrée, comment ne pas imaginer le poète et sa famille autrement que dans ces lieux resserrés : l’ultime départ pour Marseille d’Isabelle et d’Arthur à la station de Voncq, le travail de Frédéric à la gare d’Attigny, les années solitaires de leur mère à Roche, puis de Paterne et d’Isabelle jusqu’à la première guerre mondiale, l’ensemble si proche, comme gardé par les quatre fiers donjons de Charbogne. Week-end de pèlerinage donc, en plus c’était les journées du patrimoine et Arthur était mis à l’honneur à Charleville dans le musée repensé depuis l’année précédente. C’est alors comme un puzzle qu’il faut reconstituer : la malle qui l’a accompagné en Afrique, sa photographie de premier communiant accrochée jusqu’en 1914 dans la salle à manger de Roche, la tombe où se disperse ses os, la maison des ailleurs dans l’ancien appartement de Charleville. Tout cela, tout ce qui fait a fait corps avec moi pendant les mois d’écriture, les années précédentes, je tenais à le partager avec mes amis habituels. Seul ombre au tableau : j’ai très peu pris de photos (suffisamment pour quelques vues en Webcam)
(20/09/2016)

 

Grandes manœuvres et petit quotidien, le titre de cette rubrique est venu comme cela, d’un bloc, comme il arrive parfois que le titre d’un livre arrive bien avant que le récit soit entamé pour de bon. C’est souvent une vague direction à prendre, quelque chose fait pour cristalliser dans notre mémoire le discours qui se prépare. A savoir ici, les grandes manœuvres éditoriales, valse des prix d’automne d’un côté, et lorsqu’on sort un livre à la rentrée de septembre, on n’y échappe pas, et, de l’autre, le petit quotidien prosaïque qui m’occupe, maison, famille, boulot, heures passées sur la route, à préparer des repas, faire des lessives, du commun donc. Dit autrement, d’un côté, une vie qui m’échappe, que je ne contrôle pas, travail éditorial qui s’accomplit hors de moi, avec ou sans manigances, crispations, négociations, quelque chose qui se situe à Paris, se négocie dans des couloirs, des bureaux, des cocktails, des cafés ; de l’autre, qui ne dépend que de moi, l’existence banale, répétitive, attendue, faite de province, accomplie dans des cuisines, des buanderies, des jardins, sur la route, quelque chose sur quoi on a prise, totalement maitrisé (encore que les deux jours passés à remettre à flot l’ordinateur de mon épouse suite à la négligence d’un informaticien n’aient pas été prévus). Je ne sais pas raconter les grandes manœuvres. Je les apprends par Internet (il est vrai que je le consulte souvent, inquiétude quant au sort réservé à VPAR je l’avoue), on me les annonce par téléphone, j’assiste à des rencontres comme celle de la FNAC dans la capitale où je n’aurai vu au final qu’une personne s’avancer dans ma file dûment balisée par des rubans comme si j’étais un employé chargé d’enregistrer un vol à l’aéroport. En revanche, j’ai attendu cinquante minutes dans une file semblable pour une dédicace de Boulet qui était également présent : c’était l’occasion, deux jours plus tard nous partions pour Bruxelles pour l’anniversaire de mon fils (voir en Webcam, par la même occasion, la fête de la BD). Ainsi manœuvres et quotidien se rejoignent parfois. Pour les manœuvres, j’ai l’impression de jouer à un jeu, remarquez : je le joue volontiers, avec grand plaisir et toujours le sourire, même si au final, je ne comprends pas grand-chose à ces manœuvres. Je dois passer pour un type sympa, plutôt gentil, un peu décalé (certains mettent des noms d’oiseaux plus aigres face à une telle naïveté). J’ai l’impression de participer, de faire de mon mieux. En revanche, le quotidien, c’est mon rayon. Qu’il s’agisse de préparer un repas en dix minutes avec trois fois rien, d’organiser mon travail nourricier, de réfléchir à ma thèse, d’aller à la boulangerie ou à la bibliothèque de mon quartier en bermuda et débardeur ou de profiter de l’été indien en partant au lac en vélo pour y nager encore sous le soleil, il faut reconnaître que je suis alors le roi de l’occupation diversifiée de mes journées, avec une liberté épicurienne que beaucoup m’envient. L’avantage de ce petit quotidien tient justement à sa régularité, autant d’accumulations de joies et de bonheurs, tandis que les grandes manœuvres terminent toujours dans l’oubli tôt ou tard. Ajoutons à cela que je place dans le petit quotidien les rencontres livresques induites parfois par les grandes manœuvres, à savoir le face à face avec des lecteurs, des journalistes, des libraires, des amis. Par exemple, la rencontre organisée  à Chaumont avec Francis Zahn la semaine dernière (voir en Notes d’écriture), Le Livre sur la place à Nancy ce week-end et bien d’autres choses à venir, par exemple la rencontre prévue à Montmorency à la librairie Le connétable le 9 octobre, celle à Chateauroux à la libraie Arcanes le 14 octobre et enfin la toute dernière, planifiée d’aujourd’hui à la librairie Rimbaud de Charleville le 22 octobre, date anniversaire (presque) d’Arthur (en tout cas, celle de Georges Brassens c’est sûr).
(12/09/2016)

 

Internet a vingt ans, c’est ce qu’affirme François Bon, dans son Tiers Livre, relayé par d’autres pionniers, Christine Genin ou Gilda. Sa première connexion date de 1996. Et tous de se rappeler du bon vieux temps lorsqu’on partait se promener dans la verte campagne déserte du Web. Un peu de nostalgie ne fait pas de mal, alors je renchéris. Ma première connexion, je ne m’en souviens pas. Ce devait être probablement au boulot. Il faut imaginer ce qu’a été la révolution informatique d’abord, d’asseoir sur son bureau une de ces grosses machines dotée d’un écran proéminent, qui du jour au lendemain vous cachait l’espace que vous aviez soigneusement agencé, à droite la fenêtre, à gauche l’armoire, la vue dégagée devant vous pour recevoir les visiteurs, les collègues, les clients, avec, comme seule technologie, un téléphone, un bloc-notes et un stylo posé sur l’aplat du bureau. Pour communiquer, on utilisait la parole ancestrale qui s’obtient avec les mouvements de la bouche. Nos pouces maintenant acharnés sur nos smartphones étaient encore au repos, nous n’avions pas conscience de la révolution qui allait suivre lorsqu’on installait ces gros cubes à cette époque. On trouvait ça plus moche et plus encombrant que l’aimable Minitel fourni quelques années auparavant et qui nous avait ouvert au monde, 3615 code ULLA pour les parties roses qu’un certain Xavier Niel avait popularisé. Je possède d’ailleurs une photo de boulot où je trône fièrement, stylo à la main, Minitel dans un coin ; le cliché a été pris le 19 septembre 1994. Je ne me souviens pas avoir eu de PC installé à cet ancien bureau, époque racontée dans mon premier livre Central. Lorsque j’ai changé de travail en 1995, j’ai eu d’office un ordinateur à moi. Des PC, je devais en être à mon troisième à la maison, je ne sais plus, mais je me souviens de l’année du tout premier, acquis en 1987, pour rédiger la thèse de mon épouse. L’informatique, donc, je connaissais, j’ai dû collectionner toutes les premières versions de Windows, et même avant cette interface graphique, lorsqu’il fallait taper à même l’écran noir et blanc (plutôt vert d’ailleurs), des lignes de commandes en MSdos pour accéder à Multiplan, l’ancêtre d’Excel ou à d’antiques traitements de textes (savoir qu’à la même époque Houellebecq travaillait dans l’informatique de la même manière et s’apprêtait à le relater en partie dans Extension du domaine de la lutte). A mon boulot, j’ai probablement été relié de suite à l’Intranet balbutiant de mon entreprise, mais ma vraie découverte du Net doit dater de 1997 lorsque mon entreprise a fondé Wanadoo. Grande ouverture sur le monde : je suis allé voir ce qu’on trouvait du côté du web littéraire français, et je suis forcément tombé sur le site de François Bon, seul à l’époque. J’ai fini par échanger avec lui un premier mail en date du 05 juin1998. Savoir aussi que j’ai participé à la même époque à démystifier Internet dans le cadre de mon entreprise pour le grand public lors de salons, présentations. Je distribuais des CD de connexion Wanadoo (à l’époque, il y avait tellement de CD de connexion divers, Compuserve et autres, que mon beau-père les accrochait à ses arbres fruitiers pour faire fuir les oiseaux). Lorsque le public avide de savoir me demandait ce qu’on pouvait bien faire avec Internet dont on promettait merveilles (la bulle économique Internet commençait juste de grossir, elle éclaterait deux ans plus tard), je leur montrais en direct les pingouins du biodôme de Montréal, webcam chipée sur le site de François Bon. Ah bon, alors c’est ça Internet ? On peut voir en direct des pingouins à l’autre bout de la planète ? Ils repartaient un peu déçus mes interlocuteurs, le rêve du Net résumé à un zoo à surveiller. Mais c’était lancé, et après tout irait très vite. Le Modem à 56K qui accompagnait nos connexions de son chant d’oiseau serait remplacé par l’ADSL, inventé dans les labos de mon entreprise, si, si, un peu de cocorico ne fait pas de mal. Charger une simple photo deviendrait instantané, quasi légitime : se souvenir qu’il n’en a pas été toujours ainsi. Donc, avec la technique devenue invisible, viendrait le temps du soft, les versions incessantes de Windows, la compatibilité de plus en plus affirmée avec Mac, le Web 3.0, les blogs : on suivrait ou non ces évolutions. Tout cela serait balayé ensuite par les réseaux sociaux : pareil, on suivrait ou pas, de toute façon, nos premiers pas internautiques étaient déjà à mille lieues. Les révolutions technologiques successives s’effaceraient de nos mémoires au point où les médias maintenant nous rabâchent avec admiration que les séniors (entendez les vieux au-delà de 50-60 ans) s’y mettent aussi à Internet : tu parles, c’est eux (c’est nous) qui l’ont (l’avons) inventé !
(05/09/2016)


Samedi prochain, nous sommes deux à effectuer notre rentrée à quelques kilomètres de distance dans mon petit département d’à peine cent cinquante mille âmes. Citons d’abord la plus populaire, la vraie Le Pen, fille de son père du même nom, et moi-même, Beinstingel, nettement moins populaire, fils de son père du même nom, chauffeur routier du temps où il était encore en activité et immigré yougoslave, du temps où il n’avait pas encore obtenu sa naturalisation. Visite annuelle à Brachay sur fond champêtre pour elle et à Chaumont sur fond de librairie pour moi, à peine quelques vaches et trente kilomètres pour nous séparer. La date n’est pas choisie au hasard : Faux nègres, mon roman paru en 2014 et qui racontait déjà sa venue dans ce village, vient de paraître en poche, c’est l’occasion idéale pour vous d’acquérir à prix modique cette version ainsi que mon nouveau livre sur Rimbaud, le tout agrémenté de dédicaces amicales et chatoyantes, mais aussi de renouveler le débat qui avait eu lieu deux ans auparavant, librairie pleine de monde, grande joie et surprise de m’apercevoir que la Le Pen, comme on dit chez nous, ne faisait pas l’unanimité et qu’on était venu me le dire et protester.
Donc, nous recommençons avec Francis Zahn, excellent libraire et éditeur du Pythagore, déjà énervé de supporter à longueur d’année la permanence du FN située dans la même rue que lui. Nous recommençons mais cette fois-ci avec l’idée de nous aligner le même jour, histoire que la littérature puisse faire jeu égal avec la politique, ouverture contre nos peurs, lumière contre obscurantisme. C’est ainsi un appel solennel à faire circuler l’information, amis qui twittez et facebookez mieux que moi : si la poissonnière à mèche blonde vous énerve, si la politique vous défrise, si la culture vous paraît comme un dernier refuge, venez nous rejoindre à Chaumont à 14h30 à la librairie Le Pythagore, avenue de Verdun (tout un symbole…) !
(28/08/2016)

 

Dans une mise à jour précédente (note d’écriture du 11/07/2016), j’évoquais les subterfuges des grandes entreprises pour dynamiser leur discours commercial, parler de « digital » à la place de « numérique », ça fait forcément plus jeune, même si ça ne change rien aux possibilités d’usage. Bien sûr nous avons commis des erreurs, laissé traîner le terme NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication) pendant de trop nombreuses années jusqu’à ce que la nouveauté soit éculée et ne représente plus aucune innovation. Il faut donc redynamiser le discours commercial, marketing réinventé, que notre éducation nationale rebaptise mercatique dans ses enseignements, mais marketing tout de même au sens international. Et justement, dans ce même article, je m’étais promis d’évoquer la notion d’expérience-client. J’insiste sur l’internationalisation des termes, car « expérience » est à prendre en son sens anglo-saxon pour mieux comprendre ce que ça change, ce que ça remplace. Customer expérience, donc (dites CX, vous aurez l’air d’un spécialiste), notion que je n’avais pas vraiment comprise malgré la déclinaison de la stratégie de mon entreprise avec cette « expérience-client » qui remplaçait et dépoussiérait du jour au lendemain ce qu’on avait nommé  jusqu’alors pendant des années « la satisfaction-client ».  Je n’avais pas vraiment compris, non pas l’intérêt (donner un coup de jeune, au langage économique, pourquoi pas) mais vers où on tentait d’aller à vouloir « faire vivre à nos clients une expérience incomparable », phrase répétée en boucle et qui était devenue du jour au lendemain notre slogan, plutôt que de continuer simplement à donner satisfaction à nos clients. Et puis, au printemps dernier, j’ai visité dans Dublin les bières Guinness, visite guidée, très bien faite, où pour la simple visite d’une brasserie, rien n’est laissé au hasard, de la mise en spectacle  d’une cascade qui apporte l’eau de la rivière proche nécessaire à la fabrication, jusqu’aux futs de bois estampillés Guinness artistiquement disposés. Le clou de la visite se termine par la dégustation d’une pinte de bière que vous vous servez vous-même, attestée par un diplôme qui vous félicite de la perfection de votre geste à la machine à pression. Juste avant cette dernière étape qui constitue le summum de la visite, l’animateur chargé de notre groupe avait conclu d’une phrase de ce genre : « And now, we want to live you an expérience… ». Et soudain, tout s’était illuminé pour moi, j’avais compris ce que c’était que l’expérience client ! Il ne s’agit plus de satisfaction, notion ringarde, mais bien de que ce que le client va vivre, et de ce qu’il ira raconter à son voisin, à sa famille, son diplôme de perfect pint of Guinness accroché sur le frigo familial. Peu importe s’il aime la bière ou pas. Vivre une expérience ! Une « expérience incomparable » comme dit mon entreprise. Et justement je viens de la vivre, cette expérience incomparable, à propos de mes propres factures de téléphone (être employé dans une boîte de télécommunications ne dispense pas de payer). Pendant quatre jours, à mon retour de vacances, il a fallu que je téléphone au service client pour régler mes abonnements, des dysfonctionnements informatiques chez eux m’empêchaient de le faire, bref, on me menaçait d’amendes de recouvrement, de me couper Internet et autres expériences à vivre. Et c’est bien là que je me suis aperçu que le monde avait changé : j’ai vécu pendant ces quelques jours, je me suis énervé, mais enfin, je ne me suis pas ennuyé, j’ai eu l’impression d’exister. Bien sûr, ma satisfaction est proche de zéro, mais est-ce le plus important ? J’ai vécu dans la grande communauté des hommes, pris le monde à témoin de ses aléas, de ses doutes, de ses dysfonctionnements, j’ai mélangé la triste actualité de la guerre et du terrorisme que notre gouvernement ne cesse de répéter avec ma petite vie insignifiante, au final bien confortable. Et ce matin, j’apprends que notre président sort un livre qui le rapproche un peu plus de sa probable candidature aux élections, il se verrait bien, paraît-il, avec comme adversaire Sarkozy, comme en 2012, il constate avec cynisme qu’il n’est jamais meilleur que lorsque  confronté aux attentats. Veulent-ils, eux aussi nous faire vivre une expérience incomparable ? Pourtant, il me semblait que ce terme marketing avait été réinventé pour bâtir du neuf. Mais là aussi, la satisfaction de l’électeur est devenue ringarde.
(22/08/2016)

 

J’ai un fichier Excel, intitulé vacances.xls depuis deux dizaines d’années. Installé successivement sur la cohorte d’ordinateurs qui me suivent depuis l’invention du personal computer (il faudra songer à renouveler l’actuel, obsolète et plein comme un œuf ), ce fichier a pour vocation de dresser une liste de ce qu’il ne faut pas oublier lorsqu’on part en vacances. Il y a divers rubriques, camping, sports d’hiver, plage, agrémentées au fil des voyages. C’est pratique, on édite la liste avant de partir, on coche ce qu’on entasse dans les valises au fur et à mesure. Bref, cela contredit l’image persistante et injustifiée qui nous a toujours poursuivi d’une sorte de désorganisation latente et familiale. J’ai remis à jour récemment cette liste. C’est très instructif. On mesure à la fois le temps qui passe, les enfants qui ont grandi et sont devenus indépendants (abandonnés les jeux de plages, bouées, divers seaux, pelles et râteaux, mais fini aussi les devoirs de vacances). On mesure également les activités persistantes (regarder les poissons avec masque et tuba), celles qui ont pris de l’importance (ne pas oublier la montre GPS pour la course à pied, ni la cohorte de chaussures spécialisées trail, randonnées, montagne), celles qui ont disparu (l’aquarelle, la pêche sous-marine et une éternité que je n’ai pas fait de ski). Mais c’est surtout dans le domaine technologique que les choses ont le plus bougé. A l’époque, il n’était pas question d’embarquer l’ordinateur, obligatoirement « de bureau » au début des années quatre-vingt-dix. Les téléphones portables n’existaient pas : je viens juste de supprimer la ligne du fichier qui indiquait « carte téléphonique », seul moyen à l’époque pour garder le contact avec quelques proches. La plupart des cabines téléphoniques ont d’ailleurs également disparu. Exit aussi la caméra avec laquelle je me souviens avoir filmé une heure durant ma fille tournant sur un manège pour la première fois, long métrage que je comptais présenter hors compétition au festival de Cannes et aujourd’hui introuvable. Je l’ai remplacé par un appareil-photo (tous sont capables de filmer ainsi que le moindre téléphone portable), mais j’emporte avec lui une collection impressionnante d’objectifs en tous genres. Se sont rajoutés des tablettes, IPad, smartphones, ordinateurs portables qui nécessitent un sac complet de chargeurs en tous genres et d’accessoires divers. A fortement augmenté la rubrique livres, toujours aussi impressionnante pour nous (c’est le moment privilégié pour moi de lire mes Pléiades) mais qui s’est doublée l’année précédente avec la venue des enfants, prof et encore étudiant, même si les liseuses sont maintenant de sortie et font gagner de la place (ça fait un chargeur de plus).La seule chose qui demeure à peu près stable sont les habits, il faudra toujours un maillot de bain et un pull pour les soirées fraîches, une cape de pluie pour la randonnée. Bref, plus on s’éloigne du corps, plus le monde a changé. Et encore. Dans les années quatre-vingt-dix, au début de ce fichier vacances.xls, nous aurions regardé comme des bêtes curieuses ces individus au boitier greffé au bout d’une des mains, yeux rivés dessus et ignorant des autres. O tempora, o mores
(16/08/2016)

 

Si j’en crois Feuilles de route, qui me sert de mémoire depuis 2000, c’est la quatorzième fois que je passe mes vacances en Sicile, dans le lieu habituel que nous avons fini par surnommer « the pink house » avec notre logeuse, sicilienne pur jus, mais ancienne professeur (professeure ?) d’anglais. Si notre joie est extrême de retrouver les bancs de pierre, les deux terrasses, les chaises longues, les jarres de géraniums et le bassin aux nénuphars (nénufars ?), colonisé par un essaim d’abeilles (voir ces détails en Webcam), chaque année est différente. Pour la première fois, j’ai dû faire appel à une dépanneuse pour mon véhicule (neuf, un comble !) et lors de cet arrêt forcé d’une nuit au sud de Florence j’ai appris la tragédie de Nice par sms d’un ami. On relativise ses propres petits inconvénients en face de ce drame. Quelques jours plus tard, nous avons lu l’assassinat du prêtre  dans le Corriere della sera. Dès lors, la sollicitude dont nous faisions l’objet à l’épicerie, au café ou chez l’edicolo s’est accrue dans ce pays où la séparation de l’église et de l’état n’a pas eu lieu et où les crucifix ornent tous les lieux publics, poste et office de tourisme compris. Je n’ai pas regretté d’être ailleurs pour recevoir ces informations, la parole unique et guerrière que nous tenons en France depuis des mois m’aurait probablement encore plus énervé. Ceci dit, être ailleurs nous en apprend beaucoup sur la manière dont est diffusée l’information, les sujets qui préoccupent les siciliens étaient axés sur l’intervention en Lybie (il est vrai que les bombardiers américains décollaient de cette île, très près de chez nous) et le problème des réfugiés, car nous avons beau, français, nous mettre les mains devant les yeux, c’est bien en Italie qu’ils arrivent en grande majorité. Ainsi ce pays me parait plus humain, plus compatissant, et notre politique est toujours autant conspuée depuis 2012, ça en dit long sur notre image internationale lorsqu’un passant, à l’issue d’une conversation de trottoir, traite notre président de cretino. Oublions, car la Sicile est synonyme de délassement, et la présence de nos meilleurs amis nous a permis d’apprécier chaque instant, du ristreto du matin, sur la place, juste après la course quotidienne et encore en sueur, en passant par les inévitables pasti, la plage du soir, voire d’autres évènements plus attendus comme ce magnifique opéra au théâtre antique de Taormine, ou le traditionnel feu d’artifice que les habitants ont la gentillesse de m’offrir le lendemain de mon anniversaire. Retour donc, sans encombres cette fois, et j’écris cela à l’issue de ma première journée de reprise.
(09/08/2016)

 

Je suis très content d’avoir enfin résolu cette histoire de liste de diffusion qui ne fonctionnait plus depuis des lustres. Pour me simplifier la vie, j’avais utilisé un service de mailing, mais qui a cessé de fonctionner au bout de quelques années. Ça en dit long sur la pérennité du Net : ce qui n’est pas commercial ou rentable est voué à disparaître. Bref, on n’est jamais mieux servi que par soi-même, j’ai donc bidouillé avec mon vieux Front Page 98, un système d’inscription et de désinscription à une liste que je gère moi-même, via ma messagerie. Comme je n’ai pas pu récupérer les adresses inscrites (pas loin de 70 je dois me souvenir), j’ai repris les historiques des mouvements de la précédente, du moins ceux que j’avais gardés, et ma liste toute neuve compte 38 membres (je dois en rajouter, je me suis aperçu de quelques oublis). J’ai déjà reçu des messages sympathiques qui m’ont conforté dans mon initiative. Effectivement, chaque semaine, le petit message qui commence par « Chers amis de Feuilles de route » est un usage pratique pour qui fonctionne encore avec sa boite mail. Car on essaie de nous faire croire que cette utilisation est en perte de vitesse (voir en regard ma note d’écriture sur la digitalisation). C’est pour moi bien agréable d’adresser ce petit signe à ceux qui ont fait la démarche de s’inscrire, et bien commode j’espère pour ceux qui le reçoivent d’aller faire un petit tour sur mes pages de temps en temps. C’est manière de dire qu’on existe encore un peu l’un pour l’autre. Je connais une bonne partie de ceux qui figurent dans ma liste et j’ai toujours grand plaisir à répondre à qui m’interpelle à l’occasion d’une de mes mises à jour. Il est vrai que celles-ci ont été moins régulières pendant une quinzaine de mois, raison pour laquelle je ne me suis pas occupé de la liste en panne. Mais je suis beaucoup plus constant depuis le printemps, j’ai repris ces habitudes internautiques qui prévalent depuis seize années. Seize années ! Soixante-quatre saisons ! Certains me suivent depuis le début et, comme moi, ont traversé toutes les évolutions du Web. Dans cette même rubrique, j’avais annoncé le 21 juin dernier l’abandon de cette liste, mais il semblait qu’il me manquait un rouage important dans la mécanique vieillotte de FdeR. Pareillement, il y a quelques années, je m’étais doté d’un fil RSS, mais je n’ai jamais trop compris l’intérêt et s’il était utilisé. J’ai hésité à m’inscrire sur les réseaux sociaux, Twitter ou Facebook, pour informer le monde de mes mises à jour mais, par principe, j’ai toujours été réticent à m’y fourvoyer. Et puis les like m’énervent, je n’ai pas envie d’accepter des dizaines d’amis échoués pour deux minutes sur ma page Facebook, je n’ai pas envie de converser avec, de touitter ma vie en 140 caractères, je ne veux pas me hacher en petits bouts, me hachtaguer à tour de bras, Internet reste un outil mémoriel, un moyen de communication, seulement cela et celui que j’ai fabriqué, même s’il n’est pas très élégant, me convient parfaitement. Rimbaud avait choisi la liberté libre, elle commence pour moi par la maîtrise de ce que j’ai bâti avec mes petits bras numériques.
(11/07/2016)

 

L'aiR Nu, rien à voir avec Charles Hernu, ministre impliqué dans l'affaire du Rainbow Warrior.
L'aiR Nu, tout à voir avec l'espace, la gratuité de l'air qu'on respire.
L'aiR Nu, rien à voir avec l'écologie (sauf peut-être Greenpeace et le Rainbow Warrior).
L'aiR Nu, tout à voir avec la nudité, se mettre à nu, tout vif et frétillant.
L'aiR Nu, rien à voir avec les grands airs qu'on se donne.
L'aiR Nu, tout à voir avec Pierre Cohen-Hadria, Mathilde Roux, Anne Savelli, Joachim Séné.
L'aiR Nu, rien à voir avec un collectif de plus, histoire de faire tendance.
L'aiR Nu, tout à voir avec Littérature Radio Numérique.
L'aiR Nu, rien à voir avec des réponses toutes faites.
L'aiR Nu, tout à voir avec les questions qu'on se pose sans cesse.
L'aiR Nu, rien à voir avec ne rien faire.
L'aiR Nu, tout à voir avec des projets, temps et villes nous appartiennent.
L'aiR Nu, rien à voir avec ce que vous avez déjà vu.
L'aiR Nu : un an d'existence, photos, podcasts, textes (Littérature, Radio, Numérique).
L'aiR Nu : Une ville au loin, résidence, livre.
L'aiR Nu : c'est vous qui construisez.
L'aiR Nu : a besoin d'argent.
L'aiR Nu : c'est vous, vous allez ICI tout de suite, sinon vous allez oublier.
(04/07/2016)

 

Je tente en ce moment d’être très régulier dans mes mises à jour (voir ici même, semaine précédente). Dans mon moteur à trois temps, il y a cette rubrique, Etonnements, donc incontournable. L’idée m’était venue il y a très longtemps, du temps où les japonais venaient en nombre en France au début des années quatre-vingt, piquer quelques idées dans nos entreprises. Au retour, leur patron demandait, en plus de l’inévitable compte-rendu de leurs visites professionnelles, un rapport d’étonnement, sur ce qui les avait surpris dans notre pays, culturellement, dans les mœurs, habitude, vie courante ou faits divers de nos concitoyens. Au premier abord, on pourrait penser que c’est facile, mais, répété chaque semaine, c’est un exercice exigeant, surtout quand on a la tête dans le guidon, que l’actualité est si prévisible (loi travail, politique, euro de football). Prendre de la hauteur n’est jamais naturel, on peut se laisser aller à des considérations terre-à-terre, des problèmes domestiques récurrents, nos lamentations existentielles ou météorologiques, printemps pourri, etc… Cette semaine, j’ai pas mal bougé (c’est comme cela depuis l’automne précédent) Reims, Paris deux fois, dont une galère ferroviaire qui m’a fait louper les libraires que je devais rencontrer. Ajoutons à cela le travail dans les creux, l’organisation en trois jours pour laquelle j’ai opté depuis septembre mais qui oblige à une plus grande rapidité et souplesse parce que la charge n’a pas diminué pour autant. Donc, s’arranger avec cela, je ne compte plus les coups de fils professionnels, portable coincé à l’oreille en train de faire la cuisine, une lessive, les fichiers d’écriture servis entre deux mails de boulot, et puis garder un peu de temps pour aller courir, histoire de conserver un semblant de forme. Il y a aussi cette fête familiale que je co-organise pour la fin de cette semaine, soixante personnes dans un verger, ça n’a l’air de rien, mais c’est barnums, table et bancs, repas et boisson pour deux jours, entretien préalable de l’endroit, toilettes à construire, groupe électrogène à aller chercher à 30 km (il faut d’ailleurs que je revienne tôt de Paris ce jour pour cela – j’écris cette rubrique dans le train). Toute cette organisation, c’est encore dans les creux. Et puis accueillir et héberger tout de même quinze personnes chez moi, certains viennent de loin (penser à préparer les lits, ai-je assez de paires de draps, puis lessive après…). Tiens d’ailleurs, voilà un motif d’étonnement propre à cette rubrique : pourquoi mes invités ne se manifestent pas ? Pourquoi suis-je obligé de passer nombre de mails, sms, pour simplement connaître quand et combien serons-nous à diner, à déjeuner, demain, après-demain ? Est-ce de l’insouciance ? Est-ce qu’on pense que j’ai le temps,  le loisir d’organiser tout cela ? Plus de temps, plus de loisirs à le faire qu’eux ? Est-ce que tout le monde est si occupé qu’on ne prend plus la peine d’un seul SMS, coup de fil, mail ? Est-ce qu’il y a des choses que j’ignore ? Une vie parallèle d’informations qui m’échappe ? Suis-je ringard de refuser Facebook ? De twitter ? Suis-je devenu trop exigeant ? Ai-je loupé une évolution de société ?  Voici donc sous forme de questions mes étonnements de la semaine, c’est-à-dire ce qui nous surprend dans notre pays, culturellement, dans les mœurs, habitude, vie courante… Et j’espère ne pas m’être contenté de narrer mes lamentations existentielles. Dire qu’on imagine les écrivains comme de doux rêveurs assis en permanence à leur bureau, un chat ronronnant auprès d’eux.
(27/06/2016)

 

C’est fragile encore : après avoir été plus inégal pendant une quinzaine de mois (seulement 10 mises à jour en 2015, alors que cela dépassait toujours une quarantaine par an) j’ai repris assidument l’activité de ce site, c’est-à-dire que je m’y penche une fois par semaine, et c’est le rythme qui prévalait depuis la création de Feuilles de route, il y aura prochainement seize ans. Le moteur à trois temps (mises à jour de trois rubriques chaque semaine, note d’étonnements, note d’écriture et note de lecture) a ainsi repris. Quand j’y pense, l’irrégularité de ces derniers mois est peu de choses, il faut tenir seize ans dans les aléas de sa propre vie et dans le monde qui bouge autour de soi. Et donc World Trade Center, guerres en tous genres, Feuilles de Route, commencé sous Chirac et Jospin, a continué cahin-caha, frêle esquif descendant la mer du web dans les remous familiaux, disparition de proches et évènements heureux confondus. Justement Internet : j’ai réussi à maintenir le site à flot, toujours élaboré avec un vieux Front Page 98. C’est un peu comme si vous tentiez le tour du monde sans pièces de rechange avec l’Alfa Roméo des années Trente de Blaise Cendrars  (voire même rubrique semaine précédente). Avec toutefois une différence, les voitures ont toujours des pneumatiques alors que pour le Net, ce sont les véhicules mêmes qui ont changé, tweeter, facebook, LinkedIn : le monde est digital et moi je touche du bois pour que mon rafiot FdR tienne encore un peu. C’est ma mémoire qui est ici en jeu au fil des mises à jour, de mes photos, de mes voyages, de mes livres. Ceci dit, j’ai abandonné ma liste de diffusion. De toute manière, elle ne fonctionnait que de manière aléatoire via un gestionnaire de liste inefficace et puis je ne sais pas trop ce que deviennent les e-mails qu’on y colle. Vous y étiez peut-être inscrit, ça faisait un petit signe hebdomadaire à mes « chers amis de Feuilles de route », ainsi que je débutais chaque message, sachez que vous m’êtes toujours aussi chers, mais je préfère que vous alliez de vous-même sur FdR de temps en temps, fréquemment ou jamais. A chacun de s’organiser, le web est devenu diffus, complexe, divers, tout est y présenté de manière égale, c’est à chacun, me semble-t-il, d’y inventer des chemins coutumiers . Facile, vous vous dites de temps à autre : Ah oui, qu’est-ce qu’il devient au fait ? Vous tapez sur Google mon nom (je sais il est long, 11 caractères, et compliqué, on ne sait jamais écrire le début…) : Feuille de route est généralement indiqué le premier, avant la notice Wikipédia qui me concerne et que je n’ai jamais réclamé. Voilà, c’est simple et c’est en quelque sorte votre feuille de route pour FdR.
(21/06/2016)

 

Villégiature : c’est exactement le mot que j’utilise. Et je le regrette aussitôt : au type qui m’apostrophe d’une table voisine alors que je suis en train de dîner (assez tôt, 20 heures peut-être) d’un plat de moules-frites en terrasse sur cette plage de Mer du Nord, au type qui me hèle ainsi : Vous êtes en stage ? Je bafouille, réponds que oui, jusqu’à présent, me crois autorisé d’ajouter que, ce soir, je suis en villégiature. Je regrette ce mot : trop précieux, suranné, belle époque et bains de mer. J’aurais dû dire que j’étais de passage. D’ailleurs le type ne sait pas quoi faire de ma réponse. Il aimerait bien lier conversation, lui qui mange sa raie tout seul et moi mes moules, identiquement isolé, forcément ça rapproche. Et puis, lorsqu’on est ainsi interpellé, on se dit (c’est mon cas) que le type en question est un gêneur, qu’il va vous gâcher votre repas tranquille en terrasse avec le soleil du soir qui descend sur la nuque. Un peu plus tard, inévitablement, il récidive : Elle sont bonnes, ces moules ? On acquiesce, ça fait partie du jeu. Et puis comme le patron arrive, il entame la conversation, cause bagnoles avec lui, c’est comme cela que je comprends qu’il est collectionneur. A la fin du repas, on continue toujours de se parler de temps en temps (questions, réponses) d’un bout de la terrasse à l’autre. Pour plus de facilité, il vient terminer son vin à ma table. Voilà : il est assureur, il aime les vieilles autos, d’ailleurs il est venu pour un rassemblement de MG dans le coin. On parle voitures donc. Je m’y connais un peu, évoque l’Alpine A110 d’un voisin qu’il a acheté neuve en 1973 et qu’il possède toujours,  la vieille MG verte d’un copain dans laquelle j’avais fait un tour (je me souviens, nous avions récupéré mon fils au retour d’un voyage scolaire et eu toutes les peines du monde pour caser sa valise dans la décapotable). Bref, il dit : Ça vous dirait de voir ma MG ? Le soleil est encore chaud, le crépuscule tranquille, le repas terminé et le vin plutôt bon, personne ne m’attend à l’hôtel que j’ai prolongé d’une nuit supplémentaire pour cause de villégiature. On y va. Elle est sur un parking devant une résidence front de mer. Magnifique ! Une MG de course, un racing-car sans garde-boue sur des roues à rayons, derrière le radiateur le long capot s’évase, maintenu par une sangle de cuir, l’arrière est effilé, se termine en goutte d’eau, l’habitacle est semblable à un cockpit d’avion. Elle me fait immédiatement penser à l’Alfa Roméo que posséda Blaise Cendrars au début des années Trente, à l’époque où il partait au Brésil. Il désigne l’immeuble front de mer : J’ai un appartement ici, on va boire un verre ? Ça fait drôle, c’est sûr, c’est inattendu, on se demande sur qui on tombe dans ce genre de rencontre. Chez lui, l’assureur dit qu’il y met rarement les pieds : on le loue pour l’été mais la saison n’a pas commencé. Il fouille dans un placard, en ressort avec une bouteille de Ballantine. On va s’asseoir sur le balcon, face à la mer. Ça aurait été dommage de ne pas profiter du spectacle : le soleil n’a pas encore rejoint l’horizon, on est à cette heure particulière où tout se noie dans un gris métallique et irisé à la fois. Ce fût une belle journée. Peu de mots donc devant ce spectacle où chacun sirote son verre, assis dans un fauteuil en osier en regardant le rivage. Peu de mots comme si tout avait été dit au resto, c’est-à-dire si peu de choses. Pas besoin d’en savoir plus, chacun sa vie. Je lui raconte toutefois que sa voiture me fait penser à celle de Blaise Cendrars. A sa tête, on devine qu’il ne le connaît pas. Ben justement, je vous fais visiter Hardellot avec la MG ? Nous voilà partis. Conduite à gauche bien sûr, bruit superbe, échappement en prise directe, les pieds contre le bloc moteur, vibrations : quelle voiture moderne est capable de nous restituer pareilles sensations ? La classe : je suis Blaise Cendrars... Au retour, nous finirons chacun notre whisky. C’est là que je photographie la voiture avec mon portable, sur une place de parking en-dessous du balcon. C’est plaisant. On ironise sur la situation : deux heures avant on ne se connaissait même pas, et je me retrouve en train de siroter un verre face au soleil couchant, après avoir fait le tour de la petite station balnéaire encore déserte, dans un bolide d’avant-guerre. On échange adresses, mails. Je prends congé. En repartant, j’essaie de repérer les livres de sa bibliothèque, je remarque une édition de luxe de Corneille. Il me redépose devant ma voiture (récente et confortable, mais pas de collection) avant d’aller ranger la sienne au garage. J’aurai finalement peu appris de lui, lui peu de moi, ne sait même pas que j’écris. Je note tout cela en étonnement pour m’en souvenir, ça ferait une bonne nouvelle à écrire, une qu’on réserverait à un recueil appelé De passage ou Villégiatures.
(13/06/2016)

 

Il pleut, printemps pourri, inondations. Dans les journaux télévisés, on se rappelle les crues de 1910, on sollicite les données des spécialistes, on consulte nos mémoires, on dit même que c’est le printemps le plus pluvieux depuis que la météo existe. Je possède aussi une météo des jours depuis 2009, date à laquelle j’ai entrepris de noter très régulièrement mes entrainements et mes courses à pied et, très régulièrement, le temps qu’il faisait pendant que je courais. Ainsi, on garde le souvenir de l’année précédente particulièrement chaude et si j’ai indiqué le 24 mai avoir pique-niqué sur la plage du lac du Der en prenant des coups de soleil, il faisait toutefois 12°le lendemain, avant de reprendre un temps caniculaire le 5 juin. En 2014, le jour où j’écris cette rubrique, j’avais noté « temps splendide ». Il est vrai que je me baignais au dehors depuis le 29 mars. Ceci dit, le printemps 2013 devait être par contre morose : j’ai écrit le 2 juin « du soleil enfin ! ». En revanche, le 25 mai 2012, j’avais couru sous la chaleur le plus tôt possible car on s’attendait à atteindre 30° dans l’après-midi. Le 2 juin, la chaleur n’avait pas cessé et je me souviens d’un 10km particulièrement éprouvant à Châlons avec 26° encore à 19h.
Pour 2012, j’ai noté de semblables chaleurs : 30° à 18h30 le 30 mai. L’an 2010, cependant, fut frais, 15 le même jour qu’aujourd’hui et j’avais couru sous la pluie. Le 9 juin 2009, cela faisait un mois pile que j’avais ouvert ce fichier des courses (j’ignorais bien sûr que je le tiendrais très régulièrement et plus encore que je serai assidu au sport), mon entrainement était encore fastidieux (noté : difficulté à trouver le rythme, essoufflement, lenteur - temps orageux?). Cette mention est la toute première allusion au temps qu’il fait (et qui est aussi une maison d’édition).
(06/06/2016)

 

En ce moment, je peux bien faire un résumé de la semaine écoulée, car je suis régulier dans mes mises à jour de ce site et il ne s’écoule donc pas plus de huit jours entre le remplissage de mes rubriques. J’écris donc cette rubrique étonnements un samedi à 14h43, dans mon bureau. Derrière moi, par le fenêtre il y a la pelouse que j’ai tondue ce matin, on annonce des orages, mieux valait profiter des instants secs et encore chauds. Après avoir tondu, nous nous sommes rendu chez un cousin pour organiser une fête familiale, je retiens aussi avoir discuté avec ma cousine à propos d’un passage de Zola concernant les langrois, habitants de ma ville natale. Instants de tranquillité donc, débutés hier où j’ai travaillé à la maison, sollicité assez âprement par mes collègues, mais les trois jours de boulot par semaine pour lesquels j’ai opté depuis septembre, même s’ils ont l’avantage de me laisser m’organiser pour d’autres activités littéraires, réunissent la même charge de travail que j’avais auparavant dans ma semaine de cinq jours. Je me suis donc aperçu que je terminais les derniers coups de fils professionnel à 19h. Cette semaine mes trois jours de travail nourricier  auront été dispersés. J’ai commencé la semaine lundi avec un rendez-vous à Lille et j’avoue que les 650 km effectués dans la journée m’ont un peu usés, heureusement que la mise à jour (Berlin) de mes rubriques placées en lignes le soir même avait été préparées avant. Le lendemain en effet était matinal : train pour Paris à 6h36, petit déjeuner avec une auteure que j’estime beaucoup et découverte des premiers exemplaires de VPAR en édition hors commerce réservée au service de presse, mais qui préfigurent le livre terminé : youpi, la couverture est magnifique ! On ne verra que ce livre sur les étals. Service de presse donc, entrecoupé par un exercice incendie où tout le monde s’est retrouvé sur les trottoirs, encore un beau prétexte pour moi de voir combien la chaîne du livre est variée et fait vivre du monde. Enfin, départ pour Lyon et diner le soir avec une cinquantaine de libraires. J’ai voulu faire le cador le soir en ramenant à pied un petit groupe à l’hôtel, mais je me suis lamentablement planté dans les détours (pas faciles il faut dire) des gares. Le mercredi, de retour de Lyon, c’était boulot, un rendez-vous avec une collègue pour un entretien de recrutement, puis retour à nouveau chez Fayard pour terminer le service de presse. Rencontré l’aimable et malicieux Alain Badiou. Après récré : deux films vus : Vendeur de Sylvain Desclous (dans lequel j’apparais 20 secondes) et Baden-Baden, que j’ai beaucoup apprécié. Retour à l’appartement de Sceaux le soir, course matinale de huit kilomètres à sept heures au parc, le lendemain matin (un délice) et me voilà reparti à Paris où j’ai rencontré l’éditrice d’Instant handball (on en reparlera, très beau projet). L’après-midi, délibération pour le prix « Ecrire le travail » organisé dans l’académie de Versailles et retour à 21h dans mon bercail provincial. La semaine prochaine sera du même acabit, et les suivantes aussi, il y en a autant jusqu’en juillet. Quand vais-je pouvoir m’attaquer sérieusement à ma thèse ? J’ai l’impression avec cette rubrique de n’avoir rien raconté d’intéressant, hormis le redondant des jours, ça fait « journal », de la même manière que les Carnets de notes de Bergounioux dont je continue à lire quelques pages chaque soir.
(30/05/2016)

 

Berlin : comment ne pas penser à Dublin, un mois auparavant ? Aux Dubliners de Joyce, John Fitzgerald Kennedy répond le 26 juin 1963 « Ich bin ein berliner », dans le fameux discours prononcé depuis un balcon de l’hôtel de ville de Schöneberg, deux ans à peine après l’édification du mur. Moins de cinq mois après, le président des Etats-Unis sera tué à Dallas. Berlin donc, marqué par l’histoire au même titre que Dublin, éternels conflits politiques et la litanie des crispations humaines qui accompagnent ces luttes de pouvoir. En débarquant à Berlin, on est frappé, en revanche, de la différence de taille qui existe avec la capitale de l’Irlande. Autant Dublin peut se parcourir à pied, autant découvrir Berlin nécessite train, métro, marche à pieds, bus, vélo… La ville est gigantesque, les parcs et les forêts la parcourent, la plus grande avenue, parait-il, est longue de 17 km. Depuis la chute du mur, bien entendu, la ville s’est mélangée, apportant le supplément d’espace que provoque la dissolution de la frontière. On mesure l’effort qu’il a fallu faire pour unifier les deux villes, faire cohabiter deux nations si différentes. On comprend aussi pourquoi la crise migratoire effraie moins l’Allemagne que les autres pays. La réunification a été vécue comme une chance économique, un défi formidable à relever et c’est vrai. Donc, parcourir Berlin, c’est ressentir ce dynamisme, c’est aussi s’éloigner des clichés de la rigueur allemande : ici, mieux vaut ne pas traverser devant une voiture, la courtoisie est rare, les cyclistes houspillent les passants, chacun vaque à ses occupations dans cette ville en perpétuel chantier. Reste les clichés pour les touristes, Wurtz au curry, pinte de Berliner, les traces du mur à rechercher, l’énorme visite architecturale que constitue la ville : ça m’a pris cinq jours, c’est juste un début, il faudra y retourner.
(23/05/2016)

 

Je suis d’évidence plus violon que piano, pour la même raison que plus Beckett que Proust. Aucun rapport avec les instruments de prédilection de ces deux écrivains. Beckett, s’il ne rechignait pas à se mettre au piano et à s’enflammer sur un lieder de Schubert, avait des gouts particulièrement éclectiques en musique, loin de la truculente sonate à Vinteuil, décrite par Proust, mais qui me semble enfermer le piano dans une aristocratie élitiste. Le violon est plus démocratique, et la difficulté de son apprentissage n’a rien à y voir. On peut devenir un pianiste correct à l’oreille, mais le violon nécessite une virtuosité qui rend obligatoire un enseignement. Violon démocratique et piano aristocratique donc, versus Beckett contre Proust. Pourquoi démocratique le violon ? Par que c’est un des rares instruments qu’on pratique en groupe, il suffit de regarder la troupe imposante des violons d’orchestres, chacun son petit ou grand rôle, tel des ouvriers à l’usine, des fonctionnaires de la république. Pratiquer le piano, c’est prendre le pouvoir, régner seul, jouer pour soi-même : monarchie absolue. Enfin, ce sont les arguments de mauvaise foi que j’utilise pour dresser violon contre piano. A la réflexion, je suis violon par amour pour celle qui en joue juste à côté de la pièce où j’écris, c’est le seul argument qui vaille. Mais si j’ai eu envie d’écrire cette rubrique, c’est parce que j’ai entendu jouer au piano une pièce plutôt dévolue au violon, la fameuse Chaconne de Bach. Il y a parfois des miracles qui vous atteignent un jour de grève en tous genres, dans la voiture par exemple, en traversant les paysages de craie de la Champagne, en rentrant d’une dure journée de labeur, et justement, en parlant de grève, pourquoi le programme de France Musique est-il meilleur un jour de grève ? Donc, le miracle du piano avec cette Chaconne de Bach. Je la connais à force de partitas, dont certaines jouées par celle-qui-joue-du-violon-juste-à-côté-de-là-où-j’écris, mais j’ai ressenti à l’entendre le même choc que j’avais eu en découvrant Debussy et avec lui, la musique classique qui se résumait à un 33 tours de l’orchestre de Paul Mauriat et des Nocturnes de Chopin jouées par Sanson François, nocturnes qui m’ont toujours donné envie de dormir.
Voilà : je vous laisse juge avec cette chaconne : prenez position : piano, avec hélène Grimaud ou le clavier de Rubinstein, ou violon avec l'immense Jascha Heifetz ou encore, la version que je préfère, dans l'esprit du baroque, avec Amandine Beyer.
(17/05/2016)

 

Dans la grande bousculade des semaines précédentes, Dublin, Londres, Dunkerque dans l’émulation dynamique des projets d’écriture, la formation de trois jours à Paris pour mon boulot qui suivait sans me permettre de poser mes valises m’apparaissait comme superflue, moi qui arrête mon travail dans un an. Il s’agissait de mettre en œuvre un questionnaire de personnalité au travail. J’ai déjà eu l’occasion de tester ce genre d’outil bien utile pour qui est, comme moi, chargé de recrutement, à condition, comme pour toute chose, que les résultats, interrogations qu’il suscite, soient modérés, intégrés dans une discussion claire et sans a priori. Il y a beaucoup de choses à apprendre de ce genre de questionnaire, à commencer par le fait qu’il est entièrement induit par les réponses qu’on a fournies à quelques 200 questions, il y a donc une part de soi-même, et, dans l’interprétation qui nous est faite, il faut surtout s'attarder sur celles qui nous surprennent. Bien sûr, j’ai fait le test pour moi-même. Deux surprises : il semble que je déploie un10/10 sur la composante « énergie » et un 0/10 sur la composante « esprit de compétition ». A la réflexion, cela ne me paraît pas très étonnant. J’ai l’habitude de dire que j’ai deux métiers avec l’écriture, le temps de l’action est toujours bousculé et rapide pour moi. Il me faut donc de l’énergie. A la réflexion aussi, l’esprit de compétition à zéro n’est pas non plus très étonnant, vu la relation que j’ai avec tout objectif, résultat, qui me semblent être que la manifestation de la grande comédie humaine (pour preuve aussi, le relatif détachement avec lequel j’avais appris ma sélection au Goncourt deux fois de suite et mon indifférence par rapport à la nomination finale). Avec un esprit de compétition à zéro, c'est la liberté maximale de faire ce que l'on a envie. Ceci dit, l’énergie déployée en art de vivre possède aussi quelques inconvénients que l’on retrouve dans le questionnaire. La confiance en soi, la manière de ramener ma fraise, parfois à tort et à travers va de pair avec, et, plus étonnant, ma capacité élevée d’éviter les conflits, qui tient plutôt de la fuite à mon niveau, probablement pour ne pas perdre de temps. De la même manière, pour répondre à l’énergie et continuer d’avancer coûte que coûte, le questionnaire fait apparaître que je me soucie peu de savoir ce que les autres pensent de moi, je suis tout à fait d’accord, mais aussi que je me soucie en retour assez peu des autres, mon attention est parfois diffuse, et en plus je fais assez peu confiance : traits qui me seront confirmés avec sourire par la personne qui m’est la plus chère et proche alors que je m’ouvrais de ces résultats... Pourtant il me semblait que j’étais assez dans l’empathie (mais l’empathie n’est pas l’écoute…) provoquant sans cesse des rencontres avec les gens que j’aime bien (voir en rubrique d’écriture, cette même semaine), mais peut-être est-ce principalement pour répondre à ce besoin maladif d’action et d’énergie que je puise à travers les autres. Il apparaît aussi que je n’aime pas trop le changement. Ce qui est vrai dans les faits : j’habite depuis plus de 25 ans au même endroit, je fais le même job depuis 13 ans, j’ai besoin de cette stabilité pour me donner cette impression d’énergie et rabâcher à longueur de temps que je ne cesse de bouger, de voyager, ce qui est l’inverse de cette stabilité… Bref, on apprend plein de choses sur soi-même avec ce genre de questionnaire. Je comprends par exemple pourquoi je n’arrive pas à concrétiser ma thèse : ma composante « autodiscipline » est faible, ce qui veut dire que je me déconcentre facilement envers des tâches que je juge ennuyeuses, comme de devoir prouver, argumenter, citer, ce qui est le propre de la recherche universitaire, et absolument pas ma tasse de thé, comme on dit (heureusement, c’est un peu compensé par une note moyenne en « contrôle de soi »). Le bénéfice d’un tel test est de faire prendre conscience de travers qui nous surprennent, heurtent parfois même l’image qu’on se faisait de soi. Pour moi, je vais essayer de faire plus attention à et plus confiance aux autres. Et, en tant que chargé de recrutement, lorsque j’endosse mon métier, est-ce que je me recruterais au vu de mes résultats ? Oui, avec une énergie à 10 (avec toutefois le doute de savoir si je ne passe pas mon temps à brasser de l’air en vain…), mais certainement pas dans un métier de commerce avec un esprit de compétition à zéro. Ça tombe bien, je n’ai aucune appétence pour la vente et je n’ai jamais été carriériste.
(03/05/2016)

 

Dublin, c’est d’abord une grande joie : six ans que des vacances ne nous avaient pas réunis tous les quatre. C’est aussi mesurer combien les enfants ont changé, leur indépendance de jeunes adultes, leur anglais parlé couramment, cette manière de nous servir de guide, de renverser les rôles qui jusque-là nous étaient dévolus. Et à travers leur dynamisme, Dublin ne demande qu’à se révéler. C’est la première fois que je mettais le pied en Irlande. Choisir Dublin comme entrée, c’est à coup sûr s’éloigner des clichés de carte postale. La ville est cosmopolite et so british à la fois, elle est soignée mais possède des coins plus sombres, elle allie le fameux flegme anglo-saxon et la bousculade d’une capitale. L’année 2016 est idéale pour ce voyage : c’est le centenaire de l’indépendance de l’Irlande et les animations, expositions supplémentaires sont nombreuses. La journée type  du dublinois s’ouvre par un breakfast et le bite of life que nous avions choisi à deux pas de l’appartement était idéal : endroit minuscule mais feu de tourbe dans la cheminée pour nous accueillir dans la fraicheur matinale, gentillesse et humour des barmaids, excellence de leurs eggs and sausage, fruit juices, white coffee. Les habitués sont nombreux, certains ne font que passer, prendre à la va vite un en-cas qui sera mangé dans le bus, d’autres s’installent, lisent le journal. C’est après que nos chemins se séparent, le dublinois vaque à son travail, chacun dans son style, piercing et cheveux colorés, ou impeccablement vêtu de tweed, nous jouons au touristes, nous visitons la prison où les sympathisants de l’IRA ont été persécutés il y a un siècle, nous entrons dans le mythique Trinity collège. Vieux rêve pour moi de découvrir le fameux lieu qui a réuni Beckett et Wilde, de marcher sur les traces de Joyce. A parcourir ainsi la ville, la journée passe vite, Dublin est une ville qui arrête tôt ses activités pour réunir à nouveau ses habitants et les touristes dans les pubs. Je pensais, avant de venir, que cette image était une illusion, un peu comme ces vieux bistrots de campagne en France, souvent désertés, mais il n’en est rien, le pub est une véritable institution et le vrai dublinois n’imagine même pas terminer sa journée sans une pinte de Guiness tranquillement bue sur l’un des multiples comptoirs d’un de ces établissement à étages et recoins qui jalonnent la ville. La musique, bien sûr, et son côté folklorique est indispensable à l’ambiance. Etre dublinois donc, dans l’esprit de Joyce. Je me suis ainsi acheté une version de Dubliners, histoire de le lire dans la langue d’origine, avant de le compléter par l’excellente traduction qu’offre la Pléiade, sous le titre Dublinois, qui me semble plus beaucoup approprié que Gens de Dublin (voir en Notes de lecture). Dublinois, donc, je m’y suis senti jusqu’au bout de ma casquette de tweed, achetée pour l’occasion.
J’en suis reparti avec une compréhension plus grande de Beckett et l’envie de lire Joyce plus en profondeur. Cette rubrique est reprise dans la page spéciale Dublin, carnet de voyage, avec photos, y compris en Webcam.
(26/04/2016)


Jean-Pierre Coffe : le nom m’est revenu il y a quinze jours en emménageant mon fils à Bruxelles dans son nouveau logement. Je suis tombé sur le recueil  de cuisine que je lui avais fait dédicacer lorsque je l’avais rencontré au salon du livre du Mans en 2010. Nous étions voisins, il signait ses nombreux livres et j’attendais le chaland avec mon roman Retour aux mots sauvages. Il en reste une trace dans ce même site en note d'écriture du 29/10/2010, en étonnements aussi à la date du 29/12/2010. Entre deux clients lecteurs, nous discutions, lui, affable et bavard, avec ses lunettes rondes bleues ou jaunes. Mes enfants étaient étudiants, ma fille depuis quelques années déjà et mon fils depuis l’année précédente (voir en Webcam, intérieur estudiantin, du 26 au 28 mai 2009). C’est toujours un moment important pour les parents d’imaginer leurs enfants livrés à eux-mêmes, faisant la cuisine. C’est de quoi nous avions discuté, et du risotto, je me souviens, un des plats favoris de mon fils. C’est lui d’ailleurs qui m’a envoyé un sms de Bruxelles il y a quelques jours : il avait appris la mort de Jean-Pierre Coffe. Bref, mercredi dernier, alors que je m’apprêtais à préparer le repas de midi (c’est beaucoup plus simple sans les enfants, maintenant dispersés et plus étudiants du tout d’ailleurs, entrés dans la vie active comme on dit), j’ai eu l’idée d’inventer une recette in memoriam Jean-Pierre Coffe. La cuisine, pour moi, est toujours quelque chose de très simple : on ouvre le frigo et on regarde ce qu’il y a. J’ai toujours eu en horreur les top chef, diners presque parfaits, et autres divertissements télévisuels où on vous fait « avaler » le défi de réaliser un repas exceptionnel. Pour moi, le vrai défi, c’est ouvrir son frigo et réussir à concocter quelque chose de mangeable, voire, en poussant un peu plus loin, de s’apercevoir qu’il vous reste une heure pour cuisiner, que vous attendez des invités, que tous les magasins sont fermés et qu’il faudra faire avec la vacuité de vos placards. Manger doit rester quelque chose de simple, du genre manger pour se nourrir, la digestion est assez fastidieuse comme cela, l’idéal pour moi est de ressortir de table en ayant envie d’un footing et pas d’aller m’avachir dans un fauteuil. Mes meilleurs repas d’ailleurs ont toujours été inattendus et dans cette optique : ah, ce splendide réveillon au Yémen avec trois fois rien ; ah, ces plats mangés sur un trottoir de Mascate, de Damas, de Aman avec la foule des travailleurs ; ah, ces cochons dindes grillés achetés directement sur un barbecue de plein air au Pérou… Bref, c’est à peu près tout ce qui doit me passer par la tête lorsque j’ouvre mon frigo et que je contemple le vide. Ce mercredi donc, j’avais des endives et du jambon. C’est une recette mythique que les endives au jambon « à la Thierry », comme dit ma femme de ménage, qui a d’ailleurs ventilé celle-ci auprès de plein de voisins. Il est vrai que j’ai détourné la recette traditionnelle qui oblige à faire cuire à l’eau les endives d’abord, à les enrouler ensuite dans une tranche de jambon avant de les passer au four avec du gruyère. Avec ma recette, plus de complications : vous hachez menu les endives crues, vous les mélangez avec le jambon pareillement coupé directement dans le plat à gratin, sauce béchamel par-dessus, sel, poivre, gruyère et vingt minutes au four. C’est simple, bon, peu de vaisselle et la préparation n’excède pas dix minutes. Là, pour la recette in memoriam Jean-Pierre Coffe, j’ai amélioré ce gratin par un reste de fenouil, également coupé comme les endives et mélangé avec, ce qui ajoute une touche anisée, voire fruitée, si on a pris la précaution d’ajouter un peu de jus de citron. Pour la béchamel, je fais tout au pif (je fais toujours la cuisine sans jamais rien mesurer) : une noix de beurre dans une casserole à feu moyen, un peu de farine, du lait froid. Le truc pour éviter les grumeaux est de tourner tout de suite, de ne jamais arrêter. On alterne ensuite le lait et la farine suivant la consistance et le volume qu’on désire obtenir. Sel, poivre, j’ai aussi un faible pour la coriandre, et surtout pour la sauce Créoline, vieux souvenirs de Guadeloupe. Ne soyez pas radin avec le gruyère, couvrez généreusement avant de mettre au four : cette recette, c’est pas de la merde, aurait dit Jean-Pierre Coffe.
(04/04/2016)

 

Depuis septembre dernier, je travaille moins : trois jours par semaine à la place des cinq habituels. Attention : ne pas croire que ma charge de travail diminue d’autant, elle est restée la même, simplement, il a fallu que je m’organise autrement, et c’est fou les tâches que l’on accomplissait par habitude et qui sont, somme toute, inutiles. Ça en dit long sur l’inanité du travail et la part de comédie qui préside à nos gesticulations laborieuses. Heureusement, j’ai la réputation de travailler vite. Bien sûr, tout n’est pas aussi simple et, lorsque je reprends le travail du lundi après l’avoir délaissé depuis le mercredi soir, je mets la journée à me remettre à flot, les deux jours suivants sont consacrés à faire avancer les projets en cours, sans compter les rendez-vous et réunions, qui se réduisent spontanément pour cause d’absence, ce qui prouve qu’on n’est jamais indispensable. Puis le mercredi soir arrive et me voilà en week-end. Enfin, façon de parler. Car si j’ai opté pour cette diminution de mon activité nourricière, c’est d’abord, parce que j’ai pu le faire, en avoir « l’autorisation » de mon entreprise, et les deux jours par semaine dégagés ont été aussitôt recouverts par les autres activités : je peux accepter maintenant volontiers les sollicitations littéraires, et je ne m’en prive pas, pourvu que je puisse les caser pendant les deux journées de libre. Ceci dit, la diminution du travail traditionnel s’amplifie d’un étrange phénomène : on se sent, du coup moins impliqué, on se détache plus de ses collègues, de toute l’organisation qui était jusque-là habituelle et récurrente. Pire : à vous voir plus souvent à la maison, vos proches vous imaginent déjà à moitié en retraite, donc, plus disponible, ce qui est un leurre…Pour preuve aussi, la difficulté à concilier toutes ces activités qui s’entrecroisent : ainsi, après avoir passé deux jours à Dunkerque et une autre à Paris, du côté des livres, j’ai oublié de me rendre à une réunion à Lille dans les jours où j’étais censé reprendre mon travail…  Pour donner le change, se sentir moins coupable d’en faire moins (ça en dit long sur ma vision du boulot), je me justifie, je tombe dans l’écueil d’affirmer que j’ai bossé 40 ans sans interruption, ce qui est juste dû au hasard et au bonheur d’avoir été en bonne santé, aucune gloriole à avoir. Dans un an, en principe, mon activité nourricière diminuera jusqu’à zéro. Et pour quelqu’un qu’on a catalogué comme écrivain du travail, ça va me paraître étrange. Comme me dit ma mère : Lorsque tu ne pourras plus écrire sur le travail, écriras-tu sur les retraités ?
(28/03/2016)

 

C’est Dominique Viart qui affirme : Vous faites des ateliers d’écriture. Enfin, il dit une phrase de ce genre qui ne me laisse aucune ambiguïté, alors que des ateliers avec toute la logistique que cela suppose, je n’en fais plus depuis des années. Les seuls et derniers vrais ateliers, c’est-à-dire structurés, sur plusieurs séances, ont eu lieu entre 2005 et 2007. Çà et là, bien sûr, il y a bien eu quelques séances isolées, plus pour faire toucher du doigt ce que peut être l’écriture, ses manifestations et ses contraintes, à l’occasion généralement de rencontres dans le milieu scolaire. La dernière en date était à Villepinte avec deux classes de troisième. En réalité, Dominique Viart n’a peut-être pas tout à fait tort. En ce moment, j’anime un vrai atelier destiné à faire écrire trois textes à trois classes de primaires de Dunkerque, de CE2 à CM1, pour notre projet Instant handball (voir en Webcam, quelques photos). Ces textes ont vocation à être incorporés dans le livre d’art que nous projetons. Ce projet me ravit, car il est porté simplement par l’idée que nous avons eu au départ avec l’ami Alain Delatour, de faire cohabiter sport, culture et littérature. Bref, un projet individuel qui vire au collectif, bien dans l’esprit du handball, d’ailleurs.
En cela, notre atelier d’écriture, décidé par nous-même, échappe à toutes les sempiternelles structures sociales destinées à créer du lien, comme on dit, et plus brutalement, comme je l’affirme, à faire mousser quelques chefs de projets oiseux œuvrant dans d’innombrables structures institutionnelles et qui n’ont que faire des écrivains ou des artistes, sauf s’ils peuvent servir leurs intérêts. Pire, j’y vois une manière d’allégeance, puisque dans la plupart des cas, le choix de l’écrivain retenu est assez obscur, une part de copinage, une part d’habileté dans la candidature, et très peu de hasard, ce qui renforce l’effet de pouvoir induit dans ce corporatisme dictatorial et un compagnonnage obligé. Car c’est pour moi une dérive depuis plusieurs décennies de muer l’auteur, l’artiste en travailleur sociétal, en intermittent de l’animation, seul moyen de lui permettre de maigrement subsister s’il choisit de se consacrer à son art. Je veux me sentir libre d’évoquer mon enthousiasme d’écrire, et pas dans le carcan d’ateliers d’écriture, tous à limer des boulons comme à l’usine. Je perçois cela comme un vieux reste d’établissement maoïste et de révolution culturelle.
Pour en revenir à Dominique Viart, il me recevait à Nanterre dans le cadre d’un master où j’ai été surpris de voir les étudiants avec mes livres à côté d’eux. On mesure le fait d’être invité en qualité d’objet d’étude lorsque personne parmi les étudiants ne vient vous demander une dédicace à la fin (sauf une dame, la plus âgée du groupe, inscrite en auditeur libre). Ça fait drôle, et en même temps, je me sens à la fois aussi intimidé et fier d’avoir à parler d’écriture, de littérature, à des enfants de neuf ans le lundi et le mardi à Dunkerque, qu’à des adultes de vingt ans le mercredi à Nanterre, voire la semaine dernière à des adolescents de treize ans à Villepinte : littérature à tout âge !
(22/03/2016)

 

Cela fait deux mois révolus que je n’ai pas rédigé de mise à jour. Je me sens comme devant un ami qui s’éloigne, ou plutôt quelqu’un qu’on ne revoit plus, non parce qu’il ne nous intéresse plus mais parce que les chemins différents, le quotidien bifurque, provoque une désaffection qui nous rend parfois presque coupable. Alors que la bonne question serait peut-être de savoir pourquoi on a fréquenté plus assidument cette connaissance, cet ami auparavant. Mon ami Feuilles de route, diffus et sans visage, est ainsi. Et comme lorsqu’on retrouve quelqu’un perdu de vue depuis longtemps, on ne sait jamais trop quoi raconter. Quelles sont les nouvelles depuis la dernière fois ? La fin du livre entrepris depuis longtemps bien sûr, mais j’en parle dans la rubrique note d’écriture, ici, il s’agirait plutôt du quotidien et à part un « chez toi ça va ? » et une réponse affirmative, je ne vois pas grand-chose à raconter, ou plutôt probablement trop, l’impression d’une bonne période, des projets avancent, en premier lieu, ce fameux Instant handball qui a pris une dimension presque olympique, en tout cas mondiale, puisque le projet que je même avec l’ami Alain Delatour a reçu le soutien de la Fondation Sncf, est maintenant associé étroitement à l’évènement du mondial de hand organisé par la France et qui aura lieu en janvier prochain. Associé également avec Dunkerque qui possède une équipe de tout premier plan et justement, en parlant de travail d’équipe, des écoles primaires sont associées à notre projet, qui se concrétisera par la publication d’un livre d’artiste, d’expositions, bref, nous n’avons pas fini d’en entendre parler. Livre d’artiste en septembre, plus la rentrée littéraire pour mon nouveau très gros roman, plus Faux nègres en livre de poche, sans compter les diverses interventions universitaires, scolaires, lycéennes, le quotidien est éminemment littéraire, artistique, voir cinématographique : guettez Vendeur, le premier long métrage de Sylvain Desclous, dont la sortie est prévue en mai, vous aurez une surprise… Et puis dans cette même époque, je serai à Dublin et à Londres, à Berlin le mois suivant, je reviens de Bruxelles, je suis dans le train pour Paris, à Villepinte demain, je vais à Dunkerque encore la semaine prochaine, puis Vichy huit jours après, ça n’arrête pas et c’est tant mieux. Avant c’était Cahors, Etretat, Dieppe (voir en webcam) Le boulot ? Oui, je travaille encore trois jours par semaine et je cours toujours un peu : rendez-vous ce dimanche dans la Montagne de Reims pour seize kilomètres, on sera déjà mi-mars, le premier trimestre se termine...
(08/03/2016)

 

Eh oui, 2015, heure des bilans, bilan des courses, bilan de la vie courante, sans savoir où a primé la précipitation, où s’est diluée la tranquillité qui a fait de 2015 une année heureuse à beaucoup d’égards. Je sais : à l’heure actuelle où le marasme collectif et le bilan noir de l’année précédente n’augure pas grand-chose pour celle qui arrive, se réclamer du bonheur est un égoïsme sans nom, une hérésie qui n’apporte vraiment rien : a-t-on déjà vu un écrivain joyeux faire œuvre ? Peut-on avec sérieux considérer un type qui vous rabâche à longueur de temps qu’il est heureux ? Est-ce que le bonheur, au final, ne lui portera pas malheur ? Tant pis, j’endosse tous ces costumes de clowns, ces nez-rouges, ces maigres ambitions, ces résultats médiocres. Qu’on juge : les mises à jour de ces Feuilles de route ont été quatre fois moins nombreuses en 2015 que dans les meilleures années, dix seulement, pire, l’indifférence à cet état, l’attitude béate qui sied à mon quotidien est mesquine, nombriliste, vaniteuse. Tant pis, je prends le risque de décréter, seul contre tous, que le plaisir, la jubilation, l’allégresse et la gaieté sont mes domaines. Et puis, on le sait, les clowns peuvent être les êtres les plus malheureux qui soient, il suffit d’un croche-pied du destin pour se retrouver au sol sous les rires et les quolibets.
Pour en revenir au bilan des courses : à pied, donc, d’une manière plus terre à terre, j’aurai couru à un train de sénateur (environ 10km/h) une moyenne de 25,6 km par semaine, soit 1333 km au total ; ajoutons à cela 420 km de vélo pendant la canicule de l’été et 376 km de marche rapide. Bref, je reste dans un entrainement suffisant qui m’a permis de m’inscrire au débotté au 24 kilomètres de la course Sedan Charleville que j’ai effectués pour la première fois en octobre dernier ou à ce trail de 36 km dans la montagne de Reims que j’espère courir pour la troisième fois en mars prochain. Tout cela dans l’entrain, la liesse ou le ravissement : la vie courante au sens propre, dans tous les sens aussi, rendez-vous de boulot, rencontres de littérature, Le Blanc, Lausanne, Voiron. D’autres sont prévues pour 2016, Cahors, Vichy, Londres, Cerisy, l’ensemble sera mené, évidemment, au pas de course.
(04/01/2016)