depuis septembre 2000

retour accueil


Actualités

Agenda

Etonnements

Notes d'écriture

Notes de lecture

Webcam

Bio

Biblio

La Réserve, 

Central

Composants

Paysage et portrait en pied-de-poule

1937 Paris - Guernica
    
CV roman

Bestiaire domestique

Retour aux mots sauvages

Ils désertent

Faux nègres

Journal de la Canicule

Vie prolongée d’Arthur
Rimbaud

Sans trace

Yougoslave

Dernier travail

Littérature 
du travail

Ateliers
d'écriture

pages spéciales


Archives

 

 

Notes de lecture 2017


À ce stade de la nuit, de Maylis de Kerangal, Éditions Verticales.
Maylis de Kerangal est un auteur important pour mon corpus de thèse. Jamais étudiée encore pour ses liens avec la littérature du travail elle est pourtant une des rares représentantes d'un regard optimiste sur le travail avec Naissance d'un pont (note de lecture du 05/10/2010), Réparer les vivants (note de lecture du 01/04/2014) ou Un chemin de tables (note de lecture du 10/06/2016). À ce stade de la nuit n'est cependant pas un livre sur le travail, mais un opus assez court dans lequel une narratrice s'émeut d'entendre à la radio en revenant tard d'une soirée qu'un bateau de migrants a coulé au large de Lampedusa. Si l'idée est de montrer la différence qui existe entre un migrant sans rien et une narratrice parisienne qui a tout, c'est réussi. On s'offusque devant le caprice de celle qui décide sur un coup de tête intello d'aller (re)voir Le Guépard dans une version restaurée (pardon, Il gattopardo car il est intellectuellement inconcevable de ne pas y assister autrement qu'en VO). Pourquoi Le Guépard ? Mais parce que c'est un film sicilien qui a des liens avec Lampédusa. Et de là, l'auteure tire les vieilles ficèles des analogies et des contraires, ceux qui ont tout, ceux qui n'ont rien, migrants et riches. Et de nous raconter les voyages de la narratrice au Stromboli, dans le Transibérien (rapport ?). Le récit se termine sur ce constat qui nous laisse pantois : Lampédusa concentrant en lui seul la honte et la révolte, le chagrin, désignant désormais un état du monde, un tout autre récit.
(19/12/2017)

 

J'ai réussi à rester en vie, de Joyce Carol Oates, éditions Philippe Rey et collection Points.
Autant La Foi d'un écrivain (voir ci-dessous) ne m'avait pas convaincu, trop artificiel, autant je garde un souvenir précis et presque ému de ce récit. J'ai réussi à rester en vie est une sorte de journal de deuil. Ray, le mari de Joyce Carol Oates meurt après quasi cinquante ans de vie commune. Pas de leçon, rien que du sentiment, tristesse, solitude, souvenir et la vie qui continue petit à petit, heure après heure dans l'étonnement d'être encore en vie. Pas de lamentations, c'est généreux, 530 pages entre février et août 2008.
(05/12/2017)

 

Lettres III, 1957-1965, Samuel Beckett, Gallimard.
Il s'agit du troisième recueil de la correspondance de Samuel Beckett éditée chez Gallimard. J'ai déjà lu le deuxième recueil (note de lecture du 17/05/2016). Me reste le premier qui marque les débuts d'écriture de l'écrivain. Dans le troisième recueil, c'est un auteur accompli qui déploie une abondance correspondance avec des amis, de la famille mais aussi des professionnels du théâtre : Godot est en plein succès. C'est aussi l'époque de sa rencontre avec Barbara Bray avec qui il entretiendra une relation suivie. On découvre ainsi un Beckett très soucieux et attentif aux autres. Quelques instants intéressants : il raconte la fameuse photo prise devant les éditions de Minuit avec tous les écrivains du Nouveau roman réunis (tous les bons élèves, écrit-il). Il les cite tous et place un point d'exclamation (!) devant Sarraute. On y apprend qu'il n'appréciait guère cette auteure. En revanche, il a entretenu une correspondance fournie avec Robert Pinget.
(28/11/2017)

 

La Foi d'un écrivain, de Joyce Carol Oates, éditions Philippe Rey.
J'attendais beaucoup de ce livre : j'ai déjà lu Blonde (note de lecture du 16/08/2016), Vallée de la mort (note de lecture du 10/05/2017), J'ai réussi à rester en vie et Journal 1973-1982 (notes à venir). Cependant La Foi d'un écrivain, censé raconter le parcours d'écriture de cette auteure, demeure convenu, comment dire, artificiel, on croirait entendre l'écrivain donner quelques poncifs à ses étudiants de créative writing. Il est probable que le décalage de perception entre USA et France soit à l'origine de ma (petite) déception de lecture. Le côté didactique du discours sur " comment devient-on écrivain ? ", ainsi qu'il est stipulé en quatrième de couverture, ne m'intéresse pas en effet. Mon chapitre préféré est " Courir et écrire ", on s'en doute. Mais on reste un peu en dehors de ce mouvement, cela n'a rien de comparable avec le magnifique Autobiographie de l'auteur en coureur de fond (note de lecture du 07/09/2010) de Murakami où la leçon d'écriture est pleine et entière.
(05/11/2017)

 

Martin cet été, de Bernard Chambaz, Julliard.
J'ai rencontré Bernard Chambaz à Nîmes à l'occasion d'un salon du livre. J'ai tout de suite été conquis par sa gentillesse et sa simplicité, son allure sportive : j'ai eu l'impression d'un homme heureux, accomplissant une vie rêvée, on l'envie bien sûr. J'ai su très vite qu'il avait perdu un fils vingt-cinq ans auparavant : cet évènement traverse beaucoup de ses livres (comme À tombeau ouvert, sur la vie d'Ayrton Senna, note de lecture du 22/05/2017 ou Dernières Nouvelles du martin-pêcheur, note à venir). Martin cet été est le premier récit qui raconte ce drame, publié en 1994, juste deux ans après. Récit de l'urgence donc, mais je n'aime pas trop ce vocable, je préfère récit nécessaire, tant il lui a paru vital, pour lui et pour ses proches, de retracer cette douleur. Pas de complaisance cependant, pas de pathos, Bernard Chambaz n'attendait rien en racontant l'irracontable, ne proposait rien non plus au lecteur, pas de leçon de vie, encore moins divaguer sur la mort (" avec sa gueule de raie " comme dit Paul Guimard dans Les Choses de la vie). Nous avons tous plus ou moins un fils disparu en nous, ou nous connaissons des gens qui, ou nous traînons nos douleurs muettes : pêle-mêle, je pense à cet ami, rencontré la semaine dernière qui a vraiment perdu un fils : à 93 ans, sa douleur vieille de vingt quatre ans est neuve, sans ride ; je pense à cette amie qui vient de perdre son fils, ; je pense à mon jeune beau-frère, disparu à 14 ans en 1983, à la détresse de mes beaux-parents et comment ça modifie nos vies. Le lecteur, donc, reçoit ce récit comme il convient : droit au cœur en gardant pour lui cette détresse partagée.
(25/09/2017)

 


Écrire à l'élastique de Nicolas Fargues & Iegor Gran, P.O.L.

D'emblée le titre m'a fait penser à Blaise Cendrars et ses Dix-neuf poèmes élastiques. Hélas, je n'ai pas trouvé de référence dans ce recueil écrit à quatre mains. L'idée est sympathique : deux auteurs, l'un reste à Paris et l'autre part en résidence d'écrivain en Nouvelle Zélande (on fait pire comme endroit), l'un solidement installé dans sa vie, l'autre encore bohème, deux amis écrivains donc, décident de correspondre le temps de la résidence de l'autre. Attention, on est au XXIème siècle et on s'envoie des mails, d'ailleurs c'est pratique, il suffit de faire des copier-coller et le livre se construit tout seul. Tout de même, au temps où Gauguin était au Marquises, une correspondance à la plume d'oie aurait eu plus de chien et de poésie. Mais revenons à notre époque actuelle. Nicolas Fargue est celui qui part. Il est malheureux, sa petite amie l'a quitté juste avant. Iegor Gran est celui qui reste, il est heureux et ne change pas ses habitudes. De quoi vont-ils parler ? De la petite amie bien-sûr. Manigances à Paris, on décide de la faire venir là-bas, mais comme entre temps, elle a trouvé un remplaçant, elle partira là-bas accompagnée. Voilà l'intrigue, et l'inauguration d'un nouveau genre, le théâtre de boulevard épistolaire. Ce n'est pas désagréable à lire, ça remplit notre désir de cancaner un peu, c'est exotique, ça fait voyager, on apprend que les néo-zélandais sont tous jeunes et férus de sport ; on rentre vite au bercail aussi : c'est aussi très parisien et futile.
Allez, pour terminer un petit poème de Cendrars, vraiment élastique : Oser et faire du bruit /Tout est couleur mouvement explosion lumière/ La vie fleurit aux fenêtres du soleil /Qui se fond dans ma bouche /Je suis mûr /Et je tombe translucide dans la rue /Tu parles, mon vieux /Je ne sais pas ouvrir les yeux ? /Bouche d'or /La poésie est en jeu.
(03/07/2017)

 

 

Moby dick d’Herman Melville, Garnier Flammarion.
Je n’avais jamais lu Moby dick, je l’ai lu au Vietnam en avril dernier, enfin je ne l’ai pas encore terminé. Je l’ai lu parfois à l’hôtel, souvent dans des aéroports, sur un bateau aussi. Ce qui me fait écrire ce compte-rendu de lecture est la mort récente de Batman, mon poisson rouge. Autant Moby Dick présente une galerie de symboles plus ou moins cachés, sexuels, fantasmagoriques, révélant le tréfonds de nos âmes, la puissance de nos peurs à la mesure de ce corps immense au fond d’abysses, autant mon poisson rouge avec sa belle couleur de gilet de secours a évolué dans le monde parfait et rond de la transparence de son bocal. Pour autant, et je le découvre à sa disparition, c’est peut-être le même roman qui s’est construit entre Moby Dick et  Batman. La vie exceptionnellement longue de vingt années de ce petit poisson est à mettre en regard de la longue quête avec lequel le Capitaine Achab traque sa baleine. Bien évidemment, je ne peux aucunement rivaliser entre les maigres aventures de mon cyprinidé me tétant le doigt à la surface de son bocal, avec la tragique épopée de l’énorme cétacé arrachant une jambe au capitaine. Mais tout de même, notre point commun au capitaine et à moi est formé de l’identique mystère animal qui nous obsède : tous deux nous cherchons à deviner l’avenir,  lui, examinant la surface opaque des océans en espérant que se poursuive l’histoire de Moby Dick, et moi, perplexe face au bocal de Batman comme devant une boule de cristal. Pour en revenir à la fameuse histoire du capitaine Achab, elle est évidement passionnante, pourtant plus étonnant est le style avec lequel Herman Melville écrit son livre. On est dans un récit tonique, c’est à la fois complètement anglo-saxon sans ambages, sans histoires de castes, de classes sociales ou autres que les romans français ont pris plaisir à distiller. Dans la version que j’ai, Camille de Toledo nous gratifie d’un entretien dans lequel il décortique sa passion pour ce livre (« Moby Dick est l’autre nom de la nuit »). Pour moi, enfant, la passion était plutôt du côté de L’Île au Trésor de Stevenson. En parlant d’île, je finirai peut-être Moby Dick cet été en Sicile.
(26/06/2017)

 

Voyage au bout de la révolution. De Pékin à Sochaux, Claire Brière-Blanchet, Fayard.
Pour faire suite au roman de Morgan Sportès, Maos, chroniqué la semaine dernière, je continue cette documentation politique vers la Gauche Prolétarienne, la « GP » comme on disait alors, avec cette fois-ci l’essai de Claire Brière-Blanchet qui raconte ses jeunes années dans le mouvement maoïste. Souvenirs en effet passés de mode, on est au seuil des seventies. La mode est au « contre » : contre les bourgeois, les patrons, le conformisme, les flics, elle prolonge Mai 68, elle s’établit dans les usines, elle veut la révolution culturelle comme en Chine. L’expérience de Claire Brière et de son mari Pierre Blanchet est emblématique : éducation religieuse et bourgeoise, milieu aisé et intellectuel, en rupture de ban, ils sont de tous les combats, vont à Pékin, s’établissent chez les « Peuges » ou dans des usines du Doubs, et, dans cette frénésie d’action, passent le peu de temps qui leur reste en réunions pour se regonfler, plein d’espoirs… Et de folie, puisqu’ils ne s’aperçoivent même pas que le peuple qu’ils sont censés placer au-dessus de toute préoccupation, ne suit en rien leurs désirs de révolution. Cette histoire ira très loin pour eux, leur petite fille trouvera une mort certes accidentelle, due à cette vie bringuebalante. De même Pierre Blanchet, devenu grand reporter, trouvera plus tard une fin tragique. Avec ces souvenirs écrits sans concession, Claire Brière-Blanchet dresse le portrait d’un gâchis, d’une époque avec ses stupidités (Bruay-en-Artois). On retrouve de nombreux noms, devenus de célèbres patrons de presse, écrivains, philosophes, certains médaillés (et pas du travail, voir en Étonnements cette semaine) : personne n’est resté dans les usines, ni près du peuple qui vote maintenant FN et qui demeure toujours autant invisible.
(19/06/2017)

 

Maos de Morgan Sportès, Grasset.
Je viens d’avoir ma période maoïste ! En réalité, deux livres sur le sujet m’ont un instant distrait de la thèse, bien que ces lectures aient un rapport avec certains récits de mon corpus d’étude concernant les « établissements » de maoïstes dans les usines autour de 1968. Désireux d’en savoir plus, j’ai ainsi lu un essai (qui sera chroniqué la semaine prochaine) et ce roman : Maos de Morgan Sportès. De Morgan Sportès, j’avais lu Tout, tout de suite (Note de lecture du 23/11/2011) sur un enlèvement crapuleux qui avait défrayé la chronique il y a quelques années. Maos est comme ce précédent roman, à la fois une fiction mélangée à des faits réels. La fiction : un ancien maoïste rangé maintenant (mais ils le sont tous), embourgeoisé (idem), est rattrapé par son passé : il doit exécuter un ancien gros bras, responsable de la mort d’un camarade pendant une manifestation quelques années auparavant. Les faits réels : l’histoire se passe au début des années soixante-dix, l’ambiance est bien restituée, gauche prolétarienne, Sartre et compagnie. L’histoire se perd un peu vers la fin dans la saga d’un complot universel ou le pouvoir est au courant de tout et laisse faire, où les félons ne sont pas ceux que l’on croit, etc. Reste le principal : tout le monde trahit tout, n’importe quoi, n’importe qui, ses idéaux, ses proches et surtout le peuple. Et ça c’est pas de la fiction, ça s’est réellement passé ainsi, n’est-ce pas Ô repentis de maintenant qui arborez pour certains la légion d’honneur et autres décorations de pacotille…
(12/06/2017)

 

Qu’est-ce que la littérature ? de  Jean-Paul Sartre, Folio.
Pris un peu au dépourvu, pour cette mise à jour que je voulais rapide, j’ai choisi un des livres consulté dans l’après-midi pour ma thèse, parmi la dizaine en vrac sur mon bureau. Sur le dessus, il y avait ce fameux livre de Jean-Paul Sartre Qu’est-ce que la littérature ? Un malin, ce Sartre : il a réponse à tout. Je cherchais une citation avec le mot bourgeois, évidemment j’ai trouvé une de ces expressions à l’emporte-pièce : « le bourgeois de droit divin » (p. 119). J’ai lu récemment quelques livres sur l’aventure maoïste des années 60-70, et là encore, Sartre passe pour un malin, très dans l’air du temps, d’ailleurs, grand pourfendeur de bourgeois, moralisateur, esprit brillant et rapide, il accumule les aphorismes. Dans Qu’est-ce que la littérature ?, il propose un panorama historique de la condition d’écrivain : siècle des lumières, dix-neuvième, surréalisme, rien n’échappe à son œil tanguant. Il a des avis sur tout et surtout des avis comme disait Coluche. Mais il y a à gratter dans cette logorrhée. Allez, un dernier Sartre pour la route : « Pour le présent donc, l’écrivain recourt à un public de spécialiste ; pour le passé il conclut à un pacte mystique avec les grands morts ; pour le futur il use du mythe de la gloire. Il n’a rien négligé pour s’arracher symboliquement à sa classe. Il est en l’air, étranger à son siècle, dépaysé, maudit. Toutes ces comédies n’ont qu’un but : l’intégrer à une société symbolique qui soit comme une image de l’aristocratie d’ancien régime. »
(p. 133).
(29/05/2017)

 

À tombeau ouvert, de Bernard Chambaz, Seuil.
Comme souvent avec Bernard Chambaz, l’accident qui a coûté la vie à Ayrton Senna en 1994, lui rappelle un autre drame, la disparition de son fils Martin, deux ans auparavant, d’un accident de voiture également. Mais aucun pathos, rien de plombant, il s’agit juste de retracer la vie exceptionnelle du pilote brésilien, de dresser des ponts et des coïncidences avec d’autres évènements, de raconter ce qui se joue dans le sport automobile, et in extenso dans la vie, dans nos vies. Raconté d’une façon précise, ce livre n’est ni une biographie, ni une écriture de soi comme on dit, à peine un roman, juste un récit dans la noblesse qu’on peut y mettre : raconter, et dans cette narration il n’y a qu’une histoire, celle du destin des hommes.
(22/05/2017)


Fait et fiction, de Françoise Lavocat, Seuil.
Le grand mérite de cet ouvrage est d’être récent : mars 2016. Ce n’est pas là, heureusement, son seul mérite. Mais, dans ce domaine où les théories de la fiction abondent et se sont développées ces dernières années (on pourrait faire un parallèle d’ailleurs avec la multiplication actuelle des théories du complot qui en sont des artefacts culturels – pour parler comme Françoise Lavocat), il est bon de pouvoir faire un point le plus avancé possible. Le grand mérite également est de reprendre une approche diachronique de l’ensemble des théories de la fiction, ce rapprochement a paradoxalement très peu été effectué (de même qu’une approche synchronique entre elles, par ailleurs). Bref, il y a des trous dans la raquette pour utiliser un langage fleuri et fictionnel… Que ce soit l’époque du structuralisme, laquelle a été marquante (est encore), ou plus anciennes, un point commun réunissait l’ensemble des études : l’incapacité quasi totale à sortir du domaine écrit ou du moins à faire des ponts avec d’autres formes d’art. La formidable révolution numérique a fait déborder la fiction comme le lait sur le feu : nous voilà comme devant une poule qui a trouvé un couteau : comment appliquer nos vieilles théories qui n’avaient pas prévu cette évolution ? En attendant, on se contente d’en mesurer les conséquences et d’affirmer que tout devient fiction  On se réfugie derrière de vieilles maximes qui nous rassurent, du genre « la réalité dépasse la fiction ». Ce n’est pas foncièrement faux, mais c’est un peu court comme raisonnement. Une grande partie du malentendu tient à ce que chacun évoque une argumentation qui tient beaucoup à la culture apprise. La fiction est mondiale, mais n’a pas le même sens au Japon, au Royaume-Uni ou en France. En France, bien que Françoise Lavocat affirme que nous sortons de la fiction « inséparable du roman », celle-ci demeure extrêmement prépondérante. Notre cheval de bataille est de distinguer réalité et imaginaire. Françoise Lavocat (qui affirme son goût pour la fiction) propose plutôt de réfléchir autrement, de se poser la question de notre goût pour l’invention, de notre immense désir de croire à tout, surtout à l’impossible.
(15/05/2017)

 

Vallée de la mort, de Joyce Carole Oates, éditions Philippe Rey.
Il faudra s'habituer cette année à ce que je relate des livres de Joyce Carole Oates, car c'est un des auteurs que je découvre avec avidité, de même que Bernard Chambaz. En ce qui concerneVallée de la mort, recueil de nouvelles, signalons que ce genre a peu cours chez nous. En revanche, chez les anglo-saxons et les américains, les revues qui les diffusent sont nombreuses et c'est un genre prisé. C'est dommage pour la France, car la nouvelle exprime véritablement la quintessence de la fiction : démarrage en trombe, il faut accrocher de suite le lecteur, créer une ambiance, la faire vivre et trouver une chute, sinon originale, suffisamment expressive pour que l'histoire semble se poursuivre sans nous. C'est vraiment de l'art littéraire. Raymond Carver s'en est fait une spécialité, mais Joyce Carole Oates n'a rien à lui envier. Vallée de la mort propose une suite de ces textes brefs qui nous dérangent, comme Chercher une maison, où un homme qui ambitionne de reconquérir sa femme doit chercher en même temps une maison pour y vivre avec elle. Intrigues en apparence simples mais que la complication des âmes et de nos vies rend palpitante.
(10/05/2017)

 

La tentation du pire, l’extrême droite en France de 1880 à nos jours, de Pierre-Louis Basse et Caroline Kalmy, 
avec les regards de Dany-Robert Dufour, Benjamin Stora, Jérôme Leroy et Adrien Gombeau, éditions Hugo Image.

C’était la veille de Noël, derniers achats en vue du Réveillon, dans une librairie de Mont-de-Marsan, j’ai vu ce livre, je me le suis offert égoïstement (non merci, pas de papier cadeau). Ce qui m’a attiré dans le titre c’est 1880, car c’est exactement à ce moment précis qu’il me semblait que justement, l’extrême-droite avait commencé. Plus précisément 1885, pleine affaire du Tonkin avec Jules Ferry, quelque chose qui me paraissait emblématique des relations colonialistes de l’époque et que je creuse un peu dans le nouveau livre à venir, bref… Ceci dit, l’extrême-droite démarre vraiment sur le sol français avec l’affaire Dreyfus, antisémitisme, méfiance de la démocratie, manipulation des foules… Tout cela est magistralement retracé dans cet ouvrage qui fait la part belle aux documents d’époque. Bien sûr, l’histoire va s’enchaîner via les drames qu’on connaît et qui mèneront à Pétain, englueront l’histoire. Hélas, ce n’est pas que d’histoire qu’il s’agit et c’est là tout l’enjeu de ce livre, de montrer comment les faits (qui sont têtus, comme le répète souvent Pierre-Louis Basse) découlent de celle-ci, comment l’actualité  a un lien évident avec nos vieux démons, une guerre d’Algérie ravalée à grand peine et des racines qui prennent jusque dans le terreau de l’ancien régime. C’est détaillé, opiniâtre, partisan et on en redemande. Heureux d’avoir pu lire les contributions des co-auteurs cités, je n’oublie pas la reproduction de l’article ô combien nécessaire d’Annie Ernaux à propos des dérapages d’extrême-droite rédigés par Richard Millet. Quant à Pierre-Louis Basse, je me souviens avoir été interviewé par lui et avoir constaté un lecteur précis, véritable passionné de littérature. Oui, on peut aimer les écrits de Céline, Drieu ou Brasillach, et détester les idées qu’ils ont véhiculées. Faire la part des choses, savoir comment fonctionne le mouvement des idées nauséabondes est devenu salutaire dans notre époque où les « roms » deviennent les juifs à abattre, où il est si facile de hurler avec les loups quand tout semble aller mal, la crise est toujours la faute des autres… Bravo pour ce livre indispensable !
(02/05/2017, note initialement parue le 08/01/2014)

 

Amérique des écrivains en liberté, Jean-Luc Bertini, Alexandre Thiltges, Albin Michel
J’avais déjà lu un livre de ce type, road trip en prétexte à la rencontre d’écrivains américains qui fascinent les auteurs : L’Amérique des écrivains de Guillaume Binet et Pauline Guénat, bizarrement pas recensé dans mes FdR, pourtant c'est un livre qui m'avait marqué. Celui ci porte un titre proche et les ressemblances ne s’arrêtent pas là : on retrouve le format, l’épaisseur, les photographies, l’implication des auteurs (là aussi ils sont deux. Dans l’autre, c’était une famille avec enfants). On y croise parfois les mêmes romanciers rencontrés au cours du périple (Laura Kasischke), et  l’éditeur de ces deux volumes est identique. Et j’ai pris aussi un identique plaisir à le lire, avec les mêmes impressions au bout (c’est peut-être ce que l’on cherche). A savoir que les écrivains américains sont moins poseurs, plus abordables, peut-être parce que plus dispersés dans cet immense pays. Ils vous reçoivent en short, au bistrot, chez eux, vous invitent à casser la croûte, évoquent facilement la famille, l’écriture. Là-bas, tout semble tellement différent. D’abord, la majorité des écrivains a suivi des cours de créative writing pour écrire, inimaginable en France, où on pense encore que l’écriture est un don du ciel. Chacun a décidé à un moment de devenir écrivain, et a souvent cumulé des petits boulots pour arriver à survivre (ça, en revanche, c’est identique en France, mais motus, on en a honte, là-bas c'est une fierté d'avoir été laveur de carreaux ou pompiste). Le système éditorial aussi est différent, il y a plus d’agents, ça a l'air plus franc, plus direct, mais je ne peux pas juger, pour moi aussi, c'est franc et direct avec Fayard. A lire ce livre, je m’imagine presque américain, j’habite en province, ce qui doit être, pour un parisien pur, aussi étrange que le Montana pour un Newyorkais. Moi aussi, on peut me surprendre en short en train de tailler ma pelouse (on a plus de chance de me croiser sur mon vélo ou avec mes étranges chaussures de course à pied à mon avis). Moi aussi je ne rechigne pas à parler popote et écriture dans tous les sens du terme. Alors, qui viendra voir l’américain que je suis pour disserter Claude Simon tandis que je préparerai des endives au jambon pour les visiteurs ? Qui aurait l’idée d’un road trip pareil : France des écrivains en liberté ? Pourquoi pas moi après tout (mais pas maintenant) : j’ai déjà des noms, des parcours, et je ferai la route à vélo, tiens !
(03/04/2017)

 

Histoire de la littérature prolétarienne de langue française, de Michel, Ragon, Le Livre de poche.
C’est drôle, je n’avais jamais relaté ce livre dans mes notes de lecture. Pourtant, il m’accompagne depuis au moins vingt ans. Découvert à la médiathèque de ma ville, j’avais fini par l’acheter, à force de l’emprunter tous les six mois. C’est dire si je m’y réfère souvent. C’est même le tout premier ouvrage qui m’a servi à défricher la bibliographie de la littérature du travail. Les auteurs dont parle Michel Ragon, sont souvent peu connus, écrivains du peuple, parfois encartés, mais l’ensemble de ce livre est une mine d’or pour qui cherche à connaître un pan entier de la littérature : grande leçon d’histoire, des chansons de compagnonnage aux romans, en passant par la littérature de colportage. Lire cela est une cure de jouvence, on sait où se trouve l’authenticité de l’écriture, chez Navel, Poulaille, Robinet, Guillaumin. On a souvent décrit la littérature de ces écrivains modestes comme une « littérature fatiguée » pour qui cumulait un travail et l’écriture : ce livre prouve que non.
Et puis vraiment, Michel Ragon, 92 printemps, vaut le détour.
(27/03/2017)

 

La Langue littéraire, une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon
(sous la direction de Gilles Philippe et Julien Piat), Fayard.

Il n’est pas difficile d’imaginer que je me sers de ce livre pour rédiger ma thèse. Ceci dit, rien qu’en prononçant son long titre, tous les amoureux de la littérature vont y trouver leur compte : pensez donc, un siècle de langue littéraire passée au crible. C’est évidemment passionnant. J’avais déjà évoqué quelques bribes en notes d’écriture le 22 février dernier où comment Proust, Sartre et Barthes se rejoignaient autour du concept d’une langue étrangère lorsqu’on écrit. On peut y ajouter les qualificatifs de « langue morte », de « langue de mandarins » lorsqu’on parle l’utilisation de notre langue pour la littérature, tant elle est spécifique. Étonnamment, le grand avantage de cette langue littéraire est sa volonté d’autonomie que les auteurs constatent dans le courant du XIX° siècle. Car si la langue littéraire demeure paradoxalement à l’écart du langage populaire, elle singularise la création, oblige à la créativité. C’est d’ailleurs cette autonomisation qui expliquerait, selon Bourdieu la tentation de « l’art pour l’art » apparue à la fin du XIXe siècle chez la bohème artiste, à la fois incapable de s’assimiler à la bourgeoisie triomphante et renonçant à toute prise sur le réel et à toute ambition de communiquer. Ce mouvement global d’autonomisation, commencé avec le début de l’instruction publique, se confond avec l’avènement du roman comme genre prépondérant. La littérature évolue ainsi dans une grammaire classique, perpétuée par l’enseignement. Les auteurs précisent qu’« il faudra attendre les années 1980 pour qu’il ne paraissent plus aberrant d’étudier en classe des textes immédiatement contemporains  », ce qui ne nous étonnera pas. Si l’atout essentiel de la langue littéraire (dans l’acception d’usage de la langue des récits, des romans, de la fiction) réside toujours dans son autonomie et sa liberté, et par sa capacité à se définir constamment par rapport au français d’usage, on comprend également mieux pourquoi notre petit monde des lettres demeure toujours perclus de vieilles habitudes. On referme ce livre passionnant en soupirant : rien à vraiment changé depuis 150 ans…
(20/03/2017)

 

Les murs, l’usine, Robert Piccamiglio, éditions Alphée.
Paru en 2010, le livre Les murs, l’usine revendique la mention de roman sur la couverture. A la réflexion, ce sont plutôt des chroniques, comme celles qu’il avait déjà écrites auparavant (Chroniques des années d’usine). L’auteur nous fait part de son expérience au sein de l’usine, décrit la manière dont elle enferme, mange la vie, empêche une vie totalement libre. Pourtant c’est à une telle libération qu’aspire le narrateur. Marié mais infidèle, il escalade parfois les murs de l’usine dans son service de nuit pour aller retrouver sa belle. Robert Piccamiglio est l’un des rares a avoir à la fois travaillé en usine et a avoir constitué une œuvre littéraire conséquente. Il se déclare volontiers comme individualiste et pas forcément attiré par les mouvements collectifs ou syndicaux comme par exemple Jean-Pierre Levaray. Les murs, l’usine sont donc une ode à la liberté, même lorsqu’un un mouvement de grève survient, l’engagement du narrateur se perçoit plus comme une manière  supplémentaire d’échapper à la routine. Au départ, c’est le titre qui m’a attiré : comment ne pas penser avec Les murs, l’usine au livre emblématique écrit en 1982 par Leslie Kaplan, L’excès-l’usine : Robert Piccamiglio y aura forcément pensé.
(06/03/2017)

 

L’Étranger, d’Albert Camus, Folio.
Note de lecture du 29/08/2001 : « On retrouve et on relit la vieille édition folio. Le souvenir de cette lecture est lié à un prof de français en 4ème (on garde l'image d’un gars solitaire et tourmenté). C’était la fin de l’année, plus rien à faire, il nous avait lu L’Étranger en cours à voix haute. On s’en souvient comme d’un des premiers chocs de lecture, sa voix monocorde, cette sorte d’ennui qui transpirait sous les mots : l’étranger, c’était ce prof qui ressemblait tellement au narrateur de Camus. A la relecture on a retrouvé les images brulantes de l’été et la langue magnifique qui les suscite, comme par exemple l’hallucinant enterrement sous le soleil algérois. »
Peu à ajouter à cette note de 16 ans d’âge, Feuilles de route existait depuis un an tout juste. Je n’ai pas retrouvé ma vieille édition folio, elle doit être dans un des trente cartons qui abritent le contenu de la bibliothèque en instance d’être réinstallée. Bien sûr l’incipit (Aujourd’hui maman est morte) est devenue un classique de lycée et j’ai cet étonnement de voir sur le web combien est guidée la réflexion au point d’en perdre toute singularité (voir ici et , au hasard). Bien sûr Meursault est devenu nom commun. Aussi, la découverte du livre, j’imagine, n’atteint plus de la même façon. On en parle tellement avant, tant d’informations, on dépieute, on se repait d’extraits, on dévoile : c’est dommage. Qui connaît maintenant le choc d’avoir un prof qui commence, d’une voix monocorde : Aujourd’hui maman est morte. C’était tôt, j’étais encore au collège, Camus, on n’en avait pas encore entendu parler. Maintenant on l’apprend au lycée, on récitera pour le bac les vieux lieux communs, attendus. Je ne sais pas ce qu’est devenu le prof de français triste et tourmenté qui nous a scotché à nos places pendant deux heures. C’était la fin de l’année, restait qui voulait. Combien étions-nous ? Certains avaient dû partir. Je garde la sensation de l’été derrière les carreaux, j’ai le souvenir du prof, sa figure ronde et placide, les mots qui s’en échappaient, mon regard qui errait au plafond, sur les murs, sur la table, surpris moi-même de ne pas m’être levé comme d’autres, d’être parti pour profiter de la belle journée. Demeuré assis, cloué : Meursault était parmi nous, encombré, encombrant, comme l’adolescence qui se pointait, évènement sur laquelle nous n’aurions aucune prise. L’étranger était déjà chacun d’entre nous.
(27/02/2017)

 

Fragments du dedans, François Bon, Grasset
Un des rares écrits de François que je n’avais pas encore lu, ces Fragments du dedans sont un abécédaire. Un livre de commande, dit l’auteur, de même que j’avais relaté dans la même collection, celui de Pierre Jourde (note de lecture du 07/11/2016). «Su très vite que le premier serait abandon : écrire dans une logique d’abandon. Su assez vite qu’ils se disposeraient de façon à permettre une lecture linéaire du livre. Quelquefois ça n’arrange pas : j’aurais voulu mot avant mort (du coup, c’est comme ça que je commence pour mot). Et j’ai triché en plaçant l’article autobiographie à W » raconte encore François. On sait bien que W est synonyme de Perec, tous nos fantômes. Et tiens justement, il y manque ce mot.
(20/02/2017)

 

Rimbaud à Aden, textes de Jean-Jacques Lefrère et Pierre Leroy, photographies de Jean-Hugues Berrou, portfolio Fayard.
En rangeant ma bibliothèque, j’ai bien sûr retrouvé le très beau portfolio qui accompagne Rimbaud à Aden. C’est un cadeau de ma maison d’édition (Fayard aussi), histoire de fêter en 2012 le beau succès d’Ils désertent avec Rimbaud déjà en filigrane. Ce « tiré à part », constitué de seulement 100 exemplaires accompagnait la parution du livre en 2001, premier d’une trilogie comportant par la suite, en 2002, puis en 2004, Rimbaud au Harar et Rimbaud ailleurs (voir note de lecture du 06/03/2013). Le portfolio est constitué de 11 photographies reproduites sur vélin pur chiffon par les ateliers Fortier frères. Cinq clichés, datés de 1880, sont issus de la collection de Pierre Leroy, notamment celle où est censé se trouver Arthur devant la maison d’Hassan Ali. On y aperçoit également l’Hôtel de l’Univers, autre lieu à colonnades sous lesquelles le poète a été également photographié. Six autre clichés contemporains sont de Jean-Hugues Berrou, auquel je dois aussi l'illustration de couverture d’Ils désertent. Sous le même angle, on retrouve la maison d’Hassan Ali, et quelques vues touristiques du « Rambow Hotel ». La page de présentation est signée par les trois auteurs. Aperçu, non sans émotion, le paraphe de Jean-Jacques Lefrère, qui a eu la mauvaise idée de trépasser au moment où je souhaitais le rencontrer pour Vie prolongée d’Arthur Rimbaud.
(13/02/2017)

 

La petite bibliothèque du coureur, de Bernard Chambaz, éditions Flammarion.
Évidemment, il faut être soi-même coureur pour écrire un livre qui sonne vrai sur la course à pied. De la même manière qu’il convient de savoir de quoi on parle pour évoquer un métier. Comme pour la littérature du travail, le réel ne peut être indissocié de l’imaginaire. Et c’est probablement ce qui me plait dans la course : bien obligé d’avancer, sentir s’égrener les secondes, minutes, heures, pieds sur terre, et en même temps laisser voguer son esprit, tête dans les nuages. Toute l’activité d’écriture se ramène ainsi au sol et au ciel. Bernard Chambaz, marathonien, propose à travers ce livre un panorama de textes sur « courir pour le plaisir ». Excellente idée ! Et Barthes n’est pas loin lorsqu’il évoque en parallèle « le lecteur heureux – c’est-à-dire le seul lecteur qui soit ». Ce recueil est ainsi fait, déguster les textes, goûter les phrases, foncer au pas de course de l’antiquité à nos jours. Homère, Virgile, mais aussi Stendhal, Claude Simon.  Bien sûr Murakami y figure, mais aussi Echenoz, une belle fable d'Hélène Delavault. Et Jacques Gamblin, l’étonnant acteur du très beau film « De toutes nos forces » sur un père qui court un triathlon avec son fils handicapé. Peut-être manque-t-il juste Joyce Carol Oates dont Bernard Chambaz explique dans sa grande introduction, qu’elle « consacre entre deux romans un bref essai au jogging ». Ce serait formidable s’il existait une version audio de ce livre à écouter tout en courant bien sûr.
(06/02/2017)

 

Le Roi de la forêt, de Jean-François Laroche, éditions Le Pythagore.
Tout d’abord un mot sur les éditions Le Pythagore de Chaumont créées par Francis Zahn, et que j’ai beaucoup de plaisir à retrouver en diverses occasions, lorsqu’il s’agit dernièrement d’accueillir l’équipe de tournage de France 3 (voir note d’écriture du 10/01/2017) ou de fêter la sortie poche de Faux nègres. Avec Francis et Jean-François Laroche, on reste ancré dans notre petit département : l’auteur travaille à Langres et connaît parfaitement ma ville natale. Aucun chauvinisme pour autant de ma part, je suis assurément un imbécile heureux comme dans la chanson de Brassens, sans toutefois rester empalé sur mon clocher. Le Roi de la forêt, c’est d’abord cette inscription retrouvée à côté d’une scène de meurtre, et qui va servir de point de départ à cette intrigue. Le roi de la forêt existe, assurément et l’inspecteur Victor Esperey va se lancer sur ses traces pour élucider le mystère. C’est donc un roman policier classique, joliment écrit qui déroule son enquête sans temps mort ni trompette, pas d’effets de manche outrancier, des caractères forts ou faibles, assurés ou hésitants, comme dans la vie, ou plutôt comme dans la forêt. A lire donc, que l’on soit vieux chêne ou jeune baliveau.
(30/01/2017)

 


Et faire taire les murmures du
roc, de Philippe Didier, aux Editions Border Line.

L’histoire est attachante au départ. Un couple découvre que son premier enfant est atteint d’une forme d’autisme. Entre colère et résignation, chacun va se construire un nouvel équilibre avec l’enfant au milieu. Pas de pathos, une relation qui se construit à petites touches discrètes, servies par une plume qui s’attache aux détails du quotidien. L’enfant grandit et se découvre plutôt sportif et doué pour la course. C’est le début d’une relation privilégiée avec son père, qui fonde de grands espoirs sur son fils malgré son handicap. Cependant les échecs sont fréquents avec ce fils imprévisible qui interrompt par exemple sa course alors qu’il est en tête pour aller caresser un chiot sur le bord de la piste. L’histoire s’achemine ainsi dans une douceur résignée, jusqu’à l’âge adulte : c’est devenu un bel homme. L’entourage est ainsi mis à mal : est-il capable d’aimer ? De construire ? Des évènements font basculer le fragile équilibre : l’amie de la famille est amoureuse du jeune homme, une fête de famille tourne mal, le père est malade. C’est l’enchainement néfaste. Cette deuxième partie est sombre et dure, mais le livre reste attachant. Petit reproche : l’histoire du livre se suffit à elle-même, il est superflu de la compliquer à travers une légende ardennaise. Du coup, le titre qui part de cette légende est complexe et mal adapté à l’histoire.
(23/01/2017)


POLICE,
d’Hugo Boris, Grasset.

Trois policiers sont sollicités pour raccompagner un étranger jusqu’à l’avion qui va le ramener dans son pays. Il apparaît évident que cette reconduite à la frontière est synonyme d’arrêt de mort pour ce migrant. A partir de cette anecdote, Hugo Boris construit un récit efficace où les doutes des trois agents vont augmenter, les dépasser, et mêler leurs histoires personnelles souvent imbriquées. Finement construit, sans faire la part belle au pathos, ce récit montre le métier difficile de policier, pour lequel l’auteur s’est beaucoup renseigné. Le quotidien est dépeint sans parti pris, avec la difficulté permanente de l’urgence, de devoir faire la part des choses, de prendre des décisions rapides sans savoir si ce sont les bonnes. L’écueil de ce livre aurait pu être de tomber dans les poncifs du roman policier, avec des clichés affirmés. Mais c’est évité avec brio. «  A cet instant elle prend ce que la vie lui donne » écrit Hugo Boris à propos de son personnage principal. Cela résume ce roman de l’immédiat, de l’incertitude où tout semble si peu sûr dans l’ordinaire des jours, sauf l’écriture de l’auteur qui avance sans flagornerie et avec empathie.
(16/01/2017)

 

La réserve, Haute-Marne 2017, de moi-même, éditions Dominique Guéniot : futur et extrapolation.
Mon roman n’est plus disponible. Il ne me reste qu’un exemplaire ! Quelques années après m’avoir publié, Dominique Guéniot avait cédé son affaire. Elle a tenu quelques années, pourtant gérée avec passion, avant de cesser définitivement. Faut-il voir encore un effet de nos trop petits départements ? Les maigres débouchés d’une clientèle restreinte n’ont pas permis de continuer. Ainsi Langres, ma ville natale n’a plus d’éditeur, ni de libraire, par ailleurs. Pour la ville dont Diderot est originaire, c’est vraiment très triste. Il reste toutefois une imprimerie Guéniot et Gérard Paillot, l’ami qui m’avait dessiné la couverture, y travaille toujours. J’ai donc relu mon tout premier livre pour les besoins du tournage. Il parait qu’on renie souvent ces premiers écrits. Pas moi, j’en suis fier et plutôt indulgent à la lecture. Je retrouve l’esprit que je voulais lui donner, une histoire distrayante, un hommage à René Fallet. J’aimerais, en cette année 2017, qu’il puisse être à nouveau disponible. J’en ai parlé avec Francis Zahn qui avait réédité les livres merveilleux de Jean Robinet. Ce serait formidable d’arriver à une nouvelle publication. En même temps, comme me dit Francis, il reste un chapitre à écrire, l’épilogue de l’épilogue, un dernier chapitre, une vision prospective… Tout est à imaginer. J’aimerais aussi que ce texte soit monté en pièce de théâtre. Je laisse ces projets murir : aujourd’hui m’importe de goûter l’instant présent :
« Nous sommes en 2017, précisément le 10 janvier 2017, à Louvemont, en Haute-Marne, France, Europe, Monde, Système Solaire et Univers. Il ne s’est rien passé depuis vingt ans. Ou si peu… ».
(10/01/2017)

 

Féminine, d’Emilie Guillaumin, Fayard.
Est-ce un livre sur le travail ? Probablement, si on considère « la carrière militaire » comme l’apogée d’un service de la nation. Est-ce un roman ? Assurément si on se laisse porter par l’histoire de cette jeune femme qui s’engage corps et âme, si on est sensible aux descriptions des lieux et des ambiances, bref, à tout ce qui fait qu’on ne lâche pas un livre. Et celui-ci, on n’a pas envie de le lâcher, on accompagne partout ces militaires qui croient à un destin qui les dépasse. Au fil des pages, il se crée un équilibre fort, même lorsque les convictions de la nouvelle recrue s’émoussent, une sorte de nostalgie nous prend. Alors, on se prend à y croire encore un peu : Non, n’abandonne pas !
Un comble pour qui est, comme moi, de la génération des antimilitaristes, des objecteurs de conscience. J’ai fait mon service militaire à la fin des années soixante-dix, c’était après l’époque du Tchad, de l’affaire Claustre. Je me souviens qu’il y avait un magazine qui relatait cette histoire au poste de garde. A force, on la connaissait par cœur. L’armée, c’est aussi cela, des heures d’ennui, même si j’ai eu la chance d’avoir une occupation prenante : j’étais à la fois barman, gérant du bureau de tabac, vendeur de bibelots, de parfums (ah, le flacon d’Eau noire de Claude François que j’ai cassé dans la remise qu’on ne pouvait aérer…). Au moment de partir, le commandant m’a demandé ce que l’armée m’avait apporté. J’ai dit : « Rien ». Dans le civil, je vendais des timbres à la Poste ; ici, c’était des bières et du café. Ce n’est qu’après qu’on se souvient : la chambrée avec des Chtis que je ne comprenais pas, une virée  à 170 km/h à six dans une guimbarde, la fois où quelqu’un avait volé le poste de télé, le réveillon de Noël et le lendemain mes lunettes retrouvées figées dans une flaque de vomi, des tonnes de souvenirs maigres, rien à voir avec la grandeur du pays.
Et c’est probablement une des grandes qualités de Féminine, réussir à faire sentir les aspirations nobles de qui veut servir le pays, et, en même temps, donner à voir la réalité prosaïque du quotidien. Autre réussite, et non des moindres, Emilie Guillaumin nous présente un témoignage authentique, sans artifice, avec le tour de force cependant de le maquiller en une fiction étonnante, un roman en treillis dans un équilibre parfait. Après lecture, il reste longtemps en mémoire, c’est dire combien il a trouvé sa place.
(02/01/2017)