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Notes de lecture 2010

Petit déjeuner avec Mick Jagger, de Nathalie Kuperman, Points
Après Life, la bio de Keith Richards, comment résister à une fiction mêlant Mick Jagger, de surcroît quand elle est racontée avec brio par Nathalie Kuperman avec qui j'ai pas mal échangé lors de cette rentrée littéraire ( voir Nous étions des êtres vivants dans cette même rubrique). Ce roman, écrit en 2008, raconte le rêve éveillé d'une jeune adolescente qui imagine que le célèbre chanteur va venir chez elle prendre le petit déjeuner, en réalité, sortir la jeune fille de cette vie qui débute, par trop encombrante dans le monde des adultes entre une mère dépressive, un père absent, une école trop contraignante, bref le monde étriqué qu'on commence à entrevoir alors que s'ouvrent les désirs que Mick Jagger personnifie à travers ses posters provocants et ses chansons sensuelles. Entre deux danses sur Gimme Shelter, la narratrice (qui se nomme Nathalie Kuperman) suit les frasques des Rolling Stones, découvre leurs jeux sexuels que la presse relaye et, comme Magritte, élabore un tableau fantasmé où " ceci n'est pas une pipe ", bref, le monde entre à flots et on n'est pas sérieux quand on a moins que l'âge de Rimbaud. Le tout est raconté avec brio, sans la distance de l'adulte et c'est cela qui est une véritable réussite.
(29/12/2010)

 

Life, de Keith Richards, Robert Laffont.
L’autobiographie du guitariste des Stones ne fait pas dans la dentelle : volume accrocheur, cliché de fan club au verso avec toutes les breloques, rabat intérieur avec fausse dédicace, la sobriété de la couverture avec une photo noir et blanc, très belle, et une police de caractère modeste passerait presque inaperçue. En réalité tout le volume est pétri de cette contradiction inhérente à la vie du Rolling Stones : comment être un personnage public, hyper médiatisé depuis plus de quarante ans et en même temps se décrire pendant le même laps de temps comme un type simple, resté populaire dans le sens le plus modeste qui soit. Car il n’a pas la moindre grosse tête, Keef pour les intimes, c’est juste un guitariste capable de s’émouvoir encore lorsqu’on lui offre à jouer avec un des pionniers du blues mille fois moins connu que lui. Pour raconter ses mémoires avec l’aide de James Fox, Keith a visiblement ouvert ses armoires, n’a pas rechigné à chercher dans ses premiers carnets et ses albums photos, a rameuté les témoins des belles années, a tenté de tout révéler, y compris l’inavouable, la dope, les relations parfois conflictuelles avec Mick, taxé de SLC (syndrome – d’hypertrophie -du chanteur leader). Si on est versé côté people, on en a pour son argent avec tous les petits potins revus et parfois corrigés par le guitariste mais on peut aussi s’émouvoir des relations du fils Richards avec son père Bert et sa mère Doris, de la perte de son deuxième fils, s’enthousiasmer pour le musicien qui découvre l’open tuning après dix ans de guitare ou qui s’essaie à l’aventure d’Exile on main street sur la Côte d'Azur. On s’amuse aussi franchement à ce gamin propulsé dans la jet set des années hippies et qui démonte en trois mots lapidaires l’intellectualisme de ceux qui tentent de s’accrocher au mouvement comme Jean-Luc Godard. Il faut l’entendre expliquer que Jumping Jack Flash ce sont les notes de Satisfaction en sens inverse (bon sang, mais c’est bien sûr…). Il aborde tout, le Keef : l’argent, la première voiture de riche (une Bentley Continental Flying Spur, baptisée Blue Lena), la vie facile, la famille, les maisons et tous les jeux de séductions dans lesquels il tombe volontiers mais il évoque aussi l’existence au singulier comme la lecture avec sa bibliothèque dont il semble être très fier « avec des étagères en bois sombre qui montent jusqu’au plafond ». On apprend jusqu’à sa recette des saucisses-purée et quelques uns des rares caprices de rock-star qu’il se concède comme celui d’être le premier à entamer la tourte du berger qu’il se fait préparer en période de concert. L’ensemble est rédigé de manière intelligente : nulle part on tente de nous faire croire que c’est Keith qui a tout écrit, mais la retranscription est intelligente, l’oralité populaire et colorée l’emporte avec beaucoup d’humour. Bref on referme les 650 pages du livre avec le sentiment que Keith Richards est un sacré type. Mais cela on le savait déjà.
(21/12/2010)



L’Enfer du roman, réflexion sur la post-littérature, de Richard Millet, Gallimard
5 Ils veulent écrire comme ils respirent, autant dire comme on ment […]
9 L’ennui ayant disparu avec la tuberculose, l’infini et le silence, lire est devenu une activité antisociale
24 Quelque chose de trop romanesque était déjà insupportable à Rabelais, Cervantès, à Sterne, comme il le sera à Flaubert, à Proust, à Joyce, à Claude Simon, à Thomas Bernhard : inévitable tradition antiromanesque comme seule voie d’actualisation du roman, ou bien signe que le roman porte en lui sa maladie, sa propre mort ?
42 Étrange pays que la France, où ce qui est loué chez les autres peuples est l’objet d’un souverain mépris, Paris s’étant constitué contre l’origine de ses habitants, ou plutôt, à de rares exceptions près, dans l’effacement de la terre, du paysage, si bien qu’être écrivain français, c’est rechercher une universalité symbolique qui repose sur une négation, un reniement, un défaut de mémoire accepté en commun.
68 L’évacuation de la littérature comme champ référentiel pédagogique et le bradage de la langue à la sphère médiatico-publicitaire font de l’écrivain un marginal de fait dans un monde où la redéfinition génético-cybernétique de l’homme à lieu non plus dans les songes mais dans le nouvel ordre de langage dont le roman postlittéraire est le code civique.
118 Ayant toujours fui le social comme l’expression même de la vulgarité, ayant maintenu vive la puissance des héros littéraires en tant qu’ombres des dieux enfuis, m’étant placé moi-même dans l’inutilité de toute posture littéraire, j’ai pu écrire librement, attendant tout de la littérature et rien des honneurs littéraires, un peu comme on se damne pour se sauver.
187 Forme d’espoir si paradoxale qu’elle serait non pas naïve mais innocente. C’est la nature vocative de la littérature : elle s’est toujours adressée à quelqu’un, à l’indéterminé du proche ou du différé, au lointain du possible. Le différé comme mode d’appropriation tout à la fois désolé et sûr : l’insensé de l’espoir, l’impensé de l’inconnu, l’impossible qui est actualisation permanente de la contingence.
196 Je ne peux m’empêcher de penser que toute la production romanesque américaine, jusque dans l’extraterritorialité de ses extrêmes (Burroughs, Barthelme, Pynchon, Danielewski), a quelque chose de provincial, car devant tout à l’Europe. C’est pourquoi elle n’est pas moderne mais seulement contemporaine par autocentrisme (pour ne pas dire impérialisme) ; c’est pourquoi je ne suis pas son contemporain, sinon d’une Emily Dickinson, d’un Faulkner, ou d’une Flannery O’Connors, dont la réclusion provinciale confine à l’universalité.
202 Mystique de la littérature, qui fait de celle-ci une totalité intérieure, de la même façon que, pour le mystique, l’homme intérieur s’oppose à l’homme extérieur, abandonné, lui, aux moralistes. C’est pourquoi l’éthique américaine et le social ne m’intéresse pas, étant tout le contraire de la littérature.
203 C’est donc dans l’inclassable que nous cherchons notre voie : fragments, brefs traités, aphorismes, carnets, lettres, encore qu’il y ait dans ces formes dites mineures, ou hors genre, la possibilité d’une doxa, le démon du Bien s’y glissant aussi sûrement que dans le roman, lequel pourrait en fin de compte devenir un lieu de subversion, raison pour laquelle quelques écrivains continuent d’en écrire, allant jusqu’ »au bout d’une immense fatigue.
211 La disparition de la guerre, en Europe (celle de Yougoslavie n’ayant suscité aucun grand roman, ni de récit important, seul le terrorisme irlandais ayant réussi à intéresser des scénaristes américains), est concomitante de la culture, donc de la littérature. La postlittérature est à l’expérience intérieure ce que l’humanitaire est à la guerre : un édulcorant éthique.
281 Un écrivain qui n’a ni blog ni site, et qui ne fréquente pas les espaces prostitutionnels de Facebook et de Twitter, n’est-il pas voué à la marge, voire à l’inexistence, sachant que c’est là que se font et se défont aujourd’hui les réputations, que le silence, le retrait, la discrétion, l’ombre, sont suspects au Nouvel Ordre Moral et que le Making of d’un roman devient non pas un bonus mais une sorte de devoir plus important que le livre lui-même ?
282 Cet idéal du langage que serait la littérature s’est trouvé réduit à l’idéalité d’un genre qui, devenu hégémonique, ne peut parler que de sa propre mort, de manière le plus souvent déguisée : le roman en tant que lieu d’effondrement de la langue n’est plus un idéalisme à tendance morale, donc insignifiant littérairement.
291 J’ai été probe : pendant plusieurs mois je me suis efforcé de lire du roman international recommandé par la propagande culturelle : Rushdie, Eco, Murakami, Auster, Pamuk, Franzen, Oates, Sépulvéda, Barrico, Ishiguro, tec. Ennui, ennui profond, parfois vertigineux : du rôti dont on n’a pas doté les ficelles, du cinéma en attente de lui-même, et non de la littérature, mais ces auteurs se voulant écrivains par nostalgie roublarde, autant dire pour ne pas mesurer leur néant.
311 Pas un romancier qui ne vienne de nulle part, mais des journalistes, des universitaires, des professeurs, des médecins, des femmes, pour ne pas parler des minorités sexuelles et ethniques qui ont un droit de cité préférentielle : les progrès et l’instruction ont abouti non pas à une diffusion de la culture et à la transmission de l’héritage mais à un prurit romanesque devenu la chose au monde la mieux partagée.
340 La plupart des romans ont pour origine le fait que l’auteur n’a pas réussi à se digérer lui-même. Il reste à faire une histoire de la postlittérature en tant qu’elle est le fait d’estomac fragiles d’intestins dérangés, de règles douloureuses, de conflits œdipiens mal réglés, de blessures narcissiques non pansées. Une histoire terriblement prévisible, au demeurant, car inscrite dans la circularité même, du corps et de la névrose.
342-343 […] ce n’est pas l’image qui a tué le roman, mais le fantasme de la parole naturelle, de la voix vive. La voix vive n’est pas le dehors authentique de l’écriture, mais le gant retourné d’une peau morte.
347 Chez tout grand écrivain, la langue s’abîme pour renaître du mouvement par lequel elle a ouvert l’espace où elle devient étrangère à elle-même.
348 De Maistre et Baudelaire, Lautréamont et Jarry, Bloy et Bernanos, Artaud et Céline, Beckett et Cioran : les contre-révolutionnaires et les désespérés, les ironistes et les imprécateurs se rejoignent, hors de tout rôle, sinon dans le rire qu’ils font retentir au cœur des ténèbres.
358 Le gros lecteur est un lettré qui n’écrit pas. Le lettré qui commet un roman a quelque chose d’un traître ou d’un faible ; car c’est toujours par faiblesse qu’on commet un roman, alors qu’on fait de la lecture un exercice spirituel.
373-440 Au-delà du style (de l'étrange et si personnel phrasé durassien de la deuxième manière de l'auteur), au delà du récit lui-même, le pouvoir évocateur d'un roman tel que Le Ravissement de Lola V. Stein tient tout entier à ces quelques noms : S. Thala, T. Beach, Lol V. Stein, Tatiana Karl, Anne-Marie Stretter, lesquels dessinent un monde au sein d'une Asie tout à la fois identifiable et décalée, sinon rêvée, et qui déploie un monde ayant dimension de mythe. […] La Langue, dans Le Ravissement de Lola V. Stein, semble étrangement embarrassée d'elle-même, sinon syntaxiquement impossible : inharmonieuse, pleine d'accidents, de constructions à la limite de l'incorrection, voire fautives. On dirait une moraine. […].442 L'incipit des Faux monnayeurs, roman regrettablement sous-estimé mais qui se maintient à flot par sa problématique de la mise en abyme du roman, m'a toujours intrigué : pourquoi " C'est le moment de croire que j'entends des pas dans le corridor " plutôt que " J'entends des pas dans le corridor " ?
450 Le roman contemporain n'est que le sismographe laïc de la " mort de Dieu ".
459 Un grand roman est à lui tout seul une histoire de la littérature et sa réfutation non tragique.
470 Qu'êtes-vous disposés à sacrifier pour écrire ? J'entends toutes sortes de réponses, plus communes les unes que les autres, et qui ont toutes une dimension éthique, donc petite bourgeoise. Personne ne déclare, d'une voix plus trempée que l'acier, qu'il sacrifierait l'écriture elle-même, par volonté d'anonymat - ou de pureté.
479 A faux écrivains, des éditeurs corrompus, des lecteurs aveugles, des femmes égarées.
504 Cette peur qu'on ne prenne pas pour du roman ce qui n'en est cependant pas est le corollaire du processus d'évacuation du réel et de désertion de la vérité : le roman n'est plus que le nom d'une peur.
532 Chaque roman qui paraît est un pavé dans l'enfer des bonnes intentions littéraires.
555 Écrire : un secret appelant le secret.
(16/12/2010)

 

Ce jour-là, de Willy Ronis, Folio.
L’intérêt de ce recueil des photographies de Willy Ronis, paru en 2006, consiste dans les commentaires qui accompagnent les clichés du photographe. Non pas de précisions techniques mais plutôt la sensation qui a présidé au cliché. Cet « avant », les circonstances qui ont favorisé la photographie. On aperçoit alors la manière de travailler de Willy Ronis, si tant est qu’on peut appeler travail cette attente qui semble ne devoir qu’au hasard l’opportunité d’une scène, d’une anecdote qu’une seule image tentera de résumer. Willy Ronis, récemment disparu en 2008, travaillait ainsi : pas de montage, pas de scène prévues, modelées, juste saisir à l’arraché un pan de nos vies, être le témoin fugitif de ce qui est. S’y ajoute sa tendresse personnelle comme lorsqu’il photographie sa compagne gravement malade perdue au milieu du feuillage d’un parc. Pas de leçon dans ces successions de clichés, juste raconter avec simplicité la vie, l’humanité, le bonheur d’être sur terre.
(07/12/2010)



Elle avait les yeux verts,
d'Arnost Lustig, éditions Galaade.
Ne pas se fier au titre, ce roman n'a rien d'une bluette. Il raconte le destin d'une jeune fille obligée de se prostituer auprès de l'armée allemande pour pouvoir survivre et ne pas être envoyée à la chambre à gaz comme le reste de sa famille. Ayant ainsi soigneusement caché son origine juive, elle finira par s'en sortir. L'intérêt de ce roman est de nous replonger dans l'histoire de la débandade de l'Allemagne aux dernières heures du nazisme et dans la dénuement qui suivit après. Roman âpre et précis, c'est aussi une formidable leçon d'espoir face à la sauvagerie. Né, à Prague, Arnost Lustig n'est pas un débutant. Âgé de 84 ans, il a déjà reçu le prix Franz Kafka et ce roman est le premier a être traduit en français.
(27/11/2010)

Nous étions des êtres vivants, de Nathalie Kuperman, Gallimard.
Rarement je n’ai entendu autant un auteur parler de son livre ! Mais il y a une bonne raison à cela : rentrée littéraire oblige, nous avons été associé dés fin août dans la thématique commune d’avoir écrit sur le travail. France Inter, France 2, les Rencontres du Monde des livres, les correspondances de Manosque, les salons du Mans, de Brive-la-Gaillarde nous ont réunis tous les deux, à la fin comme deux vieux camarades qui s’excusaient mutuellement de devoir redire devant l’autre la genèse de son livre. Donc, je sais que le beau titre de son livre est du à une pensée qui lui est venue dans le Métro, un jour de moral pas très haut, suite à la restructuration à la hussarde du groupe de presse auquel elle appartenait et qui a fini par la laisser sur le carreau. Livre d’exorcisme, donc, conjurer le sort qui s’acharne, redonner la parole à tous ceux qui naviguaient avec elle dans la même galère. Pas d’angélisme, ni de pathos, ici, chacun des personnages se révèle : celle qui pète les plombs et éventre les cartons du futur déménagement, celui qui essaie de se placer mais qu’un dernier coup du sort écarte, celle qui saisit une opportunité, tout un petit monde suspendu aux paroles du nouveau patron manipulateur. Il y a aussi un choeur, comme dans une tragédie antique, propre à refléter l’ambiance délétère qui règne ici. C’est avant tout un roman et Nathalie Kuperman, auteur d’une œeuvre déjà conséquente aussi bien pour la jeunesse que pour les adultes, souffre de devoir inlassablement répéter que Nous étions des êtres vivants n’est pas un récit d’entreprise (de même que Retour aux mots sauvages ne saurait s’y dissoudre). C’est compréhensible. S’il est facile de regrouper plusieurs livres dans un thème commun et même agréable puisque cela m’a permis de faire connaissance avec un écrivain d’une grande sensibilité avec beaucoup d’humour, il y a aussi l’inconvénient de la restriction, une sorte de prolongement des cultural studies en vogue où la littérature n’est examinée que sous l’angle des minorités ou des faits sociaux.
(19/11/2010)

 

Franck, d'Anne Savelli, Stock
Pour Franck, c'est de l'archéologie qu'il faut faire, non pas à coups de pelleteuse dans les débris des gares du Nord et de l'Est, défoncées il y a dix ans pour laisser la place au TGV, mais revenir dans ces lieux de départs permanents, trains, intrigue du livre, intrigues de Franck, prendre des outils dérisoires, un stylo, un cahier, soulever les peaux mortes de la ville, quartiers salis par le mâchefer des voies, rayées acier contre acier par les cris stridents des roues, toute une persistance qui, bien au-delà de l'époque de Franck, années 1986 à 1990,17 septembre, date de sa mort, butoir, voie sans issue qui n'arrête rien. Sans issue, celui qui débarque ainsi du Nord, donc Gare du Nord, rapidement à zoner dans les parages, rapidement englué dans des coups de sang, alcool, défis, on les voit au petit matin en débarquant pressé d'un train de province, mains tendues, yeux pochés. Franck, donc, rapidement chopé, prison préventive on dit, comprenez enchainement obligatoire des enfermements, Fleury- Merogis en école primaire de la violence, puis retour dans le Nord mais pas riche et célèbre, pas de fortune en Amérique, diminué encore dans des cellules de Loos, Béthune, Lille. Arrive Anne Savelli alors : on dit que elle et Franck, ou que le narrateur et le personnage, qu'importe, avant même le premier coup foireux de Franck, les premières phrases d'Anne Savelli, la littérature est puissante à assembler, à se souvenir de tout et diluer les traces en même temps, l'incertitude est son domaine. Alors il faut refaire les trajets, allez voir Franck à la prison, la demi-heure de visite, le parloir, mot dérisoire qui englobe une journée de train, parfois l'hôtel, les autres femmes de détenus, la honte, la vexation à s'agglomérer devant la prison. Plusieurs fois le mot humiliation. Procès, avocat, enfin Franck sort, retrouve Paris, les gares, les copains louches, l'errance, reste dehors le plus souvent malgré quelques tentatives d'insertion, dirait-on aujourd'hui avec ce sentiment collectif d'avoir offert une chance à qui tout de même ne la mérite pas, la société est bonne fille, va. Jusqu'au jour où pour une histoire stupide de cigarette, un type sort un flingue, mauvais film de série noire. Voilà.
Mauvais film mais livre magnifique : obsession des lieux, hallucination des descriptions, l'errance est dehors, les sentiments projetés, l'attente au parloir, les abandons. On dit souvent d'un écrivain qu'il maîtrise son style. Ici, pas de leçon, pas de dompteur. La pensée d'Anne Savelli bifurque, doute, reprend, les mots sont devant, puissants, il n'y a qu'à juste les laisser filer et c'est là la plus grande réussite de ce livre. On ne peut pas retenir Franck. Le livre est édité dans une collection dirigée par Brigitte Giraud, c'est dire l'exigence et la qualité.
Pour découvrir, en savoir plus, on peut relire indéfiniment le livre, il s'y prête bien. On peut aller voir aussi les blogs d'Anne Savelli en compléments indispensables : Fenêtres Open Space et Dans la ville haute, ce dernier dédié entierement à Franck.
(11/11/2010)



L’Enfant éternel, de Philippe Forest, Folio

Débuter une carrière d’écrivain par un premier roman de mort aurait pu être fatal à Philippe Forest. On sait bien qu’il raconte la disparition de sa propre fille, une enfant de quatre ans, maladie implacable et comment empêcher soi-même lecteur d’avoir le cœeur serré à l’évocation d’un tel drame qui constitue la fatalité la plus terrible qui puisse arriver. Mais justement, et c’est la puissance de l’écriture, l’auteur se dédouble à travers le narrateur. C’est ce dernier qui encaisse les coups et l’écrivain a sur lui un avantage indéniable, faire en sorte qu’il demeure à jamais prisonnier de ses pages, puis ériger en même temps un tombeau à la mémoire de l’enfant. Tourner la page, sans le pathos ni l’oubli. Tourner la page et on mesure encore à travers l’expression, toute la puissance de la littérature. Il en ressort un livre magnifiquement écrit, complet, procédant par contournement et restituant la réalité la plus prosaïque. C’est forcément le récit d’une naissance, pas celle d’un autre enfant, pas le remplacement, jamais cela, juste la sensation d’une autre matérialité : on devient fantôme, on devient écrivain, on mélange toutes ces sensations, on se libère du corps, on appartient désormais au monde des lettres.
(29/10/2010)

 

Le Corps de la France, de Michel Bernard, éditions de la Table Ronde
Le titre est à prendre au pied de la lettre : ce livre est bien une chanson d'amour, et d'amour charnel, de surcroît. Le corps de la France, il a fallu s'allonger dessus, y dissoudre ses os, sentir la peau d'un talus, l'articulation d'une racine, la douceur d'un sillon. Tous les français ont ainsi fait l'amour à la France, pour la dernière fois et comme on quitte une bien-aimée: c'était en juin 1940, c'était l'exode des civils, la débâcle des militaires. Petits destins et grands hommes, tous mêlés, allongés nez contre le sol quand les Stukas piquaient dans un vrombissement de guêpe, allongés la nuit sur ce même foin pour trouver un sommeil qui ne venait pas. Grands destins donc : des écrivains avérés, Léon Werth sur les routes encombrées, Maurice Genevoix redoutant le recommencement de Ceux de 14, des militaires encore inconnus et, parmi eux, le général de Gaulle. Voici les personnages qui entrent en scène dans le récit de Michel Bernard, une histoire donc, maintenant connue, qu'on imagine connaître par cœur mais que le lyrisme de l'auteur nous fait redécouvrir magnifiquement. Car c'est sans compter la parfaite érudition qui multiplie les détails, fait se croiser les évènements et les personnages célèbres, donne un élan qui pousse l'intrigue jusqu'à Québec, lointaine cousine de la France, aussi jolie qu'elle, l'image intacte du corps de la France encore. Il faut soi-même éprouver une passion intacte, quelque chose qu'on nommerait avec désuétude amour de la patrie, si l'expression n'avait pas été tâchée par des guerres malheureuses, des évènements parfois peu glorieux. Mais dans tous les couples, il reste ce fond de tendresse et cette union que nous formons avec notre pays natal sans le vouloir n'échappe pas à la règle. Tous le mérite de Michel Bernard est justement là, sans leçon, sans chauvinisme, avec beaucoup de simplicité devant la grande histoire et beaucoup de tendresse pour les vies minuscule : nous faire toucher et caresser le corps de la France. Un livre rare et intense, magnifique.
(13/10/2010)

 

Naissance d’un pont, Maylis de Kerangal,Verticales
C’est l’un des romans phares de cette rentrée littéraire, sélectionné pour tous les prix ou presque. Avec raison pourrait-on dire tant l’équilibre de ce roman est fort : un lyrisme inventif au service d’une intrigue pas forcément évidente. Faire simple : Naissance d’un pont raconte l’édification d’un pont, c’est évident. Il faut un projet, un pourquoi, un comment. Il faut de la technique, de l’aventure humaine et pourquoi pas de l’amour. Et tous ces ingrédients viennent à point nommés au service de l’idée simple de départ qui devient au final une épopée. Or, ce qui aurait pu se révéler casse gueule est une réussite. On aurait pu s’enliser dans des situations convenues, une histoire pataude, genre Pont et chaussées mais au lieu de cela, l’auteur nous embraque dans une fable américaine, dans la ville de Coca (sic !) dans une sorte de Californie extravagante que le pont va durablement modifier. Pour faire vivre l’idée, il faut des personnages et de même que pour Coca, les trouvailles sont nombreuses et posent leurs personnages qui semblent naviguer entre une France devenue désuète et cette contrée imaginaire, rêve de tous les possibles : ainsi Summer Diamantis, ainsi Sanche Alphonse Cameron – magie de ces noms propres - rejoindront l’aventure qui est d’abord humaine. Il faut un maître d’œuvre capable de mener ce projet à terme (le pont, pas le livre) : il s’appelle Diderot et avec lui, c’est toutes les planches de l’encyclopédie du philosophe que l'on parcourt, rubrique "art et technique". Il faut un maître d’œuvre capable de mener ce projet à terme (le livre, pas le pont) : elle s’appelle Maylis de Kerangal, mélange de Jules verne, Homère, et Faulkner. On est conquis car c’est encore un nouveau type de littérature du travail, bien loin de la souffrance à la Zola.
(05/10/2010)


Transports en commun
, de Jean Grégor, Fayard.

Une histoire de bagnoles, un truc de garçons serait-on tenté de dire. Mais sous la couverture ornée d’une BMW, l’histoire est moins schématique qu’il n’y paraît. Elle commence dans les années 70 avec Boris que son père, soixante-huitard, emmène à l'école dans une vieille 4L au mépris des conventions bourgeoises. Bourgeoise justement est la mère de Sophie camarade de Boris qui la dépose  de même dans une rutilante BMW. Honte sur Boris, indifférence de Sophie, l'histoire trouve un rebond inattendu lorsque la 4L et la BMW se percutent, causant la mort instantanée du père et de la mère de nos deux protagonistes. La suite raconte jusqu'à nos jours la reconstruction des deux adolescents, forcément pénible devant ces deuils qui ont modifié les destins tracés des deux familles. Mais là où Jean Grégor réalise un tour de force, c'est de ne jamais s'éloigner de la voiture et de sa mythologie à la Roland Barthes. Chaque évènement est ponctué des différents modèles, arrivée du diesel, des monospaces, tout ce qui change le rapport des êtres à leur quotidien finalement. Au bout du compte Boris retrouvera-t-il Sophie ?
(29/09/2010)

Journal intime d’une prédatrice, de Philippe Vasset, Fayard.
Est-ce un livre d’entreprise ? Oui assurément, même si ICECAP, l’organisation fondée par Elle, la prédatrice jamais nommée, n’existe pas, elle (l’entreprise) est décrite avec suffisamment de réalisme pour nous donner froid dans le dos. Le froid, justement, ou plutôt le réchauffement climatique forme la principale dynamique d’ICECAP qui parie sur la fonte des glaces pour découvrir des territoires insoupçonnés, dotés de richesses nouvelles et de routes plus sûres pour les exploiter autour du pôle. Elle (la prédatrice) devra cependant compter avec son adjointe qui la trahit et, la traîtresse, fonde une société concurrente qui parie sur l’inverse, mettre tout en œuvre pour que le réchauffement climatique se ralentisse. On l’aura compris, l’écologie devient un enjeu économique mais ne l’est-il pas déjà à travers le développement durable qu’on espère éternel seulement pour quelques privilégiés et toujours les mêmes. Et c’est ainsi que le livre de Philippe Vasset est puissant : il s’englobe dans un projet plus vaste qu’il explique en introduction ("décrire les effloraisons incontrôlées de l'économie mondialisée") et dont Journal intime d’un marchand de canons, paru en 2009, constituait le premier opus. "Les effloraisons incontrôlées" : belle définition du roman et bel acte de foi pour expliquer que seule la fiction est capable de rendre compte du monde d'aujourd'hui.
(22/09/2010)

Courir, de Jean Echenoz, éditions de Minuit.
Au départ, on pourrait se demander quelle mouche a piqué Jean Echenoz pour choisir un sujet si étrange, celui de retracer la vie du coureur Émile Zatopek, aussi grand fut-il en son temps. Après avoir lu Autoportrait de l’auteur en coureur de fond, d’Haruki Murakami, on imagine forcément l’affinité qu’il y a entre la course et l’écriture. Et il ne m’étonnerait pas que Jean Echenoz pratique également la course à pied, tant ses descriptions de l’effort, des gestes et de la pratique sont justes. Mais l’auteur n’est pas le sujet de son livre même si, comme chacun sait, il y a du Madame Bovary dans chaque roman, une part autobiographique donc. Ce qui inspire l’auteur ici, c’est à la fois cet athlète exceptionnel que fut Émile Zatopek et le contexte dans lequel le coureur hongrois réalisa ses exploits, dans l’après guerre et la guerre froide. Et tout cela nous vaut une biographie non pas grise et pauvre comme un mur de Berlin mais riche et colorée, empreinte d’un humour joyeux. Car Jean Echenoz sait finement analyser cette époque avec, à la fois, le recul nécessaire mais aussi, et c’est ce qui est particulièrement réussi, la proximité immédiate de l’homme, qu’il soit au repos ou en plein effort. Le portrait est attachant et le livre devient alors une sorte d’étrange roman qui dépasse le simple récit d’une vie. Et tout cela pour prouver encore et toujours que la littérature est magnifiquement diversifiée.

(15/09/2010)

Autoportrait de l’auteur en coureur de fond, d’Haruki Murakami, Belfond.
Forcément, je ne pouvais pas passer à côté de ce livre au titre si évocateur. Autant j’avais remarqué qu’entre la plongée et l’écriture il y avait des affinités, une question de retenue de souffle peut-être, savoir voguer entre deux eaux, suspendu entre fiction et réalité. Mais mes oreilles ont vieilli et risquent de moins supporter les changements de pression de la plongée  et maintenant je pratique régulièrement la course à pied à la place. Mais c’est la même sensation d’affinité. Une question encore de souffle, d’allonge, d’accélération, d’endurance : tout comme l’écriture d’un livre. Je me doutais que pour Haruki Murakami ce serait les mêmes évocations et je n’ai pas été déçu. Mais il y a plus aussi : Haruki approche la soixantaine, âge où les performances déclinent et c’est alors tout un système à repenser : ne plus rester fixé sur la performance et la compétition, mais admettre que le simple fait de courir est une forme de bonheur. Et c’est exactement ce que j’éprouve. Comme Haruki, je ne pense pas toujours à mes livres, quelques pensées bien sûr, mais rien de bien consistant dans la légèreté des foulées et du souffle. Et justement, cette sensation de légèreté, juste la sensation de courir sur l’asphalte le long d’un canal avec Les Beatles en fond sonore au baladeur et le soleil sur le visage : oui, c’est une étrange joie. Je sais maintenant quelle est partagée et combien sont précis et doux les mots qu’emploie Haruki Murakami.

(07/09/2010)

 

C’est encore moi qui vous écris, de Marie Billetdoux, Stock.
Marie Billetdoux, ex Raphaëlle (Rafaëlle), fille du dramaturge François du même nom, débarque à 19 ans dans le monde des livres. Depuis Françoise Sagan et Bonjour Tristesse, paru en 1954, il est d’usage de chercher celle qui succédera  au charmant petit monstre, comme disait François Mauriac. On croit tenir l’héritière. Sauf que papa François Billetdoux, même s’il possède l’aura et la caution artistique, est plutôt modeste côté des revenus. Point de voitures rapides et de cheveux aux vents. A la place la sage décision de travailler dans le cinéma comme monteuse. Mais la littérature est la plus forte et quelques livres plus tard, c’est the succès story avec Mes nuits sont bien plus belles que vos jours. Elle rayonne sur les plateaux de télévision, elle est accompagnée du journaliste charmeur Paul Guibert, elle passe ses étés avec la Jet set. Tout va bien, elle est bien dans la lignée de la Sagan. Et puis un jour, plus rien : on se surprend à se demander « tiens, mais que devient Marie Raphaëlle Billetdoux ? ». On découvre la fin prématurée de son compagnon journaliste, on découvre surtout ce monumental recueil de lettres divers et variées : pas moins de 1500 pages de missives. Famille, amis, lecteurs, avocats, procès, injonctions, mises en demeure, lettres assassines aux éditeurs, demandes d’aides, de subventions. Ainsi ce serait aussi cela un écrivain ? Quelqu’un qui se bat avec  toutes sortes de moulins à vent ? Ramassis de peur, de haine, de compassion, mais aussi éclairs de poésie, d’amour et d’intelligence. Il faut une certaine forme de courage pour s’exposer ainsi. Les méchants appelleront cela de l’égocentrisme, de l’égoïsme je préfère laisser la conclusion à la très belle chanson de Francis Cabrel : « Elle a tout ce qu'elle désire/C'est une artiste, n'en doute jamais ».

(28/08/2010)


Le Brésil, des hommes sont venus, de Blaise Cendrars, Folio.
Quelle bonne idée de rééditer en poche ces textes de Blaises Cendrars, initialement publiés en 1952. Entre le Brésil et l’écrivain, c’est déjà une vieille histoire. Blaise Cendrars y a débarqué pour la première fois en 1924, choisissant le cargo Le Formose pour s’y rendre et la compagnie de voyageurs de commerces, d’aventuriers et de starlettes dignes d’un album de Tintin. Et si mon site Internet se nomme Feuilles de route, ce n’est pas pour céder à la facilité d’une appellation passe-partout mais en hommage au récit poétique de son périple, ainsi nommé.
« Utopialand » ne cessera d’éveiller l’intérêt de Blaise Cendrars, et, en 1952, c’est le même parfum d’aventure qu’il glisse entre ses pages. D’ailleurs, moi-même parti là-bas en 2003, j’y ai trouvé des sensations sans doute très proches de celles qu’il décrivait alors, immense pays et simplement « des hommes sont venus ». Il faut alors côtoyer les indiens recyclés en guide pour touristes ou vendant leur artisanat sur les trottoirs des villes, il faut s’enfoncer avec eux dans la forêt par les méandres des cours d’eau sur de vieux rafiots, il faut rouler les mots portugais avec les enfants de Rio, traverser la même ville la nuit avec un chauffeur de bus allumé qui fait dérapages avec son véhicule, il faut rester des heures dans une échoppe surchauffée de Bahia à marchander des topazes ou des émeraudes : tout cela n’est pas un rêve mais le quotidien. Bien réelle aussi sont les photographies de Jean Manzon qui accompagnaient l’édition originale et que la version poche reproduit. Les gratte-ciel de Rio, l’inévitable Corcovado, le carnaval, le stade Maracana, les plages magiques de Copacabana, Ipanema : tout y est. Et aussi les pavés noirs et blancs de Manaus, fabriqués autrefois avec les restes du caoutchouc. Tout cela figure dans le livre et dans mon bureau le petit pavé blanc que j’ai pris soin de marquer du nom de Manaus prouve encore, s’il en était besoin, la proximité que j’affiche envers Blaise Cendrars et les photographies de Jean Manzon. A son reportage toutefois, il manque une ville importante, c’est celle de Brasilia, et pour cause, elle a été construite en 1000 jours et inaugurée en 1960, quelques années après l’élaboration de ce livre. Toutefois l’écrivain cite déjà le nom de son célèbre architecte Oscar Niemeyer qui s’était fait remarquer à propos de la Chapelle Saint François d’Assise de Pampuhla, dans la région du Minas Gerais, bâtie en 1943.

(30/07/2010)

 

L’Espèce humaine, de Robert Antelme, Gallimard
« Que tout ce qui marque cette unité dans le monde, tout ce qui place les êtres dans la situation d’exploités, d’asservis et impliquerait par là-même, l’existence de variétés d’espèces, est faux et fou ; et que nous en tenons ici la preuve, et la plus irréfutable preuve, puisque la pire victime ne peut faire autrement que de constater que, dans son pire exercice, la puissance du bourreau ne peut être qu’une de celle de l’homme : la puissance du meurtre. Il peut tuer un homme mais ne peut pas le changer en autre chose. »
A mon sens, c’est sans doute la plus belle réflexion de L’Espèce humaine et la dernière phrase est l’une des plus optimistes que je connaisse. Robert Antelme a rédigé ce livre dans les deux ans qui ont suivi sa libération des camps de la mort. Résistant pendant l’occupation avec son épouse Marguerite Duras, il est arrêté en 1944 et déporté à Buchenwald. La guerre bascule alors à l’avantage des alliés mais, dans cette incertitude de la victoire, la vie des camps demeure figée dans une horreur quotidienne. Il n’y a rien à manger qu’une soupe d’eau claire et parfois un morceau de pain. Les poux et les maladies affaiblissent les déportés. Avec l’avance alliée, les allemands fuient et emmènent leurs prisonniers déjà exténués le long d’interminables voyages vers d’autres camps. Les plus faibles sont abbatus en chemin. Robert Antelme parvient à Dachau où le camp est libéré peu après son arrivée. C’est toute cette épopée allemande, jusqu’à cette libération qu’il raconte dans L’Espèce humaine. Mais si, dans les derniers mots du livre, figurent l’encourageant « wir sind frei »,  son calvaire n’est pas terminé pour autant dans cette débâcle où la nourriture manque, où les déportés sont intransportables à cause de leur faiblesse et pour éviter la contagion des maladies. La suite de l’aventure, c’est Marguerite Duras qui la raconte dans La Douleur (note de lecture du 04/05/2010) : ses recherches, la joie de l’avoir localisé à Dachau et l’organisation que met en place un certain François Mitterrand pour aller le chercher, mais la peur de le voir mourir, tellement maigre que les doigts pouvaient se rejoindre en faisant le tour de sa taille, tellement faible que lui donner à manger c’était le tuer dans les premières semaines de son retour. Reste la conscience de l’épreuve traversée, reste la stupeur devant l’espèce humaine qui fut capable d’inventer une telle horreur. Restait, une fois la vie sauvée, à écrire cela.
(21/07/2010)

La Vie tranquille, de Marguerite Duras, Folio.
Paru en 1944, c’est le deuxième livre de Marguerite Duras, après Les impudents qui parait un an plus tôt. Vie tranquille est pour le moins un euphémisme dans cette France occupée, avec Robert Antelme, premier mari de Marguerite, qui est déporté pour fait de résistance à Buchenwald, qu’on retrouvera quasi moribond à Dachau et qui publiera en 1947 L’espèce humaine (bientôt en note de lecture). Vie tranquille aussi irréelle dans ce roman qui débute juste après une scène de bagarre d’une violence inouïe entre un neveu et son oncle, lequel ne tardera pas à agoniser dans le silence d’une famille regroupée autour de ce drame. Or, oui, en apparence, c’est bien une vie tranquille qui se déroule, ponctuée par les travaux des champs, le labeur incessant qui dilue les remords et les états d’âmes. Mais au fil des pages, le personnage principal, Francine, la narratrice qui s’exprime à la première personne et que certains nomment « ma petite Françou » comme un gage d’innocence, apparaît comme l’instigatrice des drames qui se jouent : c’est elle qui a dénoncé l’oncle à son frère Nicolas parce qu’il couchait avec sa femme. C’est elle qui ne dit rien encore lorsque Luce, le nouvel amour de Nicolas, prévoit de l’abandonner pour Tienne, lui-même amant de Francine. Nicolas se jettera sous un train. Silence encore lorsqu’une rencontre au bord de la mer se noie devant ses yeux. Mais elle semble agir dans une parfaite indifférence comme le narrateur de L’Étranger de Camus. Or, le style même de La Vie tranquille n’est pas sans rappeler celui de L’Étranger avec un narrateur qui s’exprime au passé composé et à la première personne. Et c’est exactement le ton que cherchait Camus qui avait rédigé une première ébauche dont le titre nous paraît extraordinairement proche de celui de Duras : La Mort heureuse !  (voir en Notes d’écriture du 20/12/2006). Il est probable que Marguerite Duras ne connaissait pas l’existence de ce manuscrit dont les premières notes datent de 1936 qui a été édité après la mort de Camus mais par contre, on peut supposer que l’influence de L’Étranger, paru en 1942, s’est révélée décisive pour le parcours débutant de Marguerite Duras qui connaissait bien Camus. En effet, lorsque Robert Antelme, est arrêté, c’est Albert Camus, aidé de Dionys Mascolo (devenu amant de Marguerite Duras)  qui récupèrent chez elle les dossiers compromettants de la résistance.
Vous avez dit vie tranquille ?
(11/07/2010)

La Fiancée juive, de Jean Rouaud, Gallimard (avec un CD, blues chanté et composé par l'auteur)
J’ai toujours trouvé crispant le mélange de l’autobiographie et du roman (ou du récit). Je fais très attention lorsque j’évoque le personnage d’un livre à le nommer comme narrateur et à ne pas citer le nom de l’auteur. Parce que, même si l’auteur raconte quelque chose d’intime, qui lui est réellement arrivé, il procède par déformation professionnelle et les mots utilisés ne servent qu’à marquer l’écart qui peut être infime ou grand, tremblement du réel ou chambardement de la réalité, va savoir. Jean Rouaud ne fait pas exception avec La Fiancée juive. Bien sûr, on peut le croire lorsqu’il se met en scène dans la quatrième de couverture, racontant son intention autobiographique : "me voilà, c'est moi". Mais le J.R. qui la signe, est-ce lui ? Et pourquoi utiliser un tel dispositif narratif qui tendrait à raconter sous forme de nouvelles disparates, des éléments que l’on connaît déjà et qui passent pour avoir été « de sa vie » : Cambon, lieux de l’enfance, l’écriture d’articles pour faire « régional et drôle » ? Reste la mort de Mozart, forcément non autobiographique et qui brouille les pistes, magistralement racontée d’ailleurs, touchante et désopilante. Forcément non autobiographique ? Qui sait si n’est pas raconté le film de Milos Forman Amadeus et l’expérience de l’auteur qui le regarde ? Qui sait si l’auteur ne se confond pas alors avec le narrateur et sa fiancée juive ? Et la fiancée juive, existe-t-elle ? Statut éphémère de l’épouse en devenir, accolée au peuple condamné à l’éternelle errance : c’est parce que c’est éphémère et fuyant que nous retenons le discours de Jean Rouaud. La leçon de littérature qu’il nous distille au milieu des pages avance justement à l’inverse (« raconter une histoire implique une intrigue, ou un semblant qui incite le lecteur à ne pas abandonner trop vite sa lecture »). Bref, c’est efficace, on s’y croirait. Et du coup, cela n’a aucune importance de s’assurer que le fond soit réel. Reste pour enfoncer le clou dans ces murs incertains le tremblé du blues, un vrai, tiré des racines, enregistré en une seule prise comme du temps de Robert Johnson, sans effet de manches, avec une voix mal assurée. Alors peuvent disparaître à la dernière note auteur, compositeur, et personnages. Une dernière image toutefois : une voie ferrée, un paysage de western ouvert sur des champs de coton, la casserole d’une guitare posée sur une baraque en planches. Cette image est la mienne, n’appartient qu’à moi, c’est le blues de Jean Rouaud qui me la donne, ça n’a rien à voir, c’est juste la puissance de musique et de la littérature au-delà du réel.
(25/06/2010)
 

Les Cris, de Claire Castillon, Fayard.
Nous avons le même éditeur et cela m’apparaît une raison suffisante pour lire Les Cris de Claire Castillon. C’est le premier livre que je lis de cet auteur qui en a publié pourtant neuf en dix ans. Découverte totale donc. Le titre n’a rien d’original, je me souviens avoir lu Cris de Laurent Gaudé (note de lecture du 27/03/2002) mais ce livre n’a rien à voir en apparence avec le sujet de la première guerre mondiale.
Quoique…
Ce récit qui raconte une rupture banale avec l’évidente lâcheté des hommes, l’usure de l’amour et l’ennui de la vie devient au fil des pages un récit de guerre, une machinerie infernale qui fait passer l’amante délaissée dans le camp des belliqueux. Elle chevauche alors un char ou pilote un avion de chasse qu’elle nomme le monstre textuel et tire au jugé dans tous les coins avec des mots. Force est de constater qu’elle fait souvent mouche dans ce jeu vidéo de la rupture et, si la finesse du langage n’est pas toujours au rendez-vous, elle a le mérite de privilégier l’efficacité en rafales. Cela n’exclut pas la diversité et l’originalité d’une langue inventive qui va finir par user, voire aplatir comme une crêpe le sujet de la rupture, lequel l’avait bien mérité, non mais. Si bien qu’à la fin, il ne reste plus rien, la narratrice sort de son char ou de son avion de chasse, balance d’un geste élégant son casque sur le tarmac devant la dépouille sanguinolente de… de qui déjà ?
Reste l’écho des cris, bruits du monde mais elle vous avait prévenu, Claire Castillon : la littérature s’empare de tout, est capable de retourner les récits les plus rebattus, les histoires d’amour qui finissent mal, mon Général, pour les réécrire de nouveau entre les lignes, dans les marges, sur le champ de bataille du monstre textuel.
(16/06/2010)


Afga Box,
de Günter Grass, Seuil.
Traduit, il y a peu, Afga Box est le dernier opus du dernier prix Nobel de littérature du siècle dernier. Ce livre a d’évidence une filiation avec Face(s) d’Olivier Roller présenté la semaine dernière, car c’est une histoire de clichés aussi. Là, c’est la vieille Mariette qui joue le rôle du photographe, sorte d’ombre dévouée qui a toujours accompagné la famille à géométrie variable de Günter Grass. L’histoire nous apprend que c’est d’abord Hans, le mari de Mariette, qui exerça ce métier. Photographe de guerre d’abord, puis de l’occupation américaine, il réalise aussi des portraits de famille et c’est de cette manière que Günter Grass fit sa connaissance. A la mort de Hans, Mariette continue à prendre des clichés qu’elle développe elle-même comme elle avait l’habitude de le faire et porte son dévolu sur un modeste Afga Box, plutôt que sur le Leica ou le Hasselblad de son mari. Muni de son boitier carré, elle immortalise le quotidien de la famille Grass et réalise aussi des clichés utiles à la rédaction des livres de l’écrivain. « Prends ça la Mariette ! » c’était l’injonction d’usage de l’auteur, tandis que la phrase favorite de Mariette avant d’immortaliser un des enfants de Günter était « fais vite un vœu ». Du coup, une sorte de superstition fantastique a jalonné ces années familiales. Et c’est au seuil de sa quatre-vingtième année que l’écrivain, désireux d’un parcours rétrospectif sur sa vie, charge ses huit enfants de raconter celle-ci à travers le fil conducteur de l’Afga Box et de son pouvoir magique. Le récit est très vivant, mais il faut dire que la vie compliquée de Günter et de ses enfants de différents mariages n’a pas dû laisser l’ennui et le conformisme s’installer dans les différentes maisons qu’ils ont occupées. Chaque enfant, devenu grand, parfois même grand parent à son tour, reçoit donc ses frères et sœurs et tente de démêler ses souvenirs autour de l’Afga Box et de l’inusable Mariette. C’est donc un livre de dévoilement, et quel beau symbole que de prendre le tirage photographique pour marquer sa vie noir sur blanc.
(10/06/2010)

 

Face(s), photographies d’Olivier Roller, Argol.
Des portraits d’écrivains, il y en a beaucoup. C’est même une spécialité de photographes. L’agence Opale, par exemple, travaille avec la gent littéraire ou l’indépendante Sophie Bassouls que j’ai eu le plaisir de côtoyer deux fois et qui m’a offert un cliché de René Fallet (Webcam du 03/02/2010). Il faut croire que le visage d’écrivain à quelque chose de spécial. D’ailleurs, on le croit : Beckett, en premier lieu (par François-Marie Banier en note de lecture du 10/03/2010), mais aussi Duras ou le visage marrant de Perec. Et Rimbaud, toute sa mythologie autour de l’image de Carjat ou de la photographie de groupe, retrouvée récemment et sur laquelle il figure (étonnements du 28/04/2010). Outre atlantique, on a usé à force de photos l’air ours d’Hemingway et la bouche pincée de Faulkner. Il y a dans cette obsession à photographier le visage de celui qui écrit la vieille idée, superstition, croyance que l’inspiration ou les pages écrites seront visibles, reproductibles entre les rides, sur le parchemin de la peau, dans le miroir des yeux.
Olivier Roller n’échappe pas à la règle, et ce, malgré son originalité. Car il est original, comme photographe : il suffit de voir les deux portraits de Pierre Bergounioux pour s’en convaincre. Sur l’un, il ferme les yeux, sur l’autre, il a les épaules nues et l’air égaré. De ces portraits d’écrivains où l’une porte une capuche fourrée et l’un tourne le dos, Olivier Roller a publié un livre (comme en 2001 Sophie Bassouls, Écrivains, 550 photographies, chez Flammarion). D’un côté, il y a ces visages étonnants et de l’autre, les réactions des modèles. Et comment, par exemple Pierre Bergounioux écrit un texte tellement clair et au-delà de ses images brouillées. Et comment tous ces commentaires parlent des difficultés à accepter de se regarder. Écrivains, qui jouent la comédie de leur romans, quoi de plus normal. Ou encore savoir qu’écrire c’est savoir mesurer l’écart entre la réalité et ce qui est contenu dans le livre. On joue avec cela mais le jeu ici se brouille : la bouille devient bouillie, méli-mélo auquel personne n’échappe. Je viens de retrouver quelques photographies qui datent de la parution de Central, il y dix ans déjà : j’y ai l’air juvénile d’un jeune quadra même pas usé. J’ai maintenant la peau moins souple, le cheveu plus rare, plus blanc. Curieusement, il me semble que j’imprime moins les photographies actuelles, que je fais plus sombre. Comme tous je ne me suis jamais apprécié en photo. Et les plis de la bouche du côté maternel qui commence à encadrer le menton, pas facile à regarder toute cette hérédité. Sans plus toutefois, et je n’en fais pas une maladie. A savoir comment j’aurais été portraituré sous les injonctions d’Olivier Roller, c’est quelque chose qui m’indiffère, ce n’est jamais qu’un instant parmi d’autres. Reste le livre donc, consultable à loisir et pour l’éternité. Il est publié chez Argol que dirige Catherine Flohic, elle-même qui fut prise au piège par l’attrape-mouche papier collant d’Olivier Roller. Visitez son site, très complet.
(02/06/2010)
 

La Centrale d'Élisabeth Filhol, P.O.L.
Avant de parler du livre, dire combien on se sent en affinité avec le parcours d’Élisabeth Filhol. Il n’est jamais facile de débarquer dans l’édition avec un parcours atypique « issue de la société civile » comme elle le résume parfaitement dans une interview à Télérama. On suscite la curiosité, surtout quand on choisit de parler d’un sujet aussi âpre, l’entretien des centrales nucléaires de notre pays. Affinité bien sûr avec le type qui écrit cet article, également électron libre – sans jeu de mots – d’un monde littéraire, il y a dix ans déjà, débuts à peu près au même âge – suffisamment jeune pour s’enflammer au contact des livres, suffisamment de vécu aussi. Entre nous donc, un métier dans l’entreprise depuis longtemps, la même passion des lettres depuis l’adolescence sans doute, et même la coïncidence de deux titres si proches : La Centrale et Central. Si, une différence toutefois, le prix France Culture qui propulse le livre et son auteur devant les médias. Tant mieux : juste retour pour la qualité d’un livre qu’on connaissait bien avant cette consécration.
Qu’est-ce qui fait donc la qualité de La Centrale ? Bien entendu, il y a le sujet original, sa portée, l’intérêt qu’il suscite depuis qu’un certain 26 avril 1986, on entendait évoquer pour la première fois le nom de Tchernobyl. Donc, oui, on découvre que nous aussi on doit nettoyer, entretenir nos centrales nucléaires et que ceux qui sont dévolus à cette tâche hautement dangereuse et surveillée sont des intérimaires, de la chair à neutrons (tiens, autre coïncidence : j’avais choisi d’évoquer un intérimaire dans Composants, mon deuxième livre). Mais ce n’est pas que le sujet d’un travail original et trop peu usité, qui donne la valeur à La Centrale. Cette valeur tient en un mot, également couché sur la couverture : roman. Ce n’est pas qu’une indication de genre, c’est la démonstration phrase par phrase, mot par mot, que la littérature a le pouvoir de révéler l’extraordinaire de tout sujet, aussi ardu puisse-t-il être. Ce qui compte, ce n’est pas la démonstration de la technologie mais l’inverse, le juste retour du pouvoir humain par sa capacité la plus évidente : le langage. Et qu’Élisabeth Filhol nous fasse partager ses mots, les siens, ceux qu’elle a choisi, agencé : là se trouve le véritable trésor. Opter pour le tu, page 60, tout comme Apollinaire dans Zone : un soir tu rentres chez toi, tu es au taquet (« tu es las de ce monde ancien »). S’étonner, page 119, « du bleu intense, quasi surnaturel » de la piscine radioactive, c’est reconnaître Blaise Cendrars et son récit D’Outremer à Indigo. Et la longue phrase page138, qui restitue la dernière vision de l’ouvrier : seize lignes terminée par un point d’interrogation, c’est Beckett ou Claude Simon qui s’invitent. Tout cela parce que "roman". Et on demeure admiratif.
(28/05/2010)
 

La Rente Gabrielle, de Jean Robinet, éditions Le Pythagore.
S’il est un livre de Jean Robinet que je tiens à relater au moment de sa disparition, c’est bien La Rente Gabrielle. Ce recueil, composé de courts chapitres, relate l’histoire de sa vie à travers une « rente », ainsi qu’on nommait naguère les fermes. C’est au retour de la guerre, dans une campagne vidée de ses occupants, que Jean Robinet découvre celle à qui il redonne vie et la baptise la rente Gabrielle, du prénom de son épouse. Et comment ne pas commencer son récit par évoquer les chevaux qu’il retrouve après les avoir tant désiré en songe et en écriture dans Compagnons de labour, au fond de son exil de guerre en Silésie. Pages magnifiques donc, mais qui n’excluent pas la mécanisation qui arrive : le tracteur rendra bien des services mais le cheval saura parfois prendre sa revanche comme dans l’histoire où l’animal est convié à la rescousse du tracteur embourbé pour finalement refuser d’avancer au bout de plusieurs fois quand il se rend compte de l’entêtement du paysan à l’utiliser dans des condition si ingrates. A travers les lignes, on mesure la tâche gigantesque pour redonner aux terres une fertilité. Leçons séculaires des saisons, humilité devant les caprices du temps, joies de savoir semer avec régularité et de pouvoir se projeter dans la future récolte. Ce livre n’est pas un livre de travail, mais un livre de vie tout court et d’apprentissage du bonheur. On y voit grandir les enfants, devenus soudain assez grands pour aller seul chercher la dernière récolte avec le tracteur. D’abord paru en 1968, il montre combien la patience et le temps ont façonné la rente Gabrielle. Jean Robinet à alors cinquante cinq ans et voilà près de vingt ans qu’il exploite sa ferme. Temps des bilans et de la sérénité.
Et que mes proches me l’aient offert il y a peu dans cette très belle réédition de 1994 renforce cette sensation. L’exemplaire que je possède est magnifique : illustré par Jean Moretti, il porte le numéro 127 et fait partie de l’édition originale de ce livre. C’est de la belle ouvrage et Jean Robinet, qui avait su concilier son travail à la rente et l’écriture a dû le trouver exactement en harmonie avec la beauté qu’il avait tenté de glisser entre les pages.
(20/05/2010)
 

Journal particulier et Le Petit ouvrage inachevé, Mercure de France et Arléa, de Paul Léautaud.
A la suite du marathon que je m’étais imposé à la lecture des 6000 pages du Journal littéraire l’année dernière, il me manquait pour parfaire une connaissance exhaustive de l’écrivain, l’approche du Journal particulier et du Petit ouvrage inachevé qui parurent après la mort de Léautaud. Les deux petits recueils forment le cabinet secret de l’auteur, de la même manière qu’au musée de Naples sont réunis les objets et les bas reliefs pornographiques qui ornaient les maisons de plaisirs de Pompeï et d’Herculanum. Il n’était évidement pas question pour Léautaud de joindre à son Journal littéraire la crudité et l’obscénité avec laquelle il racontait ses expériences sexuelles – ses séances, avait-il l’habitude de dire. Chaud lapin, donc, ce Léautaud, et demeuré très vert. Sa première maîtresse, Anne Cayssac, le révèle à l’érotisme alors qu’ils ont tous deux plus de quarante ans. Cette première passion dure vingt ans et Marie Dormoy remplace Anne Cayssac progressivement à partir de 1933. Léautaud a alors 61 ans…
1933 est d’ailleurs le sous-titre du Journal particulier qui raconte ainsi la première année de cette passion pour Marie Dormoy. Le Petit ouvrage inachevé fut commencé pour sa part en 1937 et l’écrivain voulait dans cet ouvrage parler de l’amour et des femmes qu’il a connues, Anne et Marie figurant bien entendu en bonne place. Le souci du détail, même obscène, l’écriture courte et nerveuse, la retranscription des dialogues entre les amants, les réactions, la recherche effrénée du plaisir ont construit à travers le Journal particulier et Le Petit ouvrage inachevé une littérature simple et décomplexée, nullement scandaleuse mais simplement honnête. Et c’est là sans doute la réussite de ces deux ouvrages.
(14/05/2010)
 

La Douleur, de Marguerite Duras, Folio.
La Douleur comporte plusieurs textes dont le point commun est d’avoir pour cadre l’immédiate après-guerre, le moment où les déportés reviennent, les heures sombres de l’épuration, des exécutions rapides, des errances d’après-guerre. Bien entendu, le principal texte s’appelle La douleur et donne son nom à l’ouvrage. Il raconte l’attente du retour des camps de Robert Antelme, premier mari de Marguerite Duras. Puis la joie à l’annonce de sa localisation en Allemagne. Joie de courte durée car il est voué à une mort certaine s’il demeure au fond de cette Europe dévastée. On s’organise, on va le chercher, un certain François Mitterrand organise les laissez-passer, on l’habille en officier, il revient mais il est méconnaissable. Survivra-t-il ? Marguerite Duras raconte admirablement cette longue attente du retour à la vie de Robert Antelme (Robert L dans le livre), qui lui, deux ans plus tard racontera son expérience dans L’Espèce humaine. Les autres textes évoquent de la même manière l’ambiguïté d’une époque où la férocité semble permise par réaction à ce qui a été enduré pendant l’occupation. La douleur a été adapté au théâtre à de nombreuses reprises. On retrouve le style percutant de Marguerite Duras, sensations fortes décrites sans ambages, répétitions de mots sauvages, ou comment la littérature est capable avec effarement de raconter les petites hontes et les grands sentiments, et tout cela sur le même plan, dans la même volonté de restitution d'une certaine espèce humaine...
(04/05/2010)


Memory babe, une biographie critique de Jack Kerouac,
de Gérald Nicosia, Verticales.
1000 pages. Autant que la biographie de Beckett par Knowlson. C’est dire combien cet ouvrage consacré au poète phrase de la beat génération est riche. Paru en 1998, il est souvent considéré comme l’ouvrage le plus complet sur Kerouac. On mesure l’ampleur de la tâche pour retracer presque jour par jour le parcours de cet homme fuyant, toujours en partance et on the road : interviews, documents et lettres de plusieurs centaines de ses amis et connaissances. On retrouve Allen Ginsberg, Neal et Carolyn Cassady, William Burroughs. On retrouve tous les drames qui ont jalonné la vie d’errance de cet entourage dévolu aux paradis artificiels comme Burroughs, ivre, qui tue son épouse en jouant à Guillaume Tell ou Neal qui décède le long d’une voie ferrée. Sur cet épisode qui a affecté Jack Kerouac, peu de choses seront dites et le poète, déjà lui-même enfoncé dans les limbes de l’alcool, décèdera quelques mois plus tard. Ce qui reste de la volumineuse lecture de cette biographie est l’impression d’une époque révolue, quelque chose qui pouvait ne se produire qu’une fois, la rencontre avec une Amérique à peine issue de la 2 ème guerre mondiale et juste avant qu’elle ne glisse dans celle du Vietnam. Tout le reste - ce que nous en retenons – consiste à refaire inlassablement le parcours de Kerouac, de la même façon qu’en France on refait celui de Rimbaud.
(28/04/2010)

 

Les Heures souterraines, Delphine Le Vigan, Jean-Claude Lattes
J’avais déjà cité cette auteur qui avait reçu à la fin de l’année dernière le prix du roman d’entreprise, premier du genre depuis longtemps (voir note d’écriture du 09/12/2009). C’est donc un roman qui aborde le sujet du travail, mon thème de doctorat, de même que La Centrale d’Elizabeth Filhol que je vient de commencer. En réalité, dans une interview (ma vie pro) Delphine Le Vigan se défend d’avoir voulu aborder uniquement ce thème mais plutôt celui plus global de la solitude urbaine. Le roman raconte donc l’histoire de deux protagonistes qui ne se rencontrent jamais mais se croisent dans l’agitation de la ville. L’une est Mathilde (prénom de l’égérie de Pablo Neruda, soit dit en passant), femme active, confrontée à des difficultés dans son métier et l’autre est Thibault, médecin urgentiste qui enchaîne les visites entre deux pensées vers la femme qu’il vient de quitter au bout d’un amour impossible. Thibault et Mathilde, voilà qui sonne comme deux personnages de chanson de gestes mais c’est dans l’enfermement de nos gesticulations que nos deux héros de la vie moderne se trouvent projetés plutôt que dans la solitude moyenâgeuse d’un donjon. Mais finalement rien n’a changé et c’est bien l’essence même du roman qui est en question, la suite de l’épopée antique, une chanson de Roland ou des chroniques de retour de croisades, le texte apparaît ici dans un objet pur, délivré de tout artifice. Le passé d’entreprise de l’auteur a sans doute apporté beaucoup à la sincérité du texte (c’est le cas aussi pour le livre d’Elisabeth Filhol)
Je me souviens avoir lu ce livre avec un étrange sentiment de jalousie devant la maîtrise d’une écriture efficace et sans artifice.
(23/04/2010)

 

La Mémoire longue de Didier Daeninckx, Le Cherche Midi
De Didier Daeninckx, je connais la silhouette reconnaissable entre mille, cheveux en arrière, lunettes, moustache, visage le plus souvent barré d’un sourire et toujours en discussion à la Fête de l’Huma. Car c’est là-bas que je rencontre, toujours présent quand j’arrive et encore là quand je repars. Mais il faut dire qu’il y vient en voisin. Je l’apprends en lisant La Mémoire longue : Aubervilliers, juste à côté, est son fief. Il en parle plus comme un provincial qu’un banlieusard, quelqu’un qui aurait gardé le souvenir d’une époque où on ne faisait pas qu’y passer, s’installer provisoirement là-bas parce que les loyers à Paris c’est plus possible en espérant qu’on aurait assez d’oseille pour quitter vite la non-ville. Ou alors réduire la ville comme une cité avec tout l’amalgame qu’on y véhicule, communautarismes et grands mots pour expliquer notre peur d’autrui. La Mémoire longue de Didier Daeninckx serpente entre tous les clichés mais n’en accroche aucun, à l’exception de ceux du photographe Willy Ronis qui porte le même regard poétique et dynamique. La banlieue que j’ai connue il y a trente ans vers Villepinte (je suis passé récemment à la station Sevran-Beaudottes) ressemblait donc plus à celle que décrit Didier Daeninckx : des herbes sauvages entre deux murs, l’angle d’un troquet, un parking déserté mais prendre le temps de déambuler, de croiser les laissés pour compte en tous genres. Sous-titré Textes et images 1986 – 2008, c’est donc vingt-deux ans de chroniques diverses, de rencontres, de photographies qui ont jalonné son parcours hétéroclite. On y croise Jean-Patrick Manchette, on y fustige la bêtise ordinaire, on découvre souvent la vérité de l’histoire. Car l’Histoire, avec sa grande hache, est finalement la passion reconnue de Didier Daeninckx, celle d’anecdotes oubliées comme l’aventure des canaques exhibés à l’exposition coloniale et qui conduira à l’écriture de Cannibale. Quand il s’agit de pourfendre des négationnistes en tous genres, l’auteur possède l’efficacité d’un chroniqueur rédigeant la notice d’emploi d’un démonte-pneus : on jubile.
On sort ainsi de La Mémoire longue rasséréné, confiant : tant qu’il y aura des Didier Daeninckx, le monde sera supportable.
(13/04/2010)

 

J’aimerais revoir Callaghan, de Dominique Fabre, Fayard
Bien sûr, l’histoire est banale. On a tous la nostalgie d’une époque de collège, de lycée, quelques noms qui reviennent. Au fait, qu’est-ce qu’est devenu Untel ? Les sites Internet fleurissent sur le sujet, anciens d’écoles, perdus de vue. On se fait tous alpaguer un jour ou l’autre par le charme de ces souvenirs qui reviennent alors. Par exemple, il n’y a pas plus tard qu’une semaine, j’ai vu en photo dans le journal de mon département le prof de guitare que j’évoque dans Langres s’use. Ce qu’il y a d’extraordinaire avec ce copain de classe, c’est qu’il n’a absolument pas changé de style depuis que nous étions en quatrième ou en troisième. C’est à cette époque que s’est décidé sa vocation, guitare et rien d’autre que de la musique. Il n’a pas bougé, n’a même pas quitté notre ville minuscule. De temps en temps, on le voit en photo donc, au gré d’un trio de jazz qui annonce son prochain concert par exemple. Pas bougé d’un poil, ça veut dire que sa coupe de cheveux est restée la même que celle du début des années soixante-dix, où on tirait sur nos mèches pour estimer dans combien de temps elles viendraient balayer nos épaules. Restée la même qu’à quinze ans sa tête sauf que ses cheveux frisés, toujours aussi longs sont devenus aussi blancs que les miens.
Tout cela pour dire que l’histoire classique de J’aimerais revoir Callaghan contient dans son titre tout l’écart qu’on mesure dans les années qui ont passé. Des souvenirs qui restent vivaces, points d’ancrages de nos vies et ce qui s’est passé entre, on a tendance à l’oublier surtout si ce n’est pas très glorieux. Et le narrateur de Dominique Fabre, professeur dépressif qui rate sa vie affective, n’échappe pas à la règle. Alors il faut bien se raccrocher à quelque chose ou quelqu’un. Ce quelqu’un c’est Callaghan, un élève anglais débarqué par hasard au milieu d’élèves qui avaient tous une famille, sauf lui, écartelé entre son père alcoolique et une mère trop belle. De quoi alimenter bien des rêveries d’adolescents. Or, Callaghan, qui a le don de s’évanouir prestement dans la nature suivant les péripéties familiales, ressurgit de la même manière lorsque que le narrateur est devenu adulte. Il a beaucoup bourlingué Callaghan, traîne une lourde valise qu’il finira par laisser avant de repartir. L’histoire de Dominique Fabre n’est pas autre chose que le récit de ces jours qui passent, de ses évanouissements et de ses retours. Rien d’extraordinaire sauf que c’est justement cela qui fait le charme et la crédibilité de ce récit. Après tout Callaghan est un fantôme, comme tous ceux qui nous hantent. Finalement, on a presque un doute : on ne sait même pas si c’est vraiment lui, ce sdf débarqué à qui le narrateur offre le gite sous prétexte que c’est Callaghan. Peut-être est-ce finalement un arrangement entre deux solitudes ? La suite du récit semble enlever cette incertitude mais, pour moi, elle subsiste.
J’ai lu ce livre en Syrie. C’était prémédité. Je voulais le lire absolument lors de ce voyage prévu. Je voulais sans doute me construire moi aussi quelques souvenirs, quelques points d’ancrages. Celui qui reste est celui d’une chambre dans un monastère du côté de Homs et de Hama, dans ce village un peu paumé dans lequel nous nous étions promenés sous la pluie avec les regards des marchands désœuvrés qui nous regardaient passer sur le trottoir. De retour dans la chambre monacale, j’avais lu quelques pages, pas plus. Il y avait une icône au mur au dessus du lit. Tout cela constitue mon Callaghan à moi.
(07/04/2010)

 

Beckett, de François-Marie Banier, Steidl
Ce livre est un recueil de photographies de l’écrivain, photographié à son insu à deux époques : en vacances à Tanger en 1978, et onze ans plus tard, (l’année de sa mort) à Paris. Ce livre aurait pu être celui d’un voyeur ou d’un paparazzi et la personnalité controversée de François-Marie Banier n’incite pas à la bienveillance. Pour autant, l’auteur a attendu vingt ans pour publier ces clichés dans cette édition de petit format mais de grande qualité et ce ne sont pas les usages des photographes de la presse people. Ajoutons les sobres textes d’accompagnement de l’auteur et de Viviane Forrester pour se convaincre de la bonne foi de ce recueil qui se veut un hommage. Et c’est pour cela que ce livre ravit les aficionados du fameux prix Nobel, dont je suis. Rien d’extraordinaire cependant dans ces clichés et c’est pour cela qu’ils nous émeuvent. Que la grande silhouette de Beckett marche le long d’une plage à Tanger ou qu’il demeure fatigué et vieilli sur un banc à Paris, l’écrivain porte en lui sa réflexion permanente, il nous semble lire des pages entières de ses livres dans ses rides, dans ses mouvements ou dans sa fixité. Une canne projetée devant lui sur des feuilles mortes ou l’ombre disjointe et comme étrangère sous le soleil prolonge immanquablement les textes de l’écrivain. Rien que pour cela, il faut donc que François-Marie Banier ait compris ce qui animait l’écriture de Beckett. Quoi de mieux que la photographie pour restituer sa paradoxale volonté de silence, de paix intérieure. Lire aussi l’article que consacre la République des livres à cet ouvrage.
(10/03/2010)
 

L’Absence d’oiseaux d’eau, d’Emmanuelle Pagano, P.O.L.
L’idée est alléchante : deux écrivains entament une correspondance dans laquelle ils imaginent qu’ils s’aiment. Jeu forcément excitant, sorte d’écriture à quatre mains : inventons ces deux personnages et publions ensemble ce livre épistolaire, voilà qui est génial. Sauf que c’est passer un peu vite sur les subtils chemins qui relient les auteurs et leurs narrateurs, ce qu’on balaie de quelques mots, inspiration, intention de départ, toute une rhétorique porteuse de la sacro-sainte liberté de l’écriture. Or, l’écriture est une prison. Nous avons beau être auteurs chevronnés, se dire que cette fois-ci ce ne sera pas pareil, il faut se rendre à l’évidence, les mots tissent des cages bien plus sûres que le pénitencier d’Alcatraz. Pour corser la difficulté, ajoutons que les deux écrivains finissent par se rencontrer et s’aimer pour de vrai : transgression des personnages, mélange des corps des auteurs, l’idée géniale devient rapidement une mise en abyme insupportable. Dans la prison de l’écriture, l’espace de la cellule se réduit autour des deux protagonistes : l’un s’en évade mais l’autre aussi en publiant ce livre, tronqué de la moitié de la correspondance de celui qui a repris ses lettres en partant. Du récit, qui visait à devenir le plus original au départ, il ne reste plus qu’une banale histoire d’amour, comme dans les romans de la trilogie sentimentale de René Fallet que j’ai largement déjà évoqué cette année. L’impudeur, ici servie par les mots aigus d’Emmanuelle Pagano, n’est pas une nouveauté : René Fallet avait fait de même et c’était il y a plus de trente ans. A lire ces lettres, on sait, dès le départ, que ça va mal se terminer : la passion est étouffante dès les premières phrases. Même après le départ de l’être aimé, la narratrice continue à vouloir le retenir dans ses souvenirs où il apparaît que cette aliénation n’a pas dû être drôle tous les jours. Elle le comparait à une rivière mais plutôt que de dresser des moulins d’enfants entre les pierres et se réjouir de la chanson du courant, elle n’a cessé d’édifier des barrages et de provoquer son assèchement. L’absence d’oiseaux d’eau s’explique tout simplement par le manque d’eau. Il ne reste que le cadre minéral du roman épistolaire prévu au départ : juste un décor de livre. Et ce sont les derniers mots d’Emmanuelle Pagano.
(03/03/2010)


Y a-t-il un docteur dans la salle ?
de René Fallet, Folio
A lire L’amour baroque du même auteur, décrit dans cette même rubrique le 20 janvier, j’ai eu envie de poursuivre par ce livre que j’avais lu il y a très longtemps et qui constitue avec L’Angevine, la trilogie sentimentale du personnage auteur dramatique RF, Régis Ferrier, frère jumeau de l'auteur RF, René Fallet. Y a-t-il un docteur dans la salle est le livre du milieu, publié en 1977, à l’heure où je faisais les quatre cents coups sur ma moto Honda 125 K3 à guidons-bracelets. Pendant ce temps, Régis Ferrier faisait les soixante-quatre positions du Kâmasûtra (voilà un mot qui va me prodiguer nombre de connexions…) avec son héroïne, Marthe, étudiante en médecine, d’où le titre. A ce sujet, il faut s’étonner de la redondance des prénoms commençant par M chez les écrivains, comme par exemple Mathilde Urrutia, l’égérie de Pablo Neruda. En fait, la trilogie sentimentale est pénible à lire. Régis Ferrier est un triste, il a le whisky mauvais et il en boit beaucoup. Il devient invivable, on le quitte, il reboit pour oublier, oublie qu’il reboit, re-reboit pour se souvenir, schéma classique, certes sympathique, on compatit avec lui, mais chiant. Ce qui fait qu’il me ressemble, non pas par la dive bouteille (à côté des RF, je fais figure d’enfant de chœur chipant du vin de messe quand le curé à le dos tourné) mais pour le côté chiant des livres. Car il y a deux façons d’écrire des romans ennuyeux : sur le sujet du travail (c’est moi) alors que personne n’a envie de se coltiner une deuxième journée de boulot en lisant un livre, et sur le sujet de l’amour qui traîne en longueur des types dégoulinants de sentiments sur la moquette. Or, l’ennui transforme souvent l’auteur en génie et c’est pour cela que RF en est un. Et c’est aussi pour la même raison que j’espère avoir « à l’usure » le lecteur esbaudi qui reconnaîtra mon talent littéraire dans les affres de sa fatigue. Y a-t-il un docteur dans la salle est peut-être celui qui est le mieux écrit des trois. Fait intéressant et qui redonne du piment à la narration. RF (René Fallet) fait intervenir au côté de son personnage Régis Ferrier, son filleul, le fils de sa sœur, et qui ne peut être que l’écrivain Gérard Pussey (les Succursales du ciel, 2009 et Au temps des vivants, 2007, les deux chez Fayard : ce dernier livre raconte d’ailleurs quelques souvenirs avec ses tontons René et Georges). A noter que la même année d’Y a-t-il un docteur dans la salle, Gérard Pussey publiait son premier livre Châteaux en Afrique.
(24/02/2010)
 

L’homme est un grand faisan sur terre, d’Herta Müller, Folio.
En 2009, le prix Nobel de littérature a récompensé Herta Müller. Cette nomination a été l’occasion de m’apercevoir une nouvelle fois combien sont déprimants les forums d’opinion où chaque internaute peut réagir à l’actualité. Passons sur les plaisanteries graveleuses et franchouillardes concernant le prénom à consonance de saucisse de Francfort de la récipiendaire. Ce n’était qu’un florilège de déplorations envers le sacre d’une auteure qui est une femme et même pas française, histoire d’aggraver son cas. Passons sur les cocoricos où j’ai appris que le prix le plus beau du monde est tout de même le Goncourt. Passons sur ces piètres commentateurs même pas capables de se rappeler que le Nobel de l’année précédente avait couronné Le Clézio. Passons sur la médiocrité (mais il fallait que sorte ce coup de gueule) car si à l’époque de la nomination de ce Nobel (voir Etonnement du 14/10/2009), je n’avais pas encore lu Herta Müller, c’est fait avec ce petit récit de 123 pages, réédité pour l’occasion en Folio, L’homme est un grand faisan sur terre. Ce titre au demeurant énigmatique est la phrase que prononce un des compagnons d’infortune de Windisch, meunier de son état, qui désire émigrer de sa triste Roumanie avec sa femme et sa fille. Court récit donc, mais à la fois dense d’une écriture imagée et forte, poétique et aérien dans la langue sobre Je ne résiste pas à la tentation de citer un exemple caractéristique de cette prose presque austère mais tellement limpide et expressive :
« Le policier est dans la cour du tailleur. Il sert de schnaps aux officiers. Il en offre aussi aux soldats qui ont apporté le cercueil à la maison. Windisch voit leurs épaulettes avec les étoiles. Le veilleur tourne la tête vers Windisch.
« Le policier est heureux d’avoir de la compagnie », dit-il.
Le maire est sous le prunier aux feuilles déjà jaunies. Il transpire. Il regarde une feuille de papier. « Il n’arrive pas à lire l’éloge funèbre, dit Windisch. C’est l’institutrice qui l’a écrit. »
« Il veut deux sacs de farine pour demain soir », dit le veilleur. Qui sent l’alcool. »
La traduction de Nicole Bary rend particulièrement bien cette atmosphère. Herta Müller, éxilée de Roumanie, écrit en allemand et j’avais déjà souligné dans la note d’étonnements citée ci-dessus combien son passé me semblait proche de celui de mes racines paternelles, une culture allemande - autrichienne qui remonte sans doute au XVIII ème siècle, en ce qui concerne ma famille – et un exode que les conditions économiques et la guerre ont favorisé. Et c’est ainsi tout un passé ambigu et taiseux qui resurgi.
(17/02/2010)
 

Une année étrangère, de Brigitte Giraud, Stock.
Je suis un fana des livres de Brigitte Giraud, je l’ai déjà dit : de Marée noire (note de lecture du 08/12/2004) à J’apprends (note de lecture du 26/10/2005), en passant par L’amour est très surestimé, (note de lecture du 31/10/2008). Voici donc maintenant Une année étrangère mais cette fois-ci étrangement, le livre porte bien son nom : c’est une année étrangère qui a présidé à l’écriture de ce livre. Non qu’il soit raté, loin de là, très loin de là, et si certains des best-sellers pouvaient ne serait-ce qu’un peu se rapprocher de l’écriture de Brigitte Giraud, la littérature y gagnerait beaucoup. Simplement, j'ai moins accroché que les autres. Ce livre comporte un volet double, ou plutôt une double géographie. En effet, la narratrice part en tant que jeune fille au pair en Allemagne mais elle emporte avec elle le secret d’un jeune frère mort d’un accident de Mobylette. Dans sa famille d’accueil, un autre secret, la maladie de la mère viendra bientôt répondre à ce malheur. Le portrait de la jeune fille est magnifiquement dépeint et cette année étrangère qui est celle de son émancipation sonne comme une renaissance. Ce qu'il y a de très réussi, c'est la nostalgie ambiante, cette lenteur et le choc de deux cultures. La période, les références musicales, les véhicules font que cette histoire s’est déroulée il y a pas mal d’années, à une époque où les jeunes allemands passaient auprès de nous pour des garçons et des filles plus baba-cool que nous. A coup sûr, Brigitte Giraud a dû expérimenter l'Allemagne dans ces années-là pour la retracer aussi bien. Car du coup, c’est ma propre histoire qui vient en filigrane se coller à cette année étrangère, celle également de quelques voyages linguistiques effectués en Allemagne en 1976 et 1977. Du premier, je me souviens exactement de la même ambiance que dépeint Brigitte Giraud, la neige des forêts du Harz, les chemins enneigés et désert lorsqu'on rentrait à pied de la diskothek où je m'essayais, entre autre, au schnaps. C’était un voyage scolaire. J’y étais retourné quelques mois plus tard pour retrouver une des correspondantes que j’avais rencontrées là-bas. C’était une démarche purement personnelle et le seul inconvénient, mais de taille, est que je n’avais pas prévenu mes parents de cette escapade. Enfin, si, je leur avais envoyé une carte postale, ça je m'en souviens. Un vrai Rimbaud. Ah, jeunesse !
(10/02/2010)
 

BW, de Lydie Salvayre, P.O.L.
Ce titre qui sonne comme une voiture est en réalité un genre hybride, moitié biographie, moitié interview, voire récit d’aventure, voire déclaration d’amour. Comme point de départ, personnage principal, BW, éditeur, enfin ex-éditeur, qu’une affection soudaine menace de devenir aveugle. Pas d’autre solution que de rester trois semaines dans le noir Sa compagne LS à son chevet, justement écrivain, décide de recueillir ce qu’ils se racontent. Dans ce passage obligatoire où BW fait le point sur sa vie, le jeu entre les deux protagonistes apporte un éclairage particulier à ce qui n’aurait pu être qu’un simple recueil de souvenirs. Mais ce serait vite oublier que BW et LS sont complices, embarqués malgré eux dans cette galère. C’est donc leur histoire commune qui est également racontée. Réduire BW au simple portrait d’un homme, même au caractère bien trempé, serait surfait. Il y a bien entendu les voyages, la course à pied, l’édition comme une évidence, mais il y a derrière tout un monde et la question lancinante de savoir comment peut-on garder son intégrité, réaliser ses rêves de jeunesse, bref se demander, avant que la vieillesse n’arrive, si on peut être finalement assez fier de sa vie. Il me semble que c’est la grande question que ce livre aborde, caché sous un humour parfois désinvolte ou sous la description sans concession du monde éditorial. Bien entendu, on ne peut jamais répondre à cette question, hormis en la biaisant, par exemple en donnant l’impression que le mouvement incessant, le changement permanent, l’interdiction de tout immobilisme est capable de faire pencher favorablement la balance de votre côté. On comprend ainsi mieux comment s’est construit ce livre, dans l’immobilité forcée de l’aveugle, contre la nature profonde de BW. Écrit d’une manière alerte et vivante, ce récit est finalement manière de conjurer le sort, une imprécation, presque une prière. La dernière phrase sous forme de question (Si on y allait ?) représente un espoir, que tout puisse continuer comme cela à toujours été, une course autour de soi, des autres et bien entendu du roman qui se glisse en permanence entre la narratrice, auteure LS, et le « raconté », ex-éditeur BW. « C’est un roman, parce que je n’ai jamais cessé de décoller le personnage de la personne, la fiction du réel. ». Cette déclaration de LS est à mon sens essentielle. Elle ne témoigne pas du renouveau du roman, mais elle évoque toutes les formes qui cohabitent dans le genre. Dès qu’un carré de 200 pages devient inclassable, hybride, on peut être sûr qu’il contient « du » roman. En voici une nouvelle preuve.
(03/02/2010)
 

Régiment de chasse Normandie-Niemen, d’Alain Vezin, éditions ETAI.
L’aviation est un domaine qui a attiré la littérature dès sa création, on pense à Antoine de Saint-Exupéry bien entendu mais aussi à Joseph Kessel. Ici, par un curieux hasard, l’auteur de ce livre s’est marié dans la même ville que moi et à la même date. Étrange destin de deux sœurs qui réunissent deux écrivains. Encore qu’à l’époque, nos chemins étaient tout autre et l’écriture bien loin : base aérienne pour lui et central pour moi. Et c’est bien ce point commun qui nous réunit encore : finalement nous avons écrit tous deux sur notre boulot. Car Alain Vezin n’en est pas à son coup d’essai. Si son expérience de pilote de chasse a servi de départ à une époustouflante histoire du Jaguar (voir note de lecture du 11/10/2006), il réitère avec les mêmes qualités pour son deuxième livre : une précision d’entomologiste, un choix d’illustrations et de photographies hors pair et une mise en page parfaite derrière laquelle on devine l’œil du peintre qu’il est également (encore un point commun, nous avions commencé ensemble l’aquarelle). J’ai bien sûr suivi de près cette nouvelle histoire du célèbre régiment Normandie-Niemen et je connais le soin minutieux et la qualité de recherche historiques qu’il a apporté. Certains témoignages recueillis, notamment ceux qui ont participé à l’époque mythique de la deuxième guerre mondiale, constituent sans doute une des facettes les plus précieuses de ce recueil. Pour autant, et c’est là aussi l’un des attraits de ce livre, ce régiment aéronautique existe toujours. On peut mesurer l’ampleur de la tâche qu’a accomplie l’auteur en déployant alors toute cette saga de plus de soixante ans. Ce livre, bien entendu, s’adresse aux passionnés de l’aviation mais il devrait séduire les plus pointilleux par la richesse de ses documents, la plupart inédits, et, bien sûr, la superbe exhaustivité qui est la marque de fabrique de l’auteur. Deux sœurs, deux écrivains, finalement ça a du bon, la famille : on se retrouve avec beaucoup de plaisir pour discuter éditions, contrats et autres cuisine éditoriale. Et j’ai pu aussi apprécier la progression régulière de l’ensemble de son travail. On ne se rend pas compte qu’il faut trois ans minimum d’un labeur quasi ininterrompu pour réunir de pareilles études historiques. Un tel livre n’est que la partie immergée de milliers de documents, de photos, de témoignages, d’articles divers et variés. Les œuvres d’imagination et certains romans ne requièrent pas souvent autant de pugnacité. Et c'est tout à son honneur.
(27/01/2010)
 

L’Amour baroque, de René Fallet, Julliard.
Paru en 1971, L’amour baroque constitue le premier volet de la trilogie sentimentale qui comprendra Y a-t-il un docteur dans la salle, publié en 1977 et L’Angevine en 1982. Évidemment, en inaugurant les aventures de RF, Régis Ferrier, auteur de théâtre dans sa vie imaginaire, RF, René Fallet, ignore que deux autres opus constitueraient cette trilogie, de même qu’en publiant Central, j’ignorais que je creuserais tel un mineur de fond la veine « du travail » un nombre similaire d’ouvrages, une trilogie donc qui devrait bientôt se transformer en tétralogie si tout va bien. Mais pour en revenir à RF, René Fallet, c’est bien la veine whisky qu’il aborde avec ces trois romans, par opposition à la veine beaujolais des autres écrits plus joyeux et c’est ainsi qu’il baptisera ces deux aspects de sa personnalité (“-Tu ferais mieux de boire un bon pinard plutôt que de boire tes trucs.-Je sais, mais le whisky, c'est triste au moins” fait-il dire à ses protagonistes dans L'Angevine). Car L’Amour baroque est chiant comme une passion malheureuse et l’anti héros RF, Régis Ferrier, s’y entendra à en diluer plusieurs dans le breuvage shakespearien jusqu’à ce que la maladie fasse lâcher prise à RF, René Fallet après la dernière séance de la trilogie. Il meurt un an plus tard, et du coup, RF, Régis Ferrier, avec. Tout cela, bien sûr, je le connais déjà au moment ou je furète sur l’étagère consacrée à RF, René Fallet,, et que mon choix s’arrête sur L’amour Baroque. Je décide sur le champ de l’emmener à Mont de Marsan où je vais passer les fêtes de Noël, je sais ça n’a rien à voir. Or, la lecture de L’amour Baroque m’emballe sec dés le départ, je suis même quasi persuadé de ne l’avoir jamais lu (en réalité j’ai parfois si mauvaise mémoire que je peux regarder plusieurs fois de suite un film policier sans parvenir à me souvenir qui a tué la victime, c’est un avantage indéniable). Mais hélas, si observer au départ les amours débutantes et dynamiques d’un quadragénaire sur le retour d’âge peut présenter un intérêt ornithologique, c’est sans compter sur les affres de la passion qui transforment vite la plage paradisiaque en un cloaque informe. Bref, les cent cinquante dernières pages (car il écrit long le bougre) sont parfois pénibles à ingurgiter dans leur ressassement perpétuel : J'ai appris que le bonheur c'est de savoir que le bonheur n'existe pas, conclut RF, Régis Ferrier. Ce à quoi, TB lui répond, bougon et refermant le livre : le malheur, mon pote, c’est d’ignorer que le bonheur existe.
(20/01/2010)
 

L’incendie du Hilton, de François Bon, Albin Michel.
Qu’est-ce qu’un roman ? Question récurrente, vieille glose qui ressort régulièrement, jamais résolue. Certains y voient dans l’absence même de réponse définitive la mort du genre, d’autres une résurrection permanente, tous s’accordent à mesurer les différences entre le siècle d’or qui vit sa création et la production actuelle. On déplore les best-sellers arrangés, on évoque le nouveau roman pour mieux dénoncer ses impasses, on revient finalement à l’histoire, au récit : on finit par publier un livre et, au milieu du parallélépipède rectangle à épaisseur de 200 feuilles, le mot roman s’impose. Comme si, par défaut, il n’y avait aucune autre appellation acceptable, comme si la forme physique même du livre appelait une telle dénomination de la part de maisons d’édition qui ont bâtit leur fortune justement avec le roman. Albin Michel n’échappe pas à la règle. Il est, comme Flammarion et Hatier, originaire de la Haute-Marne – va savoir pourquoi mon petit département d’à peine 150 000 âmes a fourni autant d’éditeurs prospères à la capitale -.
Mais la réponse est bien plus complexe que de résumer ainsi l’appellation du roman à l’exclusion de tout autre genre. Ou de réduire celui-ci à l’explication du papier : François Bon, sait, mieux que quiconque combien la vie numérique dément maintenant cette affirmation d’un autre âge. Exit aussi les querelles et discussions sans fin sur la modification du roman. Dans L’incendie du Hilton, il y a mieux que cette persistance du genre. Si l’on adopte une posture universitaire, on pourra, comme Jean Paul Goux évoquer le « regain du lyrisme » (revue L’Animal n° 16 consacré à François Bon, p 167) ou comme Dominique Viart l’interroger sur son rapport à l’autobiographie (On écrit avec de soi, entretien avec Dominique Viart, revue des Sciences Humaines, 1999, sur Remue.net), voire sur ces rapports à la ville. On retrouve tout cela dans L’incendie du Hilton : une ville intrigante, souterraine, esthétique et neuve comme l’écrivain les aime, et, dans cet ordonnancement, l’imprévu d’un incendie qui vient perturber un narrateur-auteur, une proximité autobiographique facile que pour ma part, je préfère tenir à distance comme dans une mise en abyme. Dire cela, c’est résumer l’enjeu de L’incendie du Hilton : aucune rupture avec ce que François Bon a déjà écrit, mais une continuité, un enchevêtrement de mots (au mot lyrisme je préfère envoûtement), tout un monde qui rappelle notre complexité sociale et qui ajoute une nouvelle réponse à Qu’est-ce qu’un roman ?
(13/01/2010)
 

Les vies silencieuses de Samuel Beckett, par Nathalie Léger, Allia.
On a fêté (enfin, façon de parler) le vingtième anniversaire de la disparition de Samuel Beckett le 22 décembre dernier. Ça s’est passé dans l’indifférence générale des veilles de Noël. France Culture il me semble, à consacré un dossier ; il y a eu quelques articles et puis ce fût tout. Si toutefois cette discrétion aurait ravi le grand Samuel de son vivant, j’ajoute toutefois ma pierre au mausolée avec la lecture des Vies silencieuses de Samuel Beckett. D’abord le titre évoque quelques-uns uns des tableaux du peintre Alexandre Hollan (qu’Yves Bonnefoy raconte dans Une journée d’Alexandre Hollan – voir note de lecture du 03/11/2004 avec reproduction d’une de ses toiles). Et en parlant de tableau que dire de celles peintes par Henri Hayden, autre taciturne et qui contemplait le paysage depuis la maison de Beckett à Ussy sur Marne (deux tableaux à voir ici). Vies silencieuses donc : s’appesantir sur ce titre et peut-être que ça lui aurait suffit au grand Samuel « bon qu’à ça » comme il disait en parlant de l’écriture, juste cette expression, donc, et besoin de rien de bien consistant dans les pages. Mais nous ne sommes pas Beckett, il nous faut de la matière, des lignes à engloutir. C’est drôle combien les plus silencieux des écrivains nous ravissent et nous font gloser à souhait : jamais un poète n’a été autant disséqué que Rimbaud, jamais Beckett n’a été raconté autant. Ce qui nous intéresse, c’est la manière dont ils se taisent, dont nous comblons ce vide par notre propre miroir. Il me semble que la démarche de Nathalie Léger n’échappe pas à la règle. Mais, elle est discrète, elle avance sur la pointe des pieds, c’est du concentré, une odeur agréable de café un matin de soleil, quelque chose de pur et de filtré : ce qu’elle a retenu de toutes les lectures : œuvres complètes, essais, biographies. Et on connaît, on a le même travers : d’En attendant Godot à Fin de partie en passant par Ô les beaux jours, de Proust aux Mirlitonnades en passant par Cap au pire. De Comment c’était, d’Anne Atik à Beckett l’abstracteur de Pascale Casanova en passant par la grosse biographie de 1110 pages de James Knowlson. Beaucoup d’écrits se rapportant à l’écrivain sont commentés en Notes de lectures : ne pas hésiter à fouiller via le moteur de recherche en haut à droite du site, Beckett apparaît dans 45 de mes pages (pour Rimbaud, même combat, c’est 53 occurrences…). Aficionados du grand Samuel, on se reconnaît ainsi dans ces Vies silencieuses et combien j’apprécie Nathalie Léger quand elle conclut son livre par : et pour sa voix… Et de citer tous ceux qui se sont ouverts du timbre de celle-ci, de la présence ou non de son accent irlandais. Je complète la série : une ancienne voisine d’Ussy m’a affirmé qu’il avait un accent à couper au couteau, on s’en apercevait surtout quand il téléphonait, m'a-t-elle dit.
Lire aussi au sujet du beau livre de Nathalie Léger, l’article de Remue.net.
(06/01/2010)