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Faux nègres : historique


Evidemment, on trouve des traces de ce qui deviendra Faux nègres dans Feuilles de route, dès 2012 en "Notes d'écriture" bien sûr. A les relire, je mesure combien l'écriture de mon plus long texte aura été prenante, un enjeu permanent dont je n'avais pas toujours conscience. 
Ainsi, par ordre chnolologique croissant :


Combien me paraît étrange cette période où je termine la publication de ce qui fût longtemps nommé ID. Étrange parce qu'un autre texte, auquel j'attribue immédiatement le nom de code DF voit le jour au même moment. Réveillé dans la nuit, DF m’est apparu lumineux, exactement ce que je cherchais confusément depuis quelques semaines. Je me suis levé le 14 juillet à 5h du matin et j'ai allumé l’ordinateur avec le bruit d’une averse au-delà des volets. Quant à savoir si ce DF tiendra la distance ou si c’est un faux départ (probablement) c’est une autre paire de manches, l’important, c’est d’écrire (décrire). D’ailleurs ID aussi avait connu de telles tergiversations pendant plusieurs mois.
(18/07/2012)

Je l’ai à peine senti venir : j’étais dans ce mouvement incessant de l’automne quand l’écriture a gratté ma peau. Au départ, juste une anecdote, un fait insignifiant comme toujours. Et la démangeaison s’est installée, la furieuse envie de se frotter aux mots, de lustrer des phrases, de s’embarquer dans un voyage inédit, et que les fleuves me laissent descendre où je voudrais. Je l’ai dit, j’en ai parlé à qui de droit, ça a plu : je me retrouve, en cette fin d’année avec plus qu’une simple idée, un livre va venir, il est déjà marqué d’un sceau éditorial. Ce qui ne veut rien dire. Tout reste à faire, défricher, déchiffrer, à nouveau se poser les questions, se laisser surprendre, en perdre son latin, oublier où on a garé la voiture, tout ce qui accompagne l’écriture habituelle est à ressortir, à ressentir. A nouveau, me voilà penché sur la « table de peine », comme dirait Pierre Bergounioux, qui est pour moi un ravissement de joie. La vague idée éparse dans un fichier daté du 29 août (Ils désertent était sorti une semaine auparavant) n’était même pas un début, il faut attendre les environs de l’armistice de novembre (déjà en 2011, cette date avait été bénéfique) pour que s’élabore une entrée en matière et la joie incongrue d’en parler à 1 heure du matin dans un lieu improbable autant qu’inattendu : adhésion immédiate. Me voici avec ce cadeau de Noël et déjà se dessine des impatiences, des envies : écrire un long livre, écrire comme les pages d’un carnet qu’on pourrait arracher une par une, écrire la multitude, le resserrement, sortir Don Quichotte de ma manche, extirper Arthur Rimbaud, caresser Emma Bovary et surprendre ces mœurs de province. Tout cela dans un seul livre qu’on nommera… qu’on appellera…  Peu importe, manuscrit 614, autres faux noms, l’important est cette écriture qui s’est présentée en désordre à un moment étonnamment occupé. Et qu’elle tienne, qu’elle prenne, qu’elle se cimente et qu’elle s’ouvre à la fois.
(21/12/2012)

Je n’avais pas eu vraiment conscience d’avoir abordé un virage dans mon écriture. Lorsqu’on a le nez dans le guidon et les mains dans le cambouis, pour reprendre un très beau titre d’Antoine Emaz, on ne se rend pas toujours compte de la sinuosité du parcours. Le tournant a eu lieu vers 2004, probablement au moment de l’écriture de CV roman. D’ailleurs CV roman demeure pour moi un livre complexe, pour ne pas dire compliqué. Je ne le renie pas le moins du monde, il a son intérêt, je peux même le trouver génial lorsque mon optimisme est au maxi, ce qui m’arrive souvent. Mais je n’y peux rien, reste en moi la difficulté que j’ai eu à l’écrire, 21 versions d’une écriture étalée sur un an et demi, avec la sensation de faire du sur place. Je me braquais. Et pourtant j’avançais. Mieux, je braquais tout court, j’obliquais, je virais. D’abord, CV roman, mon CV, mon roman, le genre du roman inclus dans le titre et probablement que cette dénomination, somme toute bien réfléchie, a été le pivot de mon écriture. J’ai la sensation qu’il y a eu un avant et un après. Avant, l’échappatoire vers les grands maîtres, Claude Simon notamment, le refus d’un romanesque sans contrainte, une ère du soupçon chevillée au corps. Après, la même admiration pour Sarraute, Simon rejoint par Faulkner et beaucoup d’autres mais justement désirés dans leur capacité romanesque, et je n’ai probablement pas cessé de glisser en sortie de virage vers une écriture d’invention plus libérée, moins sujette à l’artifice. Bien sûr, comme à chaque tournant, la vie accumule les chausses trappes, les nids de poule qui secouent les suspensions et les changements qui n’arrivent jamais seuls. Résultats, six mois déboussolés. Et puis comme par magie, tout rentre dans l’ordre avec une facilité surprenante, nouveaux sourires, la vie, les livres toujours et l’air de nouveaux visages au milieu du S de ce virage. Situé maintenant à mi chemin entre le début de mon écriture et aujourd’hui, j’en réalise la courbure, la profondeur, le risque de chute aussi. En moto, on dit qu’il faut se pencher pour tourner. Adolescent, j’ai aimé cette sensation, avec parfois quelques frayeurs (souvenir d’avoir dérapé en Mobylette à la sortie de l’hôpital de Langres où j’étais allé rendre visite une copine qui avait eu un accident de deux-roues…). C’était l’époque où s’organisaient des courses de côtes auxquelles j’assistais en spectateur. Les béquilles des gros cubes envoyaient des gerbes d’étincelles, des genoux gainés de cuir râpaient l’asphalte, on entendait le miaulement des moteurs poussés hors des tours, ça sentait l’huile chaude. J’aimais. Je raconte cela parce que je crains d’être à nouveau à un tournant. Rien de précis, juste la trouille de ne pas arriver à faire tout ce à quoi je me suis engagé. Se mettre la pression, comme on dit. Il faut juste que je n’aie pas peur de me pencher suffisamment et ça passera.
(09/01/2013)

« J’habite pour toujours un bâtiment qui va crouler, un bâtiment travaillé par une maladie secrète. », disait Baudelaire. Ma maladie (pas très secrète) est l’écriture et mes constructions sont fragiles. En ce moment, j’ai trois chantiers : ce site, un livre en préparation et une thèse.
Ce site est un refuge, un repos, une sorte de camping ouvert en permanence, rien de bien défini, quelques emplacements à l’ombre ou au soleil suivant les mises à jour mais treize ans cette année que j’y aligne mes caravanes, y plante mes tentes, je m’y sens en vacances perpétuelles, éternel estivant, comme le chantait Georges Brassens. C’est probablement l’édifice le plus solide, la maison des trois petits cochons qui résiste au souffle du loup.
Le livre maintenant. Les deux derniers que j’ai écrits ont été des maisons commodes, murs alignés, toit régulier, charpente élémentaire, ça s’est monté vite, un décor bien fichu, l’ensemble facile à vendre. Celui qui se trame aujourd’hui est plus complexe. J’ai du mal à ordonner tout cela. La dalle est coulée mais je commence un mur ici, monte une cloison là, me ravise, ouvre une porte avant de la reboucher. Je vais de sac de ciment en enduit de rebouchage, ma truelle à la main, bras ballants, désœuvré au sens propre.
(13/02/2013)

Comment nommer le nouveau livre ? A chaque fois que j’ai entamé un nouveau texte, j’ai eu envie de le nommer rapidement, sans savoir même si cette inspiration irait au bout, simplement pour pouvoir le retrouver à travers les pages de Feuilles de route. Je ne l’ai pas encore fait, où si peu. Il y a bien une vague mention d’un texte au nom de F en archives, dans le résumé de l’année 2012, laconique : Nov : début de l'écriture de F. Voilà, appelons-le ainsi, cette sixième lettre de l’alphabet sera son nom de code, comme ID a présidé à Ils désertent. Ce n’est pas une habitude systématique : RMS n’était pas le nom de code de Retour aux mots sauvages, d’ailleurs le titre a été trouvé tardivement, après la rédaction du texte. Ici, c’est différent, le titre s’est imposé à moi, quasi en même temps que l’idée, l’impulsion d’écrire, je crois d’ailleurs qu’il m’aide à le réaliser. Pour autant, n’allez pas vous livrer à des suppositions, le nom de code est suffisamment abscons, j’aurais d’ailleurs pu le nommer par la dixième lettre de l’alphabet (« J »), puisque si la publication va à son terme, ce sera mon dixième livre. Mais rien ne presse, reste à l’écrire. Un point d’avancement : environ 100 pages de rédigées, des chapitres très courts et l’idée d’un livre qui approcherait (dépasserait ?) 300 pages. C’est drôle, je n’ai pas changé d’un iota cette idée première d’un livre qui serait ainsi, à la fois long et morcelé, éclaté entre différents personnages (au moins cinq), un vrai roman, avec une vraie histoire (drôle de dire vrai pour ce qui n’est que de la fiction), mais en même temps, quelque chose qui s’ancre profondément dans la réalité. Pas envie du tout que l’imagination (la mienne) prenne le pouvoir, il me faut des faits, comme souvent, pour avoir le courage de fabriquer des personnages tant soit un peu réels. Fuir la facilité, honnir la complaisance, tous les pièges que posent clairement la fiction. Revenir au langage, l’origine de tout. Dit comme cela, c’est beau, reste à le faire, avec le danger de passer à côté, mais cela est inhérent à chaque livre. J’ai peu parlé jusqu’à présent de ce texte qui s’élabore, quelques allusions à sa complexité en note d’écriture le 13/02/2013, et la dernière note de 2012, celle du 21 décembre lui était consacrée, comme s’il fallait passer le flambeau à une année que je présentais plus mouvementée. Le premier souvenir auquel je reste attaché, c’est de l’avoir évoqué à mon éditrice pour la première fois un soir à une heure du matin, dans un lieu improbable et dansant après une manifestation littéraire où j’avais présenté Ils désertent. C’était pour moi majeur que cette suite d’écriture puisse démarrer, s’inscrire en plein milieu de cette vie littéraire, en jonction parfaite.
(24/04/2013)

Voilà : une demi-année passée. Six mois qu’on sentait confusément durs et qui auront tenu leurs promesses d’âpreté. Pour autant, au moment de basculer vers l’autre moitié de l’année, ça a tenu, on est là, toujours, un peu bousculé mais assez en forme, au final. Ça a tenu. D’abord F, le texte en cours, dont l’obligation semblait si paralysante en début d’année, avance, a bien avancé, correctement et sans retard. Sans quoi, l’année, me semble-t-il, aurait été irrémédiablement perdue. Sans qui, au-delà des moments difficiles, combien d’heures sont apparues étrangement belles et légères, des voyages et des trains pris avec allégresse, des rendez-vous de quais de gare, des repas improvisés. Toutes ces vies d’écrivain à raconter plus tard dans un nouveau tome de Lagarde et Michard : rions ensemble ! Tout un monde sans quoi le train de nos vies aurait été plus inconfortable. Sans quoi, sans qui : merci infiniment. Alors, glissons sans crainte vers cette deuxième moitié d’an, l’été à passer, un automne et l’hiver : comment se nichera l’écriture, avec quoi, avec qui ?
(17/07/2013)

Bref, voilà, F a avancé : ravissement. Pas d’angélisme cependant, la satisfaction que cela avance est une chose, le doute qui taraude obligatoirement l’écriture constitue son complément obligatoire. Etonnement, tout de même, de voir combien le texte envisagé au départ a tenu le cap, distance prévue, agencement, trame… Etonnement parce qu’il s’est passé tellement d’évènements inattendus, la vie quoi... Peut-être que cette constance est finalement une manière de résister, de tenir. Je me souviens de l’annonce que j’avais faite en novembre de l’année passée à son sujet, la première fois que j’en parlais, ce dévoilement à qui de droit au bon milieu de la nuit, dans un lieu étonnant où, l’instant d’avant, Harlan Coben déployait son mètre quatre-vingt-dix juste derrière moi. J’ai été fidèle, je pense, à ce que j’envisageais alors (ne pas croire pour autant que ce livre est plan-plan, surprise pour moi de tous les instants). Le texte maintenant a basculé vers la fin, a entamé l’ultime glissade.  Je sais que je le terminerai.
(21/08/2013)

J’ai l’impression d’avoir la tête dans le guidon en ce moment. J’écris, je ne fais même que cela, pas moins de dix pages la semaine dernière, cinquante en un mois, avec le boulot qui a repris et des activités personnelles qui se sont rajoutées et que je ne soupçonnais pas si denses. Par moment, j’ai l’impression d’éteindre le feu, de passer d’une action à l’autre sans autre choix que de faire diminuer le petit tas de choses toutes plus urgentes les unes que les autres et qui se rajoutent. La tête dans le guidon, de la même manière qu'on s'enroule autour du corps un étrange hélicon pour en sortir des sons laborieux de tuba. La tête hors de l'eau donc, la tête dans le guidon, mais pas vraiment celui d’une bicyclette de curé dans une déambulation de campagne, ni celui d’un vélo de course au Galibier, plutôt une succession de petites reines d’un jour, un tricycle succédant à une patinette, suivi d’un VTT, l’important étant de changer de monture sans réfléchir, un jour à Lille, l’autre à Paris, le suivant à Amiens ou Reims et écrire, écrire, écrire dans cette obsession un peu mécanique.
(02/10/2013)

Voilà, F comme fin, F comme fini. F, fameux nom, code secret de (peut-être) mon dixième livre. J’ai mis un point d’honneur à terminer le premier jet, comme on dit, avant le 11/11, date à jamais égale, retournable et emblématique, date symbolique aussi puisque c’est exactement à cette date, que j’en ai parlé pour la première fois à qui de droit, il y a un an, à Brive, au milieu de la nuit, sur fond sautillant et musical de boîte de nuit, avec Harlan Coben derrière moi en géant vert sous les sunlights. Et que je lui ai aussi donné à lire (à qui de droit et pas à Harlan Coben) un vague début lors d’une autre date retournable un mois plus tard, le 12/12, sur la route d’Annecy, cette fois-ci en plein jour et plus au calme (nous nous sommes aussi revus un vendredi 13, il n’y a pas longtemps). Finalement, l’écriture n’est jamais qu’une question de symboles, de coups du sort, de dates retournables, de moments propices, nuits et jours, clair-obscur, ombre et lumière, tarots, magie et superstition, on dirait la vie non ?
Je n’ai pas l’habitude de laisser reposer le texte longtemps, je sais que certains écrivains apprécient ce passage obligatoire dans l’ombre d’un tiroir. J’ai tout de suite entamé une relecture rapide (il reste des fautes, des incohérences). F est le plus long texte que j’ai jamais rédigé, édité dans sa globalité il compterait probablement plus de 450 pages, deux fois plus que mes précédents livres presque. Néanmoins, cette première lecture m’a permis d’envoyer enfin à qui de droit, le 18/11 à 21h54, le fichier numérique complet de 459 875 signes (alors quoi, certains croient encore qu’on envoie des manuscrits ?). Le 18/11 à 21h54 : pas de date emblématique, retournable, c’est la saint Aude, joli prénom à goût d’aube, d’eau et de commencement peut-être, mais rien de remarquable, même en combinant les lettres. Evidemment, en écrivant cette rubrique, j’espère dissiper la peur, trouille, crainte, chocotte qui m’envahit en attendant le verdict. Et c’est sans doute cela qui reste rassurant au-delà même des affres de cette inquiétude (c’est torture, souffrance, véritable supplice que l’attente) : qu’on puisse, même au dixième livre, accueillir intact cette incertitude. Après, il sera toujours temps d’en parler dans le meilleur ces cas, ou d’oublier cette année de travail dans le pire.
Dernières nouvelles et fin de la torture, souffrance, véritable supplice : verdict tombé, c’est OK ! MAIS, MAIS, MAIS, il y aura un gros, gros travail de réécriture : le texte est complexe, ambitieux, un livre-monde, un livre-monstre, F comme forteresse, et je découvre combien un an d’écriture m’a laissé la tête dans le guidon, avec mon armure de chevalier le heaume qui me bouche la vue, l’armure lourde à tomber, empêtré, occupé (depuis 4 mois, c’est la moitié du livre que j’ai rédigé, l’équivalent d’un roman complet). Aux prises avec mes atermoiements, maladresses, hésitations, incertitudes, la vie toujours, opiniâtre, terre à terre (et 2013 n’a pas été F comme facile), c’est toute la difficulté pour rester clair, en un mot, lisible. Priorité est à la simplification donc, afin de servir plus aisément les idées qu'on veut faire passer. Et c'est pleinement le rôle et la relation éditeur/auteur qui est convoquée, ici, avec confiance réciproque. F comme ficelle, fil, démêler tout cela  : au boulot ! Et que F devienne fruit.
(04/12/2013)

Que F devienne fruit : c’est ainsi que je terminais ma dernière note d’écriture, il y a quatre semaines. Depuis je n’ai pas chômé. D’abord, ce rendez-vous avec mon éditrice et l’heureux constat de se sentir tous deux sur la même longueur d’onde, de parler d’un texte comme d’un enfant impétueux, un peu trop bouillonnant qu’il faudrait tempérer, vouloir le rendre attachant, enthousiaste. La reprise du premier jet de F, que j’avais ainsi soumis, a continué sans temps mort, sans réflexion, dans l’instant. Le texte n’a pas eu le temps de reposer au fond de l’ordinateur. J’ai pris le travail à bras le corps. J’ai tout débâti, le patchwork est répandu par terre, il faut reconstruire l’habit, refaire les assemblages, reprendre les coutures, les rendre invisibles. Pour rendre compte du travail entrepris, il faudrait imaginer un costume, il ne s’agit pas que de déplacer un bouton comme dans les Exercices de style de Raymond Queneau. Il faut retailler les poches, modifier le col, raccourcir les manches, ajouter une pince dans le dos, coudre une martingale, permuter les boutons et même, c’est plus profond, ça tient du remaniement du tissu, du motif, de l’apparence, la doublure à changer, presque tout quoi. J’accomplis ce travail avec joie, enthousiasme même, je ne me savais pas si doué en tricotage et autres travaux d’aiguilles. Il y avait, paraît-il, des tailleurs chez mes aïeux paternels. Reste l’étonnement de ce travail sans relâche, quatorze mois que j’ai commencé ce bouquin, aucune lassitude, au contraire, une obsession, je vis avec, je m’y plonge, je rame parfois, mais j’avance. J’avance, et ce sentiment sera celui au premier jour de l’année.
(31/12/2013)

 

Depuis quatorze mois que F me tient chevillé au corps, le texte en élaboration a atteint forcément un degré de complexité, fragments, histoires croisées et personnages que le temps a liquéfié ou fossilisé, c’est selon. A l’automne dernier, en visitant l’exposition consacrée à Claude Simon à la BNF (voir en Etonnements et dans cette même rubrique au 16/10/2013), j’ai eu l’idée de recourir à une de ses techniques pour tenter dans me repérer dans le foisonnement de ma prose. Claude Simon a souvent insisté sur le caractère métaphorique de son œuvre, les mots en renvoyant d’autres, ses romans se bâtissaient ainsi, de façon fragmentaire. Et c’est justement cette fragmentation que j’avais du mal à ordonner (j’en ai encore, du mal…). Les techniques de l’écriture numérique, réduites souvent aux possibilités du traitement de texte, voire de fonctions élaborées de paragraphes que je suis loin de posséder, ne permettent pas toujours de s’y retrouver, de bâtir un plan d’ensemble, d’avoir une vision élargie et multicritère de ce que l’on écrit. Moi qui suis un adepte inconditionnel de l’ordinateur, qui ne prend que très rarement un stylo, je me trouvais quand même embarrassé, je commençais à me perdre avec un grand nombre de personnages fictifs, d’anecdotes nombreuses, à un tel point que je ne parvenais plus à trouver une vision d’ensemble. J’avais l’impression d’être  à une sorte de carrefour sans carte, ni GPS, une nuit sans lune, tout phares éteints. Quelle direction prendre ? Comment terminer le machin ? Bref, j’ai utilisé un système de pictogrammes de formes de de couleurs différentes, chacun représentant un lieu, un personnage, un narrateur. Ce travail rébarbatif m’a monopolisé quelques jours, mais grâce aux crayons de couleurs que mes enfants utilisaient plus jeunes, j’ai réussi à bâtir une trame d’ensemble. En bâtissant celle-ci, je me suis aperçu que le texte se répartissait en trois ou quatre grande parties, et, une fois le travail terminé, il me fallait, en un seul regard, moins de dix secondes pour déterminer dans quels chapitres apparaissaient tel ou tel personnage. Gain de temps, donc, et vision d’ensemble.

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A gauche, plan de Claude Simon pour La route des Flandres. A droite, plan pour F

Assurément cette phase m’a aidé à terminer le premier jet alors au trois quart de son achèvement. Pour autant, je n’ai pas complété le plan que j’avais initialement repris. J’ai envoyé le tout à mon éditrice qui a trouvé ce premier jet complexe (eh oui, quand je le disais). C’est pourquoi, la deuxième mouture que je suis en train de réaliser, vise à une simplification, à une plus grande linéarité, à une plus grande lisibilité. Déjà que j’avais du mal à m’y retrouver, imaginez le lecteur… Travail en cours donc. Je n’ai pas repris la méthode « Claude Simon » du premier jet, pour l’instant, je n’en éprouve pas le besoin. Celle-ci a été utile pour défricher (déchiffrer) et mener à son terme le texte de première intention mais maintenant, il me semble que le travail est tout autre. C’est un peu comme si j’avais gravi un col difficile en vélo, et que je pouvais maintenant me laisser griser par la vitesse de la descente avec un effort moindre. Facilité toute apparente seulement, il faudra compter sur les virages et autres chausse-trappes, l’arrivée n’est pas passée… Et peut-être aurais-je besoin à nouveau de Claude Simon ou d’autres exemples pour terminer F.
(08/01/2014)

En ce moment, bien sûr, c’est F qui accapare mon écriture : élaborer un véritable deuxième jet, quelque chose de plus abouti pour lequel Claude Simon m’a déjà bien aidé, comme je le relatais la semaine dernière dans cette même rubrique. La partie n’est pas facile, mais j’ai déjà envoyé à l’éditeur la moitié du texte ainsi remanié. Est-ce cette libération d’une partie de F qui a provoqué en moi l’envie soudaine de passer à autre chose : écrire neuf, en quelque sorte ? En réalité, à la faveur d’un exemplaire de Bestiaire domestique que je voulais offrir la semaine dernière, s’est glissée l’envie de relire quelques pages de ce texte paru en 2009. Je me relis très rarement, peut-être parce que je sens que je serais trop complaisant avec moi-même, et ça n’a pas loupé : j’ai trouvé, que, ma fois, c’était pas mal, plutôt bien écrit… A la réflexion, je pense que les compliments que je me suis alors faits, puisent dans le sentiment de plénitude qui avait prévalu à la rédaction de ce bestiaire : je garde le souvenir d’une époque tranquille et j’ai toujours pensé que c’était un livre de joie et de bonheur. Peut-être ai-je envie de retrouver un pareil miroir de ce que j’espère pour l’année qui vient. Les livres accumulent les reflets du temps qui passe, les mois difficiles, les années heureuses, les moments plus neutres. Par exemple, CV roman reste entaché par sa longue gestation, ses doutes au milieu d’une époque un peu rude. Le bestiaire est arrivé deux ans plus tard, orage passé, retour à l’allégresse. J’ai longtemps craint que F ne prenne le même chemin que CV roman. En réalité, c’est différent, mais sans doute que cette crainte amplifie ma hâte de passer à autre chose. Et puis, quatorze mois d’écriture, ce n’est pas rien, d’où cette envie de faire du neuf, de découvrir d’autres émotions, plus dans l’esprit de ce bestiaire. Cela reste vague. Bien sûr, je pourrais céder au plus simple et écrire un deuxième tome de bestiaire, j’ai déjà accumulé pas mal d’anecdotes (voir en Etonnements, cette semaine) et cela fait plusieurs années que j’y pense. D’autres idées me traversent également l’esprit. Toutes, en réalité, ne restent pas bien longtemps : ce n’est que le début d’un fourmillement au bout des doigts et puis il reste encore beaucoup de choses à faire et à penser au sujet de F, un sacré livre tout de même.
(22/01/2014)

F, fin deuxième : comme un clap de cinéaste, voilà, on tourne (la page), c’est bouclé pour le deuxième jet. Toujours aussi grand le texte, plus de 400 pages, envoyé en deux parties à l’éditeur, la dernière est terminée, partira demain. La longueur du texte me désarçonne plus que je ne le pensais, moi qui suis habitué aux canons d’un roman plus court, 250 pages sont ma distance habituelle. On pourrait d’ailleurs faire un parallèle entre la course à pied et cette longueur d’écriture.  Jusqu’à 20, 25 km, je sens que c’est ma distance préférée, il faut partir à point comme dirait La Fontaine et mes entrainements assez suivis me permettent de parcourir un semi-marathon, sinon d’une manière élégante, du moins sans avoir l’impression de passer la ligne d’arrivée en tirant la langue. Je peux forcer un peu mes modestes moyens sur 10 km, c’est plus rapide et également agréable, mais un peu court : on ne peut pas flâner en chemin. De même, en lisant un recueil de nouvelles de quatre-vingt pages de Beckett, on a l’impression d’être sollicité à chaque instant. Là, pour F, par comparaison, il s’agit d’une distance marathon en quelque sorte. Je ne m’y suis jamais osé, simplement parce que mon entrainement, capable de supporter vingt bornes sans complication, se révèlerait trop juste pour 42 km, où l’organisme est cette fois soumis à plus rude épreuve. Et puis clamer sur les toits « je l’ai fait ! » n’est pas dans ma nature, je suis peu enclin à participer à la compétition, ça vaut aussi pour la littérature. A ceux qui me dépassent à la course : prenez mes vingt ans et mes quinze kilos de plus, diminuez vos jambes de vingt centimètres et on en reparle. Mais ce n’est pas le sujet. Alors pourquoi autant de pages pour le livre en cours ? Parce que j’avais des choses à écrire, pardi ! Ceci dit, je me demande si ma soudaine appétence pour un trail de 35 bornes en mars prochain, augmenté de mille mètres de dénivelée (tiens c’est drôle, juste avant le salon du livre de Paris) n’a pas un rapport avec cette longueur de F, comme une sorte d’assentiment, de point final, prouver que je tiens la distance aussi dans le sport écrit. Il faudrait que j’interroge Haruki Murakami, l’écrivain japonais a sûrement une réponse avec ses 33 marathons accomplis et ses romans fournis en pages.
(05/02/2014)

Ça n’a pas loupé : j’ai remis en début du mois de février la version remaniée de F et tandis que j’attendais sans aucune hâte ni appréhension l’avis de ma maison d’édition, j’ai tout oublié. Vieux réflexe désormais habituel pour moi que cette amnésie quasi-totale qui suit la remise du texte qu’on pense fini. Il faut en mesurer la portée : l’oubli est quasi-total. Quand on m’en parle ou quand je suis obligé pendant cette période d’y penser, l’effort que je dois accomplir pour m’en souvenir est ardu et complexe. Parfois, j’imagine, je dois regarder l’interlocuteur qui m’en parle avec un air si niais qu’il doit me prendre pour un demeuré. Parfois, j’oublie même que j’écris, que j’ai écrit, les autres vies, familiales, amicales, professionnelles demeurent pendant cette période mes seuls centres d’intérêt. L’amnésie a été de courte durée, 15 jours, le temps pour que l’éditeur me contacte, qu’on se fixe un rendez-vous pour en reparler. C’est dans le train que j’ai relu le livre, et, comme il est conséquent, les deux heures et demie de train n’ont pas suffi, j’ai continué à la gare (le service de Starbucks est une horreur de complexité : 20 mn pour écouler 5 clients et obtenir un expresso qu’il m’a fallu réclamer…) et j’ai terminé de lire le machin dans le métro. Avec cette impression heureuse non pas de renouer avec une mémoire mais, comment dire, d’être décalé, une sorte de lecteur/auteur, capable de s’apercevoir avec satisfaction que tout ce que j’avais voulu faire figurer dedans y était (ouf…). Bref, à l’arrivée devant l’immeuble de verre de ma maison d’édition, j’étais rassasié et j’avais renoué avec la mémoire de ce livre. Car F est maintenant un livre, ou du moins, j’ai l’impression que cette période d’oubli vise à le transformer ainsi. Et c’est d’ailleurs la grande joie qui préside maintenant à la suite, grande joie que je vais partager avec tous ceux qui vont œuvrer pour en faire un petit tas de feuilles présentable.
(12/03/2014)

J’ai reçu les premières épreuves de F. Première surprise : elles sont arrivées en même temps que les chaussures de running que je m’étais achetées, via deux transporteurs différents, chacun se bousculant la primeur de l’arrivée… J’ai d’abord déballé mes chaussures d’une seyante couleur bleu électrique, et, munis de mes pompes neuves, j’ai entrepris d’ouvrir les premières épreuves. Le paquet épais de feuilles révèle la pagination définitive du futur livre. On remarque ainsi quelles en seront les dimensions (la même que mes livres précédents). On feuillette surtout la fin pour savoir combien de pages comptera l’ouvrage. Et là, deuxième surprise : il y aura 422 pages ! F est ainsi le plus gros livre que j’ai jamais écrit. Le chiffre de 422 pages est à lui seul une troisième surprise : en effet, avec mes pompes de course aux pieds, je suis de plus en plus persuadé de la porosité qui peut exister entre la course à pied et l’écriture (voir cette même rubrique au 05/02/2014). Après avoir longtemps stagné aux alentours d’épreuves de semi-marathons et de l’écriture de livres d’environs 200 pages, une sorte de rapport d’un à dix s’est instauré, 10 pages pour un kilomètre. Et 422 pages, c’est donc 42,2km, soit la distance exacte d’un marathon. La quatrième surprise, c’est la manière dont on se glisse à nouveau dans chacune des pages de ces premières épreuves, abondamment raturées de rouge pour en préciser les fautes et imperfections à corriger, en quelque sorte, les aspérités et les cailloux du champ de course…
Reste à venir les deuxièmes épreuves. Reste à préciser enfin le titre qui se cache derrière le nom de code F : c’est pour bientôt !
(01/04/2014)

J’ai reçu les deuxièmes épreuves de mon livre. Le terme est bancal, peut-être faut-il mieux dire seconde épreuves. Peu importe, c’est justement encore du bancal, de la langue en mouvement qu’il s’agit (s’agite). La plupart des corrections ont été incluses dans les premières : des fautes à chaque feuillet et une relecture attentive et lente. J’ai l’impression alors de parcourir un désert pour cette nouvelle version : plus de traits rouges raturant les pages, juste le sable blanc de la page, ordonné des petites pierres noires des caractères d’imprimerie. Je m’y colle un samedi après-midi, temps magnifique, parasol Miko dans le jardin. Je suis alors dans l’attente impatiente d’une course à pied prévue le dimanche, 24 kilomètres dans la forêt d’Argonne (ce fût un régal). Tout cela, la lecture, le soleil, l’attente provoquent des émotions : c’est en rubrique Webcam aussi. Pour en revenir aux deuxièmes épreuves, j’ai trouvé encore matière à une vingtaine de corrections qui s’ajoutent à celles de mon éditeur que je contacte le lundi suivant. Voilà, le livre est lancé. Dans la semaine, je recevrai aussi une proposition pour la quatrième de couverture et la maquette finale. C’est un livre magnifique, très belle photo de couverture, tout cela prend corps, est devenu réalité, il sera bientôt temps d’en parler de manière plus précise. Et ce sera encore d’autres émotions.
(22/04/2014)

Les dernières semaines ont été riches en déplacements (ce qui n’excuse absolument pas la mise à jour désormais assez  lâche de ce site). Le Pas-de-Calais, il y a quinze jours, m’a accueilli d’abord à la médiathèque de Courrières où j’ai revu avec plaisir Yamina la bibliothécaire, toujours aussi dynamique et décidée. Courrières fait partie de la communauté de communes d’Hénin-Beaumont, et tout naturellement, une rencontre avec des lycéens avait été organisée dans un lycée de cette commune sulfureuse. J’ai ainsi parlé, entre autres, de la parution prochaine de F, dont le sujet traite de l’extrême droite. Sourires et attention redoublée des 85 élèves, pourtant un vendredi après-midi, juste avant le week-end, mais on n’imagine pas la tension qu’une stigmatisation quotidienne peut faire lorsqu’on évoque à des copains, des amis, des collègues qu’on habite Hénin-Beaumont (ah oui, la ville, qui, au premier tour des municipales…). Le soir même, à Arras, avec François Annycke de Colères du présent, l’association qui organise le prix Jean Amila-Meckert et qui m’accompagnait, nous avons assisté à une soirée Slam un peu déjantée, mais j’ai pu, pour la première fois, lire un extrait de F, mon roman monde/monstre, qui parlait de Lampedusa : c’était le moment rêvé, Calais n’est pas loin et des associations de migrants participaient. Bref, me voilà de plus en plus engagé dans ce livre dont les exemplaires d’essai « hors commerce » sont juste parus et déjà magnifiques. Retour chez moi, puis retour vers Lille   ou Reims pour des journées de travail importantes et c’était déjà le week-end suivant qui se profilait : direction la Vendée ou Guénaël Boutouillet m’accueillait dans deux médiathèques, après avoir terminé son festival Atlandide (où il recevait Maylis de Kerangal et son très beau Réparer les vivants). Je ne me suis pas privé d’évoquer encore F, pour m’habituer à parler de ce livre un peu complexe, et j’ai constaté avec satisfaction l’attente qu’il pouvait susciter. J’ai ainsi continué ce mardi mon voyage en France avec confiance, puisque cette fois, c’est à la demande de ma maison d’édition que j’ai pu présenter mon livre devant quarante libraires à Lyon. Examen réussi, mais il faut dire, qu’entre temps, les élections européennes avaient abouti au score que l’on connaît, donnant à mon livre un regain d’intérêt et d’actualité dont, honnêtement, je me serais bien passé. Voilà. J’écris cette rubrique le lendemain, mercredi 28 donc, et j’ai passé mon après-midi au retour de Lyon à signer les exemplaires du Service de Presse dans les conditions (volontiers acceptées) dignes d’un ouvrier chinois, pièce borgne, sandwich en guise de repas et piles de livres à signer. Voici la fin très provisoire du voyage en France donc. En guise de conclusion, jouons l’immobilité rurale : le petit village qui m’a servi d’anecdote et d’inspiration pour F en plaçant l’extrême-droite à un score de 70%  lors de la présidentielle de 2012, a battu son score pour les élections européennes : 85%. Je réactualise à peine arrivé : eh, oui, le voyage en France n’est pas terminé, je suis repassé par ce fameux petit village, deux jours après en allant déjeuner dans la campagne proche avec quelques auteurs et un garde forestier. Le motif : un livre collectif sur le retour du loup dans nos contrées. Et dans deux jours je serai à Lille, puis Reims, Lille à nouveau, puis Paris, puis Reims, puis Paris : collègues de boulot, libraires, rencontres, la bougeotte, toujours.
(04/06/2014)