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Étonnements 2013

 

Dernier jour de 2013, heure des bilans : l’année, que je prévoyais éprouvante, a tenu ses promesses, mais dans les deux sens : grande tristesse parfois mais aussi des joies profondes, une année donc, pas de tout repos, aucun bonheur béat, des sentiments arrachés aux jours, au quotidien, des découragements avec heureusement des embellies, de beaux succès tenus par des proches et qui m’ont fait constater, au dernier mois de l’année, tandis que je discutais de tout et de rien avec une collègue : finalement, je suis un verni. Verni au final, patiné à l’ancienne, rides au front, je me suis fait des cheveux blanc, mais ce sourire enfin : allez, je décide d’être heureux, à partir de maintenant, 2014 s’ouvre, fin des peurs, route fleurie et air d’opérette à venir. C’est exagéré bien sûr, mais il faut des mots pour dire ce mélange de sensations, colère, irritations, retards, gaités, allégresse, abattement puis reprise, bref tout ce qu’une année, somme toute banale, laisse comme scories au fil du quotidien. Au bilan, on laisse derrière soi la tristesse des disparus, Michel en février dernier, Bernadette, il y a seize ans et Olivier, trente ans auparavant, on peut oser les prénoms maintenant d’une maison désormais vide, et c’est ainsi que tout ce qui s’est enfoui depuis trois décennies se libère et s’évade. Ce n’est pas rien le poids de nos morts, il y en aura d’autres, ça a déjà recommencé : je termine l’année en postant une carte de deuil avec mes pensées les plus affectueuses pour des relations de longue date. Mais restent les élans positifs, le goût de l’amour intact et primesautier, la chaleur de l’amitié idéalement joyeuse. Pas étonnant que dans ce méli-mélo du journalier, parce que tout cela s’emmêle bien sûr avec le boulot, l’écriture, les activités qui y sont liées, certaines choses auront été laissées de côté. La thèse, hélas, est au point mort pour cause de manque de créneau et de temps pour s’y consacrer. La mise à jour de Feuilles de route aussi est devenue plus lâche, aléatoire, et, d’une façon qui me surprend, ne me manque pas, je trouve même assez sain ce relâchement. D’abord, parce qu’il laisse l’activité numérique dans un rôle d’appoint qui me convient, dans un sens qui me paraît aller de soi, le réel avant le virtuel, cela démontre des jours ardents, trop remplis, et « j’aime quand ça pétille », comme dirait ma grande sœur, d’un optimisme à toute épreuve et que je salue si elle s’égare dans ces pages. Voilà : 2014 s’ouvrira demain. Pas d’angélisme, ni de vœux de bonheur, aucune bonne résolution, mon seul souhait est de constater que, dans douze mois, je demeure pareillement heureux et verni.
(31/12/2013)

 

Rien ne se passe et pourtant, voici ce qu’il y a de noté dans mon agenda depuis un mois :
Jeudi 24/10, joint WC. Vendredi 25, réunion d’équipe, Reims, départ Paris (le soir). Samedi 25, avion Catane ; Dimanche 26, CA (congé annuel, sur chaque page jusqu’au vendredi 1/1). Samedi 2 : 10h20 Milan, 14h30 Paris. Lundi 4, bureau Directeur CCI 19h30, téléphoner à la Mairie. Mardi 5, 8h00 Chaumont. Mercredi 6, 44388, 44025, 43512, mairie (mot rayé). Jeudi 7, mairie (mot rayé), 444319. Vendredi 8, fin 454000, courir. Samedi 9, RAC (même mention et pages biffées jusqu’au 11/11). Mardi 12, 10h (encadré avec une flèche, sans autre explication), relire F. Mercredi 13. Téléphoner Joël (encadré), 16h Arras, jury 2014 Amila Meckert. Jeudi 14, Foncia. ARRAS, RC (ces derniers mots en grandes lettres). Vendredi 15, téléphoner étanchéité Wassy. Samedi 15 (rien). Dimanche 17 (une rature). Lundi 18, P. Paris, 9h15 réunion d’équipe (biffé). Mardi 19, P. Paris,11h15 CE Cheminot Lille (ce dernier mot encadré), le bateau livre (le soir). Mercredi 20, P. Paris, Arras (à la place de Lille). Jeudi 21, 11h ROC, 19h30 Emmanuel ; Vendredi 22, CA Nantes (avec la page biffée). Samedi 23 (rien). Dimanche 24 (rien). Lundi 25, 9h15 réunion équipe. 14h Guillaume, 15h Charlène (barré), 16h Antony (flèche vers 15h à la place de Charlène).
Agenda : qu’ai-je fait depuis un mois qui ne justifie aucune mise à jour de ce site ? Le joint des WC a été remplacé dans l’appartement parisien le samedi 2, en revenant de vacances, mais j’ai cassé la tige du flotteur en revissant l’ensemble. Un autre mécanisme a été acheté à Ancenis, la semaine dernière, sera posé au hasard d’un passage dans la capitale. Journalier le plus prosaïque mélangé à la découverte la plus impatiente ;  Ancenis et Nantes en voiture, Saint-Florent le Vieil et Julien Gracq en vélo,  Arras et Lille par l’autoroute, les îles éoliennes en voilier (en Webcam et Carnet de route), Châlons, Paris, Chaumont, Langres, Reims par habitude, c’est rarement marqué dans l’agenda. L’agenda omet les rendez-vous, la vie qui bouscule, les machins, trucs et bidules qui vous emportent, vous plaisent, vous irritent, vous font vivre. Et pourtant, c’est bien cela qui m’a empêché de mettre à jour F de R, sans regret même, sans culpabilité aucune, le web ne reste qu’un outil, un média, par moment, il est bon de faire sentir à la vie numérique qu’une autre vie, plus réelle, vous prend à bras le corps. Alors merci à ceux que j’ai vus de manière réelle, effective, que j’ai pu tenir, embrasser, du quotidien au plus lointain, amour, famille, amis de la RAC, amis de l’écriture, amis sans rien, amis sans raison, amis d’une semaine, amis de toujours, amis prévus, venus, loupés, amis devenus que j’avais de si près tenus et tant aimés : l’hiver arrive, couvrez-vous bien.
(04/12/2013)

 

Cela devient une tradition : j’ai participé pour la troisième année consécutive à la journée de la course à pied organisée à Reims (Reims à toutes jambes, 30 ° édition, 12000 engagés), catégorie semi-marathon comme les fois précédentes. Moitié d’un marathon donc, mais plein effort pour cette demi course de 21,1 km, c’est tout-de même assez long. Et comme les années passées,  j’en fais le compte rendu dans cette rubrique (auparavant le 18/10/2011 et le 24/10/2012). Petite satisfaction personnelle, je continue à progresser et je suis passé sous la barre des deux heures, en exactement 1h 58 mn et 56 s, temps de course effectivement réalisé, à ne pas confondre avec le temps officiel de 2h 00 mn et 24 s, qui prend en compte le top démarrage… et le piétinement sur place avant d’arriver à la ligne de début 4800 coureurs pour un départ commun marathon - semi-marathon, il faut les écouler ! Cette petite satisfaction personnelle est bienvenue, dans un contexte qui a été difficile en début d’année avec moins de temps et d’envie pour l’entrainement. Au final, je m’aperçois que j’ai tout de même réussi à me maintenir au niveau, voire mieux, c’est important pour qui a dépassé depuis plusieurs printemps le demi-siècle, catégorie vétéran 2, ça pose son homme (on a les fiertés qu’on peut). Bref, plus de 2000 coureurs devant moi, mais aussi plus de 1000 derrière… L’arrivée a été bienvenue, je pars toujours un peu vite et je le paie dans les quatre ou cinq dernières bornes, mollets crispés. Le souffle généralement n’en pâtit pas, il tente simplement de résister à la furieuse envie de s’arrêter et de marcher un peu, comme dans le petit raidillon court mais ardu au vingtième kilomètre, là où les jambes de vous portent plus, si bien que lorsqu’on passe la ligne d’arrivée, on a l’impression que les pieds se sont enfoncés dans le goudron.  Petits inconvénients balayé par la joie de l’avoir fait encore un coup. C’est après qu’on s’aperçoit que les années vous ont blindé : la brûlure des mollets disparaît vite, vous voilà prêt à recommencer… Ce que j’ai fait le soir même avec une petite marche rapide de 8 km. En fait, c’est comme pour l’écriture (ou autre chose), il faut varier les plaisirs mais tenir la distance.
(23/10/2013)

 

Il y a cette exposition à la BPI du centre Beaubourg pour rendre hommage à Claude Simon. Son titre « l’inépuisable chaos du monde », renvoie à d’autres citations, ainsi la fin de La route des Flandres par exemple («[…] le monde arrêté figé s’effritant se dépiautant s’écroulant peu à peu par morceaux comme une bâtisse abandonnée, inutilisable, livrée à l’incohérent, nonchalant, impersonnel et destructeur travail du temps. » Ce sont de telles phrases qui m’ont emportées, m’emportent encore, et placent Claude Simon dans un axe perpendiculaire à mon écriture. Ça troue net, ça accole l’histoire et la littérature, c’est le travail d’une perceuse à colonne, travail sur un plan fixe, rien à dire, ça laisse pantois : « Aussi ne peut-il avoir d’autres termes que l’épuisement du voyageur explorant ce paysage inépuisable. », ajoute-t-il dans la préface à Orion aveugle.
Rien à dire, tout est dit. Il y a ces trois jours passés à Paris la semaine dernière, trois jours de liesse (mer ci à tous). Je me faisais l'effet d'un lointain cousin de province, une sorte de Claude Simon, tout juste monté de Perpignan. Il y a les Halles en travaux gigantesques, il y a Cerise, mes collègues à Cachan, mes enfants rue de la Gaîté dans un restaurant japonais, une errance de trois jours, un monde horizontal, éclaté de Métro, de RER, de marches rapides, passages piétons ou remonter la rue de Charenton, chers souvenirs. Il y a la librairie Charybde, la belle lecture de L'invitation de Mathieu Larnaudie : retour à Claude Simon.
Claude Simon qui nous ramène à un univers perpendiculaire, qui montre le chemin (un pendule ? un ludion ?). Claude Simon qui donne le rythme : nous visitons l'expo le jour même de ces 100 ans, en se promettant d'y revenir (on a jusqu'à janvier), vitrines planes et tant de choses à voir, plans de travail, photographies, lettres et nous, verticaux, admiratifs, intéressés ça travaille en perpendiculaire, oui, il faudra revenir. Parce que la gare de l'Est le lendemain, nos rêves de Lagarde et Michard, beaux moments, belle vie, retour à Perpignan.
(16/10/2013)

 

J’espérais en allant aux champignons être le premier écrivain à être dévoré par les loups. En fait, il ne s’est rien passé. J’ai pourtant tenté le diable par deux fois. J’ai retrouvé avec bonheur cette « forêt voisine » (voir en Webcam) qui également est le titre d’un roman de Maurice Genevoix paru en 1931, à l’époque des derniers loups du XX° siècle. Les champignons étaient présents, toujours surprenants dans cette espèce de miracle annuel. Je me suis glissé avec bonheur entre les arbres, dans la tiédeur de septembre, le bruit des bottes sur les feuilles, les brindilles : me voilà, à nouveau là, dans ce bois familier. Aucune trace de loup bien sûr. En revanche, il était facile de suivre celles des sangliers, leur manière de déambuler au milieu des chemins, de pousser du groin une motte de terre, d’enfoncer leurs pattes dans la boue, on les imaginait tranquilles, chez eux. Là-bas, je ne rencontre jamais personne. Parfois un ou deux coups de fusils au loin, mais je prends garde à ne pas y déambuler les jours de chasse. Bien sûr, cette cathédrale de chênes et de pins favorise la rêverie, les pensées se heurtent aux troncs, montent sur les branches, pas étonnant que toutes les fables, les contes et les innombrables légendes du loup s’y entrechoquent. On finit par croire que, si loup il y a, c’est forcément ici qu’on le rencontrera. Rien n’est moins sûr. Il existe probablement des vallées inoccupées, de vastes friches champêtres où l’odeur de l’homme s’est éteinte et qui forment des abris plus sûrs. Le hasard a voulu que je discute à nouveau du retour des loups (tout de même un évènement, non ?) lors d’une rencontre à la médiathèque de ma ville, et d’apprendre qu’un ami de la bibliothécaire n’est autre que le garde-chasse le plus proche du fameux loup identifié il y a peu. Son adresse en poche, je me sentais fier, détenteur d’un sésame, propre à devenir enfin le premier écrivain à être dévoré par les loups, lorsque j’ai appris qu’un autre auteur (de philosophie) l’avait déjà contacté. Damned, il y a déjà de la concurrence… Même si je suis persuadé que la viande de philosophe est moins goûteuse et moins prisée que celle d’un romancier, il y a tout de même un risque de terminer deuxième dans l’estomac de ce pauvre loup (de là à penser que les écrivains ont l’esprit moutonnier, il n’y a qu’un pas qui ravira l’animal…). En dernier ressort, c’est le bien loup qui choisira. Mais le canidé ayant élu domicile pas loin d’un château où a vécu Voltaire, il a déjà un penchant marqué pour les philosophes surtout quand ils écrivent : « Choisissez pour amis les plus honnêtes loups ; Ne vous démentez point, soyez toujours le même » (Voltaire, le loup moraliste)
(02/10/2013)

 

C’est le retour des loups dans mon département, à moins de 240 km de la capitale ! Va-t-on pouvoir bientôt reprendre Les loups sont entrés dans Paris de Serge Reggiani, chanson écrite par Albert Vidalie, chantre de la rue Daguerre et ami de René Fallet ?
En effet, un animal qui décimait depuis quelques mois les troupeaux de moutons  vient d’être formellement identifié par un piège photographique placé sur le trajet de ses méfaits, étonnant cliché où les yeux brillent comme deux billes sous l’effet du flash. Le retour des loups est manifeste depuis vingt ans en France, alors que l’espèce avait officiellement disparu dans les années trente (un des derniers loups avait été abattu en 1934 sur le plateau de Langres, ma ville natale). Contrairement à ce que l’on pourrait croire, on n’a pas réintroduit ces canidés, comme  les ours slovènes récemment lâchés dans les Pyrénées. Ils ont naturellement étendu leurs terrains de chasse. Venus d’Italie, ils se sont installés dans les Alpes, puis ont colonisé d’autres massifs montagneux difficiles d’accès. On en admettait l’existence dans les Vosges depuis quelques années. On peut imaginer que ce sont quelques uns de ces spécimens qui sont venus investir la Haute-Marne voisine. La désertification des zones rurales, les friches et l’abandon de pans entiers d’espaces ont favorisé leurs migrations en toute tranquillité. Les autoroutes et les voies de chemin de fer ne les arrêtent pas, ils savent trouver refuge dans les forêts et s’accommoder avec discrétion de la proximité de quelques hameaux, surtout s’ils sont garnis avec bonheur de troupeaux en guise de garde-manger. En cette période propice aux angoisses diverses et variées, on va pouvoir revenir à la peur ancestrale du loup. Vais-je céder à la tentation ? C’est l’époque des champignons et j’ai l’habitude de parcourir tout seul les tranches profondes d’une immense forêt… située à 5 km seulement d’où l’on vient de photographier ce loup ! Tant pis, j’ai le goût du risque et être le premier écrivain à périr dévoré par les loups au XXI° siècle est une fin très romantique en soi…
(17/09/2013)

 

Je suis passé par hasard sur le trottoir de l’école maternelle au moment où les parents emmenaient leurs enfants le matin. L’école de mon quartier, je la connais, j’y ai moi-même accompagné ma progéniture, il y a (déjà) vingt ans. Là, je revenais à pied du supermarché où j’avais loué la veille une camionnette pour déménager l’un d’eux qui s’installe dans une ville située à 160 km d’ici : 12m3 bourrés de meubles et d’électroménager à monter au troisième sans ascenseur. Mais c’est une autre époque, et d’autres actions : les deux travaillent maintenant, la maternelle est loin. Je me souviens à peine où je garais ma voiture, comment je faisais pour les emmener et, lorsque l’aînée est allé à la grande école, qui je déposais en premier. Je me souviens juste que c’était rapide, nous étions toujours pressés (nous le sommes encore). D’autres souvenirs plus marquants : le vélo que j’avais équipé de deux sièges enfants pour les emmener chez leur nounou et là fois où je n’avais pas réussi à passer ma jambe par le dessus le cadre, tant l’espace était restreint, le vélo et les bambins avaient versé sur le côté. Je me souviens de l’arrivée triomphale à cette école maternelle, en ski de fond, ma fille sur le dos, un jour où il avait particulièrement neigé. Bref, ce sont plutôt des souvenirs heureux, jamais de pleurs aux rentrées comme, paraît-il, il est d’usage… Les enfants que je croise aujourd’hui, sont gais également. Par exemple, il y a cette petite fille qui n’arrête pas de parler et qui s’enthousiasme déjà pour son deuxième matin de classe. En revanche, je suis étonné du contraste avec leurs parents, tous ou presque, abordent un front soucieux, ne parlent pas, semblent reprendre le chemin de l’école comme une contrainte. Je repense à cette vieille lune dont on nous rabâche les oreilles : les français n’ont pas le moral. Oui, on pourrait le croire. Devant l’école, il y a quelques parents qui attendent l’ouverture de la grille. Rien n’a beaucoup changé depuis que j’y allais : c’est en grande majorité les mamans qui s’y collent. Il y a aussi un couple, l’air pareillement contraint, démoralisé, silencieux ; ils attendent sans échanger un regard. L’homme a les mains dans ses poches, une tête d’ouvrier au chômage, la femme est cramponnée à une poussette.   Je pense à James Salter, à ce qu’il disait sur ce même coin de France dans Un sport et un passe-temps : « Ce ne sont pas les grandes places d’Europe qui me semblent désolées, mais les myriades de petites villes fermées à double tour contre le voyageur, des bourgs aussi tranquille que la campagne elle-même ». C’était au début des années soixante et c’est hélas toujours vrai.
(11/09/2013)

 

Depuis mon retour de vacances, ces dix derniers jours, j’ai accompli une cinquantaine de kilomètres de course à pied, une trentaine de marche rapide, cent vingt en vélo et deux mille mètres de nage, brefs deux cents kilomètres qui s’ajoutent à ceux effectués sur les flancs de l’Etna, dans la canicule de la Sicile. Il y a même eu une journée proche d’un triathlon olympique, puisque j’ai couru 16 km le matin, puis enfourché ma bicyclette l’après-midi, 30 km aller et retour, pour aller nager 900 m au lac du Der. A un poil près, la distance est la même que pour le triathlon aux cinq anneaux, sauf qu’on y enchaîne les épreuves et que j’ai préféré m’allonger sur le sable dans la continuité de ce bel été.
Cette année pourtant, l’entrainement aura été moins régulier. Enfin en apparence parce que pas mal de semaines auront été complétées par de la marche rapide, généralement 8 km accomplis en moins de 1h 10mn. Et j’aurais mis 17 secondes de plus que mon record à la traditionnelle épreuve de course à pied dans ma ville. J’aimerais, comme je l’ai fait depuis deux ans, participer  au semi-marathon de Reims qui aura lieu en octobre (et le terminer bien-sûr).
Je ne sais pas trop ce que m’apporte ce sport que j’effectue presque à outrance en ce moment. Le corps tient, donne parfois des signes de fatigue, il suffit de lever le pied une paire de jours. Le manque cependant vient très vite, nervosité, l’énergie se sauve, le lait déborde : une seule solution alors, aller encore et toujours se défouler au sens propre !
(28/08/2013)

 

Bien-sûr, ils étaient prévisibles ces jours heureux, attendus même, au milieu de cette année difficile. Et puis, tout s’était réuni comme par miracle pour les apprécier, des choses dénouées enfin et la compagnie prévue de nos amis sans qui la Sicile manque singulièrement d’accent et de chaleur. Jours heureux donc, comme un feuilleton suivi avec assiduité, des épisodes où tout semble simple et beau comme une danse. La danse commence le matin, quelques tours du pâté de maison, puis la montée raide, toujours en courant, en direction du centre-ville où tout commence. Il est tôt (7h30), il est depuis longtemps attablé à la terrasse du café, rit et nous embrasse, (cette vie, retrouvée chaque année sans laquelle il lui manquerait accent et chaleur). Il rentre  au comptoir et commande tre ristretti et uno longo. L’edicolo passe nous saluer, ainsi qu’Angelo, l’écrivain local qui a dédicacé à notre ami son histoire du village. Il fait encore frais (c’est-à-dire en dessous de 30°) La journée débute ici, sur cette place, pour chacun des habitants : deux hommes d’affaires discutent, attablés devant une brioche et une coupe de glace. Là, sur un banc, deux habitués échangent sur la politique et la société, chacun semblant avancer ses arguments à grands coups de mouvements lents comme un tai chi chuan. Le temps d’acheter le Corriere della Sera pour les nouvelles du jour et nous repartons. Plus tard dans la matinée, juste en face, Sébastiano nous accueillera dans l’extraordinaire épicerie tenue par sa mama. Le soir, lorsque la température tombe un peu, après la plage, nous irons prendre des granite mendorla ou pistachio au grand café Urna.
Voilà, c’est juste quelques éclats quotidiens de la vie là-bas. Il faudrait rajouter les moments de farniente, les chaises longues, les livre lus, les balades, notre émotion devant les deux Caravage à Messine (la résurrection de Lazare et l’adoration des mages), quelque chose de très fort, doublé la même journée par le site archéologique de Tindari et la répétition d’une école de danse : profond écho entre les corps vivants, leur souplesse dans ce décor antique et ceux du Caravage, magnifiquement disposés. Viendrons ensuite Palerme et la chapelle Palatine, la villa Casale, l’incontournable Syracuse et la surprise de retrouver dans une pizzéria Gil et Salvatore que je croise plus souvent dans ma ville… Des souvenirs toujours, donc, pour ce dixième voyage en Sicile, tout ce que nous avons partagé : des nouilles encore, et pas seulement celles de Georges Clooney (private joke).
(21/08/2013)

 

 

Fin d’une maison : vidéo d’1mn40s

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 (17/07/2013)

 

Je sais juste qu’il y a huit ans que je n’étais pas entré dans cette maison. C’est étrange comme j’avais tout effacé, la maison, la vague sensation d’un escalier qu’il fallait grimper. C’est grâce aux noms notés sur mon carnet que j’ai retrouvé la mémoire, le trajet, les lieux. Dans le carnet, il y avait aussi le nom de quelqu’un que je n’ai vu qu’une fois, enfin je crois, c’était dans une autre maison, très grande, dans la même ville. Elle, je l’avais vue plusieurs fois,  je l’ai reconnue tout de suite en haut de l’escalier dans son bureau. Elle aussi, a compris tout de suite. Finalement, même si on croit avoir oublié, la mémoire revient au galop comme la marée. Je n’avais pas envie d’y retourner, pas le moins du monde. Les premières années qui avaient suivi, j’aurais voulu peut-être, juste pour dire bonjour, montrer comment ça allait, fanfaronner. Mais là, obligé d’y revenir, ou du moins, la nécessité est devenue telle qu’il a bien fallu. En revanche, là, ce n’est plus pareil, c’est mieux maintenant, on sait expliquer, on est venu à temps. J’ai même retrouvé le moment exact où j’étais venu la première fois, c’était un 13 mai, il y a huit ans, parce que le lendemain, c'était le début d'un texte nouveau Langres s’use, une sorte de feuilleton de l'été en cette année 2005. Aucun rapport entre les deux évènements, sauf que, sans doute, je n’avais d’autre choix à l’époque de commencer quelque chose de nouveau, faire table rase. Aujourd’hui, ce n’est plus pareil. Je me sens comme Beckett, je creuse des trous dans le jardin. Comprenne qui pourra.
(03/07/2013)

 

Maurice Nadeau et Oscar Niemeyer ont fait passer mes larmes à gauche : l’un est mort ce dimanche, l’autre en décembre dernier. Bien-sûr, à 102 et 104 ans, l’âge permet un regroupement facile qui confère à l’exploit sportif. Il n’est pas donné à tout le monde d’enterrer sa propre fille, morte de vieillesse à 83 ans, et c’est ce qu’avait fait Oscar, six mois avant lui-même. Oscar, c’est aussi le prénom du petit garçon dans Le tambour de Günter Grass, rien à voir ? Pas sûr : Oscar se servait de son tambour pour parler, Niemeyer aura chanté avec l’architecture et Nadeau fait bougonner la littérature, aucun jugement de valeur dans ce que je dis, les jours qui suivent seront prolixes à honorer la mémoire du grand disparu des lettres (comme seule preuve de mon admiration, mon abonnement à La quinzaine depuis des années, pas la peine d’en rajouter). Non, ce qui m’intéresse, c’est Nadeau, Niemeyer, même combat et Combat tout court pour Nadeau, puisque c’est dans ce journal qu’il assoit sa réputation de critique :  je crois me souvenir que René Fallet le cite en 1947 (Carnets de jeunesse) alors qu’il vient de faire paraître son premier roman Banlieue Sud Est au éditions Domat, il est très fier d’avoir une critique du « grand Nadeau ». Avec une telle longévité, il est normal qu’on en retrouve son nom dans tous les ouvrages passés à la postérité, souvenir aussi de quelques traces dans le Journal littéraire de Paul Léautaud. Bref, la verdeur étonnante de celui qui était de la même génération des Gracq, Beckett ou Claude Simon lui permettait quelques traits d’humour bien caractéristiques : souvenir d’une de ses chroniques récentes de la quinzaine (Journal en public) où il se moquait gentiment de Philippe Roth annonçant son retrait de l’écriture pour cause d’âge (il a vingt ans de moins que Nadeau). Même combat, mais le choix des armes diffère pour nos deux gladiateurs. Nadeau choisit les épées de la littérature, découpe au sabre ses critiques, capture sans cesse d’autres mirmillons ou rétiaires dans ses filets d’éditeur. Niemeyer préfère l’artillerie lourde de l’architecture et du béton armé. J’ai eu la chance de visiter Brasilia en 2004, terrain de jeu favori de Niemeyer : lignes épurées de la cathédrale, tours du congrès national, tout est simple, dans l’utopie magnifique de ce que pourrait être la politique si on la pratiquait pour les habitants : chiche, bâtissons une capitale, là où il n’y a rien. Politique : Nadeau l’a sans doute été plus que beaucoup d’autres, intellectuels et prosateurs  rencontrés dans sa longue vie. Ainsi, les collusions entre Maurice et Oscar sont nombreuses. Reste la question de la persistance : idées, œuvres, ce qu’on laisse, mais délesté du gros mot de postérité/discours aux asticots.  Le béton de Niemeyer n’est pas moins friable que les millefeuilles de papier de Nadeau. J’entasse depuis des années dans le cuir de chameau d’un pouf marocain,  pour servir de rembourrage, ma collection de La Quinzaine, une fois lue. J’aime y voir le chat qui y a élu domicile. J’aime à penser les postérieurs assis sur un tel édifice au service de notre intelligence. J’aime imaginer après ma disparition (lointaine, car j’espère bien battre en longévité Niemeyer et Nadeau) la drôle de tête que feront ceux qui extirperont cette prose compacte et ainsi modelée. Sauront-ils remettre Maurice Nadeau et Oscar Niemeyer à leur juste place, dans l’essentiel du siècle ?
(19/06/2013)

 

Je ne sais pas pourquoi je repense à ces étés de jeunesse, peut-être à cause de qui vient de passer quinze jours au bord d’un lac. Des lacs, il y en a quatre autours de ma ville natale, aux quatre points cardinaux. Celui que nous préférions était le plus sauvage, situé à l’ouest. Ça sentait la menthe, ma mère posait les serviettes et le transistor, on gonflait ma bouée en forme de petit canard, ma frangine faisait le poirier et mon père tentait de pêcher des brochets au lancer. Des amis nous rejoignaient, mes cousins parfois. A quatre heures (jamais avant, à cause de la digestion), on partait patauger en s’éclaboussant, on grimpait sur des chambres à air de camion en guise de bateau. La vase de la berge était molle et coulait entre nos doigts de pieds en dégageant une odeur un peu fade. Je ne savais pas encore nager. On partait en exploration, maigres marins de lessiveuse, on poursuivait les poules d’eau dans des herbes coupantes, des glissements furtifs contre nos pieds nous faisaient crier et rire : ambiance à la Robert Doisneau, Henri Cartier-Bresson et Willy Ronis réunis. Lorsqu’on remontait sur le bord, on avait des sangsues accrochées à nos mollets, très petites, semblables à de minuscules asticots brunâtres fixés à nos jambes par la tête et que l’on détachait sans répugnance. Je ne saurais pas l’expliquer mais j’ai toujours pensé que ces sangsues étaient la preuve d’une nature encore intacte et préservée. Lorsque mon père pêchait un brochet, c’était la fête : on le mesurait et on le gardait s’il atteignait la bonne longueur (plus de quarante-cinq centimètres, je crois me souvenir), la lessiveuse était réquisitionnée pour le conserver dans l’eau et je passais mon temps à observer le poisson à mâchoire de chien et écailles émeraude sur le dos.
Cela fait longtemps qu’on ne nage plus avec les sangsues. Certaines années, lorsque le temps vire au beau assez tôt (pas cette année), je gagne à vélo le grand lac à vingt kilomètres de chez moi. Je ne connais rien de plus délicieux que d’entrer dans cette eau froide encore au sortir de l’hiver et d’essayer quelques brasses sur la surface infinie. La couleur de l’eau, ce vert profond, le reflet des arbres, la voute d’un ciel de printemps est d’un apaisement absolu. Il y a la même différence entre la nage en piscine et celle d’un lac (ou d’une mer) et la mesure d’une course à pied dans un stade et le long d’un sentier (ou d’un chemin de halage). En piscine ou dans un stade, manque la démesure, le simple rapport à la distance et l’humilité du corps qui s’englobe dans le décor. Manque juste les sangsues.
(12/06/2013)

 

Trois abécédaires oulipiens (classiques) :
« A bas carnaval ! », disait Émile, faisant gaffe, hésitant immédiatement. Jaune ? Kaki ? La marionnette nébuleuse optait pour que rient ses témoins usurpés : visiteurs wagnériens xénophobes y zonaient.
A boucler cette distance et faisant grand personnage, immense jaquette kitsch, le mécanicien nouveau obéissait pour quel ramdam, situation très ubuesque, vingt wagons xérocopiés y zigzaguaient.
Aujourd’hui, balayant cette déveine en fonçant gravement. Hier, il jouait KO, lui mettait néanmoins opportunément pour quasiment refaire son tour un vrai whisky xiphoïde yéyé zingueur
Deux abécédaires oulipiens (inversés) :
« Zouave ! Yankie ! Xénophile ! Wisigoth ! » vomissant un tel stupre, Raymond, qui paraissait ouvert, néanmoins, me laissa klaxonner. « J’imagine hautement gravé, fort et dur cette bêtise anachronique ! »
Zézayant, yeux xérophalmiques, wagon vacillant, un transporteur suivait rapidement quelque patelin oiseux, narguant mon lourd képi. Joie inerte, happé : « Gare ! Faudra en demander cent biffetons argentés. »
(05/06/2013)

 

Du jamais vu : des gens manifestent dans la rue pour obtenir moins de liberté. Au moment où, bizarrement, la foule descend dans la rue contre le mariage pour tous, je m’aperçois qu’on m’a marié à l’insu de mon plein gré à mon entreprise. En fait, cela fait des années mais c’est seulement maintenant que je le réalise : j’ai un matricule, composé de quatre lettres et quatre chiffres, qui constitue la porte d’entrée principale à tous les services que proposent mon travail. Impossible d’entrer dans l’Intranet sans commencer par montrer patte blanche avec ces huit caractères. Impossible de poser un congé, de réserver un véhicule, de consulter ses mails sans cela. Normal me direz-vous. Sauf que je viens de réaliser que ce matricule s’appelle depuis toujours l’identifiant « alliance » : et me voilà avec une nouvelle bague au doigt que je n’avais encore jamais remarquée. Déjà que j’ai la fâcheuse manie de dire souvent que « j’appartiens » à mon entreprise, il y a dans ces mariages forcés un goût de langage détourné… Demain, je descends dans la rue avec un panneau « Non au mariage imposé du néo-management » : je sens que je vais faire mon petit effet au milieu de ceux qui veulent moins de liberté.
(29/05/2013)

 

« Dans son dos, il y a la glissade de la route en direction des faubourgs et des jardins. Devant lui, la pente s’évase jusque sur la place où, dit-on, est né le philosophe Diderot. A sa droite, on entend le cliquetis d’une imprimerie, on devine de grosses machines noires derrière des vitres opaques. A sa gauche, les scies d’un menuisier miaulent, la poussière de bois déborde sur le seuil par une porte toujours ouverte. Il est campé au milieu de la rue, habitué, habité. Pas un pavé qu’il ne connaisse, pas un soupirail sur lequel il ne se soit penché. De culottes courtes en pantalons, aucune rupture, aucun voisin qui ne l’ait vu grandir. La rue est un théâtre et il a assisté à toutes les représentations : les internes de l’école qui la descendent pour rejoindre la cantine, Monsieur Dupati, blessé de guerre, qui la remonte, cabas coincé au bout du moignon. Mais aujourd’hui, campé au milieu, l’ombre à peine d’une moustache, il y a à droite l’imprimerie, à gauche, le menuisier. Il pourrait entrer chez l’un ou chez l’autre : il est en âge. Juste entrer, saluer, choisir. A cet instant précis, il sait pourtant où va sa préférence : le mystère des machines noires derrière les vitres dépolies, les bruits étranges, semblables à ceux des vélos, pignons, poulies, chaînes, transmissions, engrenages, le fer sur le fer, l’odeur d’huile. Oui, il pencherait pour l’imprimerie. Ouvrir la porte. Ah, c’est toi ? (il est connu, forcément). Se placer devant une de ces mécaniques, regarder l’employé, ses gestes, sa manière de siffloter, le patron qui baisse ses lunettes pour voir qui arrive. Il est déjà venu tellement souvent, il suffirait juste qu’il s’attarde, le temps qu’on le remarque, que l’employé lui dise : ben tiens, puisque t’es là, passe-moi… Et de revenir le lendemain, même cinéma, se faire petit, apporter, transporter, qu’on s’habitue à lui : puisque t’es là, passe-moi, va chercher… Faire quelques courses pour le patron, aller porter une commande urgente, ramener des bières. Et que passe le temps. Ce serait un emploi sans nom, à peine une expression bourrue, gamin ou grouillot, quelque chose de fragile pour celui qu’on avait vu pousser dans la rue. D’ailleurs un jour, le patron la traverserait avec lui pour aller chez le menuisier. Ils en ressortiraient avec un tabouret. Pas un de ces machins compliqués avec une vis sans fin pour régler l’assise, plutôt quelque chose de simple, quatre pieds solides assemblés en trapèze avec au-dessus un carré de planches dur au fesses. Tiens, voilà un hausse-mioche, dirait le patron en plaçant le siège à côté de l’employé sans que celui-ci ne cesse un instant de siffloter. Juste entrer, saluer, et ce serait gagné, l’avenir, la fin de l’enfance laissée dans son dos avec les faubourgs et les jardins. Il ne l’a pas fait, a continué en direction de la place où, dit-on, est né le philosophe Diderot. Plus tard, le hasard a voulu que son premier livre soit édité chez l’imprimeur. Plus tard encore, quand on lui demande ce qu’il écrit, il répond « je fais le grouillot » mais personne ne comprend la noblesse qu’il met à l’expression. »
Ce texte est paru en 2011 dans l’ouvrage collectif hors commerce Les cent papiers et dont l’idée revient à Marie-Rose Guarnieri, de la librairie des Abesses et fondatrice du prix Wepler.  Il évoque la chance que j’ai eue d’avoir une imprimerie dans la rue de mon enfance et le plaisir que mon premier livre soit publié par l’un des fils qui avait ouvert une maison d’édition. Malheureusement, si j’en parle, c’est parce que ces éditions Dominique Guéniot viennent d’être placée en liquidation judiciaire, comme on dit. Quarante années de labeur s’effacent. Dominique avait pris sa retraite et passé progressivement les rênes de son entreprise depuis près de dix ans. Mais ni le dynamisme de la nouvelle équipe, ni l’espace de vente situé à deux pas de la place et de la statue Diderot, n’auront suffi pour maintenir cette maison spécialisée dans des livres de patrimoine, d’art et d’histoire.
Les temps sont durs pour la littérature : en plus de cette mauvaise nouvelle, j’ai appris récemment que la librairie Rimbaud de Charleville-Mézières, ville natale du poète, est également touchée par une liquidation judiciaire. Dans Ils désertent, la librairie Rimbaud faisait aussi une apparition page 210 : « Les libraires te laissent chercher, ils sont deux autour d’une dame qui porte un cabas, se plaint de l’été pourri, cherche paradoxalement quelque chose de rafraîchissant, d’optimiste. Une belle histoire parce que en ce moment, hein, on n’est pas à la fête ! Elle secoue sa main libre par-dessus le cabas. ».
Oui, en ce moment, on n’est pas à la fête : ces deux  exemples sont symboliques de la déliquescence d’un patrimoine littéraire : exit la seule librairie qui porte le nom du poète à l’intérieur même de sa ville natale et, sachez que, dans la patrie de Diderot, en plus de la perte de cette maison d’édition, il n’existe plus aucune librairie depuis plusieurs années. A l’heure où l’on s’apprête à fêter le tricentenaire de la naissance du philosophe, n’y a t-il plus rien à espérer ?
(22/05/2013)

 

Descendre la Marne : c’est grâce à Jean-Paul Kauffmann (voir en Notes de lecture, Remonter la Marne, Fayard) que j’ai pris conscience de ce mouvement qui a occupé, occupe encore toute ma vie. Descendre la Marne, à commencer par ses sources, est, pour moi, intimement lié à la grotte de Sabinus, chef gaulois rebellé contre Rome, qui y trouva refuge, et terrain de jeu de mon enfance : la Marne, que l’on peut franchir d’un bond, court au fond du val et les arbres qui l’entourent, « gainés de lierre y sont d’une hauteur vertigineuse » comme l’écrit Jean-Paul Kauffmann. C’est à eux que je dois probablement d’être encore vivant : j’avais dix ans et avec quelques copains nous avions entrepris de gravir la falaise qui entoure le val et surplombe la grotte. J’allais atteindre le sommet lorsque qu’une prise de mauvais calcaire a cédé. Ma chute d’une bonne dizaine de mètres a été freinée par les branches des arbres proches. Je garde le souvenir d’une chute interminable et cotonneuse qui s’est terminée à l’hôpital, je sens encore la cicatrice à l’arrière de mon crâne. Tout cela à proximité des sources de la Marne, le départ était donné : descendre la rivière. La suite, a été moins intrépide (quoi que) et toujours dans le sens du courant : à l’adolescence, sur les trajets qui me menaient de Langres à Chaumont, la route suivait les méandres de la rivière et je prenais un malin plaisir à raboter les cale-pieds dans les virages, couché comme un crapaud sur ma moto Honda 125 K3. A la même époque, c’est aussi la découverte de Paris, mais en train. J’ai souvent eu du mal à exprimer ce sentiment bizarre d’abandon et de liberté en arrivant gare de l’Est. A la réflexion, c’était peut-être simplement la sensation d’être pareillement avalé par la capitale tout comme ma rivière natale l’était au même endroit par la Seine. Je n’ai jamais quitté les bords de la Marne : le hasard a voulu que je m’installe à l’extrême Nord de mon département, encore un peu plus en aval que Langres ou Chaumont, mes villes de jeunesse. Il y a treize ans, dans mon premier livre La réserve, j’ai écrit en page 15 à propos du narrateur : « Il n’a jamais quitté la Haute-Marne ou si peu. Combien de fois à t’il parcouru les routes nationales 67, 19 et 74 qui longent la Marne ? Deux cents fois ? Mille fois ? ». Vague conscience d’un enracinement à la manière d’un saule… En définitive, je n’ai cessé de descendre la rivière, je ne compte plus les trajets vers Paris, on devine souvent son miroitement le long de la voie ferrée, on la rejoint en arrivant dans la banlieue en voiture. Lorsque je vais courir, mes foulées me mènent toujours dans le même sens, la descente, mais le long du canal de la Marne à la Saône qui suit l’affluent. Je peux suivre à l’infini le chemin de halage, il est presque toujours désert et comme seule compagnie, quelques canards curieux viennent à ma rencontre ou un héron s’envole à mon approche. J’y ai plusieurs repères de distance, pour la plupart des maisons d’éclusiers. Au plus loin du parcours, je fais demi-tour à Perthes, sous le premier pont, là où le canal et la rivière sont les plus proches, juste séparés par une mince lignée de buissons : avec le retour jusqu’à mon domicile, il y a exactement la distance d’un semi-marathon. Dernier souvenir associé : j’ai reçu le prix Eugène Dabit à l’hôtel du Nord, devant le canal Saint-Martin, là où Arletty clamait à Louis Jouvet qu’elle n’avait pas une « gueule d’atmosphère ». Prolongé par le canal de l’Ourcq qui rejoint la Marne, c’était, au final, un beau signe du destin pour qui, décidément, n’a jamais quitté sa rivière.
(15/05/2013)

 

On le sait, les personnages des romans de Murakami ont ces traits communs que j’avais déjà notés la semaine dernière. Ils sont très près du quotidien, il n’est pas rare que l’auteur nous fasse partager dans le détail leur façon de cuisiner, de faire le ménage, de se mouvoir, tout un ensemble qui donne une proximité réelle et c’est sans doute ce rapport à la banalité qui me plait tant chez Murakami. Contrairement à la plupart des autres romanciers, ce n’est pas dans le contact, à travers les dialogues que les destins s’accomplissent, mais plutôt dans la lente construction de nos parcours solitaires.
Le hasard a voulu que les derniers jours me fassent ressembler à un de ces anti-héros de Murakami : suffisamment de temps pour délayer la vie ordinaire et très peu de contact avec l’extérieur. Même au travail, généralement fait d’entrevues diverses et variées, je me suis retrouvé la plupart de temps seul dans mon bureau sous les toits au quatrième étage. Ma coéquipière étant partie en vacances, j’ai passé des heures à remettre des fichiers en forme, des comptes rendus en retard sans la moindre conversation, hormis la suspension de quelques mails échangés. Par deux fois, j’ai pris le temps de prendre un café avec une collègue et c’était bien agréable de pouvoir discuter, de rejoindre nos opinions sur cette actualité qui nous fait ressembler à un pays du moyen âge. Justement, l’actualité, autre motif d’isolement : elle est tellement navrante en ce moment, sur fond de démagogie politique et de manifestations rétrogrades, que j’ai tout fait pour l’éviter, écoutant des CD plutôt que les informations, regardant des DVD plutôt que la télévision. On manque d’ouverture et je me ferme encore plus. Solitude donc. Autant profiter de ces instants de relâche pour avancer sur le livre en cours (voir en Notes d’écriture), tenter de reprendre une régularité à la course à pied, malmenée ces derniers mois. Et bricoler aussi, papiers peints, peinture, jardinage, l’ensemble constituant finalement les occupations habituelles des personnages de Murakami, voire de l’auteur lui-même (Autoportrait de l’auteur en coureur de fond, note de lecture du 07/09/2010). En même temps, il me semblait vraiment que je bâtissais une de ses histoires dans cet éloignement du monde, chaque action étant décidée, le moindre fait s’accomplissant dans un isolement total, seules mes pensées construisaient une sorte d’univers parallèle. Ce fût à la fois simple et riche, on a tous besoin à un moment où à un autre de ces instants de retrouvailles avec soi-même. Ce n’est pas forcément facile à vivre, ce sont des moments propices pour que ressortent les vieilles peurs, les vieux démons, les dialogues intérieurs récurrents, que la précipitation des jours empêche généralement de s’installer. Ces périodes de Robinson, absentes de toute surprise, ne durent jamais longtemps. Cette semaine s’annonce riche en concerts et diverses rencontres, Printemps de la musique oblige. Mais ces jours retranchés laissent en nous la même saveur que lorsqu’on a terminé un livre, une vague nostalgie qui subsiste dans l’étrange dédoublement qu’on a ressenti d’être à la fois objet et sujet, observateur et observé, personnage et auteur.
(24/04/2013)

 

J’ai toujours eu une passion pour le violon. J’ai même joué le canon de Pachebel dans un trio familial à l’occasion d’un mariage. Mais c’est là, mon seul fait d’armes et qui remonte à presque vingt ans. Pour autant, l’instrument est permanent chez moi, rares sont les jours où je ne l’entends pas, mais ce n’est plus moi qui joue et depuis longtemps. Je ne compte plus les mouvements de l’instrument, qui passe de la pièce au couloir, du couloir à la voiture, les partitions qui se dispersent au gré des répétitions d’un ensemble philharmonique, d’orchestres divers, de quatuors variés et même d’un septuor. Allées et venues soudaines, étui à bout de bras, clés de voiture dans l’autre main : où vas-tu ? Elle est déjà repartie… Récemment, un quintet est même venu donner un concert à la maison. Ambiance accordée au quotidien, donc, et c’est ainsi que l’année précédente, j’ai assisté tout naturellement à la première édition du Printemps de la musique dans ma ville. Cette manifestation qui a duré une semaine, a rassemblé une académie et un festival de musique classique. Des solistes internationaux, dont la réputation n’est plus à faire, ont donné des masterclass a de futurs professionnels venus de partout, et, chaque soir, un concert de grande qualité a été donné.
Merveilleuse découverte pour moi, parce que la ville dans laquelle je vis, trop souvent condamnée au déclin et au vieillissement, a montré qu’elle pouvait s’ouvrir, l’espace d’une semaine, à l’excellence, à la jeunesse et au monde entier. Et qu’elle avait la taille et les structures idéales pour cela : pouvoir se déplacer à pied entre les lieux d’expositions, de répétitions, d’hébergement, de concerts (un magnifique théâtre à l’italienne entièrement rénové) est un luxe que n’ont pas boudé les participants italiens ou chinois venus en nombre. L’organisation hors pair, avec véhicules aux couleurs du festival et bénévoles attentifs, a largement contribué à ce succès.
Cette année, le hasard a voulu que je puisse contribuer à l'organisation de cette deuxième édition qui aura lieu du 22 au 28 avril prochain. J’ai défendu un dossier de subvention auprès de mon employeur par l’intermédiaire de la Fondation Orange et il a été retenu. J’y tenais beaucoup, il y a vraiment un esprit de large ouverture : 7 concerts dont 3 gratuits seront proposés au public. En plus il y a des bourses pour que les jeunes artistes puissent participer aux masterclass.
C’est ainsi que s’annonce cette deuxième édition encore plus importante : le nombre de solistes qui se sont engagés à venir a augmenté et tous ceux qui avaient déjà participé l’année précédente seront à nouveau présents, ce qui prouve la qualité de ce festival : dates réservées dans l’agenda d’Emmanuelle Bertrand, violoncelliste et victoire de la musique, ou celui du violoniste Dejan Bogdanovic, excusez du peu…
(17/04/2013)

 

J’ai l’habitude, une fois par an, de partir pour une destination lointaine, excepté l’habituelle Sicile que je rejoins à chaque été en voiture. Cette année, c’est un peu dans la précipitation que nous avons opté pour l’île Maurice, plus pour une question de créneau libre, une semaine, pas plus, dans la bousculade de l’année qui s’avance déjà tellement rapidement. J’aurais préféré continuer à explorer l’orient, dans la continuité du Yémen, d’Oman, de la Syrie, de l’Iran, qui font que, lorsque je déciderai d’aller aux USA, je devrais rester un bout de temps en vérifications diverses à l’aéroport. L’île Maurice m’a fait franchir l’équateur pour la troisième fois, la première, c’était pour le Brésil en 2003 et la deuxième pour l’île de la Réunion, deux ans plus tard. L’île Maurice est d’ailleurs la petite sœur de la Réunion. On y retrouve l’ambiance créole, les fruits, des lagons semblables. La présence anglaise y a laissé des traces : on roule à gauche et l’anglais demeure la langue administrative, même si le français reste la langue la plus usuelle. Ambiance hindoue également : cette main d’œuvre a traversé l’océan indien il y a maintenant deux siècles. Toutes ces cultures cohabitent aisément, les temples tamouls voisinent avec des églises et des mosquées, le bouddhisme chinois s’y rajoute, on est ilien avant tout, les deux pieds sur une terre cernée d’eau et je constate une fois de plus l’étrange mélange de mélancolie, de solitude mais aussi d’entraide et de solidarité que cela provoque.
Solidarité : ce n’est pas un vain mot et, comme les habitants, j’aurais préféré que les circonstances qui l’ont provoquée n’aient jamais eu lieu. Le jour de notre arrivée, des pluies torrentielles ont déclenché une inondation catastrophique à Port Louis. Nous y étions passés quelques heures avant, pour rejoindre l’hôtel, situé à 11 km de la capitale. Dans l’après-midi, au hasard de cette première journée, nous avions décidé de nous éloigner un peu plus, bien nous en a pris : les averses tropicales ont été d’une violence exceptionnelle dans la grande ville. L’équivalent de 3 semaines de pluie est tombé en deux heures, 70 cm d’eau recouvrant toutes les places et les avenues, l’autoroute et ses embouteillages transformée en fleuve, les voitures devenues incontrôlables s’empilant contre les parapets, des maisons submergées d’eau jusqu’au plafond. Des parkings et des passages souterrains se sont remplis d’un flot meurtrier : au total, il y a eu 14 victimes. Nous avons appris la triste nouvelle de retour à notre hôtel. Solidarité donc, pendant plusieurs jours, toute la vie de l’île s’est tournée vers Port Louis : des bénévoles sont venus par centaines nettoyer la ville, apporter des dons à ceux qui avaient tout perdu.
Nous y sommes allés cinq jours après, les pompes tournaient encore pour évacuer l’eau, partout des traces encore visibles, un autel improvisé avec des fleurs et des bougies devant le passage souterrain où 6 personnes ont été retrouvées. Pas de photos, juste passer en silence, se faire petit.
Dans cette île paradisiaque pour touristes, il y a eu cette ombre sur moi en permanence. On aurait pu tout ignorer : ici, les complexes hôteliers pieds dans l’eau sont conçus pour vivre en autarcie et profiter de la plage uniquement. Nous étions venus pour visiter. Nous avons pris des taxis, circulé dans des bus locaux, arpenté des kilomètres de côtes rocheuses ou sablonneuses avec nos sacs à dos. Nous avons plongé, nous avons pris des coups de soleil, c’était les vacances (voir en Webcam et Carnet de voyage), d’étranges vacances dans la continuité des coups du sort qui jalonnent 2013.
(10/04/2013)

 

J’ai passé deux jours à Paris, vécu comme un grand bol d’air frais pour moi qui vient de ma province, plutôt étonnant. Mercredi, d’abord, excitation de l’actualité pour le Libé des écrivains (voir en Notes d’écriture) et jeudi, pas envie de repartir, c’était l’inauguration du salon du livre le soir, plus le Pecha Kucha organisé par Anne. Bref, il a fallu m’écarteler.
Salon du livre, donc : et, de suite, ce qu’on se prend dans la tête en arrivant : un air de déjà vu, même lieu, mêmes stands, mêmes travées, même disposition, même décor immuable pour chacun des éditeurs. Plus de vingt ans que j’y vais (j’ai conservé chez moi le catalogue de 1991) et rien ne change jamais. A voir l’air satisfait de la plupart des visiteurs de l’inauguration (donc, des habitués), ce rendez-vous du conformisme présente des avantages : on se repère facilement, on connaît ses marques. Inconvénient majeur : on ne se remet jamais en question. Attention : je ne crache pas dans la soupe et je prends toujours un plaisir très grand à retrouver des connaissances diverses, représentants, libraires, tous ceux que je fréquente dans ma maison d’édition, ceux que j’avais rencontré hier pour la première fois à Libé, etc… Mais j’ai l’impression qu’on pourrait faire autrement. Ce n’est pas la question du livre, de son exposition qui est en cause : il n’y a pas tant de manière à disposer cet objet de papier sur un étal, c’est plutôt la manière dont on va en parler. Ici, autant dire que les livres sont muets dans leur multitude. On exhibera bien quelques auteurs, généralement les plus médiatiques pour faire venir le pèlerin, on mettra à l’honneur un pays, il y aura quelques débats et on laissera couler quatre jours en se disant qu’on recommencera l’année prochaine. Comment donc, arriver à extirper la nouveauté qui se cache dans les livres ? Car la littérature avance, elle n’attend pas. Parfois, on vilipende son immobilisme, on ferait mieux de se demander si ce n’est pas plutôt l’immobilité de notre vitrine française qui trompe l’œil.
La littérature avance. Pecha Kucha : voilà quelque chose de neuf. Le principe est simple : 20 photos projetées 20 secondes chacune et servant de support à un texte ainsi rythmé, soit 6mn40 par participant, contrainte digne d’un jeu perecquien. Le salon du livre m’a fait louper celui organisé au Centre Cerise (mais, chance inestimable, j’en avais eu un échantillon la veille rien que pour moi tout seul). J’ai eu ensuite le bonheur de pouvoir rejoindre après coup le petit groupe d’acteurs ou spectateurs de cette manifestation, petit en nombre par rapport à la bousculade du salon mais énergie décuplée dans les gestes, les attitudes, l’imagination. Merci à Cécile (dommage, on n'a pas eu le temps de beaucoup discuter), merci à Joachim, à Gilda, merci à tous pour cet excellent moment, et, bien entendu, à Anne, grande prêtresse inca du Pecha Kucha.
Finalement, c’est peut-être deux ou trois idées simples comme celles-là qu’il faudrait pour redonner « pêche » au salon du livre de Paris (en plus, tout de même de changer la déco, de bousculer les emplacements, c’est le minimum au bout de vingt ans, non ?). Imaginons un Pecha Kucha géant pendant toute la durée du salon et que chaque écrivain choisisse 20 photos pour illustrer son travail. A 6mn40 par auteur, sur 4 jours, on doit bien réussir à proposer 300 ou 400 auteurs. Voilà qui changerait des chapeaux d’Amélie Nothomb comme animation récurrente.
(27/03/2013)

 

Ce qu’il y a d’étonnant avec la vie silencieuse des objets, ce sont les rebondissements justement de leur vie même. Il y a quinze jours, j’évoquais cette maison désormais inoccupée et les quelques ustensiles qui s’y endorment. En réalité, le temps avance tout de même et modifie sans cesse l’environnement ténu des choses. Ainsi, la pendule s’est arrêtée, je ne la remonte plus qu’au gré de mes passages de plus en plus distants. Bientôt je récupérerai les plantes qui végètent, je sortirai celles que j’avais rentrées pour l’hiver. Dehors, si les roses de Noël affichent depuis trois mois une floraison insolente, les perce-neiges sont maintenant à l’apogée, les premières jonquilles s’ouvrent et je guetterai bientôt les pousses du muguet. Les saisons marquent les changements, même dans les maisons vides. D’ailleurs la vie se moque bien de nos coups du sort et se charge elle-même de ses clins d’œil.
Par exemple, comment évoquer cette simple carte de condoléances, reçue il y a trois semaines, de quelqu’un qu’on découvre passé de vie à trépas dans la rubrique nécrologique du journal le jour même où on lit cette carte ? Comment répondre à sa famille et rendre politesse à l’absurdité du destin ?
Et combien acheter la bibliothèque d’un mort ? Décès qui s’entrecroisent, là encore : j’évoquais il y a deux mois dans cette même rubrique ce voisin tragiquement disparu. Et bien je viens d’acquérir sa bibliothèque. Une amie commune m’avait fait part de la difficulté de déménager cette maison avant de la vendre, il y a toujours des objets, des meubles qui n’intéressent personne. En l’occurrence ce meuble de style anglais allait rejoindre l’anonymat des brocantes, j’ai peu hésité et j’ai remplacé avantageusement mes deux vieilles étagères. Et c’est bien sûr tirer la langue à la fatalité, faire des pieds de nez à la vie qu’il s’agit : la virtualité de ce voisin évoqué sur Feuilles de route s’est transformée en réalité bien tangible à un mètre à gauche de l’ordinateur sur lequel j’écris ces lignes, ainsi, il vit encore un peu à travers ce meuble qui demeurera à jamais associé à son nom. Tout se transforme dans cette pièce, d’ailleurs : un tapis d’Iran, de même provenance, répond à mes souvenirs du Yémen ou d’Oman. Et que dire du portrait de Rimbaud que j’évoquais dans ma mise à jour précédente et qui avait rejoint mon bureau : j’ai dû le déplacer pour laisser la place à la bibliothèque, il est maintenant derrière moi et surveille ce que j’écris de son air pas commode.
Voilà, les objets - nos objets - vivent en silence. J’ai ramené au cimetière les coupes de fleurs que nous avions entreposées à la maison pour éviter le gel. J’ai dû faire cinq voyages et gravir la pente raide mais les fleurs éclataient au soleil et les oiseaux s’en donnaient à cœur joie. J’avais utilisé sa voiture, devenue inutile, histoire de faire tourner le moteur. En la ramenant dans son garage, j’ai rencontré cette voisine qui était toujours attentionnée après lui. Elle m’a expliqué combien elle avait trouvé drôle de faire des crêpes pour la Chandeleur sans lui en apporter comme elle en avait l’habitude. Nous avons aussi pas mal discuté : son mari, militaire, vient de partir pour plusieurs mois au Mali. Nos vies silencieuses.
(20/03/2013)

 

Le roi ou la reine du silence, c’est cette activité ludique un peu perverse, qu’on propose aux enfants pour les calmer après un jeu excitant. Celui/celle qui garde le silence le plus longtemps a gagné. En même temps, ça apprend à se taire, à mettre son mouchoir dessus, à tourner la langue sept fois dans sa bouche (la Saint Glin-Glin, toutes ces expressions pour dire jamais). A ce petit jeu, on imagine mal Anne Savelli, recordwoman de l’épreuve, non pas qu’elle soit une bavarde hors-pair, mais plutôt parce qu’au premier coup d’œil, elle aurait repéré la perversité du jeu. Pour autant, Anne traverse Paris et d’autres villes comme une reine du silence, retient tout, enregistre tout, photographie tout, le ressort sur son blog avec naturel, sans effort. En fait, elle troue le silence, mais c’est ténu, jamais un déchirement irréparable, pas un accroc, juste la couture qui cède un peu. C’est exactement l’effet que me fait une lecture d’Anne Savelli : avant il y avait le silence, même quelque chose de léger parfois, d’anodin, mais quand elle parle, ça prend corps, c’est-à-dire qu’elle ramène le silence à notre propre corps (des corps, décor), la langue devient limpide et complexe à la fois, on la mesure à ses mots, mais on ne peut les soupeser, ça reste aérien. Il y a deux ans, j’ai eu envie de lire à mon tour, et Anne est la seule personne avec qui il me semblait que je pourrais trouver ma place, m’insérer dans ce jeu céleste. Je l’envie : dans la brève expérience de lecture (combien j’aimerais renouveler) que nous avons eu tous deux (Autour de Franck), j’avais l’impression de fendre du petit bois d’une voix hachée, elle laissait juste la paille s’envoler dans le sens du vent. Ses lectures, indissociables de son écriture, c’est la réussite de ses vies silencieuses. A elle seule, elle prend revanche pour toutes celles qu’on a fait jouer à la reine du silence.
(13/03/2013)

 

D’abord la boite aux lettres et l’impudeur des publicités qui continue à s’y déverser, puis l’escalier de pierre raide (le revoir s’agrippant aux deux rampes), la porte d’entrée, la fraicheur maintenant de la maison, chauffage en hors-gel. Ouvrir un ou deux volets, remonter l’horloge, la chaise posée contre pour se hisser à hauteur (ton travail, disait-il). Regarder autour, les plantes qui émergent de la pénombre, quelques revues restées sur la table basse, les objets habituels sur la cheminée, ce qu’on ne remarquait plus (photographies de ceux qu’on a aimés sur le buffet) : vies silencieuses. Sur la table de la cuisine, le panier des médicaments, il faudrait s’en débarrasser. De la moutarde dans le frigidaire, trois pots de confitures sur l’évier et que je prendrai en repartant. Saisir aussi deux litres d’huile, une plaque de chocolat. Tout demeure, on le croirait parti en voyage, comme avant, lorsque je venais ramasser le courrier. Dans le placard, assiettes, verres et couverts, les tasses-bistrot de couleur verte pour le café du midi, quinze ans d’habitude, plusieurs fois par semaine. La télé, la radio restées en veille. Éteindre les lumières, descendre les volets. Tic tac de l’horloge au moment de refermer la porte, seul cœur vivant de la maison, mais pour combien de temps ? Photographies dans l’ombre à nouveau.
(06/03/2013)

 

Je suis intervenu récemment dans deux lycées. Le hasard a voulu qu’un établissement prestigieux m’accueille le matin, l’un des tous premiers de France, et situé au centre de Paris. L’après-midi, c’était un collège de banlieue, en queue de peloton si on croit les statistiques de réussite au Bac. Je n’ai découvert qu’après mes visites cet écart de chiffres (gangrène que cette évaluation permanente), et encore parce qu’une connaissance, en deux coups de clics de souris, m’a facilement extirpé le classement national des deux lycées. Je ne me renseigne jamais sur les établissements avant ma venue et je suis arrivé dans le premier avec ma candeur habituelle. Bien sûr, je ne suis pas né de la dernière pluie et j’ai tout de suite remarqué que l’hôtel particulier qui abritait les classes n’était pas un décor fortuit, de même que la barre immense de l’école-collège-lycée de banlieue l’après-midi avait été érigée pour éduquer en masse. Très vite, en fait, le décor devient secondaire, remplacé par les visages juvéniles que j’ai devant moi, eux-mêmes d’ailleurs devant probablement examiner sous toutes les coutures l’étrange petit bonhomme qui s’agite devant eux. Face à face, et combien cette expression résume le plaisir que je prends à ces rencontres. Pour moi, elles sont toujours individuelles. Ici, c’est telle question qui en amène une autre, là telle remarque que l’un formule, mais c’est toujours avec un immense respect qu’il me semble devoir accueillir chaque réaction, toutes étant dignes d’intérêt, plaisanteries bienvenues, questions indiscrètes, répliques originales, c’est le « penser par soi-même » qui m’importe, cette confrontation d’idées, de sensations, de sentiments, bien au-delà du décor aseptisé, dirigé de nos vies, de nos influences, de notre milieu. Donc, parce que le poids institutionnel qui associe chacun de nos gestes m’indiffère profondément (m’exaspère), ce rapport d’être humain à être humain, dégagé de toutes contraintes me paraît le seul digne d’estime. Probablement est-ce cette explication qui me pousse à accepter avec toujours un grand enthousiasme ce type de rencontres. Et qu’on ne vienne pas me parler de classement, de notes, d’évaluations.
(20/02/2013)

 

2013 porte bonheur, c’est histoire de dire, de conjurer le sort : l’année, à peine entamée, soustrait déjà sa cohorte de vivants. Février continue avec mon beau-père. J’évoquais la semaine dernière cette vie actuelle soumise au hasard, aux incertitudes, rien n’est plus erroné finalement, et l’inéluctable faux tape à coup sûr. On se retrouve au dernier jour avec cette réalité toujours tranchée : avant il y avait quelqu’un, maintenant il n’y a plus personne. La mort, comme l’amour est une sorte de hors-temps, on s’en accommode avec grâce parce qu’on n’a pas le choix. Le mot grâce n’est pas de trop : on peut vivre le trépas comme une élégance. Ici, c’était cinq jours tous ensemble, la maisonnée pleine à craquer, on avait du mal à savoir qui était là à chaque instant, mais ça a tenu, ça s’est assemblé. Une sorte de corps nouveau, multiple, familial, a émergé, puissant, solide, ordonné, gai et souvent rieur, tandis que s’amenuisait au fil des heures dans un hôpital ce corps que l’on croit être la seule unité de vie pour chacun de nous. Mourir c’est partir beaucoup, disait Alphonse Allais en réponse au poète Edmond Haraucourt (partir c’est mourir un peu). Mieux vaut sourire et préférer le bonheur.
(13/02/2013)

 

Incertitudes en ce moment, la vie est soumise au hasard, destin, contingences à vivre au jour le jour. Le mot « contingence », son goût de container : je suis dans un port marchand, quais de chargement, grues hésitantes, quoi charger ? Pour quelles destinations ? Ce n’est pas un mauvais rêve, simplement un songe ni bien ni mal, normal, vicissitudes d’une vie, de ces déséquilibres qui nous touchent parfois. On se tient là, comme un marin tanguant après des mois de mer, fraichement débarqué sur le béton d’un dock, les mouettes pour faire le bruit du monde qui continue. On reste immobile encore un peu, on attend sans savoir, on est inquiet, non pas dans son étymologie latine d’inquietus, aucune agitation, mais à prendre dans son sens anglais « in quiet », en paix, tranquille comme Baptiste, fataliste comme Jacques, un vague Diderot résigné en ligne de mire. A Langres, sa ville natale et la mienne, que j’ai revue la semaine dernière, on prépare les festivités pour les trois cents ans de la naissance du philosophe. 2013 sera à marquer d’une pierre blanche probablement, comme le socle de sa statue sur la place, pierre blanche comme la tristesse du marbre ou la joie des galets ramassés sur les plages, une année ordinaire, ordonnée, finement répartie entre beaux jours et grisaille.
Il y avait encore de la neige sur les petites routes qui m’emportaient vers ces lieux d’enfance (voir en Webcam). J’ai revu des endroits familiers, retrouvé d’inimitables sillons givrés, admiré des squelettes d’arbres dépouillés, croisé des calvaires de pierres fendues. Je suis arrivé parmi les miens, j’ai déroulé des conversations, ce plaisir des retrouvailles, une connivence : on me demande des nouvelles, on échange, j’entends des noms connus, des informations fraîches, de vieilles anecdotes, des lieux et des personnes que je situe. J’écoute, je parle, je souris, je suis un marin fraîchement débarqué, oscillant entre tristesse et joie, se payant le luxe d’attendre. « Je suis dans un de ces jours où je n’ai jamais et d’avenir. » disait Fernando Pessoa dans Le livre de l’intranquillité. Sur la route, entre champs gelés et villages évidés, j’écoutais justement Pessoa em Pessoas de Bevinda, vieux souvenirs, lenteur bienfaisante, fado mélancolique, saudade nostalgique exactement dans l’air du temps : to be in quiet, intranquille. Au Brésil, le jour de saudade est officiellement célébré le 30 janvier, ça tombe bien, c’est aujourd’hui.
(30/01/2013)

 

C’était un voisin, quelqu’un d’âgé, un veuf du genre qui ne s’aperçoit pas que les années passent, que les réflexes du corps deviennent plus lents, que le temps passe différemment. Il avait déjà eu des signes d’alertes : la fois où les pompiers avaient forcé sa porte, prévenu par sa fille parce qu’il ne répondait pas. Coup pour rien et la porte à réparer, tout cela parce que lui avait pris la lubie de partir en pleine nuit pour Chamonix, là où il possédait une maison, un appartement, enfin un bien, comme on dit. Il avait l’habitude de ces virées, attelait une remorque à sa voiture, mais pour emmener quoi ? Avec l’inoccupation de la retraite, les actions sont différentes, ce qui prenait sens avant se perd dans les méandres des jours. On le voyait à la messe le dimanche, il parlait bien, échangeait les habituels propos avec ceux de son âge : les morts de la semaine, les hospitalisés, les bobos des uns, les visites de la famille. Le temps passe. On se retrouve chez soi devant l’assiette à débarrasser après le maigre repas, la télé bien trop forte qui clame la litanie des mauvaises nouvelles. On se dit que le monde vraiment, a bien changé. On vaque à des occupations, à des habitudes et parmi elles, celle de toujours vouloir partir comme ça, à pas d’heure, pour Chamonix, déserter pour ailleurs, parce que c’est ainsi, qu’on l’a toujours fait. Avec le temps, les gestes sont plus difficiles, atteler la voiture, montrer dedans, circuler. On dit qu’il se déplaçait avec peine, risquant la chute à tout moment. Des alertes déjà : les pompiers. On raconte aussi qu’il avait voulu faire un demi-tour sur l’autoroute. On a affirmé qu’un jour, il avait garé son véhicule sur le bas côté et traversé les voies  à pied  pour aller à une station service en face. Il paraît que quelqu’un avait prévenu la police. Mais allez expliquer à un parent, à un ami qu’il est trop vieux pour conduire, de surcroît un ancien notable, quelqu’un qui a compté en son époque, une figure comme on dit, et aimable avec ça, qui raisonne bien, prend des nouvelles, s’intéresse… Il devait balayer l’idée, la leçon ou les reproches d’une ou deux plaisanteries. Mais Chamonix tout de même, 500 kilomètres d’un coup. On ne sait pas ce qui s’est passé. On l’a retrouvé devant sa voiture, une nuit, un rétroviseur cassé à côté de lui. On suppose qu’un camion l’a fauché, que le routier ne s’en est même pas aperçu. La voiture était garée sur la bande d’arrêt d’urgence, tout feux éteints, portes fermées, on a retrouvé les clés à l’extérieur. Tout le monde a dit : ça devait arriver. Beaucoup ont pensé, au-delà de la tristesse, que son inconscience aurait pu être plus grave, il aurait pu provoquer un accident, entraîner d’autres victimes. Ça devait arriver.
J’étais en train de lire un extrait d’Ils désertent à la librairie L’attrape-cœurs lorsque j’ai pensé à ce fait divers appris il y a peu de temps. L’extrait que je lisais est le moment où l’ancêtre gare son véhicule sur la bande d’arrêt d’urgence pour s’en aller tâter le revêtement de la route, « savoir comment c’était, s’assurer qu’elle était bien là, qu’elle existait, capable d’incruster dans la paume de la main ses irrégularités, ses graviers, quelque chose de palpable, de tangible, concret, matériel, indiscutable, indubitable, solide, effectif, établi, quelque chose d’exact, de vrai. ». Et, tout un lisant, je comprenais d’un coup comment le temps nous attrape, combien les années glissent et provoquent en nous ce sentiment d’irréel, au point que s’arrêter comme cela, au milieu de nulle part, au mépris des règles édictées est manière de se sentir encore exister. Probablement que ce vieux voisin devait ressentir confusément ce changement en lui : « Ainsi, c’est cela, l’espace, l’existence, quelque chose de réel, d’humain, une terre cultivée, patiemment retournée, et non pas ce qu’on désigne par bas-côté, bas morceau d’une vie que la vitesse rétrécit de jour en jour. Et vous avez compris tout ce qui était caché dans la peau des voyages, tout ce qui s’était trouvé étouffé dans le bruit d’une modernité. »
(23/01/2013)

 

Bilan des courses à pied : 1233 km en 2012, soit 100km par mois. Je suis précis parce que je tiens à jour un fichier Excel dans lequel j’indique ces considérations kilométriques à chaque fois que je délace mes baskets. J’y indique aussi les temps de courses, l’allure, des relevés météorologiques, bref, toute une mesure du temps par tous côtés. Par exemple, on y apprend que le vendredi 13 janvier 2012, il faisait « toujours assez doux (7°) avec un peu de soleil », que le 11 février, il faisait moins 8 sous le bonnet et l’écharpe, mais que quinze jours plus tard, j’ai couru en T-shirt à 17h, parce qu’il faisait 16°. On y apprend que j’ai couru une compétition de 10km en 53’42 mais, à Châlons, un mois plus tard, c’est deux minutes de plus qu’il m’aura fallu pour cause de canicule. Les lieux aussi sont indiqués lorsqu’ils diffèrent de mes circuits habituels. Ainsi en 2012, je serai allé quatre fois au parc de Sceaux, mais aussi deux fois à Colmar et j’aurai couru soixante kilomètres en Sicile. A partir de septembre, j’ai emporté mes baskets dans les salons du livre et autres SAV d’« Ils désertent » : couru à Nancy au parc de la pépinière, à Brive le long de la Corrèze, à Besançon dans les boucles du Doubs, à Toulon sur la plage de Mourillon. J’ai aussi réussi à caser un semi-marathon à Reims pendant cette période active. Toutefois, en fin d’année, les sollicitations ont eu raison de ma régularité : cinquante kilomètres en décembre seulement. J’ai compensé toutefois avec 24 kilomètres de marche rapide. Autant j’avais pris jusqu’alors l’habitude de courir seul, autant cette année, je me suis souvent entraîné en famille et cette diversité de rythme est un vrai plaisir.  En relisant d’ailleurs ce fichier, je suis surpris de toutes les activités annexes à la course à pied que nous avons effectuées en plus : marche avec bâtons, randonnées à Oman, vélo jusqu’aux plages de ma région. Et si en ce début 2013, j’accuse déjà un déficit de 10 km par semaine pour tenir le même rythme de course à pied, nous avons marché plus de 30 bornes supplémentaires. En regardant la neige tomber aujourd’hui, je me prenais à rêver de balades en ski de fond comme il y a trois ans. Qui sait ?
(16/01/2013)

 

Chers amis de Feuilles de route : c’est comme cela que débutent tous les messages envoyés à ma liste de diffusion depuis la création de celle-ci, en 2002. Dans le contexte de l’époque, avant le web 2.0, la liste de diffusion était le seul moyen de tenir au courant ceux qui désiraient l’être de l’évolution d’un site Internet. On parlait alors de site Internet et non de blog, lesquels étaient encore dans les langes, tandis que  Marc Zuckerberg, du haut de ses dix-huit ans ne rêvait pas encore de Facebook et que Jack Dorcey n’imaginerait Twitter que 4 ans plus tard. Donc, « Chers amis de Feuilles de route » et « amicalement », c’était la formule consacrée pour encadrer la rubrique actualité qui précisait la mise à jour hebdomadaire (enfin presque…). La procédure n’a pas varié d’un iota en dix ans. Bien sûr, sous les quolibets des informaticiens et spécialistes du web pour qui l’immobilisme est la mort de tout, j’ai vaguement tenté par la suite d’ajouter un fichier RSS, visible en page d’accueil pour les fanatiques des mises à jour automatiques. Mais j’ai continué à envoyer mes messages aux « chers amis », à signer « amicalement », et, à chaque envoi, depuis dix ans, je ne passe pas quelques secondes à réfléchir à l’importance de chacun de ces mots et au sens du celui d’amitié. Et voilà qu’à mon retour de vacances, en août dernier, le serveur qui diffuse ma liste a donné quelques signes de défaillance. Je ne recevais plus un exemplaire de mes messages sur mon adresse témoin et je me suis aperçu que 10% des abonnés seulement les obtenaient. Pire, certains étaient désappointés de ne plus être tenus au courant. Malgré quelques missives d’alarme, ce problème n’avait pas été corrigé efficacement. Aussi, je me suis résolu à contre cœur de fermer cette liste de diffusion, devenue liste d’infusion après avoir été liste d’effusion depuis tant d’années. C’est ce que j’ai donc annoncé dans ce que je croyais être le dernier message après plusieurs centaines envoyés. Et, quelle ne fut pas ma surprise de m’apercevoir que le fonctionnement était redevenu aussi normal qu’avant l’été : 90% des messages ouverts… Peut-être que l’alerte envoyée en dernier recours à mon gestionnaire de liste a eu quelque écoute ? Mystères informatiques…
Donc, vous l’avez deviné : je vais continuer à envoyer chaque semaine un message de mise à jour. Je remercie tous ceux qui m’ont envoyé des courriels sympathiques à la suite de ma décision de fermer la liste. Et qu’ils sachent, comme les autres, que je vais continuer de polluer leur boîte aux lettres ! Bien-sûr, en dessous de chaque message, on a un lien avec la possibilité de se désabonner de la liste. De même, ne pas hésiter de me faire signe également par retour de mail. Quant à ceux qu’une telle liste si confidentielle intéresse, on peut s’abonner (et se désabonner) en haut de la page d’accueil, juste à côté d’un petit moteur de recherche interne très utile pour extraire quelques mots-clés dans la mémoire de mon fouillis de page de douze ans d’existence. A très bientôt, « Chers amis de Feuilles de route » et « amicalement ».
(09/01/2013)

 

Le vieux chat qui avait élu domicile dans notre jardin est mort. Enfin, vieux, pas tant que ça : six ou sept ans selon le vétérinaire qui a fini par écourter sa vie, mais prématurément usé par des années d’errance. J’avais déjà parlé par ici (le 25/09/2012 ) de ce matou sauvage qui traînait la patte. Au début du printemps, lorsque nous nous étions aperçu de sa présence timide dans la haie, nous avions pensé à un animal heurté par une voiture. Nous avions fait le tour des voisins, sans succès. Nous lui avions apporté à manger, nourriture qu’il prenait craintivement dés que nous nous éloignions. Nous aurions aimer l’approcher et montrer sa patte folle à un vétérinaire mais la pauvre bête ne se laissait pas approcher. Au bout de quelques semaines, nous avons compris qu’il resterait définitivement ici puisque nous lui fournissions le gite sous la haie et le couvert dans une gamelle : il n’avait aucune raison de s’éloigner. L’occupante habituelle du jardin, notre chatte de quatorze ans, avait même fini par tolérer celui que nous nommions maintenant le chat-roumain. C’était l’époque, juste avant l’été, où la télé montrait notre gouvernement tout neuf démantelant les camps de tsiganes sans état d’âme. Roumain, un nom qui lui allait bien, semblant camper de façon provisoire sous une haie, toujours sur le qui-vive et à la merci d’une expulsion. Et puis nous nous sommes habitués réciproquement l’un à l’autre, de la même manière qu’on admet parfois nos différences d’humains. Ici, un mot gentil en lui tendant sa gamelle et ses croquettes, auquel il répondait par un clignement d’œil à l’ombre de ses thuyas. A la télé, Valls précisait : « nous n’accepterons jamais les campements sauvages qui mettent en cause le vivre ensemble. ». Au même moment, les habitants d’une ville du Nord s’opposaient à la construction d’un village d’insertion. Aux mauvais jours, j’ai fabriqué un abri avec deux cartons, pensant avec pessimisme que chat-roumain n’irait jamais s’abriter sous le balcon où je les avais déposés. Beau démenti : il a adopté de suite cet abri de fortune. A la télé, le 29 novembre, Amnesty International sommait le gouvernement de mettre fin aux expulsions de Roms. Deux jours plus tard, il gelait lorsque je suis allé courir, j’avais des gants et un bonnet. Le froid et la pluie qui fouettait parfois le fragile édifice, m’ont incité à doubler le carton par une véritable niche en bois, fabriquée à l’aide d’éléments d’une vieille cuisine en mélaminé blanc, bref, une cabane grand luxe, avec même une porte réglable, à la manière d’une chatière. Aménagé avec couverture et coussin, l’animal s’est replié dans ce mobil-home inespéré, encore plus indifférent aux hérissons qui continuaient de piller sa gamelle. Car je ne l’ai pas encore raconté : la nourriture quotidiennement disposée depuis le printemps avait attiré nombres d’hôtes dont nous ne soupçonnions même pas l’existence dans notre jardin. Des merles et même un rouge gorge sont venus à la fois s’abreuver et picorer les croquettes. Mais les plus assidus ont été une famille de trois hérissons qui venaient à la tombée de la nuit, à un tel point que j’ai retrouvé chat-roumain un soir, miaulant de détresse et de faim, n’osant pas approcher cette compagnie piquante qui mangeaient sans vergogne et à grands bruits son repas. En rajoutant une gamelle supplémentaire, tout ce petit monde finalement a bien cohabité. A l’approche de Noël, la douceur n’incitait pas les hérissons à hiberner et un équilibre bonhomme s’était installé. Le 15 décembre, je photographiais chat-roumain fièrement campé devant sa caravane. A la télé, le 17, on passait sous silence l’expulsion de quelques familles dans un hangar à Grenoble. Je n’ai pas fait vraiment attention quelques jours plus tard lorsque j’ai remarqué que le chat sortait de moins en moins de son abri. Il était malade, je l’ignorais, et j’avais mis cette apathie sur le compte de sa timidité légendaire. Lorsque nous sommes revenus après quelques jours de vacances familiales pour le réveillon, j’ai remarqué qu’il n’avait pas mangé ce qu’une voisine bienveillante lui portait pourtant tous les jours. J’ai regardé à l’intérieur de son abri. Il était bien là, mais replié au fond de son refuge. Le sortir de là, n’a pas été une mince affaire, jamais il ne s’était laissé approché. Amadoué par de la nourriture fraiche, nous l’avons enfin vu sortir en titubant, littéralement décharné et dans un état pitoyable. Probablement atteint d’une forme aigue et rapide de coryza, le vétérinaire n’a rien pu faire. Je l’ai déposé dans le jardin de mon beau-père, couché en rond dans un endroit tranquille, semblable à celui de Paul Léautaud. C’était la première fois que j’enterrai un animal depuis le fameux poisson rouge dont j’avais fait une nouvelle dans Bestiaire domestique. Curieusement, j’avais lu ce texte que j’aime beaucoup à deux reprises lors des rencontres des Petites Fugues le mois précédent : « Creuser juste à droite entre la croix et la vieille grille racloir en fer à côté des fraises sauvages aux beaux jours… ». A la télé, pas de nouvelles des roumains de Montreuil dont l’expulsion était prévue ce matin à 6h.
(02/01/2013)