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Notes d'écriture 2007
 

L'année 2007 est en passe de se terminer. Côté littéraire, elle fut bien remplie : publication de 1937 Paris-Guernica en mars et CV roman en septembre. Côté boulot aussi : la reprise du travail en mai après un congé formation a vite largement débordé tout azimuth. Et côté des "à côtés" aussi, l'année a été profitable : Licence de Lettres Modernes en juin et Master entamé en septembre avec un peu de mal mais je surnage pour l'instant... Revenons côté littérature : 2008 va débuter aussi sur les chapeaux de roues, quelques séances d'ateliers d'écriture et manifestations diverses sont déjà prévues, Clermont Ferrand en janvier, Bron en février, Dijon jusqu'en avril sans compter les incessants voyages pour le boulot sur les terres de Champagne, de Picardie ou du Nord (voir en Webcam, c'était l'Aisne, les 6 et 7 décembre et j'y étais encore jeudi 13 et la veille, mercredi 12, c'était à Douai...).
Cependant, le tableau aurait été incomplet si je n'avais pas mis la dernière main à ce qui m'importe au fond plus que tout, l'achèvement d'un nouvel écrit, un manuscrit donc. J'ai marqué, comme je le fais parfois sur mes tapuscrits maintenant, le lieu, la date de début et de fin de l'écriture. C'est juste un usage interne et cela n'apparaît pas dans l'édition (quand il y a édition). Outre leurs caractères facultatifs, j'ai du mal à retrouver ces mentions qui sont aléatoirement disposées sur des versions parfois numériques, parfois imprimées, l'une et l'autre disparaissant dans les profondeurs des disques durs ou celles de mes placards et étagères. Je ne me souviens pas de l'avoir indiqué pour CV roman, cela aurait été difficile, l'écriture s'étant étalée de 2004 à 2007 pour les dernières finitions avant parution et les lieux d'écriture de ce vaste machin trimballé partout ont été multiples au gré des errances d'alors : ma ville bien sûr, mais aussi d'autres lieux comme Besançon (et la table lumineuse de l'appartement d'Anne-Marie, partie depuis pour de nouvelles aventures livresques - petit signe d'amitié et à bientôt qui sait !). Pour 1937, j'ai retrouvé une version où j'indique que le récit a été écrit à "Saint-Dizier, France - Viagrande, Sicile : 26 avril 2006 - 15 août 2006". Il est vrai qu'une écriture ramassée sur quelques mois aide plus à la précision (et comme j'avais de surcroît tenu a débuter le récit prévu à la date d'anniversaire de Guernica, c'était facile.)
J'agis ainsi sans doute par imitation d'un de mes auteurs fétiches et tonton d'adoption, René Fallet, qui faisait de même. Il faut dire qu'un naturel assez paresseux le faisait écrire rapidement un premier jet sur quelques semaines. Contrairement à moi, ces paratextes, comme le dirait Jean Genette, sont reprises sur les éditions finales. Ainsi on apprend en ouvrant ses livres que Paris au mois d'Août a été écrit à Paris (bien sûr) mais en février-mars 1964. Cette habitude a été prise dés son premier livre Banlieue Sud-Est : Villeneuve-Saint-Georges, 27 octobre - 25 décembre 1947. Soit deux mois pour 360 pages et à dix-neuf ans... C'était prometteur...
Pour en revenir au bouquin que je viens de terminer, j'ai indiqué Saint-Dizier, 4 janvier 2007- 10 décembre 2007. En réalité, la date du 4 janvier est la date de sauvegarde de la toute première version, quelques pages seulement, mais je me souviens avoir débuté ce roman dans les tous derniers jours des vacances de Noël (ou les tous premiers jours de l'année). Et le 10 décembre, c'était lundi matin de la semaine où j'écris cette rubrique. Onze mois pour un machin qui a la taille presque exacte que CV roman, 350 pages au final, une pointure semblable à ce que René Fallet avait écrit en deux mois. Mais les multiples activités déployées dans la journée ont fait grandir petitement l'ouvrage, généralement au détriment des heures matinales de sommeil où l'oeil à peine éclos, j'allumais en baillant l'ordinateur. De ces séances régulières mais morcelées sur onze mois de six à sept heures, j'ai eu l'impression en terminant le récit ce 10 décembre que l'ensemble était décousu et sans histoire. Une sorte de bâtiment construit à la va-vite, du gros oeuvre et pour les finitions, on verrait plus tard. Le plus tard est venu deux jours après, j'avais tout relu, corrigé, repris, replâtré, enduit les murs : ça se tient. Cela ne veut pas dire que ce sera publié, c'est aussi à mille lieues de ce que je fais habituellement, c'est plus comme "La Réserve" (mais qui compte d'ardents défenseurs), c'est une plus une farce, une galéjade, un roman picaresque de petite vertu. Un truc non pas sans prétention car de la prétention et de l'orgueil j'en ai  revendre, quelque chose donc qui pourrait être un conte, qui est "la sagesse de l'humanité", comme m'a dit ma principale conseillère-attachée de presse-bis-auteure en vue au jugement très sûr. Va pour le conte.
En relisant ces notes de l'année, tout en bas de cette rubrique j'avais écrit le dix janvier que
 "Trois, quatre histoires ébauchées mais deux survivent mieux que les autres : nous testerons leur résistance...". C'est fait. En route pour 2008 !
(19/12/2007)
 

 

La vieille image de l'écrivain installé dans la solitude de sa table de peine n'est pas pour moi. Longtemps que j'ai compris que tout devait se mélanger. Mes premiers écrits, réguliers je veux dire, c'était pendant les siestes de ma fille toute neuve. L'apprentissage des couches et des biberons se doublait de celui de l'ordinateur de bureau nouvellement acquis, un Thomson avec disque dur de vingt méga-octets, alors à la pointe du progrès, il y a vingt ans. Décidément, dés le départ, la posture de l'écrivain avec plume d'oie n'était pas pour moi. J'ai mélangé les lieux d'écriture à la maison, lieux de passages où je continuais à écrire tout en suivant une conversation familiale. C'était le seul moyen de glaner du temps dans l'implacable course des journées. Le travail, nourricier s'entend, s'est trouvé aggloméré à tout cela mais cependant bien distinct : le bureau d'une part, le domicile de l'autre. Avec la venue de l'édition, quand j'ai pu réunir les deux caractéristiques qui fabriquent à mon sens un auteur dans la définition du Petit Larousse, c'est-à-dire quelqu'un qui écrit et qui publie, je me suis trouvé en compagnie de ce deuxième métier, écrivain, sans que j'arrive à choisir l'un au profit de l'autre, et ce, jusqu'à présent et malgré des hésitations. C'est déjà un choix économique, l'écriture ne nourrit pas son homme et encore moins sa famille, mais surtout j'ai besoin de l'un et de l'autre, le travail nourricier avec ses contacts, ses projets, ses implications, sa participation au monde, et l'écriture avec ce qu'elle m'apporte comme manière de résumer, étendre, diluer ma vie réelle, projeter rêves et chimères, bref, une autre manière de rentrer dans l'univers, un peu par effraction. En quelque sorte c'est l'alliance de la carpe et du lapin, le mariage du romancier au "cadre dans les télécommunications" comme il est dit sur mes quatrièmes de couverture.
Avec le temps, je me suis néanmoins constitué un endroit solitaire à la maison, une belle pièce lumineuse au rez-de-chaussée, avec vue sur le jardin et munie d'un bureau style Louis XVI en merisier, un invendu relégué chez un ébéniste et pour lequel j'ai eu le coup de foudre. Donc, par moment, oui, je pourrais donner l'illusion de l'écrivain attablé à ses livres dans l'imagerie classique, gravure XIX° siècle d'un Jules Verne,d'un Flaubert ou d'un Balzac (qui aurait croisé Perec, comme le dit très gentiment à mon sujet Christine Rousseau dans un article du Monde). Mais la modernité nous a rattrapé. Et même, j'ignorais, il y a vingt ans, en découvrant la grosse machine informatique et les premières versions d'un Windows préhistorique, que je poserai sur le cuir de mon bureau, ce petit ordinateur d'un kilo et demi, mille fois plus puissant et relié au monde entier par Internet.
Et tout s'est joué justement avec Internet, tout s'y joue encore et de plus en plus, le métier nourricier et le métier de l'écriture, la famille et le boulot, tout arrive dans le petit écran plat. J'ai mélangé depuis longtemps mes messages personnels et professionnels. Ce qui me permet, quand je suis au boulot, de répondre à une connaissance familiale mais aussi l'inverse. A l'heure où l'on se crispe sur des acquis sociaux, des normes intangibles de 35 h par semaine, 37 ans et demi pour avoir droit à la retraite, ces comptes me paraissent tellement irréels dans le mélange cacophoniques de nos vies. Je travaille à domicile, j'écris au boulot. Je pratique à outrance le cumul des emplois que l'EN a l'air de vouloir régenter (voir Emmanuelle Pagano), je nage ainsi dans le courant d'une société de zapping frénétique auquel personne n'échappe.  Et plus encore : alors que j'ai longtemps fait figure d'original dans la façon de mener de front toutes mes activités, le phénomène s'est amplifié et répandu partout. Et il suffit, comme en ce moment, d'un projet professionnel important pour que les échanges de messages de travail débordent largement les plages habituelles et s'accumulent les samedis, dimanches, aux heures tardives et de toutes provenance, assistants, coopérateurs, correspondants, chargés de missions diverses... Et on y répond, samedis, dimanches, heures tardives pour gagner encore un peu plus de ce foutu temps, on ne s'embarrasse plus d'horaires, c'est ce collègue par exemple dont on interrompt la conversation à 20h30 car on a prévu de se rendre au théâtre. Je ne compte plus les heures, on ne peut plus le faire dans ces conditions, cette semaine, c'était combien ? Dix, douze heures au bureau et combien en trajet, combien à domicile ? Parfois je mesure comme aujourd'hui la chance d'être chance à la maison, une journée complète, repos après le bon millier de kilomêtres avalé en quatre jours, mais combien d'heures passées sans s'en apercevoir en répondant, ici à un message, là à un coup de fil. Travailler à domicile, écrire au boulot, tout se mélange, jusqu'à l'appellation de "bureau", identique à mon domicile ou à mon lieu de travail.
Pour corser le tout, j'ai commencé un mémoire universitaire sur la "littérature du travail", comme je l'ai qualifiée car il faut bien un terme générique mais forcément, ces deux mots paraissent factices et illusoires, mixés dans le grand creuset du quotidien. Cette occupation est cependant riche d'enseignement et ce n'est pas par hasard qu'un "courant réaliste" (comme le dit encore l'article du Monde)  apparaît régulièrement dans la même veine. Littérature et travail, écriture et entreprise, travail nourricier et simple gribouillage, c'est peut-être parce que justement la frontière est poreuse qu'elle laisse passer de plus en plus d'écrits sur le sujet. CV roman, n'est peut-être pas le dernier volet d'une trilogie commencée avec Central et Composants, il me faudrait écrire justement sur cette porosité, ces mélanges, l'e-mail écrit au travail pour souhaiter ici un anniversaire, la conversation téléphonique professionnelle à la maison sur fond d'aspirateur, les trajets qu'il faut pour se rendre dans tous ces lieux de vie. A suivre donc...
(28/11/2007)

 

Je n'ai pas trop d'appointement avec la philosophie. Prise de tête, comme dit la génération qui m'a suivi. J'ai loupé mon bac à cause d'elle parce que l'examinateur s'était endormi devant moi à l'oral, il y a bien longtemps, j'espère d'ailleurs qu'il s'est réveillé depuis. Qu'on puisse faire de la philo une matière scolaire est déjà tout un état d'esprit qui en dit long sur la philosophie de la philo. Bref, c'est le genre de matière où l'on peut théoriser à l'infini dans des jeux de miroirs, mise en Abymes successifs. Penser, est-ce dire non ? C'était le premier sujet de philo de mon fils. Ne croyez pas que la réflexion fut vide, nous nous sommes emportés tous deux avec passion dans l'élan de Descartes, Nietzsche, Platon, je connais mes classiques, voyez-vous. Simplement, je suis plus adepte de la philosophie de comptoir à la René Fallet, disons pour faire court une philo de langage où la truculence le dispute aux idées, ce qui ne date pas d'hier et Rabelais est là pour nous le rappeler. Penser, donc, est-ce dire non ? Ben oui, et le fameux schéma à trois bandes qui prévaut dans le carcan universitaire (thèse antithèse, foutaise) nous a aide à délayer toute réflexion sur n'importe quel sujet philosophique. Penser est-ce dire non ? Jouissance des idées, masturbation de la tige pituitaire, comme aurait dit un ami médecin, et le Vulgaris Médical nous apprend que c'est ce qui relie l'hypothalamus à l'hypophyse. On pourrait continuer à l'infini ces pédanteries, c'est aussi une vue de l'esprit, donc une philosophie et j'ai affirmé que je préférais la philo pratique à la pratique de la philo. L'exemple en la matière que j'admire pourrait être Muriel Barbery, dont la connaissance philosophique s'est impulsée dans L'Elégance du hérisson sous la forme de Renée, une concierge, sorte de nouveau Diogène, dont elle se débarrasse à la fin du livre en lui donnant une mort digne de Roland Barthes. Son forfait accompli et avec le succès que l'on sait, l'auteure préfère disparaître pour un tour du monde au lieu de continuer à surfer sur une vague médiatique, ce que la plupart des écrivains aurait fait, trop contents de l'aubaine. Ce qui s'appelle en quelque sorte, mêler la théorie à la pratique de la philo et croyez-moi, il faut du cran, même avec un compte en banque rempli, pour tout larguer et partir avec comme seule maison un sac à dos. Dans le genre pratique de la philo, nous avons aussi BHL dont j'ai parlé la semaine dernière, mais l'auteur de Ce grand cadavre à la renverse m'attire que pour la poésie des mots du titre, encore donc la philo de langage, donc. Ce philosophe possède l'inconvénient d'être médiatique, ce qui est en soi une chose pas forcément mauvaise, faut voir, on pourrait étudier cela comme concept sous la forme classique en trois parties chacune composées de trois sous-parties, elles mêmes comportant trois...Et Bourdieu qui est sociologue l'a bien analysé dans Les Règles de l'art, ah, mais zut, il ne faut pas confondre, Bourdieu est sociologue... Bref, il reste aussi Michel Onfray, qui occupe et revendique le terrain médiatique des idées et d'ailleurs n'a-t-il pas soutenu José Bové aux dernières élections, ce "doux" rêveur au programme garanti sans OGM. Et donc Michel Onfray dans le Lire de ce mois, propose son petit dictionnaire où je trouve une définition du "ressentiment" particulièrement intéressante : "Plus le temps passe, plus je mesure combien le ressentiment joue un rôle majeur dans la marche du monde. Le ressentiment et avec lui ses variations: jalousie, envie, méchanceté... La forme la plus stupéfiante est celle que prend la haine de celui qu'on aura aidé. Longtemps je n'ai pas saisi les mécanismes de cette affaire et je ne comprenais pas ce qui avait bien pu se produire pour que des gens que j'avais aidés (par un conseil auprès d'un éditeur, un coup de pouce ici ou là, une visibilité que j'organisais dans mon sillage à leur intention, une publication commune, un poste médiatique que je refusais après avoir donné un nom qui pourrait faire l'affaire...) et qui, soudain, du jour au lendemain, se fâchaient et devenaient de violents opposants."
Voilà qui est dit, on ne peut qu'être d'accord, on a chacun nos exemples. Et c'est peut-être cela la philo moderne : affirmer quelque chose, une évidence qui ne peut-être contredite, modifiée que si on respecte la règle académique (des trois parties) et que ce discours puisse être repris, discuté à l'infini comme ces anciens couvercles de boîtes de Vache qui rit qui décuplaient à l'infini le même couvercle accroché en guise de boucle d'oreille au bovidé rigolard. Le rire est le propre de l'homme, professait Rabelais
. On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde, disait Pierre Desproges et Une journée où l'on n'a pas ri, est une journée perdue, renchérissait Voltaire : ce doit être cela la pratique de la philosophie.. Je hais les gens sales et les pleurs et j'ai lu Le Rire du philosophe Bergson, ce doit être cela la théorie.
(14/11/2007)

 

Evidemment, l'année est politique, pas la peine de s'appeler Madame Irma et sa boule de cristal pour vérifier ce que j'avais annoncé et qui semblait évident dans ma note d'Etonnements du 10/01/2007. Ainsi, , le nouveau livre de Bernard-Henri Lévy évoque la phrase que Jean-Paul Sartre a placée en préface d'Aden Arabie de Nizan, en 1960, et qui faisait référence à une gauche moribonde. Et le livre de BHL évoque également la période que nous venons de vivre avec les élections présidentielles. Soit.
Mais quand j'ai entendu cette expression magnifique au demeurant, forte et quasi-poétique, j'ai plutôt avalé cette formule pour ce qu'elle véhicule d'image et d'énergie. Et dans nos vies modernes faites du zapping des idées et des actions, je suis passé à autre chose. Vaguement ai-je pensé à Grand corps malade qui a du passer à la fête de l'Huma tandis que j'y étais aussi. Même vision forte et qui sonne de même comme un haïku japonais. Ce n'est qu'après que j'ai entrevu ce à quoi précisément la phrase me faisait penser. Bien sûr ! Ce grand cadavre à la renverse est le personnage qui figure au bas du tableau Guernica, celui que, selon les spécialistes, on interprète parfois comme une statue chavirée. On pense à ces idoles de pierre basculées à l'effigie de Staline  (et le portrait que Picasso effectue à la mort du même homme en 1953, tant décrié, peut-être aussi un renversement de l'histoire...). Ou plus près de nous aux statues de Saddam basculées de leurs piédestals dans les arrangements médiatiques pour que ces images fassent le tour du monde. Tous, grands cadavres à la renverse. Symboles.
Sans faire figure de spécialiste, j'en connais un rayon sur la réalisation de ce tableau puisque c'est une des histoires que je raconte dans 1937 Paris-Guernica. Ce grand cadavre, peu importe qu'il soit ou non statue, représente le seul personnage humain et masculin, sorte de guerrier déchu à l'épée brisée, seul homme parmi Maria, Dolorès, Lucia et Clara, les quatre femmes du tableau que j'ai baptisées ainsi dans mon livre. La valse des symboles le trouve à sa place, grand cadavre foulé au sol par le taureau censé représenter la barbarie, enjambé par le cheval au regard fou qui désigne, paraît-il, l'Espagne. Mais c'est le mouvement de Picasso en train de peindre qui m'intéresse plutôt que l'explication statique de ce que nous y avons vu a posteriori. En fait, le grand cadavre n'a pas toujours été à la renverse dans l'élaboration du tableau. C'est même un des derniers détails qui change, ou du moins le plus marquant. Je l'ai évoqué rapidement dans le livre ("Le visage de l’homme couché en bas du tableau, face contre terre et qui semblait vouloir sortir du cadre, rouler à chaque instant sur le sol de l’atelier est retourné maintenant, c’est une des dernières modifications". p65). J'aurais pu insister. Pour quelles raisons Picasso a-t-il changé son personnage ? Question de cohérence et d'équilibre ? L'homme mort, grand cadavre ou agonisant encore, est resté face contre terre pendant les deux mois d'élaboration de Guernica, fixant de ses yeux vides les tommettes maculées de peinture du fameux atelier des Grands Augustins. Ainsi tourné autrement, il semble regarder la sauvagerie du tableau de l'intérieur. Il fixe même l'étrange et banale ampoule électrique, comme dans une scène "d'intérieur", un des derniers détails que le peintre à également modifié : ("Puis, monté sur l’escabeau, il dessine la douille d’une ampoule dans son détail, jusqu’à son filament d’incandescence et c’est une lumière, une lampe, en haut de la toile, un banal abat-jour qui s’allume, semble s’accrocher à une poutre de l’atelier. Et la composition prend un tout autre chemin, un autre sens. Etrangeté de cette scène qui se passe à l’extérieur et pour laquelle on feint l’intérieur, comme si on ne devait jamais plus revoir le ciel. Mélange de nos angoisses, absolue peur du noir. Tout ce que l’on veut cacher, garder à l’intérieur, nos peines, nos morts, nos souvenirs, nos visages ravagés par le chagrin, la souffrance – la dureté de ce tableau – tout ce qu’on veut éloigner du grand jour dans un réflexe de pudeur, de convenance, tout ce qu’on veut taire, les grandes douleurs sont muettes, tout devient visible, l’ombre chassée, tout crie, hurle, banalité, tranquillité des scènes d’intérieur, tout est éclairé sous le simple dessin parfait d’une ampoule électrique : merveilleux des arts et des techniques appliqués à la vie moderne", p58). Si j'ai placé cette long tirade, issue de mon livre, c'est qu'elle me semble emblématique de cette année 2007, qui, à bien des égards, ressemble à 1937. Je l'avais évoqué à sa parution en mars 2007. Ce sont nos peurs grandissantes qu'on a voulu extraire cette année. Il reste, après les élections présidentielles, donc quelques mois plus tard, la banalité, la tranquillité des scènes d’intérieur et nous continuons à fixer les ampoules comme de grands cadavres à la renverse.
(04/11/2007)
 

 

A la gare de l'Est, ce vendredi 26 octobre (voir en rubrique Webcam du  même jour), j'avais un peu d'avance et j'ai donc traîné dans une des boutiques Relay qui relaient magazines et livres (mais jamais les miens). La gare de l'Est a maintenant terminé son relookage (pour faire "in") mis en place afin d'accueillir convenablement le TGV.  Les boutiques qui avaient déménagé le temps des travaux ont retrouvé de vastes espaces flambants neufs. Ainsi cette librairie Relay. Quelque chose m'a cependant surpris sans que j'y fasse attention : les vendeurs avaient des chapeaux de sorciers, j'ai vaguement pensé qu'Halloween devait être proche et qu'il fallait que je pense à faire provisions de bonbons pour les gosses du quartier qui ne manqueraient pas de sonner à ma porte. Ce n'est que le soir que j'ai réalisé ma méprise : en réalité ce n'était pas Halloween que l'on fêtait mais la sortie du dernier tome d'Harry Potter, costumes de sorciers donc obligatoires. Mes enfants ayant déjà lu cet été les aventures du héros anglais dans sa langue originale (c'est déjà ça), je n'avais pas été sujet aux pressions marketing d'acquérir le nouveau volume le jour même de sa traduction française. Bref, c'était un non-évenement.
Par contre, ça m'a fait pensé à la sortie de CV roman encore toute proche en août dernier. Après tout, moi aussi je peux me vanter d'avoir eu un marketing parfaitement orchestré avec costumes et tout et tout : les libraires qui auront vendu des piles complètes de mon lourd volume étaient habillés en vrais libraires conformément à leur CV. Et même mieux encore, les clients avaient fait l'effort de s'habiller en vrai clients pour venir acheter mon livre, tout comme mon livre propose de vrais personnages. Je suis d'ailleurs certain qu'il y avait même errant dans la gare un clochard "dans son univers informe, visage d’inexistence" ou un ouvrier en "en cotte bleue constellée de taches de peinture" (p 327) et sans doute qu'un Ministre pressé (peut-être le même qu'en note d'Etonnement, cette semaine) avait fait l'effort de pousser le détail de "boutons de manchettes en or rehaussé d’une fine perle, chic et de bon goût " comme à la page 255. Harry Potter n'a qu'à bien se tenir, je suis le roi de la publicité.
(31/10/2007)

 


Central
, Composant et CV roman. Je pensais en avoir fini avec le thème du travail, de mon boulot, de l'entreprise. Trilogie d'une réalité mais le réel est bien le travail qui continue et justement, c'est presque comme plonger dans CV roman, ce jour en revenant de Charleville, identique à la page 123 : "Cette route des Ardennes est connue : on l’a déjà parcourue en été, dans la clarté nette des formes, en d’autres mois, dans des paysages estompés de nuages, balayés d’essuie-glace. La mollesse du trajet se ranime pourtant à chaque fois au même instant et c’est Arthur Rimbaud qui s’invite à l’approche d’Attigny. Le hameau de Roche est voisin, on dit qu’il y fut écrit "Une saison en enfer". C'est drôle ces romans qui prolonge nos vies et nous qui continuons ces romans dans nos pensées.
En ce moment j'ai le temps de penser parce que je me déplace beaucoup : en une semaine ce sera 1500 km de routes, chemins de traverses en tout sens dans ce grand Est brumeux d'octobre : Les habituels Saint-Dizier, Châlons, Reims ou Charleville mais aussi Laon que je découvre, perchée, princesse de pierre endormie sur son rocher. Il y aura aussi Troyes et ses environs que je connais bien et Liancourt, petite bourgade de Picardie que j'imagine déjà au milieu des champs de betteraves entre Compiègne et Clermont. De quoi penser donc, pendant les vingt heures de trajets que tout cela prendra, autoroutes désertes et monotones, routes encombrées à rester derrière un camion slovène ou la camionnette d'un plombier du coin. Il n'existe pas d'autre moyens que la voiture pour parcourir ces campagnes. Tous les trains voguent vers Paris (d'ailleurs je vais aussi demain à Paname, j'avais oublié de rajouter cette destination à mes tribulations) mais en dehors quand il faut rejoindre les capitales régionales, les héritières des grands duchés, c'est tout un poème, aussi paumé, aussi difficile que Roche et ses saisons en enfer. J'avais essayé, une fois, de parcourir Dijon Saint-Dizier par la SNCF : je pouvais partir mais 17 heures séparait le train d'arrivée de celui du retour, alors on prend la voiture car c'est 2 heures de trajet. Le Grenelle de l'environnement qui se tient en ce moment devrait prendre en compte ce tissu de transport en commun qui ressemble, hormis Paris, à une guenille. Et que dire de ces déplacements professionnels qu'on ne taxe jamais aux entreprises, que je limite pourtant au maximum mais, si j'écoutais ma hiérarchie, ce n'est pas 1500 km que je ferais chaque semaine mais 3000,  trente cinq à quarante heures de trajet, la même durée que celle, légale, du travail. C'est cela la réalité, justement du boulot, celle que je trouve encore le temps de tracer dans les livres parce que c'est bien ce à quoi on pense pendant ces heures creuses, coincé derrière la grande télévision monotone du pare-brise : et c'est pour cela que c'est bien en note d'écriture que s'inscrit ce billet.
Alors fini, la trilogie sur le boulot ? Les Central, Composant et CV roman ? Rien n'est moins sûr pour qui veut dépeindre avec fidélité un réel concrèt, sans ambage. Tiens, c'est une idée, le prochain livre sur le sujet pourrait parfaitement rendre compte de ces heures perdues dans l'apathie, sur des routes hypnotiques, avec la fatigue qui se rajoute aux 35 heures, elles, parfaitement effectuées au bureau, devant un ordinateur, statiques, parfois dépassées dans cette durée, compressées, pesantes et qu'on quitte pour reprendre la route, quelques heures de trajet à la poursuite d'un rendez-vous de travail, pour la participation à une réunion. Et les retours tardifs dans la lueur des phares, la ronde incessante des camions polonais, tchèques, allemands, belges, italiens, et tous ses véhicules de société dont le mien, toutes ces entreprises qui se moquent comme de l'an quarante des Grenelle de l'environnement et du dépassement des 35 heures qui n'ont de toute façon jamais existé. On me demande de remplir à posteriori un tableau de service ou je déclare en quelque sorte, code du travail oblige, que je ne dépasse pas la durée légale de onze heures par jour. Oui, oui, bien sûr... CV comme conduire vite, courser la vérité. Par moment, je me demande comment j'arrive encore à rejoindre chaque soir ou presque mon domicile. C'est tout cela qui reste à écrire sur le travail, avec un personnage qui ressemblerait à Dustin Hoffman, excellent de vérité, dans le film tiré de Mort d'un commis voyageur, d'Arthur Miller.
(24/10/2007)

 

Question critiques, je suis plutôt du genre coulant et fataliste, comme le Jacques de Diderot : ce doit être notre lieu de naissance commun, Langres, qui nous a rendu philosophe. En gros, toute critique est bonne à prendre, surtout les favorables ! J'adore les compliments, et, sans avoir un orgueil démesuré, j'aime quand on m'écrit par exemple, comme ce mail de ce matin : "bravo pour CV roman... J'ai beaucoup aimé ce tressage à n (je ne sais plus combien de) brins dont un explicitement autobiographique mais jamais narcissique ni autofictif ;). C'est aussi ce que j'avais aimé dans Central. J'y retrouve cette patte délicate (pas du tout sens précieux mais soigné et fin)", ça me fait très plaisir et je ne boude pas ma joie.
De la même manière, les critiques moins bonnes, voire négatives, ne provoquent pas en moi un émoi disproportionné. Je ne suis pas du genre à piquer une crise de nerfs ou me jeter avec une pierre au cou dans la Marne ou dans la Seine. Elles m'interrogent et j'essaie d'y puiser des vérités ou, à défaut, des enseignements.  Ainsi, la dernière en date n'y allait pas par le dos de la cuillère : "J'ai tenté les 50 premières pages... Alors le gars il sait écrire, du style faire de belles phrases bien profondes, bien creusées, bien réfléchies...Tout ça sur un cv. 300 pages ? ouais pas loin. La forme est trop parfaite. Rien ne colle avec. De l'effet de style pour de l'effet de style. Peut-être que je me trompe. Peut-être que l'auteur avec réellement quelque chose à dire. Peut-être que la laannnngueur et le tarabiscotage étaient justifiés par rapport au fond, finalement... Mais au bout de 6035 pages, désolée. Je décroche." Le gars (moi, donc) est perçu comme une sorte de vague ovni plutôt lent à se mettre en marche, une sorte d'auteur original à petit biscotos qui tarabiscote et qui a voulu avaler le vaste sujet des CV avec les yeux plus gros que le ventre. C'est vrai, je plaide coupable... Coupable aussi d'avoir déversé une vingtaine de versions pour peaufiner ce machin nommé CV roman. Oui donc, pour les phrases "bien réfléchies", forcément. Oui aussi, pour le "La forme est trop parfaite", tant il est vrai que je me suis creusé les méninges pour trouver un rythme quaternaire à treize temps, soit 52 chapitres comme le département qui contient Langres ma ville natale, je sais, je l'ai déjà dit plus haut. Bref, "rien ne colle avec", comme il est dit, et sans doute voit-on un peu trop les raccords et les traces de colle.
Car écrire, c'est vraiment du bricolage et c'est peut-être cela qui achoppe chez le lecteur qui voudrait toujours que l'auteur ponde une prose ou un poème, d'un jet décidé, et à la plume d'oie, comme un génie. J'ai fait un lecteur déçu, bon tant pis. Remarquez que j'aurais des trucs à dire aussi sur les lecteurs. Notamment l'obligation qui leur semble due d'aimer un livre, d'aller au bout, d'en avoir pour son argent parce que tout de même, un livre, c'est l'équivalent en monnaie, de trois ou quatre paquets de clopes. Soit, voilà mes mois de gestations scripturales, de tribulations méningées, ravalés au prix du papier. Tant pis, j'accepte : livre-objet, écrivain-objet, c'est le prix à payer, de même que j'accepte volontiers la joute oratoire de ceux qui trouveront que c'est cher pour le peu de plaisir qu'on en retire. Car c'est bien là que le bât blesse : on paye, on lit, on veut le "plaisir du texte" comme disait Barthes, avec un doigt d'humour, avant de se faire renverser par une camionnette de blanchisseur. Or, j'ai toujours estimé que le lecteur devait ressentir, non pas que le simple et immédiat plaisir, mais des gammes de sentiments divers qui incluent même l'ennui... et donc, le risque de l'abandon des pages chèrement payées... J'écris ainsi des bouquins chiants et ça fait toujours rire mon entourage quand j'explique que, ma première réaction, lors d'une séance de dédicaces, par exemple, est de plaindre le pauvre lecteur qui acquiert mon nouvel opuscule car j'imagine qu'il va obligatoirement s'ennuyer devant ma production. Ici, pour l'auteur de ce billet d'humeur, visiblement c'est fait et pas qu'un peu... Mais tout cela n'est finalement que matière à discussion et c'est bien ce qui est l'essentiel.
(17/10/2007)

 

J'habite une grande maison et depuis longtemps. Je ne suis pas un maniaque du papier-peint-peinture, et les magasins de bricolage ne font pas fortune avec moi. Il en résulte chez moi des niches et des recoins qui ne changent guère au fil du temps mais, si cette apparente immobilité a le mérite de l'habitude, j'en connais parfaitement les circuits qui font imperceptiblement se déplacer les objets usuels d'une pièce à l'autre selon le temps, le hasard ou leur usage, vaisselle, bibelots et autres. Et les livres ! Régulièrement, je dote la maison d'étagères et de bibliothèques pour  accueillir les volumes nouveaux. Au fil du temps et selon les endroits, il s'est constitué, là encore, une circulation secrète, intime qui appartient à chaque habitant de la maison.  La plus récente, celle de l'entrée, est destinée à accueillir l'héritage d'un abbé familial féru de lettres et de philosophie. Elle n'a pas eu le temps de voir son rangement initial bousculé. Située dans un endroit de passage, elle rappelle les rayonnages d'une librairie, avec quelques livres exposés pour intriguer le visiteur. Plus loin, dans le coeur de la maison, la bibliothèque de la chambre est la plus grande. C'est elle aussi qui forge les usages communs de la lecture familiale, des frontières secrètes se sont constituées, chacun se sera attribué une étagère, par exemple, chacun se sera constitué une géographie particulière, les livres de voyages en bas à droite, les romans préférés en haut à gauche, des objets incongrus comme cette statuette qui représente une sorte de génie de bois grossier, un bouquet de fleurs séchées, une peluche qui date de l'enfance de ma progéniture. On y trouve même une télévision qui accuse son âge par une image fortement sautillante. Ainsi encadrée du poids de vrais livres en vrai papier, il me semble que l'évaporation des émissions télévisuelles est plus légère, plus distanciée. c'est mieux. Quand je pense à mes livres, s'il est vrai que ces deux bibliothèques, celle de la chambre et celle de l'entrée, me viennent spontanément à l'esprit, mais il y a aussi tous ces endroits où la lecture a pris place. Ombre des placards, étagères bons marchés, rayonnages improvisés, cartons poussiéreux, le poids des livres est partout, il incurve les planches, écroule le fond des caisses. Il faut toujours ouvrir précautionneusement certaines penderies pour ne pas risquer de recevoir sur les orteils une pile de bouquins montée de guingois. Les chambres des enfants ont leur lot de lecture et la logique d'utilisation de leurs occupants m'est ici totalement étrangère. J'aperçois parfois un livre connu au milieu d'un fatras de magazines ou de bande dessinées : CV roman, dédicacé à mon fils, est en bonne place au pied de sa table de chevet, sous quelques livres de classe. Le dictionnaire Harraps' shorter voisine avec Isabelle Adjani en couverture d'un mensuel de cinéma chez ma fille. Sans compter que les vies estudiantines provoquent d'autres déplacements, d'autres entassements de bouquins dans des chambres exiguës, certains coups de fils affolés : je n'aurais pas oublié mon livre de ? S'ensuit un titre et une description sommaire, couverture rouge, petit format... Une recherche généralement infructueuse et une conclusion évidente : je m'arrangerai, demanderai à Untel (nom d'un étudiant que vous ne connaissez pas mais que vous imaginez comme un modèle d'ordre...). L'ordre est pourtant incompatible avec l'usage des livres qui ne valent leur pesant (au sens propre) que s'ils sont extirpés d'une étagère, ouverts, feuilletés, lus, épuisés de leurs mots. Ainsi, ai-je rassemblé une dizaine d'ouvrages sur le sujet du travail pour le mémoire de mon Master. Posés sur un fauteuil, ils ont très rapidement rejoint le sommet d'une pile de draps en instance de rangement pour permettre au chat qui me réclamait l'occupation de son siège favori pour une sieste méritée. A l'inverse, derrière l'ordinateur sur lequel j'écrit cette rubrique, une édition incomplète de la recherche du temps perdu, récupérée dans les excédents d'une bibliothèque d'entreprise, a rarement été ouverte et les reliures entoilées sont maintenant partiellement obstruées par les divers objets qui se sont accumulés devant : une petite bouteille d'eau pétillante à moitié vide, une agrafeuse, un bocal qui contient des coquillages ramenés d'Italie. Je me souviens aussi de l'effarement qui fut le mien quand je me suis aperçu que la femme de ménage avait rangé tous les livres par ordre de taille et de couleur... L'usage de nos bibliothèques domestiques est bien diversifié mais logique. Les livres de cuisine sont dans la cuisine, les romans sont dans la chambre car je suis un gros lecteur du soir et de la nuit. Pareillement, l'usage de chacun de nos volumes est marqué par son territoire : tâches alimentaires diverses sur les livres de recettes, marque-pages de fortune qui jalonnent les romans (tout ceux dictés par la paresse de se lever du lit, genre étui de médicament, vieux billet de train, photo, l'ensemble récupéré dans le fatras de la table de nuit qui mériterait à elle seule toute une rubrique). Les livres qui jalonnent ma maison constituent à eux seuls une vie propre, presque autonome. Quelle bonheur par exemple de retrouver au fond d'un carton, un livre qu'on pensait égaré. Quelle joie de découvrir une lecture commune, de se diriger à coup sur vers un coin de bibliothèque et d'y dénicher le recueil que l'on va montrer à sa famille, prêter à un ami, et qui servira de prétexte à discussion. Parmi tout cela, il y a aussi mes propres livres, issus de mon imagination et qui ont vus le jour. Ils suivent les autres, se mélangent aux autres, s'égarent, se retrouvent, se dispersent, vivent leur vie adulte de livres avec des phrases d'enfant que j'aurais laissées en suspens dans l'air. Et c'est peut-être cela un livre : quelque chose qui laisse en suspens, qui ne cherche pas à expliquer, une petite voix toujours enthousiaste à déclamer ses mots selon la tonalité que vous lui prêterez.
(10/10/2007)

 

Dans un article du Point, Richard Millet, interviewé par Jacques Pierre Amette, annonce la fin prochaine de la littérature : une "asphyxie lente" sur "dix ans". De telles projections pessimistes sur le devenir de la littérature sont monnaies courantes et reviennent régulièrement. Dès le XIX°, où, grâce à la démocratisation de la lecture, le marché du livre se structure, ces réflexions ont spontanément alimenté le sujet, constituant plus une réaction naturelle devant une évolution rapide et surtout importante dans les enjeux économiques qu'elle génère. L'ensemble de la chaîne éditoriale a ainsi fait l'objet d'attaques globales ou plus spécialisées, souvent bien menées et justifiées comme Julien Gracq dans La Littérature à l'estomac. Remarquons cependant, à l'usage, que les prévisions pessimistes d'une disparition de la littérature ne se sont pas réalisées. Il y a bien sûr, la disparition de maisons éditoriales, et c'est un drame qui nous touche à chaque fois, mais le paysage reste globalement cohérent et stable et il me semble qu'actuellement, la structure est telle que des livres de toutes tendances, de tous horizons continuent à naître à travers des collections toujours renouvelées. Les "grandes" maisons d'éditions permettent à des auteurs confidentiels de continuer à publier, le côté "pas rentable" étant contrebalancé par d'autres succès éditoriaux et ce n'est pas Richard Millet, éditeur des Bienveillantes chez Gallimard, qui me contredira. Même chose chez les maisons plus modestes où la nomination d'un Nobel de littérature par exemple, a vite fait d'assurer la pérennité : ce fut le cas des Editions de Minuit qui ont raflé la mise deux fois avec Beckett et Claude Simon. L'édition traditionnelle est une structure capitaliste et libérale, dont acte : ses modes de fonctionnement, qu'on soit pour ou qu'on soit contre, nous sont connus et chaque auteur y est, de gré ou de force, impliqué (personnellement je préfère de gré...). De plus, il me semble que la plupart des maisons en plein Paris ne risquent pas par souci économique de s'installer dans des hangars au fond de la Seine-Saint-Denis. Cessons de plaindre la filière du livre...
Donc, d'où vient le malaise ? Peut-être dans la définition de la littérature. Celle de Richard Millet représente une posture, celle du XIX°, l'auteur, sa belle langue, etc... Même un roman de Balzac, je pense que c'est illisible pour les jeunes esprits d'aujourd'hui, écrit-il. Mais c'est ignorer l'évolution du langage et des moyens de transmissions de celle-ci. La révolution Internet, qu'on agite à chaque fois, à tout de même révolutionné la diffusion et l'écriture numérique, que ce soit à travers l'ordinateur où j'écris ou le SMS que je pourrais passer sur mon portable, est devenue, sans exagération, prépondérante dans 99% de la littérature. Car il s'agit bien de littérature dans sa forme vivante que soulignait déjà Saussure et les précurseurs de la linguistique.
Pourquoi revenir alors à chaque fois sur cette littérature évolutive, ce que tout le monde admet ? Parce que cela fait peur, peut-être tout simplement parce que nous n'avons aucun pouvoir, aucun moyen de savoir ce qui se passera dans les prochaines années et cette volonté de vouloir maîtriser le cours du temps est bien humaine et génère, dans son manque, l'effroi. Soit, admettons que la littérature disparaisse, cela est possible. Et alors ? Ce qui nous gêne dans cette disparition, c'est la notion de transmission. Et selon l'auteur, le déclin de la littérature est lié à l'idée même de démocratie, c'est lié aussi à l'effondrement de l'autorité, à l'effondrement de l'idée de père, à l'effondrement du système de transmission. Il précise qu'à terme ne devrait rester quelque chose qui oscillera entre Harry Potter et les polars de l'américain Michael Connely. Ne mélangeons pas tout, cette catégorie est déterminée par les profits économiques colossaux que ces livres génèrent et auxquels nous participons. Mais c'est justement parce que nous sommes en démocratie, dans la définition de pays libres de penser, que nous savons très bien faire la part des choses. C'est parce que la démocratie existe que, régulièrement, de telles critiques salutaires comme celle de Richard Millet peuvent s'exprimer. N'en déplaise à l'auteur, les "jeunes esprits d'aujourd'hui" sont capables de lire Harry Potter (et même en anglais) et de se plonger aussi dans Baudelaire. Avouons-le, ce qui nous gène, c'est que, pour eux, les mangas soient mis sur le même piédestal où nous avions hissé Proust.
Car ce qui nous importune également, c'est ce lissage, l'abandon de cette hiérarchie, la remise en cause parfois des grandes figures tutélaires. Pour autant, c'est bien nous qui avons fabriqués ces mythes. Pourquoi trouve-t-on autant d'études sur Jean Genet et aucune sur Maurice Genevoix ? Il n'y a plus de hiérarchie entre bons et mauvais écrivains, dit l'auteur. Eternel débat entre écrivains importants et ceux dit "mineurs" (le fameux qualificatif adressé à René Fallet ).
Rendez-vous dans dix ans donc pour la fameuse disparition de la littérature.
(26/09/2007)

 

Quelques "jeux de lettres" faciles :

Vous êtes libre. Prenez le V de la vie, clouez-le au milieu du mot. Si vous n'avez pas de marteau, scotchez-le avec de la salive. Reculez d'un pas, admirez le résultat, vous étiez libre : vous voilà livre.

C'est pour démontrer l' immensité du ciel que l'azur commence par la première et la dernière lettre de l'alphabet.

Bouche, couche, douche. Quelle mouche nous à piqué à inventer une suite en B,C, D. La langue qui nous touche vient-elle de la même souche ?  Je trouve ça louche.

Bouille, couille, douille. On se mouille à essayer une autre suite en B,C,D. La langue que l'on touille, que l'on fouille et qui rouille vient-elle de la même souille ? Je trouve ça nouille.

Sortant du bateau, je marche sur un râteau, c'est le gâteau.

Pour atteindre, il faut attendre un I.

En changeant un B par un G, on se gargarise d'un barbarisme.

Entre le mot et la mort, juste un R de différence, celui qu'il me faut pour respirer. (Dans Ecrire pourquoi ? Argol)

(21/09/2007)

 

 

 
 

J'ai la fâcheuse manie de répondre à la remarque proférée  par les proches ou les connaissances  " tiens j'ai lu/acheté/emprunté ton livre", une réplique naïve sous forme d'une question qui me paraît évidente  "Lequel ?. Cette réponse désarçonne souvent mes interlocuteurs tant ils s'imaginent avoir lu ma dernière "oeuvre" en date. Ce fut le cas de ma collègue tout juste rentrée de vacances, période propice à la lecture : Tiens j'ai lu deux de tes livres " ; "lesquels ?" (donc...) ; "La Réserve et 1937 Paris-Guernica". Soit le tout premier qui accuse ses sept ans et demi et l'avant dernier paru au printemps 2007. Elle m'a avoué avoir préféré La Réserve et ce, sans condition et avec ferveur. J'ai souvent remarqué que les lecteurs qui apprécient ce tout premier livre sont bien différents de ceux qui aiment les Central, Composants, PPPP et autres.
J'ai ainsi deux lectorats bien distincts et en apparence non miscibles ainsi que le prouvent la réaction de ma libraire de Langres Sylvie Thieblemont qui faisait la moue quand je lui parlais de La Réserve mais qui par contre défend mon écriture dans 1937 Paris-Guernica en des termes qui me font rougir (je cite son courriel avec plaisir !) :

"De toute façon, je ne suis pas encore bien remise de ‘Paris-Guernica’, ça va rester parmi mes émotions de lecture (qui se faisaient rares ces derniers temps).Votre façon d’écrire est vraiment bizarre : pas de péripéties, des ambiances, des couleurs, des sons, des apartés, des flash-back… On se laisse emporté par un flot qui n’a rien de tumultueux, plutôt un fleuve tranquille et quand on arrive au bout du livre, on se dit : Oh zut, c’est déjà fini, pourquoi n’y a-t-il pas plus de pages ? La croisière sur le fleuve est terminée, il faut descendre du bateau à regret mais il reste en mémoire toutes ces images, toutes ces impressions accumulées au fil des pages et qui reviennent en mémoire à maintes occasions." Du coup, je rajoute cette aimable critique dans la page idoine, par orgueil...
C'est aussi l'avis
de mon Julien Gracq local, l'écrivain Jean Robinet, auquel j'ai rendu visite en juillet dernier : je sais que La Réserve est le livre qu'il aime le moins. Pourtant, j'ai mis la même conviction et la même charge romanesque dans ce livre que dans les autres, mais je sais que le résultat est différent car je l'ai voulu ainsi : La Réserve est une farce, un bouquin d'humour à défaut d'humeur et les préoccupations stylistiques passent après l'efficacité la blague potache qui mène au rire. Les autres sont plus intimistes, formels, plus profonds sans doute aussi. Et moins marrants. Ceci dit, ce qui m'étonne avec La Réserve c'est l'adhésion énergique de ceux qui l'aiment. Il circule, on se le passe et même s'il demeure dans une diffusion confidentielle, on m'en parle ainsi depuis sept ans. J'ai même trouvé un lecteur encore enthousiaste sur le Net, il y a quelque mois :
"L'auteur nous entraîne dans une comédie distrayante, pittoresque, aux personnages truculents que René Fallet n'aurait pas reniés..."
Voila une fraction du quatrième de couverture de ce petit livre sympa, d'un auteur pas vraiment connu.
Intéressante lecture qui m'as beaucoup amusé. L'écriture simple, est pourtant très imagée parfois, presque poétique. Ce roman révèle des surprises à qui ose l'ouvrir!
"
Bref, vous l'aviez compris : cette petite note d'écriture était profondément égoïste et revigorante, destinée à me complimenter moi-même.
Et tout cela sans... réserve.
(05/09/2007)

 

Rentrée littéraire donc. J'y participe, je suis dedans avec cet étrange dépassement. Six livres déjà... Les sentiments se mélangent : vouloir retrouver les sensations d'un premier romancier, aucune naïveté mais, comment dire, peut-être représenter une découverte alors qu'au bout d'un parcours de plusieurs romans, on a parfois la sensation de réflexes connus en face des lecteurs. En fait, l'attrait de la découverte n'est pas celle de l'auteur bien sûr, je n'ai pas cette prétention et je sais bien qu'à l'exemple de la revue Marianne, on peut penser que je suis un "jeune auteur" et que CV roman est mon "premier ouvrage" : c'est plutôt drôle et frais ! Non, mais un premier romancier découvre ses lecteurs, c'est bien sûr ce qui est le plus important. Au bout de quelques livres le regard que l'on prête à ses lecteurs, les sensations, les réflexions, les critiques, au sens noble du terme, ont façonné la perception de soi en tant qu'écrivain. Par exemple, un des traits persistants est que je me considère comme un auteur chiant et je ne peut m'empêcher de souhaiter à priori bon courage à ceux qui vont me lire ! Je ne parviens pas à me débarrasser de cette sensation. Ce n'est pas un excès de modestie, disons plutôt, je pense, le résultat d'une éducation moyenne de français moyen et provincial, rien de quoi exacerber l'ego. Pourtant, rien ne m'enthousiasme plus que l'attente de la réception d'un livre. Je ne fais jamais lire mes livres avant leur parution, même par mes proches, sauf bien sûr pas l'éditeur mais qui a un regard un peu plus complice, il sait déjà ce que j'ai fait. Donc cette attente est pour moi importante. Je lis les critiques mais ne me formalise jamais des mauvaises et des défauts que l'on me prête : il y a souvent une part de vérité. Les éloges aussi, bien entendu j'y suis sensible : nous avons tous besoin de reconnaissance. J'ai encore plus besoin que ce que j'ai écrit puisse être compris. Voilà donc : en ce début de rentrée littéraire, je me sens l'âme d'un Maurice Blanchot ou d'un Julien Gracq : l'attente,  et l'oubli qui viendra. J'ai autrefois écrit que je pensais mourir si je n'écrivais plus. Je n'en suis plus si sûr, la mort est vraiment indépendante de toute action humaine. C'est peut-être aussi une preuve de courage d'arriver à ne plus écrire. Rimbaud s'est peut-être tu pour se voir vieillir. Allons bon ! on dirait que je tiens un discours mi pessimiste-mi philopsophique alors que ce sont bien énergie et enthousiasme qui sont en moi à cet instant précis
(30/08/2007)


 

Education managériale et actualité littéraire de l'entreprise, tels sont les mots du titre d'un article paru dans les annales des Ecoles supérieures des Mines. Comme l'indique l'intitulé, on y mêle littérature et entreprise. Au moment où va paraître CV roman qui poursuit le thème de cette littérature d'entreprise, de travail (on disait aussi "ouvrière" à l'époque où fleurissait les revendications syndicales), on y parle de Central et Composants. Il est toujours intéressant d'avoir un regard sur son propre travail, mais surtout de pouvoir le relier aux préoccupations d'un lectorat impliqué qui constate que l'organisation, l'entreprise ou le management sont de grands sujets de fictions qui attendent encore leurs écrivains. Entièrement d'accord et ce n'est pas un hasard si j'ai repris ce thème avec CV roman et j'ai proposé d'ailleurs une série de sujets sur ce thème pour mon mémoire de Master première année. CV roman ne sera sans doute pas la fin d'une trilogie mais peut-être le début d'un ressassement. Nos entreprises ont évoluées dans l'immatérialité, les gestions numériques, supply chain management, e-learning et autres révolutions accentuent le processus vers un secteur tertiaire généralisé qui, n'en doutons pas, n'a plus rien à voir avec celui qui avait cours il y a seulement une dizaine d'années, voire moins, époque d'ailleurs de mon premier livre sur le sujet Central. Nous voici dans l'ère quaternaire des secteurs du travail, apparition de l'homo numéricus, pour faire pendant à la préhistoire... Mais revenons à Central, car l'auteur de l'article, Hervé Laroche, en fait une analyse pertinente qui rejoint l'intervention que j'avais eu le bonheur de faire à l'Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand. Dans un premier temps, force est de constater que la recherche de l'entreprise perdue, comme le dit Hervé Laroche, dépeint une entreprise archaïque, sans commune mesure avec les évolutions actuelles et bien entendu avec toute la nostalgie qui va avec. Passons sur la nostalgie qui est en réalité propre à chaque écrivain. Mais peut-être ce qui est commun, c'est que les écrivains mettent en contradiction l'évolutivité collective des entreprises avec les réticences individuelles au changement et il est souvent difficile de réfléchir autrement à l'intérieur d'un roman puisqu'il met en jeu un narrateur, un individu donc, en proie au mouvement du monde et à ses propres contradictions. Il est vrai aussi, comme le dit l'article, que l'activité quotidienne, précise, ne constitue pas un matériau de fiction pour la plupart des écrivains qui s'y frottent et c'est dommage car c'est en démontant ces mécanismes qu'on arrive à expliquer le monde (comme le dit Claude Simon, la description, il n'y a que cela qui compte). J'enjoins donc l'auteur à lire Composants, qui est traversé de bout en bout par les actions infimes et réelle d'un magasinier intérimaire... Pour ce qui est de Central, Hervé Laroche note ma particularité linguistique de n'avoir utilisé que des "verbes sans sujets" mais estime que cela nuit à la poésie inhérente à la vie besogneuse et individuelle dans une entreprise, ce que je revendique tout de même. C'est un échec romanesque concède-t-il. Sans doute que l'apparence et l'austérité de Central rend sa lecture bien éloignée du plaisir du texte, selon Barthes, mais c'était voulu, car autant l'entreprise évolue dans son langage et sa perception, autant on ne peut cantonner le roman dans un immobilisme : le lecteur aussi doit adapter et modifier les sentiments et les réflexes que lui procurent la lecture.  Nous avons en effet un passif de lecteur construit sur un apprentissage de plusieurs dizaines d'années, or, rendre compte de l'entreprise, du travail et son évolution extrêmement rapide et profonde, parfois sur quelques mois, impose d'embarquer le lecteur dans une drôle de galère qui remet en cause ses habitudes de même que l'évolution permanente du travail l'oblige à s'adapter. En tout cas, l'article d'Hervé Laroche, fouillé, argumenté, possède bien plus que le mérite d'exister dans un thème (la littérature d'entreprise, de travail) si rarement dépeint.
(20/07/2007)

 

 

 

Né à Langres en 1958
Mécanicien en mots
Soudeur de phrases
Plongeur en pensées profondes
Escaladeur d’organigramme
Poète en entreprise
Romancier au boulot
Intermittent du travail
Professionnel de la rêverie
Compétences audacieuses
Expérience professionnelle suffisante
Formation adéquate
Loisirs honnêtes
Situation modérée
Langues étrangères : Clé anglaise et à molette
Brevet de 25 m nage papillon
Amateur de pétanque d’idées

C'est mon CV ! Enfin, le dernier en date. L'avant dernier, plus sérieux, je l'avais rédigé un mois auparavant à l'attention de l'Université de Bourgogne pour une inscription en Master. Je l'ai complété, avec fierté, de ma toute neuve Licence de Lettres modernes, mention Bien, s'il vous plaît. Tout cela pour dire que nos CV ne cessent d'évoluer : c'est d'ailleurs le sujet de CV Roman et, dans mon cas, j'ai trouvé un nouveau dynamisme depuis que je mélange avec hardiesse l'ensemble des rubriques qui charpente nos Chemins de Vie :  Situation,Expériences, Formation, Loisirs... Are you expérience ? disait le regretté Hendrix. Oui et si la rubrique formation s'est dépoussiérée depuis que j'ai entamé ces études de lettres à plus de quarante-six ans, la rubrique loisirs s'est adjointe justement d'une guitare électrique, voire d'un chouia de jazz, façon Django Reinhardt, pour tenir compagnie à la guitare manouche à mon fils (en webcam la semaine dernière c'était le festival de Samois).
Bref tout cela ne cesse d'évoluer et c'est tant mieux.
Ce dernier CV est donc celui que j'ai laissé sur le très beau site Fayard

En effet, mon éditrice à eu l'excellente idée de demander aux quatorze écrivains dont je suis et qui participeront à la rentrée littéraire de cette noble maison d'écrire chacun leur Curriculum Vitae, en guise de clin d'oeil et de réponse envers mon livre. Touchante attention et qui montre, à la lecture des écrivains qui se sont collés à l'exercice, combien cette petite Chose Vue, ordinaire sait être Chaleureuse et Vivante. Et c'est vraiment dans ce sens que je voudrais que l'on perçoive mon livre :  un condensé de jubilation dans nos vies laborieuses, un manifeste à saisir comme un outil pour mieux vivre au travail .
(04/07/2007)

 

 

352 pages : c'est la mesure de CV Roman. Et puisque je suis dans les mesures, moins de 3 mois se seront écoulés depuis que j'ai pris contact à nouveau avec Fayard et que décision a été prise de le publier pour la prochaine rentrée littéraire en septembre. En trois mois, donc, il aura fallu accomplir le cycle habituel de mise au point d'un livre : lecture attentive de la part de l'éditeur, remaniements (en fait peu de choses, lors de précédents contacts, pas mal de corrections avaient déjà été apportées), puis premières épreuves et corrections encore, relectures de part et d'autres, choix de la couverture, des paratextes de présentation et enfin, dans cet élan rapide, j'ai à peine eu le temps de cette délectation du nouveau livre à venir qu'il s'échappe déjà : imprimé, définitif, tel que je le découvre en allant signer quelques exemplaires pour le Service de presse.
C'était jeudi 31 mai et Alain Beuve-Mery, dans le Monde qui paraîtrait le lendemain, préparait un article sur la fin des Editions Maren Sell qui avaient pourtant permis à
1937 Paris Guernica d'exister en mars dernier... Je pense bien sûr à Maren Sell, à sa poursuite de voies originales, à son opiniâtreté pour que soient lues des voix escarpées. Et je trouve dommage que son nom et son exigence se dissolvent dans les faillites devenues monnaie courante dans ce monde à monnaie trébuchante.
Comment le temps passe vite et évolue dans ces coups du sort !
Avec
CV roman, je continue ce cycle sur le thème du travail, et l'initiale du titre répond, dans sa cohérence de troisième lettre de l'alphabet, à Central et Composants.
Trilogie, sans doute, mais ce dernier livre ne me semble pas marquer pour autant la fin d'un cycle que j'aurais consacré à ce thème du boulot et de l'entreprise. Etonnant cette faculté que j'éprouve de passer d'un thème à l'autre, Guernica et la guerre avec le travail et nos curriculum vitae. Par quels chemins se rejoignent-ils dans mon cerveau ? Qu'est-ce qui a présidé à ces élans d'écriture ? Bien entendu, c'est un peu le hasard s'ils sont édités à seulement quelques mois d'intervalle, leur écriture s'est finalement étalée sur 3 ans. Et maintenant je suis déjà sur un autre projet. Ecrire est une bizarre prolifération des mots, un incongru ordonnancement de la langue, une irrésistible pulsion charnelle, une apostrophe à destination d'autrui, manière de dire : j'existe aussi et je vais vous raconter une histoire.
(05/06/2007)

 

Donc je reprends le boulot à l'heure où sera publiée cette rubrique. Ce qui veut dire moins de temps disponible pour ce site, pour l'écriture et la littérature en général. C'est le moment de faire un petit point après des six mois adossés à tout ce qui porte livres et pages d'écriture : donc, le premier mars ce fut la parution de "1937 Paris Guernica", accueil discret dans la presse c'est le moins qu'on puisse dire, mais cela me laisse assez insensible (l'accueil pas le livre qui est magnifique, non mais !). Il faut dire aussi que se profile CV roman, dont la parution s'annonce pour la rentrée littéraire de septembre. Affaire rondement et rapidement menée avec Fayard, ce qui me remplit d'une joie d'autant plus forte que ce manuscrit a été remanié vingt-deux fois dans un travail de deux ans, et devrait être assez balèze, approchant des 300 pages... Affaire à suivre bien entendu !
Reste... à écrire : une histoire en cours se poursuit cahin caha depuis Noël, je crois que le sujet est bien, l'histoire se tient bien et les personnages sont attachants.
Voilà aussi pourquoi dans ces multiples activités, le site de Feuilles de route connaîtra sans doute quelques relâchements...
(02/05/2007)

 

Le site d’Alina Reyes est terminé. Il ne subsiste qu’une page d’accueil sur laquelle elle explique simplement : " Ma période Internet a pris fin. Le site et le blog ont disparu. Maintenant je me consacre a un grand poème révolutionnaire qui demande un long temps de retrait, d’étude et de voyage. ".
D’abord, revenir sur son site car c’était bien un site Internet et non un blog tout formaté qu’elle aura suivi pendant quelques années avec passion ou colère, rage et rires, bref la vie, quoi ! Se colleter à Internet, c’est souvent y mettre ce que l’on perçoit de vrai en soi-même dans ce qui ne reste après tout qu’une vie virtuelle et des mots effaçables. Bref, l’éternel dualité réalité/fiction, moteur de l’écriture. D’où l’étonnement toujours renouvelé et justifié de François Bon et de beaucoup d’autres à se demander pourquoi les écrivains et les romanciers n’investissent pas plus ces mondes numériques.
Sa décision d’arrêter m’interpelle beaucoup et je la comprends d’autant mieux que je suis souvent tenté de tracer un point final à mes mises en ligne et cet investissement de temps depuis maintenant six ans et demi. Car le temps que l’on y consacre n’est pas virtuel, lui : ça doit représenter de 2 à 8 heures par semaine pour moi et jusqu’à 2 jours pour Rimbaud ou autre rubrique alambiquée. Et c’est bien également un problème de temps que souligne Alina. Arrêter tout, c’est autant que l’on peut reporter à d’autres projets d’écriture. Car simplement regretter que les écrivains ne s’investissent pas plus dans le Net, juste en vertu d’une modernité ou pour occuper un espace médiatique serait extrêmement réducteur. Le web c’est l’écrit, c’est ce qui attire les auteurs qui s’y lancent. Mais comme pour tout projet d’écriture, on est tenté d’abandonner les pistes que nous suivons car elles ne correspondent pas ou plus à ce que l’on recherche. Arrêter un site web participe de ce simple constat, parce que le temps n’est pas extensible à l’infini.
Ceci dit, quand on cite les exemples d’écrivains qui investissent Internet, il s’agit d’auteurs qui occupent aussi un espace dans l’édition traditionnelle. Le distinguo est important car si on se réfère à la définition du dictionnaire (un écrivain est quelqu’un qui écrit ET publie), cela supposerait que tout détenteur d’un blog est écrivain, ce qui ajoute à la confusion. Mais le corollaire de la définition est bien celui-là : publier, c’est accepter l’approbation d’un tiers (l’éditeur) avant parution, ce qui distingue l’écrivain traditionnel de celui du web. Dans les exemples qui mêlent web et édition classique, on remarque que la frontière, même si elle devient poreuse (exemple Tumulte de F Bon) demeure marginale : le fameux temps si cher et précieux est partagé entre les deux " éditions ". D’où le choix raisonné d’Alina pour se consacrer à ce fameux poème révolutionnaire. Au bout de mes années internautiques, je constate que j’ai su à peu près équilibrer les deux aspects, certains textes demeurent des créations purement web, à l’exemple de Langres s’use, mais 80% de Feuilles de route s’articule comme un journal de réflexion (un semainier plutôt) ou un aide mémoire en ligne pour moi, directement consultable (par exemple quel était mon sentiment sur l’élection présidentielle de 2002, c’est en Etonnements, date du 1°mai 2002). D’autre part, pendant le même temps, mon édition traditionnelle s’est enrichie de sept publications (et bientôt plus…) à en croire ma biblio qui figure dans 1937 Paris-Guernica.
La tentation d’arrêter revient cependant périodiquement et pour la même raison de temps que pour Alina Reyes, d’autant plus que je sais que dans une semaine, le travail que je reprends sera prenant, et j’ai plein de choses sur le feu : nouvelle parution, nouveau bouquin à écrire, examens de Licence et je dois en oublier. Je n’ai pourtant pas si envie que cela, d’abord parce que régulièrement, j’ai trouvé une respiration à Feuilles de route en variant les plaisirs du web et en m’éloignant une fois par an de mes rubriques habituelles (par exemple Langres s’use déjà cité ; par exemple le Blog de 1937 que j’avais ouvert à la rédaction 1937 Paris-Guernica, commencé un 26 avril, date anniversaire du bombardement, il y a un an).
Que me réservera l’approche de l’été ?
En attendant, je salue l’initiative d’alinéa d’Alina : il faut du courage pour stopper l’exposition virtuelle à laquelle on s’habitue vite. Bonne continuation hors des mondes virtuels !
(25/04/2007)

 

A propos du lecteur, Céline disait " Tout ce qui est mécanique, ou servitude, ou service, ne le regarde pas du tout. " (dans cette même rubrique le 24 janvier dernier). Je fais le contraire avec ces notes d’écriture : je délaye à l’infini les difficultés, doutes, machineries d’écriture. Cela me pèse souvent, je me sens mal à l’aise devant cet étalage. Je n’ai par exemple aucunement envie de parler de mon dernier livre : il est comme cela, c’est tout et la façon dont il est venu, même si souvent je m’en explique, ou je m’en suis expliqué, au final m’indiffère. Je m’aperçois que je n’ai aucun goût pour ces explications, vagues justifications. J’ai fait une rubrique pour 1937 Paris-Guernica presque malgré moi parce que je l’avais fait pour les autres livres mais je n’ai finalement aucun goût pour les dossiers préparatoires ou post-publications, montrer la cuisine dérangée, les plats entassés dans l’évier. " Si je le pouvais, je rentrerai dans un trou de souris " m’a dit récemment un auteur placé sous les feux de l’actualité et qui s’en passerait volontiers. Je partage. Sans doute pas pour les mêmes raisons : je ne suis pas d’une discrétion légendaire, j’éprouve le besoin de me mélanger dans le grand faitout de la littérature, participer, ateliers, autres trucs, ce site par exemple en est la preuve, mais preuve de quoi ? La servitude, disait Céline, et sans doute que c’est ce qui me gène le plus dans l’exposition de moi que je favorise : me montrer dans cette attitude servile, aller au devant de, alors que je n’en ai souvent pas envie. Il arrive souvent d’ailleurs que je réalise ce côté qui me gêne, l’enfant face à ses maîtres, la fausse humilité du faible.
J’aimerais me taire, non pas un silence à la Julien Gracq, parfaitement maîtrisé et honorable, je n’en suis pas capable, ou celui, absolu et qui questionne de Maurice Blanchot. Pas non plus envie de la phrase de Sainte Beuve " le silence seul est un souverain mépris ". Mon silence à moi serait plus proche de Beckett : pour qu’on me foute la paix, qu’on me laisse arpenter les chemins bras dans le dos, tendu vers les livres à venir. Le silence, oui, est peut-être le contraire de la servitude, un choix assumé, réfléchi. En ce moment, je deviens un peu sourd : je deviens incapable de suivre une conversation dans un brouhaha de restaurant par exemple, le bruit de la télévision me perturbe, bien souvent, je dois faire un effort constant pour suivre un entretien téléphonique : le silence m’apparaît comme un refuge extraordinaire, et sans doute que le retrait que je souhaite participe de ces retrouvailles avec soi-même dans l’intimité de l’écriture.
" Ce qui est délectable dans l'écriture, c'est la jubilation solitaire qu'on en retire, c'est le moment où le monde se retire, où on est seul avec soi - et alors, au fil de la plume, le monde peut advenir, des mondes peuvent se créer. ", ce que me disait aussi l’auteur qui voulait rentrer dans un trou de souris.
(11/04/2007)

 

Les Microfictions, de Régis Jauffret, en Note de lecture cette semaine, est un livre rare. Un de ceux qui devrait compter à mon avis, comme les Vies minuscules de Pierre Michon. Car il rend toute latitude au lecteur d'y croire ou non, il lui rend un pouvoir. On peut côtoyer son pessimisme versus Le Dantec ou Houellebecq, provocation en moins et surtout, il n'est pas donneur de leçons. On peut y voir de l'optimisme aussi par réaction : à nous d'en restituer ce que l'on veut bien qu'il y transparaisse. Une sorte de "Ô tempora, ô mores" dont l'exclamation sera en vierge effarouchée, en vieux briscard de la vie ou simplement en passant curieux : c'est à nous, lecteurs, vous dis-je, enfin, dit Régis Jauffret, d'en garder ombrage ou de l'extrapoler. Car au sujet de la littérature, et c'est pourquoi je le glisse dans une note d'écriture, Régis Jauffret a une approche bien décomplexée : " La littérature, c’est comme la Légion. On s’engage, on monte à l’assaut et on ferme sa gueule. Ecrire, ce n’est pas obligatoire. Personne ne vous a rien demandé. C’est du volontariat. Si on n’écrit pas, cela ne manquera ni à l’histoire de la littérature, ni à celle de l’humanité. "
La Légion me fait penser à cette lointaine connaissance familiale à qui nous devions remettre quelque chose (mais quoi ?), il y a bien de cela  quinze ans. Il était légionnaire à Calvi et nous étions en vacances en Corse. Nous nous étions rendus à la caserne. Je me souviens de ce planton qui parlait à peine français mais habillé impeccablement et tatoué comme il est d'usage. Les légionnaires de Calvi avaient l'habitude de partir gravir le Monte Cinto au pas de course avec sac à dos.
Pour en revenir à Regis Jauffret, ce langage de hâbleur est bien réjouissant.  J'ai toujours cru pour ma part que je mourrais si j'arrêtais d'écrire, ce qui est autrement plus prétentieux. En réalité, je ne sais pas. Je sais que de ne pas écrire pendant quelque temps me torture. Je sais aussi que le courage ne me fait pas défaut : oui, je monte à l'assaut aussi et je la ferme...un peu. En tous cas, ce qui me plaît aussi dans cette assertion, c'est qu'elle renvoie à la niche ceux qui prennent l'écriture pour le théâtre de leur ego et l'exacerbation de celui-ci m'a toujours paru déplacé, incongru. Le moins important dans un livre, c'est toujours le nom de l'auteur, j'en suis persuadé. Alors bien sûr qu'on ne manquera en rien ni à l'histoire et ni à la littérature.
Engagez-vous qu'ils disaient...
(04/04/2007)

 

" Ce qui nous parle, me semble-t-il, c'est toujours l'évenement, l'insolite, l'extra-ordinaire : cinq colonnes à la une, grosses manchettes. Les trains ne se mettent à exister que lorsqu'ils déraillent, et, plus il y a de voyageurs morts, plus ils existent ; les avions n'accèdent à l'existence que lorsqu'ils sont détournés ; les voitures n'ont pour unique destin de percuter les platanes : cinquante-deux week-ends par an, cinquante-deux bilans : tant de morts et tant mieux pour l'information si les chiffres ne cessent d'augmenter ! Il faut qu'il y ait derrière l'évenement un scandale, une fissure, un danger, comme si la vie ne devait se révéler à travers le spectaculaire, comme si le parlant, le significatif était toujours anormal : cataclysmes naturels ou bouleversements historiques, conflits sociaux, scandales politiques.
Dans notre précipitation à mesurer l'historique, le significatif, le révélateur, ne laissons pas de côté l'essentiel : le véritablement intolérable, le vraiment inadmissible : le scandale, ce n'est pas le grisou, c'est le travail dans les mines. Les "malaises sociaux" ne sont pas préoccupants en période de grève, ils sont intolérables vingt quatre heures sur vingt quatre, trois cent soixante cinq jours par an.
Les raz de marées, les éruptions volcaniques, les tours qui s'écroulent, les incendies de forêts, les tunnels qui s'effondrent, Publicis qui brûle et Aranda qui parle ! Horrible ! Terrible ! Monstrueux ! Mais où est le scandale ? Le vrai scandale ? Le journal nous dit autre chose : soyez rassuré, vous voyez bien que la vie existe, avec ses hauts et ses bas, vous voyez bien qu'il se passe quelque chose.
Les journaux parlent de tout, sauf du journalier. Les journaux m'ennuient, ils ne m'apprennent rien ; ce qu'ils racontent ne me concerne pas, ne m'interroge pas et ne répond pas davantage aux questions que je pose ou que je voudrais poser.
Ce qui se passe vraiment, ce que nous vivons, le reste, tout le reste, où est-il ? Ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, l'évident, le commun, l'ordinaire, l'infra ordinaire, le bruit de fond, l'habituel, comment en rendre compte ? comment l'interroger, comment le décrire ?
Interroger l'habituel. Mais justement, nous y sommes habitués. Nous ne l'interrogeons pas, il ne nous interroge pas, il semble ne pas faire problème, nous le vivons sans y penser, comme s'il ne véhiculait ni question ni réponse, comme s'il n'était porteur d'aucune information. Ce n'est même plus du conditionnement, c'est de l'anesthésie. Nous dormons notre vie d'un sommeil sans rêves. Mais où est-elle notre vie ? Où est notre corps ? Où est notre espace ?
Comment parler de ces "choses communes", comment les traquer plutôt, comment les débusquer, les arracher à la gangue dans laquelle elles restent engluées, comment leur donner un sens, une langue : qu'elles parlent enfin de ce qui est, de ce que nous sommes.
Peut-être s'agit-il de fonder enfin notre propre anthropologie : celle qui parlera de nous, qui ira chercher en nous ce que nous avons si longtemps pillé chez les autres. Non plus l'exotique, mais l'endotique. Interroger ce qui semble tellement  aller de soi que nous en avons oublié l'origine. Retrouver quelque chose de l'étonnement que pouvait éprouver Jules Verne ou ses lecteurs en face d'un appareil capable de reproduire et transporter les sons. Car il a existé, cet étonnement, et des milliers d'autres, et ce sont eux qui nous ont modelés.
Ce qu'il s'agit d'interroger, c'est la brique, le béton, le verre, nos manières de table, nos ustensiles, nos outils, nos emplois du temps, nos rythmes. Interroger ce qui semble avoir cessé à jamais de nous étonner. Nous vivons, nous respirons, certes ; nous marchons, nous ouvrons des portes, nous descendons des escaliers, nous nous asseyons à une table pour manger, nous nous couchons dans un lit pour dormir. Comment ? Où ? Quand ? Pourquoi ?
Décrivez votre rue. Décrivez-en une autre. Comparez.
Faites l'inventaire de vos poches, de votre sac. Interrogez-vous sur la provenance, l'usage et le devenir de chacun des oblets que vou sen retirerez.
Questionnez vos petites cuillers.
Qu'y a- t-il sous votre papier peint ?
Combien de gestes faut-il pour composer un numéro de téléphone ? Pourquoi ?
Pourquoi ne trouve-t-on pas de cigarettes dans les épiceries ? Pourquoi pas ?
Il m'importe peu que ces questions soient ici, fragmentaires, à peine indicatives d'une méthode, tout au plus d'un projet. Il m'importe beaucoup qu'elles semblent triviales et futiles : c'est précisement ce qui les rend tout aussi, sinon plus, essentielles que tant d'autres au travers desquelles nous avons vainement tenté de capter notre vérité.
"
Georges Perec, préface à L'infra-ordinaire
(28/03/2007)

 

Etre professionnel… Ce mot provoque une crispation dans le monde de la Littérature française. La tradition de l’art, la relative persistance de son inutilité dans la pensée publique, l’assimilation à un passe temps désuet de rimailleur, voire l’héritage des poètes maudits a organisé une méfiance redoutable à son égard. Il est interdit à un auteur de considérer la littérature comme un métier. Tous les arts ne sont pas égaux. Le cinéma et sa débauche de technologie, de nécessaire professionnalisme n’est pas logé à la même enseigne. Mais l’auteur, l’écrivain, homme ou femme solitaire, gribouillant sur quelques feuilles, persiste comme image d’Epinal et empêche sa reconnaissance publique : c’est un amateur même si le sens latin lui convient parfois (" amare ", aimer, qui aime donc…). Souvent l’auteur, lui-même, refuse cette professionnalisation : lors d’un salon, Michel Chailloux, qui n’est pourtant pas un novice, ne voulait pas s’attribuer le titre d’écrivain. Etonnant non ? Pourtant, il faut bien nommer cette activité. Ecrivain, c’est quelqu’un qui écrit ET qui publie, selon le dictionnaire. Alors avant la publication, comment le nommer ? Avant ? L’écrivain est en apprentissage, voilà tout, et on rejoint le professionnalisme…
Il y a, à mon sens, d’autres spécificités françaises qui empêchent d’appeler chat un chat. Il est de notoriété publique que seule une poignée d’écrivains peut vivre de ses droits d’auteurs. Ce qui n’empêche pas les autres d’être autant (voire souvent plus…) professionnels. Mais bon, le fait d’exercer souvent une autre activité renvoie la profession sur celle-ci : " Il travaille dans les télécommunications " est imprimé à mon sujet, en bas de toutes mes quatrièmes de couvertures… D’autre part, pour pallier la pauvreté du statut d’écrivain, divers aides étatiques sont mises en place pour ceux qui veulent néanmoins persister à demeurer strictement et uniquement des " professionnels de l’écriture " : bourses du Ministère de tutelle (de la culture, donc), ateliers d’écritures de l’éducation nationale, du Ministère de la santé, de l’Intérieur (prisons…), de la Solidarité (sans abris…). Bref, l’écrivain est dérouté de son art par l’usage, l’utilité qu’il peut avoir pour favoriser l’exécutoire de l’écrit, les manques de l’éducation. Il devient animateur, travailleur social, bénévole même on aimerait bien, parfois membre d’un collectif d’artistes en mal de représentation. Là encore, il s’éloigne de sa profession d’écrivain.
Y a t’il une solution ? Augmenter la part des droits d’auteurs est illusoire. S’éditer soi-même (y compris sur Internet) consiste à devenir, non pas écrivain, mais chef d’entreprise, être à la fois éditeur, correcteur, secrétaire, attaché de presse, directeur financier, manutentionnaire, coursier… accessoirement, auteur. Mieux vaut se recentrer sur les possibilités qui existent. Sans doute que, dans la multiplication de toutes les aides, je ne cracherai pas contre une résidence qui me paierait quelques mois de pure créativité. Par contre je serai réticent à devenir un travailleur social régulier, ce qui m’éloignerait de ma propre écriture qui est quand même le fond de l’activité qui me passionne. C’est souvent le danger qui peut guetter l’écrivain quand l’atelier d’écriture, par exemple, devient métier. On en voit certains intervenir plusieurs années de suite dans les mêmes structures. Pour ne pas tomber dans le panneau, jusque là, je refuse de reproduire deux années de suite le même travail, je refuse de m’investir dans un club d’écriture qui ronronnerait sans but. Question de déontologie. Et qui dit déontologie dit professionnalisme. Retour à la case départ.
Donc, oui, la crispation de l’écrivain professionnel est une tradition française. Muriel Barbery, bien avant qu’elle se fasse remarquer avec l’excellent Elégance du hérisson, avait mis en en-tête sur son site " cherche riche mécène ". Le mécénat privé pourrait être une solution. Ou comme aux Etats-Unis, où les écrivains sont parfois en charge de cours dans les universités. Ici, ce serait compliqué. Il faudrait montrer patte blanche, et en vertu de quels diplômes universitaires et comment rejoindre le corporatisme des profs ?
Maurice Nadeau, professionnel reconnu de la littérature et de l’édition dont La Quinzaine Littéraire connaît quelques difficultés financières, faisait remarquer dans le dernier numéro qu’aux USA, " les fondations se disputeraient l’honneur de patronner la Quinzaine ". J’aimerai bien qu’on se dispute, en France, à mon sujet…
(21/03/2007)



Mon ordinateur s'est planté. Enfin, je veux dire le gros, celui, massif avec sa tour, ses deux imprimantes reliées dessus, scanner et photocopieuse, bref, l'apanage du parfait branché bureautique.
J'avais sauvegardé quelques documents sur un disque dur externe. C'est moindre mal mais j'ai perdu l'ensemble des messages échangés et mon carnet d'adresses courriel (avis à ceux avec qui j'échangeais : envoyez-moi à nouveau votre adresse et ça me fera plaisir d'avoir de vos nouvelles).
Je ne suis pas sûr qu'il redémarre un jour, même pas sûr d'avoir envie de le faire réparer : la technologie, nos métiers, études des enfants a doté chaque membre de la famille de micro portables, connectables partout dans la maison à Internet.
Cette apparente indifférence m'interpelle : comment cette virtualité que nous avons bâtie comme réalité autour de nous, devient du jour au lendemain, si peu importante ? Du matériel voilà tout, ou plutôt de l'immatériel sans conséquence, du virtuel, du quantitatif qui compte si peu en face du qualitatif de rapports humains. Nous vivons dans un monde où il y a pléthore d'informations et les nombreux modes de transmission de ceux-ci (courrier, mails, MSN, fax, téléphone, portable, SMS, sites Internet, blogs et j'en passe…) masquent nos évidences. Exemples : je m'esbaudis de savoir qu'une petite cousine d'Alaska retrace la généalogie de ma famille mais je ne vais jamais voir un cousin germain qui habite à 200 m de chez moi ; je suis déçu de n'avoir pas été remercié de mes cadeaux de Noël par des proches qui conversent pourtant parfois ensemble via MSN ; j'appelle moins souvent au téléphone, je préfère envoyer des SMS ou des cartes virtuelles pour les anniversaires, c'est moins engageant.
Nous nous rendons compte que la quantité d'outils de communication a perverti la qualité de nos échanges. Les mails de ceux qui nous sont chers, les informations attendues sont noyées dans la masse des stupides publicités anglo-saxonnes indésirables. Bref du quantitatif à profusion, comment trier ?
Ne nous leurrons pas : pour ceux qui s'astreignent à suivre un blog ou un site Internet, les patientes heures de mises à jour sont également perdues au milieu de cette multitude d'information. Est-ce qu'on me lit ? Et moi-même, je suis souvent incapable d'aller jusqu'au bout des articles de mes sites préférés. Par moment, le découragement peut prendre : je me sens tout à fait capable d'arrêter ce site du jour au lendemain sans avoir plus d'explication à donner et cela passerait quasiment inaperçu.
Alors pourquoi le fait-on ? Mystère de la bouteille jetée à la mer, du graffiti gravé sur un tronc d'arbre…
(14/03/2007)

 

Voilà, le livre est paru sans moi : j'étais en vacances en Jordanie.
Bien sûr, là-bas, j'ai pensé à ce 1937 Paris - Guernica qui s'imprimait, s'empaquetait, partait vers de lointaines librairies. Le livre terminé, imprimé, je ne l'ai découvert que ce lundi matin 5 mars, en allant chercher à la poste les trois colis de mes exemplaires d'auteurs. L'opuscule est seyant, belle couverture, belle mise en page, l'enfant est un peu maigrichon, 156 pages : je n'ennuyerai pas longtemps mes lecteurs... J'ai continué à étoffer un peu la page Web spéciale pour présenter ce travail, quelques planches de l'Album Officiel de l'exposition de 1937, la reproduction du très bel article de Remue.net . J'aurais beaucoup plus à dire mais le temps me manque.
Et puis, juste la veille de mon départ, j'ai remanié en une journée un autre texte plus dense que celui-ci et qui doit allègrement dépasser les 300 pages : le fameux CV roman, l'arlésienne et ses vingt et une version, celui-là même pour lequel je déclarais fin janvier que je n'avais vraiment pas envie de reprendre "ce machin bancal", bref, "Cargo Voguant" est à nouveau à flot, confié à nouveau à l'armateur. Sait-on jamais ?
Voilà. Le livre qui naît et l'autre qui bouge encore provoque cette étrange période. Parler de celui qui est écrit m'apparaît toujours un peu comme une imposture, puisque c'est fait. Et celui qui se monte se construit encore, parfois avec peine est souvent tellement peu sûr encore que j'hésite aussi à en parler. Quand et comment alors parler, écrire des livres qui nous habitent ? Et pourtant j'aime le faire sinon ce site n'en serait pas la preuve.
(07/03/07)

 

Il est temps d'annoncer la sortie de mon prochain livre dans quelques jours, le 1° mars prochain :
1937 Paris - Guernica, chez Maren Sell éditeurs
C'est est un roman ! s'exclame la sage femme. Le titre, déclaré à l'état-civil, sonne comme la course cycliste Paris Roubaix et je suis fier de cette dénomination populaire, bien en rapport avec le sujet du livre.
Le meilleur moyen d'en savoir plus sera de retourner l'un des exemplaires qui s'érigeront partout en piles gigantesques et en têtes de gondole pour y consulter la quatrième de couverture. Pour information, je la recopie donc ci-dessous... ainsi que sur la page Web spéciale qui lui est destinée, comme pour les précédents rejetons, afin d'en savoir un peu plus sur les circonstances de l'accouchement et y ajouter, par la suite, réactions, critiques, premières timbales, hochets et nain-nains qui, j'espère, ne manqueront pas.

"1937, c’est une année qui ne dit rien, a priori. Le Front populaire a un autre millésime, et la Seconde Guerre mondiale vient peu après. Pourtant, 1937, c’est l’Exposition internationale de Paris. C’est aussi Guernica et ses mille bombes incendiaires lâchées sur la petite ville d’Espagne. Et Guernica, c’est également une toile, celle que Picasso bâtit, quai des Grands-Augustins, à Paris, pour la présenter au pavillon des républicains espagnols de l’Exposition internationale.
L’auteur raconte ici le roman de 1937, en partant du catalogue officiel de cette " Exposition internationale des arts et techniques appliqués à la vie moderne ". S’y succèdent les clichés en quadrichromie des différents pavillons que le concert des nations de l’époque a posé sur les bords de la Seine. Cartes postales lisses, irréelles et trompeuses au regard des cris et convulsions en noir et blanc de Guernica. Nous suivons le photographe chargé de confectionner le catalogue, procédant à la fabrique de ce réel moderne, perfectionné, et, en contrepoint, à travers le regard photographique de Dora Maar, nous assistons au travail de Picasso.
Deux regards, deux visions, dont la coexistence historique nous rappelle à quel point l’insouciance, la légèreté, l’illusion du progrès, peuvent être tragiquement contemporains de la barbarie en marche. Un rappel à la vigilance
."

(21/02/2007)

 

J'ai des réticences de ploucs, je suis "acculturel" comme avait dit un journaliste à propos d'un coupable limité d'un fait divers, bref, j'ai de vieux principes ringards d'anti-tout, des a priori négatifs. Parmi ceux-là, ceux du roman policier ou d'un genre assimilé. Je n'en ai jamais lu, pas un SAS, pas un Maigret, aucun Frédéric Dard, aucun Simenon qui furent pourtant prolixe avec 500 bouquins à eux deux. Cette circonspection vient du piédestal sur lequel j'ai hissé la littérature et je n'ai connu personne qui puisse me signifier que, oui, cette écriture pouvait faire illusion. Car c'est bien d'illusion qu'il s'agit. On confine toujours roman policier ou roman noir dans la paralittérature. Et il a fallu que je me risque à un atelier d'écriture sur ce thème (voir Atelier de Dijon, La vie en noir) pour apprendre cela.
Selon Wikipédia, la paralittérature "se dit des productions textuelles issues des "littératures populaires" de la fin du XIXe siècle, elles même issues de la littérature de colportage. Les paralittératures sont relativement nombreuses. On peut les classer en grands groupes comme : les littératures spéculatives (le roman policier, le roman de science-fiction, le fantastique, l'utopie et la dystopie), les littératures de l'aventure (roman d'espionnage et de western), les littératures à tendance psychologiques (roman sentimental, roman rose, roman érotique, roman pornographique), la littérature iconique (roman photo et bande dessinée), la littérature documentée (roman historique, roman chronique et roman rural). Ces littératures sont généralement décriées par l'institution universitaire, sauf en ce qui concerne le fantastique et maintenant le roman policier" En effet, l'institution universitaire, l'école quoi, représentée ici par Lettres.net apporte une définition plus laconique "ensemble des productions textuelles sans finalité utilitaire et que la société ne considère pas comme de la "vraie" littérature : roman ou presse populaires, scénario et texte des romans-photos, bandes dessinées etc...". Bref, il y a divorce entre la vision d'un certain académisme et la réalité de cette production pléthorique en genre et en nombre et donc en poids économique. On appréciera le "sans finalité utilitaire", en d'autres termes, sans but pédagogique, sans noblesse, même si on reconnaît à Harry Potter d'essayer de réconcilier tout ces mondes différents. Des profs même s'accordent à dire que c'est pas si mal écrit et que ça fait lire... Mais bon, nous savons bien que le "sans finalité utilitaire" devient attractif sous la forme de pièces sonnantes et trébuchantes. C'est la valeur économique qui  a reconnu Simenon jusqu'à la Pléiade. Si André Gide a dit de lui : "Simenon est un romancier de génie et le plus vraiment romancier que nous ayons dans notre littérature d'aujourd'hui ", n'oublions pas le philosophe Herman de Keyserling a déclaré malicieusement " C'est un imbécile de génie ", ce qui en dit long sur la considération du genre.
Par osmose,donc, l'écolier que j'étais, discipliné à la discipline de la Langue Française que m'avaient tant vantée
Lagarde et Michard, a été écarté de la tentation. Mais rien n'a vraiment changé, les honneurs sont honnis et le terme même de paralittérature est un faux compromis qui fabrique la noblesse et le tiers-état des lettres. Paralittérature, ça me fait penser à la parapharmacie, c'est ce qui fait vivre les pharmaciens mais on ne reconnaît pas cette épicerie dans le fond de commerce médical (on la réduit même : puisé sur le Net, on trouve "parapharmacie = soins du corps, produits de beauté, compléments alimentaire, cosmétique, diététique à juste prix,dédiée aux femmes Nature Prix ajustés et Points fidélité...). On a peur de l'effet placebo, de la magie de l'homéopathie, trucs sans véritablement fondement scientifique au même titre que la paralittérature n'a pas reçu les adoubements des "humanités". Et pourtant ,de la même façon, on constate que ça marche. On peut se glisser dans la fiction d'un polar plus aisément que dans celle de Beckett. Et c'est même la paralittérature qui vient parfois au secours de la grande, la vraie devenue hermétique ou rébarbative : Proust en BD, pourquoi pas...
Bref, je fais mon mea-culpa, oui, la paralittérature c'est de la littérature au même titre que le parachute n'empêche pas de descendre sur le sol. Elle est victime de ses poncifs ? de ses stéréotypes ? Pas plus que le Sonnet qui emprisonne la poésie dans une forme dédiée, ce qui ne m'a jamais empêché d'en produire. Dont acte : à quand mon futur roman policier, sur fond d'aventures fantastique et de science-fiction, mâtiné d'utopie et de dystopie,  richement documenté d'un point de vue historique, avec une intrigue d'espionnage, un cow-boy pour le western et l'exotisme, mêlant la psychologie d'une histoire érotique et rose, voire pornographique à tendance rurale sans oublier des sentiments dignes d'un roman photo et le tout en bande dessinée ? Et dire qu'on appelle cela un genre mineur...
(15/02/2007)

 

J'ai suivi de près les débats sur Amazon, la crispation entre libraires et François Bon qui avait osé ventiler une vente en ligne sur ce prescripteur. Pas eu envie d'intervenir, même si la question est cruciale, vitale. Le débat tourne vite en rond, les arguments sont épuisés car les dés sont jetés. Il est évident que toute la chaîne de distribution du livre est secouée par le Net comme les processus économiques de tous secteurs. Juste un éclairage dans un autre domaine : le combat parfois utopique des libraires indépendants m'en rappelle un autre que je connais bien puisque j'y ai participé professionnellement, c'est celui de la médecine libérale face à la nécessaire informatisation. Premier constat : non, il ne peut pas y avoir de solidarité dans une profession éclatée par des intérêts libéraux (ou commerçants). Deuxième constat : au bout de dix ans, encore les trois quarts des dossiers médicaux sont sous format papier, procédures et méthodes ont englué le tout, de même que les rétentions d'informations qui assurent le pouvoir entre deux services d'un hôpital, parfois entre deux étages d'un même service, sont plus fortes qu'une véritable recherche d'efficacité informatique.
La nature humaine est ainsi faite et la façon timide dont nous avons abordé l'informatique en France, la recherche permanente d'un soutien étatisé a complété le penchant naturel à l'inaction.  Plus d'état ? Moins d'état ? Le monde pendant ce temps-là, tourne.
C'est valable pour la chaîne du livre. Dans ma région, on propose encore des cours pour l'informatisation des libraires (le "on" c'est l'état régional), cela mesure le retard accumulé et parions qu'on y abordera très peu Internet... Voilà pour le panorama général et il faut bien admettre que la généralité ne paye pas, pas plus que la solidarité. Chacun voit midi à sa porte, l'heure est à l'individualisme et au cadran de son clocher. Moi aussi : mardi dernier, j'ai trouvé le DVD du Tambour de Günter Grass chez mon libraire et j'ai accepté d'en payer 2 fois le prix que j'avais repéré sur Internet et le vendredi suivant j'ai commandé deux livres de linguistique sur Amazon, je les ai reçu deux jours après. Pas de leçon, ni de logique dans ma démarche et j'ai la chance d'avoir une excellente librairie dans ma ville, je suis vernis, car il faut bien admettre que les véritables libraires, passionnés, sacerdotaux, sont assez rares : pour avoir parcouru l'Est de fond en comble depuis des années, j'en connais trois seulement en Champagne-Ardenne, Saint-Dizier, Troyes, Reims, pas une de plus. Allez-voir à Charleville où un France loisirs est installé dans la maison natale de Rimbaud... Ailleurs, ne rêvons pas, c'est pareil, on a vite fait de repérer (et soutenir) les librairies dynamiques (Les Sandales d'Empédocle à Besançon, voir Notes d'écriture du 21/09/2005). Celles-ci ont souvent la chance d'avoir un tissu économique favorable, situation en plein centre-ville, absence de ces chaînes fourre-tout que sont les drugstores. D'ailleurs à ce sujet, n'en déplaise aux vendeurs FNAC, je n'ai jamais trouvé chez eux un libraire compétent, quelqu'un qui puisse servir à autre chose que de consulter son écran et vous répondre sèchement que le bouquin que vous cherchez, non, on l'a pas...
Dans nos utopies à vouloir refondre les processus de l'édition ou de résister (mais à quoi ?), la véritable utopie est de croire à l'idée du plein partout, la vieille idée de comprendre le monde en le remplissant (Espèces d'espaces comme dirait Georges Perec) : dans ma campagne qui se dépeuple, la moitié des médecins auront disparu d'ici dix ans, mon libraire isolé aura peut-être aussi envie de mettre la clef sous la porte. De même sur le Net, la toile ressemble à un gruyère tant du point de vue des utilisateurs que du contenu, la solution miracle du tout Internet n'existe pas non plus, y compris pour les auteurs, souvent  oubliés de toute la chaîne du livre, alors qu'ils en sont à l'origine, et y qui cherchent parfois d'autres voies que les désespérantes galères éditoriales (voir à ce sujet le rapport Livre 2010 - et la question récurrente qui revient de même : Plus d'état ? Moins d'état ?).
On peut en effet retourner les concepts en tous sens, vouloir tout maîtriser, on trouvera toujours plus fort que soit en matière de processus globaux, distribution, import-export disait-on autrefois. On peut aussi soutenir pour se consoler que le Web apporte une plus grande liberté, une égalité mais c'est faux, mieux vaut remplacer ces mots par libéralisme. Ne soyons pas hypocrites, autre exemple de distribution : le commerce équitable, cher à nos yeux, est maintenant remplacé par la mode du commerce ethnique mais c'est toujours en grande majorité les mêmes (des occidentaux bien entendus) qui tirent les ficelles, qui pilotent et s'enrichissent de l'inévitable triangle production-diffusion-consommation.
Ou livres-libraires-lecteurs, si vous préférez une échelle plus réductrice.
(07/02/2007)


Il est évident que j'ai changé. Brutalement. Ou peut-être que je m'en aperçois seulement maintenant. Cela touche plusieurs domaines, politique, philosophique, mon regard sur le monde, mon apparence physique même. Je n'ai pas envie de justifier tous ces changements. Peu importe qu'ils soient durables ou versatiles, nous ne sommes pas constants et heureusement. Mon écriture aussi a évolué d'où la place de cette rubrique pour tenter vaguement de comprendre, plutôt d'énumérer ce qui s'y trame.
C'est drôle, je vis l'abandon de CV roman comme un soulagement, je n'ai vraiment pas envie de reprendre ce machin bancal, associé à une période de doute, alors que l'année précédente, à la même époque, (Note d'écriture du 11/01/2006) j'en parlais en termes tendres : Ton nom de cargo voguant, CV roman, est accroché à la proue, juste au-dessus de l’ancre déjà corrodée. J’aimerais en sous-titre un port d’attache qui me ferait rêver : Baltimore, Calao, Aden, Providence… Déjà, je sens venir le jour où tombera ton nom, CV roman, à force de craquements, de cahots hésitants, de changement de cap, de rouille de sel, rejoignant le large remous du sillage, y perdant sa substance, détaché, rejoignant les profondeurs du grand bleu. Je n’ai qu’un seul souhait : qu’il emporte avec le titre, le genre : il m’importe peu si je réussis à tenir le cap, à écrire un texte au long court sans le souci de sa variété, de son espèce, sans l’idée même de réussir cette traversée. Les livres ont un sortilège : finir en carré de feuilles dans des géométries de collections, sous les barreaux des rayons de littérature française avec roman ou récit ou recueil écrit sur leurs couvertures. J’espère t’achever, mon bouquin, et quel sera ton port m’est indifférent. Et plus tard, le 15 mars : J’ai testé : CV roman est charpenté et solide. Pas quelque chose de très fin mais il flotte.../... le machin en cours qui se balance encore à quai sera un peu rude, farouche : voilà, c’est dit, à prendre ou à laisser... CV roman, cargo voguant, sera donc laissé en câle sèche, à quai. En relisant mes notes de l'année précédente, je m'aperçois que ce manuscrit, un peu bancal tout de même, n'avait pas convaincu l'éditeur, trop touffu et, comment dire, trop marqué par l'actualité, pas assez intemporel. Je m'en inquiétais déjà en mai 2006 : CV roman me semble " daté ". De plus l'éditeur en question a changé de maison. Et puis d'autres projets de publication ont  achevé de reléguer sur un rivage l'embarrassant navire de feuilles. J'écrivais : Tu es trop grand, trop encombrant, tu es un morceau de plomb, tu vogues épais comme un paquebot. J'ai prévenu l'éditeur qui m'avait octroyé une (maigre) avance et qui attend sans doute la suite de mes aventures. Il a l'expérience d'un capitaine, il sait que les marins des mots ont toujours pour projet de repartir en mer.
J'ai changé donc. Je suis sorti, non pas des incertitudes, ce serait même dommage, mais du malaise qui me tenait. Ceci dit, ça fait déjà longtemps que la forme est revenue, quasi deux ans, et quelle forme... Restait l'esprit à reconstruire et que les briques se mettent en ordre petit à petit. La rédaction puis la publication très prochaine du nouveau livre m'y a aidé assurément, manière de reprendre confiance dans l'écriture (on en reparlera très prochainement, ça sort le premier mars).
J'ai même encore changé depuis ce nouveau projet encore pas sorti. J'ai l'impression que mon écriture, donc moi, ma trogne, ma faconde, évolue encore. Dans l'instant, j'ai surtout envie de m'échapper de l'image où m'ont collé les premiers titres, comment dire, le truc vaguement intello et formaliste, l'appréhension du réel. Tu parles... On ne se refait pas. Je suis un marrant (si, si...), un rigolo, un caustique tendance cire à parquet, un drolatique à jeux de mots laids, un potache de légumes du jardin. René Fallet et ses Vieux de la vieille me correspondent plus que les réflexions philosophiques sur la mort cent mille fois annoncée du roman. Du coup j'ai abandonné quelques projets foireux d'artistes éternellement réflexifs sur eux-mêmes. J'ai essayé trente-mille idées en cette fin d'année. Des thèmes, le discours, le récit, l'humour, le picaresque, j'en ai jalonné ces notes d'écritures. Ce n'est pas incohérent, c'est plutôt la mise en place, l'approfondissement des questionnements qui me traversent. Et puis, il y a tout ce qui s'accroche à l'écriture et arrive au hasard des ressacs en sollicitations diverses : les dix ans du Wepler où je fus lauréat (grâce aux trucs formalistes et à l'appréhension du réel, je ne l'oublie pas), une très modeste contribution à un dictionnaire de littérature populaire (sic), un atelier d'écriture qui se profile à Dijon (on en parlera très bientôt).
Tout cela donc avance, cahin caha, au gré de ces changements. Expérimentations de textes : actuellement un roman en projet "tient" mieux que les autres, de la même manière qu'une peinture accroche mieux un mur (j'ai repeint deux plafonds récemment..). Et désolé pour Alain et Muriel, les seuls au courant d'une autre idée de récit ébauchée en fin d'année, ce n'est pas l'histoire du type à poil sans ses lunettes perdu sur une plage... Quoique la vision de CV roman, en bon gros vieux cargo échoué me fasse suffisamment rêver : sait-on jamais puisque je change tout le temps ? 
(31/01/2007)

 

En écho à la note précédente, façons d'écrire de Louis Ferdinand Destouches, alias Céline :
" En réalité je travaille avec beaucoup de labeur si j'ose dire. Il y a l'éloquence naturelle. ça évidemment, c'est une base. Mais enfin, la feuille de papier ne tient pas l'éloquence naturelle. On connaît la pauvreté que donnent les discours à la Chambre ou les plaidoiries quand elles sont transcrites en sténo. Non. Et dans le peuple, l'envoi d'une vanne, ça fait une petite phrase drôle et puis c'est tout. Maintenir un effort de stylisation de 400-500 pages demande énormément d'efforts, à savoir qu'il faut énormément revoir et revoir. Pour dire la vérité, 400 pages imprimées font 80 000 pages à la main. Le lecteur n'est pas forcé de le savoir. Il ne doit même pas le savoir. C'est l'affaire de l'auteur à effacer le travail. Vous mettez le lecteur dans un paquebot. Tout doit être délicieux. Ce qui se passe dans les soutes, ça ne le regarde pas. Il doit jouir des paysages, de la mer, du cocktail, de la valse, de la fraîcheur des vents. Tout ce qui est mécanique, ou servitude, ou service, ne le regarde pas du tout."
Entretien avec Louis Albert Zbinden
(24/01/2007)

 

"D'accord. Je suis pensionnaire d'une maison de Santé." ; "ça a débuté comme ça. Moi j'avais jamais rien dit, rien ". Ces deux incipit sont du Tambour de Günter Grass et du Voyage au bout de la nuit de Céline.
La mode universitaire du moment est de réunir ces livres comme des exemples du prolongement au XX° siècle de romans picaresques (avec Ralph Ellison pour Homme invisible pour qui chantes-tu ?). Il est vrai qu'ils ont beaucoup de points communs entre eux, à commencer par l'humour qui les jalonne. Rien qu'avec ces deux incipit, on voit bien que le parti est pris de donner voix à deux narrateurs qui vont raconter leur histoire. Les marques de l'énonciation sont visibles : le "D'accord " chez Günter Grass  répond aux signes visibles du discours de Ferdinand Bardamu (élision du "ne" pour la forme négative par exemple). Le départ semble déjà sur les chapeaux de roues, on est de suite placé dans la vitalité captivante des deux protagonistes. Le "Moi j'avais jamais rien dit. Rien. " est déjà preuve d'un narrateur à forte personnalité, un bavard qui se maîtrise, qui comprend parfaitement la réalité et les situations.
Tout est déjà dit dans ces deux débuts. On sent qu'ils ont envie d'en découdre avec cette histoire. Ces premières phrases représentent en quelque sorte l'élan énergétique que les deux protagonistes devront donner à leur récit. La course avant le saut. Et le saut représente tout de même 500 pages pour Céline et 600 pour Günter Grass...
De quoi vont-ils parler ? De tout et de rien, du monde quoi, mais avec un appétit féroce. Les aventures picaresques me semblent ainsi : peu importe le contenu, la finalité des aventures qui s'y passe, pourvu que l'on bouge, que l'on s'agite autour des moulins à vent. C'est en voulant embrasser cette multitude que se dégage une certaine philosophie que la volonté de vivre rend joyeuse. Puisqu'on est dans ce monde-là, profitons-en. De ces livres, je n'en retiens pas le désespoir qu'on a souvent mal interprété : il est indissociable de la joie, donc de l'humour. J'ai beau avoir lu Le Rire du philosophe Bergson, je ne me souviens pas avoir souri (mais beaucoup appris par contre). Mais quand Bardamu ou Oscar tente de philosopher avec énergie sur le sérieux de la vie, le miracle de l'humour arrive.
Pour autant nos deux narrateurs vont devoir tenir pendant 500 ou 600 pages. Et l'habileté des écrivains tient à ce que l'incipit de chacun de leur roman puisse se décliner d'une façon cohérente. Vient alors inévitablement le moment de nommer le narrateur comme protagoniste à part entière, personnage principal, jeune premier de l'histoire, bref, celui qui saura fédérer toutes les aventures.
Céline l'intègre dans le parti pris du discours : il fait comme si le narrateur racontait une histoire à un témoin. Suite de l'incipit : "C'est Arthur Ganate qui m'a fait parler. Arthur, un étudiant, un carabin lui aussi, un camarade." Le narrateur va donc se dévoiler par le biais de cet ami et son nom Bardamu arrivera quelques répliques plus loin dans cette conversation rapportée "Bardamu qu'il me fait". Le procédé est assez simple mais à l'époque, 1932, dix ans après la mort de Proust, cette parole discursive libérée est nouvelle. A noter que le prénom Ferdinand arrive de la même manière à la fin du chapitre mais la réplique en dit long sur l'utilité d'affecter des noms aux personnages : "T'es rien c... Ferdinand !" Je trouve évidement cette faconde jubilatoire, moi qui suis toujours obsédé par la meilleure façon d'échapper à la convention romanesque de devoir nommer... Et là, traiter de c... son personnage principal avant de le prénommer, chapeau !
Pour Günter Grass, la narration est plus élaborée et ne se contente pas d'un récit discursif linéaire jusqu'à la fin. Le personnage principal (Oscar) n'est pas nommé en premier de même que chez  Céline, mais c'est bien celui par qui le vrai nom arrivera : "Bruno Münsterberg - trêve de plaisanterie - c'est le nom de mon infirmier" dit le narrateur à la deuxième page. Notons au passage que chacun emploie une façon originale de nommer les personnages, comme si chaque nom, chaque choix arbitraire donc, devait être justifié... Le paragraphe suivant introduit Oscar à la fin d'une réplique attribuée à Bruno : " Du papier blanc comme cela Monsieur Oscar ?". Oscar est donc maintenant relié au narrateur. Cependant, et c'est là que le récit prend une toute autre dimension, Oscar ayant reçu du papier pour raconter son histoire décide de placer son récit bien au delà de sa vie, ainsi, à la page suivante arrive la phrase étonnante qui aurait aussi constitué un très bel incipit : "Je commencerais longtemps avant moi", ce qui permet d'introduire la non moins étonnante réplique : "Je vous présente la grand-mère maternelle d'Oscar". Désormais Günter Grass s'est ouvert encore plus de possibilités : il peut continuer à utiliser la focalisation vers le narrateur sous la forme du "je", du "moi", mais aussi du "il", utilisant "Oscar" pour parler de lui. Ainsi pour la première fois, le jour de sa naissance, à propos d'un papillon de nuit : " Aujourd'hui Oscar le dit : le papillon de nuit jouait du tambour". Cette double narration est difficile à maîtriser mais est importante car le regard est forcement plus large, non plus restreint aux seuls yeux du narrateur mais comme vu d'avion et offre beaucoup plus de possibilités narratives. Oscar et Je se répondent alors comme deux vieux complices mais partagent maintenant leurs aventures picaresques dans les 600 pages à venir, ce qui est beaucoup plus tenable !
(17/01/2006)

 

- Oui, Madame Renée, dit l'écrivain à sa concierge, héroïne de L'élégance du hérisson,  (voir Notes de lecture du 19/09/2006), oui, Madame Renée, donc, j'ai passé une excellente année 2006. Forme, écriture, joie de vivre, tout fut gai... Sans faire un bilan exhaustif, disons que l'alternance entre mon boulot et mon congé de formation m'a assuré un équilibre bénéfique, et même si la reprise fut parfois dure et prenante, l'atelier d'écriture de Dole est venu à point nommé pour m'accompagner en énergie, quelques voyages en Egypte, Maroc, Angleterre, Sicile et Espagne, (excusez du peu...) ont complété la mise d'une année réussie. J'ai même grandement apprécié ces fêtes familiales de fin d'année, exercice souvent éprouvant et tatillon.
- Et l'écriture dans tout cela ? Me demanda, Madame Renée, très férue en littérature russe (idem, voir note et surtout lire le roman...).
- Parfait... Enfin, disons qu'il y eut du concret, la réécriture d'un livre à paraître en mars. Dame ! Ce n'est pas rien de renouer avec l'édition trois ans après PPPP...
- Et ça parlera de quoi ?
- Ha, ha ! Nous verrons cela un peu plus tard. Mais bon, ce fut une bonne année d'écriture même si je place mon précédent projet CV Roman sur la touche. Il y a comme cela des livres dont on ne sait pas encore quoi faire.
- Et 2007 ? D'autres projets ?
- Figurez-vous qu'une frénésie d'écriture m'a touché il y a peu. Trois, quatre histoires ébauchées mais deux survivent mieux que les autres : nous testerons leur résistance...
- Eh bien, je suis très content de votre forme. Excusez-moi, je vous laisse, j'ai un Tolstoï à terminer (Mais lisez le livre que je vous dis)...
- Au plaisir, Madame Renée...
- Pour mes étrennes, n'hésitez pas à interrompre mes lectures, bien entendu... Et encore tous mes vœux, monsieur l'écrivain...
- Euh... (ton hésitant) Je ne manquerai pas de déposer une enveloppe dans votre loge, Madame Renée.
(10/01/2007)