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Mirecourt, école de lutherie
 

"[...] la pente raide menant à l’étage des chambres et au grenier après un dernier soubresaut d’escaliers, juste eu le temps d’y apercevoir dans de rares visites des étuis d’instruments à corde – on raconte que l’arrière-grand-père était chef d’orchestre dans les Vosges – il en restera l’héritage d’un violon de Mirecourt, et comment un tel instrument s’empâte à rester soixante dix ans à l’ombre, et comment il faut des années et un jeu régulier pour y colorer de nouveau la musique dans l'empreinte du bois." (Langres s'use, 2005)


 


 

 

A mon avis, il n'y a pas de mystère plus grand que celui des violons. Mystère des corps parce qu'aucune posture n'est naturelle dans la tenue du violoniste. Colonne vertébrale vrillée,instrument coincé entre le menton et l'épaule, poignet tordu dans l'allongement de l'archet et pourtant le miracle arrive : la petite boîte en bois provoque des émotions inimaginables. Alors on cherche d'autres mystères, Stradivarius ou Amati avaient-ils vendus leur âme au diable pour que jaillisse la musique des anges à travers l'assemblage de simples bouts de bois ? Le choix des essences, l'assemblage du bois, la fabrication séculaire, l'apprentissage minutieux demeurent la partie visible et pragmatique d'une telle mythologie. En 2008, lors d'une journée portes ouvertes, j'ai eu la chance de visiter l'école de lutherie, la seule véritable en France dans la petite ville des Vosges qui accueille traditionnellement la fabrication de violon depuis le XVII° siècle. Répondant à la même époque à la célèbre Crémone en Italie, Il faut savoir qu'à la naissance de Stradivarius, en 1644, Mirecourt comptait déjà plus de quarante luthiers. La mécanisation au XIX° siècle a assuré de plus grandes productions sans sacrifier cependant à la qualité. Au delà de ce patrimoine, il y a les histoires familiales. J'ai hérité d'un des violons d'étude du côté de mon grand-père, un Jérôme Thibouville-Lamy et mon épouse a reçu l'instrument de son arrière grand-mère, vieux d'un siècle, mais elle joue plus souvent sur un autre modèle plus puissant qui date de 1945, plus équilibré pour jouer en quatuor et ne pas se laisser déborder par les autres musiciens munis d'instruments parfois plus prestigieux.
(25/06/2010)



 

 

Mirecourt des Vosges et Crémone d'Italie se ressemblent peu. A Crémone, entre Florence et Venise, tout rappelle le faste de la Toscane : maisons cossues, place avec campanile élancé. La vie est typique de l'Italie, pizzeria, pasta, et cette sorte de simplicité désinvolte et gentille dans la manière de vivre des habitants (lors de ma visite, un garagiste avait aimablement et gratuitement rechargé la batterie de ma voiture qui présentait des signes de faiblesse). Mirecourt est plus discrète, plus petite aussi, c'est un gros bourg qui semble émerger sans tambour ni trompette au milieu de la verdure des Vosges. Ni tambour, ni trompette, mais des violons, ce sont les points communs, les raisons d'être de Mirecourt et Crémone. On y vient donc pour cela, passionné de lutherie et c'est dire si finalement, ces villes accueillent avec bonheur peu de touristes. D'abord Crémone est à l'écart de l'axe Florence-Venise et il y a tant déjà à voir en Toscane ! Crémone ne figure parfois même pas sur les guides touristiques. Pourtant, la ville doit sa notoriété depuis le XVIII ° siècles à son principal luthier, Stradivarius. Un beau musée lui est consacré, bien agencé, avec quelques belles pièces comme l'émouvant linteau de bois de son atelier qui porte son nom. A Mirecourt, pas de Stradivarius, et qui connaît Vuillaume ? L'artisan ne devra sa notoriété après " être monté " à Paris, ce qui laisse méditatif devant le fonctionnement des deux pays où Stradivarius n'eut pas besoin de rejoindre Rome pour y devenir célèbre… Ainsi Mirecourt existe peu, c'est tant mieux. Il faut arpenter ses rues dans la quiétude d'une matinée de septembre pour en sentir tout le charme. Généralement, pour qui entretient ses violons, la matinée aura commencé par une visite chez son luthier habituel, des discussions bavardes de passionnés et l'attente d'un remêchage de l'archet par exemple prolonge les heures. On peut en profiter pour visiter le musée des instruments mécaniques, celui de la lutherie, on peut aussi flâner, aller au marché du samedi, s'arrêter dans une pâtisserie pour déguster des gâteaux " à la crème de luthier " (crème de marron). Mais que ce soit à Crémone où à Mirecourt, la petite boîte en bois qui produit d'aussi jolis sons, crée l'ambiance, étend sa magie et sa forme parfaite partout.
(Note d'étonnement du 29/10/03)




 



 



 


Le luthier est sans doute aussi proche de l’écrivain que le compositeur. Et le musicien, du lecteur. En effet, si le geste du compositeur s’apparente à l’écrivain dans sa transcription de la musique sur les portées, le luthier, qui propose la construction d’un instrument, part d’une réalité bien normée mais qui semble s’échapper dés lors que le musicien, le lecteur donc, s’empare de l’instrument. C’est ce passage du réel à une sorte d’émotion impalpable, proche de la fiction, qui rend l’art du luthier si proche de celui de l’écrivain, lui qui fournit la " matière première " pour son musicien-lecteur, de même qu’entre les mots bien concrets d’un écrivain se cache l’émotion ou d’autres sentiments. Dans cette sorte de littérature à contrainte qu’est la fabrication d’un instrument, l’archetier fait figure de poète par rapport au luthier tant la simplicité de son art le rend proche de l’épure d’un Haïku par exemple.
Tout d’abord, force est de constater que les archetiers qui ont pignon sur rue ne sont pas légion, de même que les poètes dans la vaste littérature. Bien souvent, le luthier construit aussi lui-même ses archets, de même que l’écrivain, entre deux romans, se commet parfois dans un recueil de poésie.
A Mirecourt, il n’existe qu’un seul archetier qui consacre sa vie d’artisan uniquement aux mèches et aux baguettes de Pernambouc. Quand je suis entré pour la première fois dans son atelier, je n’étais pas persuadé, loin s’en faut, de l’importance de son rôle dans la lutherie, de même que le rôle d’un poète passe souvent inaperçu dans la communauté des hommes. Baguettes de bois du Brésil, crins de cheval, quelques éléments mécaniques, le tout semblait d’une simplicité évidente, la même qui nous fait lire un poème de Rimbaud en pensant qu’on aurait pu en faire autant. Et puis, il a fallu choisir entre quatre ou cinq archets, tous évidemment identiques. Premier étonnement : il a bien fallu deux ou trois heures pour choisir celui qui deviendrait l’archet idéal, le compagnon du violoniste pour de nombreuses années. Ce n’est évidemment pas l’aspect physique qui pouvait départager ces maigres constructions de bois et de crins, mais des sensations que des mots imparfaits tentaient d’illustrer : nervosité, souplesse, équilibre… Deuxième étonnement : l’archetier jonglait avec ses archets comme le joueur à la sauvette fait passer une pièce sous trois pots. Aucune étiquette, aucun signe ne semblait différencier les baguettes, ni l’aspect, ni le vernis, ni le bouton de nacre, rien… Pourtant, l’archetier continuait sa ronde infernale, à saisir l’un, l’autre, à les faire valser entre ses mains : et pour le staccato, essayez le troisième, revenez au premier… A un tel point que je me suis hasardé à lui demander comment il s’y retrouvait. Il a eu cette phrase banale : mais enfin, je les fabrique, heureusement que je m’y retrouve ! Ce qui m’a laissé rêveur, mais ce n’est finalement pas si éloigné du texte qu’un écrivain construit et qui sait retrouver le plus petit assemblage de mots à coup sûr dans les centaines de pages déjà écrites.
Mais le lecteur dans tout cela ? Pardon, je voulais dire le musicien… L’archet est sans doute la pièce la plus importante ; si le violon en impose par sa grâce et sa parfaite conception, la main gauche qui le cale sous le cou n’a qu’une mobilité réduite comparée à la droite qui tient l’archer, qui le fait glisser sur les cordes, voler, s’arrêter, reprendre, s’appuyer, s’alléger. Les yeux fermés, un violoniste reconnaîtra son archet, changera insensiblement de position pour compenser une plus grande souplesse ou durcir le contact. Il en va comme de la lecture d’un texte, on fait corps avec certains écrits. Les plus ténus nous émeuvent, cela paraît si simple, de même qu’une baguette et quelques crins nous surprennent par la variété d’émotions qu’ils nous font éprouver.
(Note d'écriture du 29/10/2003)


 

Comment la musique vient aux instruments 
de Lothaire Mabru, Editions Pierron

Ethnologue et musicien, Lothaire Mabru a eu l’excellente idée de consacrer une étude à la lutherie de Mirecourt. Les études sur les luthiers sont rares et plus rares encore celles consacrées à la cité vosgienne, pourtant la seule à posséder une école nationale de lutherie. Il aurait pu se contenter de dresser un catalogue des luthiers et des particularités de chacun d’eux, mais il a approfondi les rapports subtils qui existent entre le fabricant d’instruments et le musicien. Son étude, donc, passionnante, retrace à travers les interviews des luthiers, les contradictions et les similitudes de leur artisanat. Car s’il est bien un terme que revendiquent tous les luthiers, c’est celui d’artisan. Parfois d’artisan d’art comme pour insister doublement sur l’ " ars ", réalisation réfléchie de l’homme. Ceci, dit, quand il s’agit de parler plus précisément de leur métier, même si la passion transparaît, personne ne se dévoile complètement, certains se retranchent derrière un minimalisme du genre " je n’assemble que quelques planches ", d’autres, plus rares, évoquent une sorte de dépassement mystique qui préside à la réalisation des instruments. Là encore nous voilà dans des balancements d’idées qui rappellent celles de la littérature avec d’un côté le minimalisme que fustige la nouvelle fiction, par exemple. Dans ces querelles de petit Hernani, transparaît surtout cette pudeur à se dévoiler à travers l’intime tâche de faire un violon. Pudeur que je connais bien : le livre de Lothaire Mabru aurait pu porter en sous titre comme pour plagier Feuilles de route " Tentative d’exposition du travail de luthier à la vue de tous. ".
Pour finir cette mise à jour " spécial violon ", je ne peux m’empêcher de penser à la magnifique Viole d’amour, instrument ô combien compliqué avec deux fois sept cordes superposées (le jeu du dessous passe sous la touche, traverse le chevalet et n’a de rôle que de vibrer par résonance avec le jeu du dessus, frotté par l’archet). Cet instrument est dans le musée de Mirecourt et son histoire est édifiante. Fabriqué avant guerre par un luthier, il resta des années inachevé et en pièces détachées car, entre temps, le fabricant avait fermé son atelier et le luthier s’était reconverti en infirmier psychiatrique à la ville voisine. A l’heure de sa retraite, malgré l’insistance de sa famille, le luthier ne se décida jamais à terminer son instrument. D’autres heureusement le firent à sa place. Cette histoire est typique du gâchis que peut faire l’économie, qui se moque bien des subtilités de l’art. Merci à Lothaire Mabru d’avoir redonné dignité à ceux qui se considèrent parfois comme de simples ouvriers, c’est à dire " dans l’œuvre ".
(Note de lecture du 29/10/03)


 

 

 



(25/06/2010)