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Etonnements 2007
 

L'homme on l'appelait Bouba, c'était son surnom. C'est marqué sous son nom véritable. Dans le journal, il y a sa photo. Je l'ai reconnu tout de suite mais on me l'avait déjà annoncé avant. Cela se sait vite, c'est une petite ville. Tu sais celui qui... Et bien, le pilote... On en a parlé à la télé... Je ne le connaissais pas, il nous avait juste expliqué pendant la visite comment fonctionnait son avion (voir même rubrique le 14/03/2007). La cabine de pilotage ressemblait à une console de jeu vidéo, quelques joysticks pour maîtriser la formidable poussée. A peine de quoi rentrer ses fesses sur le siège étroit. En voyant ce grand gars, je me demandais comment il faisait pour s'asseoir dans le cockpit, avec la combinaison de vol, le casque, les branchements divers. Il disait aussi qu'on ne savait pas trop ce qui passerait s'il y avait une panne, c'était un avion neuf, les simulateurs de vol viendraient plus tard mais une telle puissance, on n'avait jamais vu. Il était parti au Pakistan, ce n'était pas là-bas que ça s'était passé mais bien au milieu de la France comme quoi. On n'en sait pas plus, on ne saura jamais. On a dit une chute de quatre mille mètres, un cratère, l'avion enfoncé dans le sol.
Pendant un jour et une nuit, dans la forêt, tous les habitants de Vauville l'ont veillé. Comme avant, dans le temps ancien, comme on l'aurait fait avant, ils l'ont veillé avec des bougies, des prières, des chants, des pleurs des fleurs. Et puis ils ont réussi à le sortir de l'avion.../... On voudrait arriver quelque part avec cette émotion. Écrire par le dehors peut-être, en ne faisant que décrire peut-être, décrire les choses qui sont là, présentes. Ne pas en inventer d'autres. N'inventer rien, aucun détail. Ne pas en inventer du tout. Rien comme tout. Ne pas accompagner la mort. Qu'on la laisse, à la fin, qu'on ne regarde pas de ce côté-là, pour une fois.
Le texte en italique est extrait de La Mort du jeune aviateur anglais, de Marguerite Duras.
(19/12/2007)


Je suis toujours étonné combien le mot "libéralisme" provoque comme crispation. Bien entendu, ce n'est pas au mot qu'on en veut mais aux idées qu'il véhicule. Mais le mot en sa substance, héritier capitalistique de libéral, est lui même issu de liberté. Et les correspondances latines, libéralis, libertas, laissent bien entendu entrevoir le "liber", terme botanique, ce tissu à la base de la circulation de la sève des végétaux. Sève, tissu, sang rouge et écharpe noire des libertaires et c'est maintenant la négation la plus dure du libéralisme qui s'achemine dans la langue par capillarité. Mais le "liber", mince couche entre l'écorce et le bois sur laquelle on écrivait avant l'invention du papyrus a donné par extension le livre. Et le livre véhicule des idées et les idées ont emmené le "libéralisme". Ah zut, je savais bien qu'en revenant aux sources j'allais en crisper quelques uns...
Mieux vaut retenir que nos livres libèrent la parole, et c'est dans ce bégaiement linguistique que j'ai avancé jusque là.
(28/11/2007)
 

Grève sur le tas de boulot. Période étrange. Occupée. 93 emplois. Une aubaine. Alors s'agiter. Faire en sorte que. Travailler. Contacter. Monter des dossiers. L'espoir. Arriver à en caser un, deux, trois, dix, douze. Encore un. Et celui-là pourquoi pas aussi ? 93 emplois dans le marasme du boulot, de cette région étrange et vide. Désespérée. Période de grève. Campagne muette. Pas un seul transport en commun, jamais vu l'ombre d'un bus ici. Milieu des champs. Grève sur tas de betteraves. Ici rien que du vide, emplois qui fichent le camp. Alors ces 93 là, une aubaine. Vouloir encore placer un deux ou trois qui de toute façon bientôt n'auraient plus de travail s'ils restaient. CV, lettres, dossiers. Contacts. Ministère. Celle qui travaille chez elle bloquée par les grève. Le bureau vide quelque part dans Paris et mes dossiers qui s'impriment à distance, là-bas. Merveille de la technologie. Crépitements dans des salles vides. Peut-être juste des rumeurs à entendre. Manifestations. Grogne. Campagne muette. 93 emplois dans cette région de vide. S'agiter, Faire en sorte que. Travailler tard. Grève sur le tas de boulot. Des dossiers et des dossiers. La fois où l'on reste seuls , deux dans le bâtiment déserté pour la nuit, un autre à 100 km de là, seul aussi. Téléphone. Coordination. Puis le trajet, les 70 km habituels. Quelques heures de sommeil, trajet en sens inverse. Voitures sur des routes vides, des saisons en enfer. 93 emplois à se raccrocher. Espoir. Et le tout sur fond de grève qu'on ne voit pas. Pas le temps. Trop de boulot. Trajets encore, 500 km dans la journée, longues routes désertes et betteraves de chaque côté. Radio et grèves. Grogne. Téléphone incessant. Coordination. Ministère, représentants locaux. Réfléchir à la meilleure stratégie. 93 emplois. Ne rien louper. Arriver à en caser encore un, deux, trois. Fatigue. Heures pleines. Nuits creuses. Lumières aveuglantes des néons. Halos des écrans. Crépitement des imprimantes. Des dossiers. Relire. Parfaire. Rencontrer. Encore 400 km d'autoroutes vides. Grèves. Piquets de parc le long des bas côtés. Mais l'espoir. 93 emplois. Une aubaine. Dossiers et dossiers. Tout reprendre. Perfection. Fatigue. Les nuits vites arrivées. Les aubes laiteuses. Arriver à en caser un, deux, trois, dix, douze, si seulement. Des CV romans par dizaines. Hommes et des femmes de cette région muette. Saisons en enfer. CV comme Campagne Vide. Tout cela pendant les grèves. Le tas de boulot. Etrange époque. Mais l'espoir.
(21/11/2007)



Cela se passe à Amiens où je suis en villégiature pour un week-end. Bons moments passé avec des amis dans la beauté fugitive, voire convulsive, comme dirait André Breton, de quelques jours d'automne à leur paroxysme (voir en Webcam, même mise à jour). Dans la ville de Jules Verne pour lequel j'ai quelques affinités (je prépare un ou plusieurs dossiers à ce sujet, bientôt sur votre Feuilles de route favori), mes pas m'aimantent bien entendu vers une librairie, Martelle, en plein centre, sans doute la plus grande de la ville. Je regarde le rayon des nouveautés littéraires, la rentrée de septembre dernier donc puisque aucun événement marketing ne l'a encore supplantée. Et comme tout bon auteur attentif à la diffusion de ses oeuvres, je cherche mon CV roman qui devrait en juste cause se trouver sur l'étal. Bien sûr, il n'y est pas ! Je bougonne en regardant les livres de mes collègues, tous moins bons que le mien, c'est sûr... Bref, je suis dans cette attitude expectative qui me mine en ce moment, mélange de Caliméro à la mode campagnarde où j'ai l'impression d'être écarté du monde citadin qui bouge, à mille lieue de l'activité brutale que je déploie dans mon travail sur des routes provinciales et dans des parages où la culture se résume à celle des champs de betteraves et de leurs tas au bord des routes désertes (c'est l'époque) et que je klaxonne bêtement, histoire de me distraire dans ces trajets solitaires. Donc, je ronchonne devant les livres minces, les volumes cossus, avec le même regard que j'emploie à fixer les tubercules de la plante fourragère, Beta vulgaris, de la famille des Chénopodiacées, tribu des Cyclolobae (selon la classification classique). La tribu de mes auteurs collègues me regarde de leurs noms peints sur leurs couvertures criardes, non, non, tu n'es pas de notre monde, semblent-ils dirent de leurs sourires germanopratins, tout au plus une sorte de monstruosité, petite carotte qui voudrait se faire grosse betterave, vulgaire radis en lieu et place de nos élancements légumineux, médiocre racine même pas digne de figurer à notre festival de cannes à sucre. Et c'est alors que, levant mon regard humide de chien blessé, j'aperçus sur un petit présentoir qui surplombait la mer étale des livres, CV roman, oui, mon livre ! avec la petite étiquette caractéristique "coup de coeur de votre libraire". Quel coup à mon coeur... Ainsi, pour la première fois de ma vie, un libraire inconnu avait aimé mon livre mais surtout l'avait crié à la face de tous ses clients, dans le grand vent du large qui règle nos vies commerçantes. Ah ! quel bonheur... Fier de ce succès, enhardi par cette vision où la citrouille que je suis et qui évoluait à raz de terre avait pris son envol dans des cieux clairs ainsi qu'un Jules Verne écrivant De la terre à la lune, je courus féliciter une employée du lieu, potimarron rougissant que je suis, laquelle répondit devant mes explications confuses que la libraire qui s'occupait du rayon littérature n'était pas là en me regardant d'un air dubitatif, voir septique où l'on sentait bien la perplexité poindre en regardant d'un côté la merveilleuse couverture cossue de mon livre, de l'autre, le petit bonhomme en manteau orange (normal, couleur citrouille...) qui s'agitait devant elle. Nul doute, qu'elle aura dit le lendemain à sa collègue : "Tu sais quoi ? un type est venu hier, il se prenait pour l'auteur que tu as mis en coup de coeur...Vraiment, il y a des fadas dans ce monde". Sans compter que l'ami chez qui j'avais passé le week-end voulait organiser pour plaisanter une séance de dévotion avec prosternation et offrandes devant le petit présentoir...
(14/11/2007)

 

Bon, finalement Feuilles de route a entamé sa septième année d'existence depuis septembre 2000. C'est moins bien que François Bon, pionnier français d'un Internet littéraire, c'est sans doute largement encore moins qu'en Amérique mais c'est déjà une éternité dans l'immédiateté changeante du web. Sur l'air de "allez les enfants, pépère va vous raconter comment c'était le oueb au bon vieux temps de la préhistoire", on a déjà matière historique à dire. A commencer par l'en-tête dévoyée de Feuilles de route, directement inspiré de Blaise Cendrars et de son recueil du même titre, élaboré alors qu'il se rendait au Brésil à bord du cargo Formose dans les années trente. Choc historique en effet d'apprendre que c'est sous ce terme "feuille de route" qu'on avait tenté de mettre fin au conflit israëlo-palestinien et mon site prenait alors toute autre signification. Depuis Arafat est mort, depuis je suis parti en Jordanie et qui l'eût cru à cette époque. Choc historique aussi que ce 11 septembre 2001, un an après l'inauguration de ces pages et la mémoire qu'il en reste (j'avais oublié dans un coin du site ces quelques vers d'Arthur Rimbaud recopiés dés le 12 septembre : "Tandis qu'une folie épouvantable, broie/ Et fait de cent milliers d'hommes un tas fumants/  -Pauvre Morts ! dans l'été, dans l'herbe, dans ta joie / Nature, ô toi qui fit ces hommes saintement !... "). C'est donc bien de mémoire qu'il s'agit, accumulation de faits, sorte de journal irrégulier que je ne relis que rarement sauf pour confronter ma mémoire justement à ce qui s'est passé. Tandis que Pierre Bergounioux inscrit dans ses Carnets de notes (note de lecture de cette semaine) sa confrontation au même réel que le mien, c'est bien de façon numérique et en temps réel que j'effectue ce travail et c'est là peut-être un saut générationnel ténu, discret mais qui mériterait d'être approfondi. Le temps pourtant a déjà changé et les autres générations se sont glissées avec naturel (parfois sans se poser de questions, dommage) dans des blogs, termes qui n'existaient pas encore à l'origine de ce site. Un peu plus de sept ans d'existence, ça doit bien représenter 300 mises à jour. Elles ont été irrégulières ces derniers mois, elle reprennent un peu de vigueur en ce moment. En réalité ce n'est pas plus, pas moins que les années précédentes mais cette préoccupation à demeurer régulier apporte bien la preuve qu'il se passe à mon insu sans doute une nécessaire stratification de la mémoire. La mécanique du site est étrange, c'est un moteur à empilements de mots, divers, noyés, répandus et, au final, une sorte d'énergie secrète qui me pousse à continuer.
(04/11/2007)

 

Une soirée à Matignon, ça ne peut se relater qu'en note d'Etonnements. A l'égal de plusieurs centaines d'auteurs sur le critère de "a participé à la rentrée littéraire d'automne 2007", ce glorieux fait d'armes m'a valu d'être invité dans la demeure de notre premier Ministre. Il paraît que c'était la première fois que cela se faisait, mais peut-être avions-nous oublié dans notre mémoire collective de pareilles collusions au grand jour entre le pouvoir politique et le secteur éditorial. Si une discrétion gênée quant à la participation des auteurs à un tel mélange était de rigueur (voir l'article du Nouvel Obs), pour ma part, j'y étais, je ne me cache pas, je ne m'en vante pas et je ne justifierai pas davantage ma participation, mieux vaut s'étonner et relater ce moment d'anthropologie pure puisque cette rubrique est faite pour cela.
Avant, histoire de se mettre dans l'ambiance, j'avais participé à quelques petites mesquineries de travail, notamment lors d'une réunion avec une chargée des relations d'un important Ministère, j'en suis sorti passablement énervé après avoir compris que le pouvoir central détient vraiment un pouvoir de vie ou de mort sur la moindre décision, faisant fi des conséquences, à savoir ici l'avenir de plusieurs centaines de collègues (je savais déjà cela mais on m'a bien enfoncé encore le fait à coup de marteau dans la tête, à la longue c'est usant, même avec mon opiniâtreté et mon énergie habituelle). Mais, déjà, j'avais enfilé l'autre casquette et, à la place du métier nourricier, le métier de coeur qui m'anime, m'avait poussé vers un autre coin de la capitale pour une interview donnée au magasine Liaisons sociales, article à paraître en décembre. C'est ainsi que le troisième rancart, celui de Matignon, m'a sans doute vu arriver un peu échevelé mais en avance pour présenter le petit carton et la carte d'identité requise. Après un rapide passage, type aéroport, entre quelques policiers, me voici lâché tout seul dans la grande cour pavée où quelques homologues aussi paumés que moi s'évertuent à ne pas faire résonner leurs pas, ni à trébucher sur les quelques marches traîtreusement disséminées partout.
Me voici dans l'antre de mes impôts. Passage au vestiaire pour y déposer les reliquats de mes multiples réunions et visites cumulées. Dégagé de toutes mes contraintes pesantes au sens propre comme au figuré, après avoir traversé quelques salons magnifiques, je me retrouve dans une grande salle moche aménagée pour les allocutions officielles avec pupitre et projecteurs. Les journalistes s'affairent déjà à estimer le meilleur angle de vue. Les écrivains, puisqu'écrivains il doit y avoir, se comptent sur les dix doigts de la main, mais il est vrai que je suis en avance. Un auteur nantais m'aborde, on poursuit une aimable conversation et, poussé vers le fond de la salle, je ne me rend pas compte que finalement, c'est bien plusieurs centaines de participants qui sont arrivés. Je reconnais quelques noms. Voilà A et B, mes nouveaux et anciens éditeurs. Tiens C arrive ! Je le croyais à gauche toute. Et D ! Il me semblait que c'était un imprimeur maoïste... Devant moi, cette jeune femme n'était-elle pas à la fête de l'Huma ? (son, nom ? E ?) On cause un peu partout, on se fait des signes, on est content de se voir. Il y a un vague mouvement et je reconnais devant le pupitre, notre premier Ministre F, cheveux noir, costume sombre, aussi gai qu'un directeur d'entreprise. Il nous tiens d'ailleurs un discours classique et convenu, fait cependant pour ne pas déplaire, et où l'on apprend que les "Mémoires d'outre-tombe" étaient étrangement interdite dans son lycée (voilà : on fréquente des établissements bizarres et on se retrouve premier Ministre, je l'ai échappé belle et j'ai bien fait de doubler ma terminale dans une zone de province profonde). C'est fini, ruée sur les petits fours...
J'avise un whisky, histoire d'honorer Beckett et les bonnes relations anglo-françaises et je commence à plonger le nez dans de délicieuses petites brochettes salées. Je lève le nez, regarde les murs : miroirs, lustres, boiseries dorées : magnifiques ! Je vais tâter des sushis dans le salon suivant, il y a un peu moins de monde. Je m'approche discrètement du buffet et c'est alors que je rencontre G, qui était effectivement avec moi à la fête de l'Huma et avec qui j'ai échangé quelques mails depuis. Super de se retrouver ici ! Nous fonçons arroser cela au Champagne et j'engloutis par la même occasion quelques petits fours en regardant d'un air béat les moulures des boiseries dorées à la feuille d'or, les tentures épaisses des rideaux que nous commentons. Nouvelle tournée de champagne et petit fours. La fête bat son plein, G et moi devons hausser le ton pour se parler. Nous échangeons nos motivations pour être ici, la curiosité qui nous est commune mais j'insiste sur l'envie en ce qui me concerne de rentrer un peu dans mes impôts. C'est vrai que depuis trente années sans interruption d'impôts de tous genres (et tant mieux pour moi) j'ai dû verser l'équivalent d'une maison bourgeoise dans une grande ville française, ou un chalet dans les Alpilles, voire, pourquoi pas, d'un studio dans le seizième, à défaut d'avoir pu utiliser cet argent pour bâtir des châteaux en Espagne. Ha, ha (nous rions, surtout moi). L'alcool me rend disert, j'enchaîne sur de nouveaux petits amuse-gueules pour ne pas boire le ventre vide. Le lustre de cristal (qui m'appartient un peu) commence à tanguer dangereusement au dessus de moi. Je m'écarte pour saisir à nouveau une nouvelle coupe. C'est alors que G interpelle H, un des participants qui erre tout seul son verre à la main. Nous faisons connaissance. H est historien, il a écrit un livre sur Constantinople. Nous parlons tous les trois, fêtons cela avec de nouvelles boissons. Brouhaha ambiant. G et moi, remarquons le nombre important de ceux qui se trouvaient avec nous à la fête de l'Huma, nous en avons reconnu au moins dix. Puis G déclare qu'elle a trop bu mais bon, qu'il n'y a rien d'autre à faire ici. On mange à tous les râteliers : nous changeons de salon. On aperçoit F qui discute avec un petit groupe. Re-champagne. A chaque gorgée, mon tiroir caisse se décoince un peu plus et le petit gling caractéristique m'indique que je rentre progressivement dans l'obole des taxes diverses versées depuis tant d'années. Gling et re-gling. Il y a déjà moins de monde, on respire mieux pour boire et le buffet devient plus accessible. G, dont le charmant sourire s'épanouit de plus en plus au fil des coupes, apostrophe un autre participant esseulé. Nous faisons connaissance avec I, qui traduit en anglais la série Arlequin. Je me marre bêtement. Puis, sans doute ému par notre petit groupe sympathique, c'est J et bientôt K qui se joignent à nous. K est un rigolo, il a une coiffure très drôle, il nous filme avec sa caméra et je ne me souviens plus quelles bêtises je raconte devant son objectif. J s'annonce comme l'attachée de presse d'une fondatrice du MLF. Je pouffe sans savoir pourquoi. Les lustres dansent. Une pendule magnifique (qui m'appartient aussi) me regarde de ses deux aiguilles. K le rigolo, nous quitte. Nous restons avec J qui déclare sa sympathie pour la droite. Je glousse. Puis quelques employés en uniformes (c'est à moi aussi tout ça) nous poussent gentiment vers le dernier salon où l'on cause encore. Chic ! nous retrouvons l'aimable serveur qui nous a abreuvé plusieurs fois. Champagne encore, siouplait. Je m'esclaffe. Il reste encore de ces délicieux macarons qui fondent dans la bouche. Gling, gling et re-gling. G me fait remarquer que nous sommes presque les derniers. I est toujours avec nous. Les lumières tournent autour des lustres maintenant. Les pendules coulent comme les montres molles de Dali. Sans avoir compris comment j'ai fait pour suivre G et I, je me retrouve au vestiaire, puis dehors où l'air frais et le brutal silence me procure un bien fou. Quelle soirée ! Nous nous retrouvons sur le trottoir. Je gondole. G déclare qu'elle aura du mal retrouver son hôtel. C'est alors que nous faisons connaissance avec les  fêtards sortis en dernier comme nous : L et M. Ce sont des bobos. Ils circulent avec un scooter qui marche au fenouil. Je ricane. L  a écrit un livre dont le titre s'envole instantanément de ma mémoire vers la lune au-dessus de nous. G gagne de l'argent à New York avec une "installe" qui lui a rapporté de quoi se payer un studio dans le seizième. J'ironise. Je voudrais placer dans la conversation ma maison bourgeoise, le chalet dans les Alpilles, les Châteaux en Espagne, mes impôts, mais je bafouille, il fait fatigue. Je ris niaisement. Il fait fatigue... L m'apprends qu'elle est la cousine de celui qui m'avait énervé dans ce salon du livre. Je le lui dis d'ailleurs, mais non, va, je plaisante ! On rigole tous : on est des branchés, on déconne sous les yeux des agents qui nous disent d'aller jouer ailleurs. E
h, poussez pas, hein, c'est mes impôts tout ça, pour une fois que j'en profite ! Il est tôt encore, neuf heures et demie. L et M nous redisent pour la cinquantième fois qu'il vont remonter sur leur bécane à chicorée. Ha, ha et combien de feuilles elle consomme ? La nuit s'enfle sur moi, des lustres d'étoiles pleuvent et je rigole stupidement, j'aurais voulu grimper, moi, sur le lustre en cristal et me balancer au-dessus des ors de la République. Sans trop savoir comment I, L et M me laissent  pour raccompagner G qui a perdu son hôtel. Je suis rue de Varenne, métro par là. Des agents de police me comptent, me regardent rassembler mes morceaux, je suis une bande de jeunes à moi tout seul, j'habite rue de Varenne, je suis ici chez moi. Ha, ha, je caquette, puis je m'éloigne.
Après, ça tombe un peu l'alcool, juste cette dérision qui subsiste. Railleries, quolibets. Pas si difficile que cela, la collusion avec le pouvoir. Bonne soirée, vraiment ! J'aurais voulu rencontrer tout l'alphabet d'écrivains ce soir, je me suis arrêté à M, pas eu la possibilité d'arriver à N. Mince ! A, D...etc. Manque N. Même pas résolu l'équation X, Y du pouvoir et du livre réuni. Zut de zut. Z dernière lettre. Gling gling. Clown Zapata. allez ! un dernier rire sardonique avant d'aller se coucher.
Le lendemain, revient la conscience du pouvoir central, épais, ministériel, absurde et kafkaïen :  la chargée des relations avec le Ministère m'appelle. J'ai mal aux cheveux tandis qu'elle se déclare "déçue, très déçue" de mon inertie à propos du projet que nous partageons. Mais question boulot, c'est autre chose qui me procurera satisfaction dans la journée et de retour dans ma province profonde : deux de mes collègues ont trouvé un meilleur travail. Des mois d'efforts récompensés pour eux et moi, conseiller en mobilité, auteur d'un CV roman qui Continue dans la (vraie) Vie, question de dignité, finalement, mais je suis vanné.
(31/10/2007)

 

Cela pourrait s'intituler Un dimanche à la campagne comme le beau film de Bertrand Tavernier. On est dimanche bien sûr. On est en province aussi. Il fait beau et le soleil matinal vous surprend en plein visage en sortant de l'obscurité de la chambre. Il y a la Madeleine, bien entendu, comme tous les dimanches. Madeleine est le prénom que j'ai donné une fois pour toute à la boulangère qui passe en bas de chez moi avec sa camionnette. Rien à voir avec Proust quoique... Avoir le pain en bas de chez soi est un privilège qui n'existe plus guère que dans les villages et le film Un dimanche à la campagne, raconte une ambiance de fin de belle époque, juste avant le cataclysme de la première guerre mondiale, bref, un paysage à la Proust, d'où la Madeleine...etc, etc... Avec le pain de "la" Madeleine (dans ma province, on fait encore précéder les prénoms d'un article), j'achète le journal. Dans le journal, je lis la rubrique hebdomadaire de Jean Robinet, écrivain de 94 ans, mon Julien Gracq à moi, autre survivant d'une époque à labours et à chevaux. Mondes disparus, dimanches à la campagne, éternels, intemporels. En plus il fait beau. Plus tard, ce sera la livraison également dominicale et régulière d'un autre provincial, un voisin des Vosges, le perecquien et notulien Philippe Didion. On pourrait se croire ici dans le "petit coin où il fait bon vivre" de Jean-Pierre Pernaut, au journal de TF1. On pourrait vite être charrié, être traité de ringard, celui-là, donc, votre serviteur de Feuilles de route, devient franchement out, too much, obsolète, bobo, naïf, bref tous qualificatifs que notre époque universelle, nivelée, pourra trouver. D'ailleurs, qu'est ce que c'est que cette dangereuse idée de se prévaloir de la campagne, hein ? Alors que plus de la moitié de la population mondiale est citadine. Campagnard du dimanche en plus... Dangereux rétrograde, conformiste et réac. Mais bon, je n'y peux rien, je me réveille ce matin, il fait beau, il se trouve que j'habite en province dans une ville moyenne, qu'on est dimanche et que je viens d'aller chercher mon pain en robe de chambre comme un petit vieux de l'hospice. L'imbécile heureux qui est né quelque part, comme disait Brassens, est tombé par hasard dans le chaudron d'un petit village gaulois, je n'y peux rien, et la race des porteur de cocardes (toujours Brassens) m'exaspère au plus haut point.
En fait, ce n'est pas de cela que je voulais vous entretenir, mais simplement qu'il y a des jours ou des moments qui se placent ainsi hors temps et qui nous évoquent des ambiances à la Proust, des mondes et des époques qu'on croyait parfois disparus et qui ressurgissent, ici, sous l'éclairage bas mais chaleureux d'octobre. Et que, plus tard, quand la même ambiance s'est étirée au fil des heures, qu'on a bien entendu confectionné à midi une tartiflette maison et mangé les pommes de "notre" verger (à suivre, recette de la tartiflette bientôt sur TF1, petit coin où il fait bon vivre...etc.), bref, quand les heures paisibles se sont bêtement écoulées, me vient l'idée saugrenue mais logique d'aller faire un tour en vélo et je prépare pour l'occasion une série des nombreux cycles que compte la maisonnée, récemment augmentée d'un leg de mon beau-père, un demi-course Peugeot des années 70, avec sacoche et garde-boues chromés, en parfait état de marche. Peugeot c'est aussi la marque du moulin à café de ma grand-mère, bien précieux et chaque jour utilisé. En le nettoyant (le vélo, pas le moulin), je lui trouve fière allure, un peu "vintage" comme on dit maintenant et, surtout me vient l'idée que c'est sur un cycle d'une telle facture qu'est photographié René Fallet dans la biographie que lui a consacré Jean-Paul Liegois (Splendeur et misères de René Fallet, Denoël). Je cours vérifier et c'est tout à fait cela. Bref, nous voilà partis en famille et mon fils s'est attribué le demi-course à garde-boues chromés (voir aussi, puis qu'on est dans les citations bibliographiques Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour de Georges Perec, donc que Philippe Didion connaît forcément, donc communion dominicale à distance, tout se recoupe avez-vous remarqué ? Quelle belle harmonie en ce dimanche...). Cheminant à côté de lui, je me sens l'âme d'un René Fallet  (la citation précise est se sentir l'âme "comme un rideau à fleurs" (dans Le Braconnier de Dieu, de René Fallet bien entendu) quand, décidant d'agrémenter la balade, le fiston décide de brancher le haut-parleur de son portable, lequel contient nombre de ritournelles de Brassens (on le retrouve) et Brassens/Fallet, couple inséparable...etc, etc.
La boucle fut ainsi bouclée ("la boucle de la Besbre" pour les connaisseurs de l'oeuvre falletienne - où l'on retrouve encore Philippe Didion...) et cette rubrique sans doute décousue aussi touche à sa fin.
Si, un dernier détail : la piste cyclable longe le canal où j'aurais aperçu dans la transparence verte de l'eau, nombre de brochets et brochetons dans  le courant placide et lent. Il ne me manquait que la pêche, également chère à Fallet, pour terminer ce cycle dominical, hallieutique, sportif, ensoleillé et patronné par Peugeot.
(17/10/2007)

 

Je ne connais les Correspondances de Manosque  que de nom. Cette année j'ai, pour ainsi dire, participé à cette manifestation littéraire à l'insu de mon plein gré, comme dirait l'autre. En effet,  une radio locale proche de Manosque, Fréquence Mistral, organisait une émission littéraire dans laquelle étaient conviés les invités de cet événement. Le hasard a voulu qu'ayant écrit un texte pour les dix ans du prix Wepler qui m'avait honoré voici déjà cinq ans en 2002 (c'est en novembre, on en reparlera...), le hasard a voulu, donc, que le texte que j'avais rédigé soit lu par un comédien à l'antenne en présence de Muriel Barbery, dont le succès de L'Elégance du hérisson constitue le phénomène de l'année dans notre monde littéraire. L'animateur de l'émission, tout heureux de faire découvrir à cette auteure le parfait inconnu que je suis, est pourtant tombé sur une coïncidence incroyable. L'étonnement tient bien moins à ce que Muriel connaisse depuis sept ans le zigoto qui anime ces Feuilles de Route qu'à ce qu'elle ait été la seule à prendre connaissance de mon petit texte bien avant qu'il soit diffusé. Stupéfiant non ? On trouvera le podcast de l'émission ici : il faut fouiller un peu pour trouver l'enregistrement : menu "coup de projecteur" puis "édition 2007". L'émission en question est celle du vendredi 28 septembre.
(10/10/2007)

 

Revoilà les champignons et la forêt ! Mon département est paraît-il le deuxième plus boisé de France après les Landes. Il est vrai qu'il ne faut pas parcourir beaucoup de kilomètres pour trouver bien plus qu'un bosquet mais de profondes forêts à s'y perdre, semblable aux livres de Maurice Genevoix qu'il serait d'ailleurs temps de redécouvrir. Aller aux champignons est une respiration, une méditation, une véritable philosophie qui ne déplait d'ailleurs pas à mon fils Pierre, tandis que la philosophie dont il vient d'avoir le premier cours aujourd'hui, a été jugée nulle et sans intérêt du haut de ses 17 ans tous neufs d'aujourd'hui. Souhaitons qu'il parviendra à dépasser ce jugement péremptoire par la cueillette des champignons et le lien évident avec la philosophie : le nez à ras du sol au milieu des chênes géants qui s'élèvent vers le ciel, le silence relatif des profondeurs de taillis, c'est autant de thèmes philosophiques à aborder et qui ramènent toujours vers la vanité humaine, son incapacité à penser un temps en accord avec les saisons. Il doit y avoir vingt cinq ans que je parcours les mêmes chemins forestiers. Combien ils restent inchangés est une évidence : les mêmes champignons au même endroit depuis tant d'années. Et combien aussi les bois ont paradoxalement changés, non pas par l'intervention humaine incessante des coupes de bois et du débardage qui reste mesuré où je vais, mais par cette fameuse tempête naturelle de Noël 1999 où il a fallu moins d'une heure pour que les arbres s'abattent comme un château de cartes. Les signes sont toujours aussi visibles et pour longtemps encore : les corolles des racines s'élèvent toujours comme des éventails autours des troncs qui ont basculé. Mais revenons au temps présent et à la cueillette de septembre : coulemelles cèpes de bordeaux, bolets, trompettes de la mort à foison, mais aussi pieds de mouton et girolles. Il est tôt dans la saison mais sans plus : je me souviens de pareilles rentrées des classes bien mycologiques. Sur le même sujet, on consultera la note d'étonnement du 19/09/2001, récit d'une balade juste après le fameux attentat qui a fait basculer le monde, celle du 01/10/2003, et, en Webcam, quelques paniers de champignons du 09/10/2005.
Mais pour marquer cette récolte 2007, ce qui restera de ce cinq septembre dans les bois, c'est la vision de cette biche, surprise au détour d'un chemin. Il faisait 5°, une brume fraîche allait se lever bientôt sous le soleil, le pelage de l'animal était encore mouillé de la nuit. Envol gracieux et bondissant, plus effrayé qu'amusé : ça c'est de la philosophie !
(05/09/2007)

 

Pas eu de notes d'étonnements depuis deux mois. Et pourtant il y a bien eu des motifs d'étonnements depuis, quelques accélérations du temps que la vie vous distille de temps à autre. Quand je relis la dernière note, je m'aperçois que les élections venaient juste d'avoir lieu, c'était la préoccupation du moment, la campagne restait dans toutes les têtes, avec les déclarations péremptoires, abruptes et souvent caricaturales qui agrémentent le genre. Le débat a fait place à la vie qui continue, l'action. Subsistent de temps en temps, quelques relents, quelques aigreurs, quelques digestions difficiles, trop d'état, pas assez, trop vite, trop lent, trop d'ouverture, pas assez de fermeté... Passons... La vie dans ce quelle a de plus personnelle est également bousculée. Le travail d'abord, repris depuis mai. Puis les examens de Licence : résultats positifs avec l'espoir de bénéficier à nouveau d'un congé de formation pour un Master. Et puis le refus de mon employeur. Et puis l'étonnement de finalement plutôt bien prendre la chose : décision de mener de front et travail et Master, pourquoi pas ? Bref de quoi s'occuper. c'est une bonne période cependant et la publication prochaine de CV roman y est pour quelque chose : la dynamique et nouvelle équipe qui m'accompagne chez Fayard donne des ailes et rattrape la demi-teinte de 1937 Paris-Guernica, le manque évident d'écho, l'inertie pour ce livre alors qu'un peu partout ont fleuri des articles sur les soixante-dix ans de Guernica, sans oublier que cela n'a pas dû arranger les difficultés de la petite maison d'édition qui a fini par déposer le bilan. Mais il faut avancer et l'écriture est un ressac permanent, une marée incontrôlable qui se concrétise parfois en publiant deux livres la même année, comme si c'était facile, comme si c'était oublier les deux, trois ans d'écriture, le ressort qui se tend lentement et que l'on lâche sous la forme d'un livre. Et penser aussi que, qu moment où les lecteurs me parlent de CV roman ou 1937 Paris-Guernica, comme s'il restait ma préoccupation du moment, j'ai déjà pris les voiles : deux récits se construisent en parallèle, sans savoir si l'un prendra le pas sur l'autre ou si un troisième viendra interférer. Marée incontrôlable ai-je dit. Quelques phares qui s'allument, points fixes sur l'échelle du temps et de l'espace : le havre de paix sicilien approche, puis juste après la fameuse rentrée littéraire. Impatience. CV. Continuer. Voguer : combien les derniers mots de CV Roman restent d'actualité et motifs permanents d'étonnements.
(20/07/2007)

 

 

Parlons d’autre chose, dit Maurice Nadeau dans son dernier numéro de la Quinzaine littéraire.
Soit.
C’était en 1995, j’étais en Guadeloupe, en visite familiale. Les enfants étaient encore petits quatre ans et demi pour le dernier et sept ans pour l'aînée, c’était le premier voyage dans ces terres lointaines (depuis, il y en eu 4 autres…). Et c’était l’époque des éléctions présidentielles. Nous étions hébergés dans l’île sur Grande terre, dans la partie agricole la moins montagneuse mais pas pour autant dépourvue de reliefs. Installés dans les Grands fonds, justement, véritable dédale de vallées ( fonds ) et de collines (mornes). Je revois encore les petites routes étroites qui dégringolaient dans la touffeur tropicale, sautaient un ruisseau, remontaient dans la luxuriance des vergers, papayiers, bananiers et arbres à pain sur le bord des accotements. L’endroit était le plus isolé de l’île, le moins touristique aussi, à l’écart des routes encombrées, des champs de cannes et de la noria des camions qui les transportaient en en laissant tomber de pleines brasseés. Mais ce coin perdu n’était pas cependant dépourvu d’histoire : pays des blancs-Matignon, on apercevait parfois de ces autochtones à la peau claire aux abords de fermes délabrées, dans les endroits les plus reculés et dont la légende affirme qu’ils sont les descendants d’aristocrates réfugiés ici pour échapper à la guillotine révolutionnaire. Le dimanche de l’élection, j’ai accompagné notre hôte métropolitain qui s’était inscrit sur la liste électorale de la commune la plus proche. Je ne me souviens plus du nom exact, était-ce Douville, Louisiane, Rousseau, Jabrun, Château-Gaillard ? Poésie des noms et poésie des lieux aussi. La mairie était semblable à celles de nos villages, la chaleur en plus. Je me souviens du registre des votants ouverts devant les officiers d’état-civil. La lumière particulière aussi, très claire, l’éblouissement du dehors qui s’enfilait partout dans les jointures du toit de tôle, par delà les persiennes. La poussière aussi en suspension. Les isoloirs étaient des sacs de farine fendus dans le sens de la longueur : système D des contrées habituées aux délaissements… Ici, les blancs Matignon, n’étaient pas une légende. Peaux claires qui rencontraient nos peaux claires et qui nous parlaient en créole, heureux de voir d’autres têtes que les habituels cousins de la contrée. L’un d’entre eux nous expliqua qu’il votait pour Cheminade, candidat oublié de ce premier tour des élections et qui obtint 0, 27% des voix… Les trois-quarts de ceux qui pénétraient ici, accomplissaient la procédure réglementaire et métropolitaine dans l’isoloir en sac de farine, revenaient vers les préposés officiels qui les connaissaient tous, mais qui faisaient semblant et vérifiaient leurs cartes d’identité scrupuleusement avant de leur demander d’émarger à l’endroit adéquat sur l’une des pages couvertes du seul nom qui semblait avoir cours ici : Matignon Eusebe, à voté !
(17 /05/2007)
 

 

Drôle de printemps : un peu de politique, un peu de soleil, les esprits s'échauffent... et le temps passe vite, si vite : dans quelques jours je reprends le boulot pour six mois. Le congé formation de même durée se termine mais j'ai l'impression que novembre c'était hier. Qu'aurais-je fait de ces six mois ? La dernière année de licence bien sûr, comme si cela était naturel et c'est bien ma justification première de ses six mois. Alors oui, du boulot régulier il y en a eu. Parfois des semaines en janvier ou février bien remplies, week-end compris, cinq-six devoirs à rendre, cinq-six heures pour chacun d'eux et autant de temps pour apprendre les cours par correspondance, ni plus facile ni plus dur qu'en présentiel, une autre organisation voilà tout. Et encore aujourd'hui, même si je me suis rendu en vélo à la plage du Der la plus proche, à 15 km de chez moi (l'eau est déjà délicieusement bonne), j'ai bien dû passer six heures à bosser sur un mémoire à rendre (Les Oeuvres illustrées de George Sand...). Mais c'est du plaisir, un vrai plaisir, on ne se rend pas compte du temps qui file. Les fastidieux et énervants sujets s'oublient vite (Ah, traduire Virgile ou autre en Latin ! Et l'anglais à distance n''est pas le top...). Les exams approchent, je ne regrette pas cette vie d'étudiant attardé. Je crois que c'est l'avenir pour nous qui bosserons vieux : alterner études, formation, travail. Bien sûr cela à un coût et en ce qui me concerne, c'est bien moi qui l'assume, je crois que c'est normal. J'espère avoir la possibilité de recommencer l'année prochaine pour un master et des recherches, la littérature est tellement intéressante. Je ne serai pas payé pendant ces six mois mais qu'importe, cette liberté n'a pas de prix. Le 2 mai, donc, on m'attend déjà au bureau, on a réactivé mes paramétrages informatiques, le lendemain je reprends le rythme des réunions déjà. Je ne sais pas combien de temps durera cette énergie. On verra. Je sais que je me lasse très vite du travail, de ses contraintes aliénantes et puis je ne suis pas hypocrite, je ne sais pas faire semblant de m'intéresser quand le boulot devient trop simpliste, réducteur.  Le plus dur sera d'oublier cette vie au quotidien dans un coin de ma tête alors que je vis en permanence dans la tentation de la littérature, lecture ou écriture, mais mon travail est à cent lieues, pourtant... J'aimerai par exemple me lever en réunion et déclamer le Bateau ivre de Rimbaud...
"Comme je descendais des fleuves impassibles...". A moi, l'aventure !
(02/05/2007)

 

 

Si j'avoue qu'il m'est arrivé de partager avec les électeurs du Front National convivialité ou paroles, si de plus, un lecteur perspicace remarque que j'ai déjà parlé plusieurs fois de Céline dans ces pages : alors oui, je serai pour lui un suspect, un être malsain, un facho à éviter...
Pourtant, il est difficile de faire autrement dans un département qui "accuse" un électeur sur cinq d'avoir voté pour les partis d'extrème droite. Et même dans certains cantons, Le Pen aurait remporté les élections haut la main au premier tour... Cela vous fait peur ? Pas moi : je ne connais pas la peur, elle est inutile, ce ne peut être un argument électoral, ce n'est évidemment pas un ressort social et les régimes de terreur finissent toujours par tomber. Donc, dans ces conditions particulières à mon département, j'ai sans doute partagé des paroles aimables avec l'un ou l'autre, et l'un ou l'autre sont sans doute des électeurs du Front. Et même j'en connais qui m'ont d'ailleurs ouvertement fait part de leurs intentions autrefois, et même cela n'a pas entaché nos relations (à condition qu'ils n'essaie pas de me convaincre !). Devant mon attitude, et quand j'en discute, je ressens souvent l'incompréhension, qu'il s'agisse de citoyens de grandes villes ou  d'interlocuteurs de régions habituées à voter autrement, le soupçon à mon égard : alors comment, il serait cul et chemise avec les électeurs d'extrème droite ? Sujet tabou : on ne peut prononcer le mot de FN sans être taxé de sympathisant. Réaction de peur, donc, diabolisation... Je ne banalise pas les idées du Front. Jamais. Mais je sais aussi qu'on ne peut avancer en ignorant une personne sur quatre ou cinq.
Si l'enracinement du Front est si profond dans mon département, l'un des moins peuplés, l'un dont la moyenne d'âge est la plus vieille, c'est bien dans ce délaissement qu'il y puise ses sources : la diabolisation, c'est aussi laisser des territoires entiers sans rien, sans culture autre que les champs environnants, sans autre regard extérieur que la fenêtre télévisuelle, dans le renfermement et l'ennui de villages peuplés de grands parents pour les plus jeunes : c'est ceux-là qui ont voté en majorité FN, par peur de l'étranger, car les rares qui s'y installent ne tiennent pas longtemps dans ces délaissements : citadins qui font un procès au voisin car ses poules caquettent, autres qui se lamentent car il n'y a rien à faire que du vélo sur des routes désertes.
Dans Paysage et portrait en pied de poule, mon narrateur avait comme seule distraction la mort de sa mère et la préparation de ses obsèques. Et lui, qu'aurait-il voté ?
(25/04/2007)

C'est un vendredi 13 que j'écris cette rubrique d'étonnements, cela va de soi. Sommes-nous superstitieux ? Moi, oui : je m'en était ouvert à Marie Gobin pour un reportage dans Lire, il y a quelques années (les tics et les tocs des écrivains... tout un programme). Je sais bien l'inutilité de la chose mais chacun ses croyances (pour certains, c'est le personnage politique providentiel espéré en cette fin de course électorale). Pour moi, je ne sais pas pourquoi, j'ai la vague impression que cette date fatidique me conviendrait plutôt. Remarquez que ce n'est pas le cas de tout le monde et il faut peu de choses pour nous faire basculer dans le camp des pessimistes. Basculer, c'est le mot : je me souviens être passé un vendredi 13 à Guignes, en Région parisienne il y a de cela fort longtemps mais je parierai que le routier qui avait versé son camion sur le bas côté ce jour, à Guignes, s'en souvient parfaitement et qu'il est devenu superstitieux... Mais ce vendredi 13 : tout va bien, je me fais dorer au soleil, le printemps éclate, j'en profite pour immortaliser en rubrique Webcam le cerisier et les salons de jardin sortis depuis le début de la semaine. Je photographie le chat aussi (qui n'est pas noir, ça porte malheur mais j'en ai eu un qui l'était, un vrai bonheur...), l'animal donc étalé de tout son long dans l'allée, ses petites pattes semblables à celles des lapins (qui portent bonheur), bref le chat qui se fiche bien de savoir si ce vendredi 13 lui portera chance (et malheur à l'un de ces merles tapageurs qui l'agacent prodigieusement).
Donc voilà : tout cela pour éviter de parler politique ou plutôt d'écrire dessus bien qu'un blog de littérature ait affirmé avec juste raison que l'acte d'écriture est politique. Oui sans doute, au sens de la Res Publicae, les choses publiques, on peu aussi dire social, sociétal, engagé comme l'était Sartre, c'est une évidence mais qu'il faut souligner, et ma fois c'est plutôt pas mal cet engouement renouvelé pour la conduite de l'état. A l'heure actuelle, je sais que j'irai voter comme je l'ai toujours fait, j'ai (plus vaguement) choisi aussi pour qui et surtout je me garderai bien de dévoiler ce choix. Pour la bonne raison que dans le monde des Lettres, la distribution des étiquettes a des raccourcis prodigieux : l'écrivain engagé, qui plus est dans une activité d'atelier d'écriture, donc sociale, est catalogué à gauche, l'écrivain qui ne dit rien ou pas assez par conséquent se retrouve à droite. Leur écriture et même qu'elle soit forcement politique, tout le monde semble s'en contreficher. Pas moi : assez d'avoir laissé croupir des Céline ou des Soljenitcyne au purgatoire des lettres d'un pays quel qu'il soit, que m'importe dans l'absolu de leur art si Molière a léché les bottes de Louis XV ou Maïakowski, celles de Staline. Et peut-être ai-je déjà écrit le contraire de ce que je viens de dire. Et peut-être me contredirais-je aussi un jour prochain. Et peut-être encore changerais-je d'avis au moment de glisser mon bulletin dans l'urne, allez savoir !
Et zut, je voulais éviter de parler politique en ce vendredi 13 : je m'en retourne au soleil.
(18/04/2007)

 

Qu’ils viennent de Dijon ou Urcy en Bourgogne, Valbonne ou Nice en Provence-Alpes-Cote d'Azur, Saint-Julien-de-Coppel, région Auvergne, Damparis, en Franche-Comte, Ognolles ou Courcelles-sur-Viosne, dans la Picardie, Meylan en Rhone-Alpes, Rennes en Bretagne, Oignies dans le Nord-Pas-de-Calais, Nouan-le-Fuzelier ou Gièvres dans la région Centre, ou encore de Villebon-sur-Yvette ou Bourg-la-Reine en Ile-de-France, et Décines-Charpieu en Rhone-Alpes, Fey-en-Haye en proche Lorraine, Meyenheim, d’Alsace, ou Pontivy en Bretagne (cher à un certain Jacques Bon), on trouvera aussi des Marseillais de Provence-Côtes d’Azur, des Dolois de Franche-Comte et j’en profite pour saluer ceux que je connais : Pascale, Emmanuelle, Raphaël, Anthony, Bernadette, Noëlle, Saadia, Mounir, Marie-Thérèse, Alain, Maryse, Gaëlle, Nicolas, Vincent, Lynn, Colette, Edith, Marcelle, Laetitia…
Ou des noms étranges et étrangers qui me font rêver : Amsterdam et Heerlen, Leopoldsburg, Hainaut, les trois en Belgique, ou Hengelo et Overijssel, tout aux Pays-Bas, Sur-Bemont au Luxembourg, l’Europe encore avec Holsted, Ribe, au Danemark et Bern en Suisse, puis Kiev en Ukraine, Dublin, en Irlande, pensées vers Beckett et Joyce, San Sebastián De La Gomera, Canarias, Espagne, pensées vers Salvador Dali, Madrid en Espagne, pensées vers Picasso et Guernica, villes jamais visitées pourtant j’aimerais.
Et tous ces noms francophones et cousins : Beauharnois, Bromptonville, Cartierville, Montreal au Quebec et Toronto, Ontario ou Extension, British Columbia, Canada, on change de langue et maintenant voici le Bronx, New York, États-Unis , Orlando et Indialantic en Floride, Grand Rapids, Michigan. Aussi le long voyage virtuel de l’internaute de Coquimbito, Mendoza, Argentine, celui de Antioquia, Colombie ou de Glenhaven, New South Wales, Australie, le même jour sans se concerter avec celui de Tokyo au Japon ou celui de Burdur, en Turquie, et ceux de Rabat et Casablanca au Maroc, les souvenirs de ces deux villes encore proches d’un an, Le Gosier en Guadeloupe est plus connu, j’y ai de la famille proche, j’y suis allé cinq fois mais jamais à Douala au Cameroun et La Lomota, Santiago, République dominicaine, pourquoi ?
Pourquoi ont-ils tous atterri sur Feuilles de Route. Le dernier, ce dimanche 8 avril 2007, 12h12 vient de Göteborg, Vastra Gotaland, Suède et même heure, celui de Suizy-le- Franc, petit village près d’Epernay, parfois estampillé Vassimont-et-Chapelaine, vers Vitry-le-François, Champagne Ardennes, entre 30 et 50 km de mon domicile, paraît-il que c’est moi, l’internaute qui s’y connecte. Marge d’erreur kilométrique si ténue à l’échelle d’une planète.
A chacun des visiteurs, mondialement, amicalement.
(11/04/2007)

 

J'avais eu peur d'être en retard. Dans le métro, les hauts parleurs parlaient de la Gare du Nord fermée, incidents voyageurs, paraît-il. J'avais du jouer des coudes pour trouver une rame sereine. Donc, je suis arrivé au salon du livre juste à temps pour ma séance de dédicace de 19h30-21h. En arpentant les allées à la recherche du temps perdu de mon stand, j'ai aperçu Amélie Nothomb (enfin son chapeau...) qui faisait la même chose que j'étais censé faire, il y avait foule. J'ai fini par trouver mon stand et l'endroit idoine qu'on m'avait installé, une table posée contre l'allée passagère avec une pile de mes livres et, appuyée dessus, ma photo en deux fois plus grand que ma vraie tête avec mon nom dessous comme une marque de camembert. J'ai salué tout le monde et comme il y avait une chaise derrière tout le montage table+ livres + photo, j'ai supposé qu'elle m'était réservée et je me suis assis. J'ai salué Thierry Carmes, auteur d'une interessante trilogie ésotérique dont deux tomes sont déjà parus : le Chant et la Complainte des arcanes. Nous avons plaisanté et imaginé que notre éditrice commune ne choisissait ses auteurs qu'en fonction de leurs prénoms. Un passant s'est arrêté devant moi. Nous avons fait connaissance. Sympathique, ce Loïc. J'ai tenté de le retenir le plus longtemps possible pour que s'arrêtent d'autres curieux comme chez Amélie Nothomb mais il a fini par partir après m'avoir fait dédicacé un livre. J'étais content de ce premier contact par rapport aux professionnels de l'édition de mon stand qui se seraient sentis obligés de s'excuser du manque de monde avec les arguments habituels : les gens n'achètent plus de livre, il y a désintérêt pour la vraie littérature de qualité supérieure que je personnifie...etc, etc. J'avais donc l'impression d'avoir rempli mon contrat donc en vrai professionnel, car vraiment personnellement, cela ne me gêne en rien de rester seul dans mon coin comme un chien abandonné, les oreilles tombantes et la truffe humide, avec ma photo devant moi en deux fois plus grand et mon nom en marque de camembert. Il y a tellement de choses à faire en restant assis à observer les passants, à s'impregner de l'ambiance bruissante, à regarder les autres stands, à dégouliner un peu aussi car il faisait très chaud et j'avais le poil mouillé. J'ai demandé une gamelle d'eau. Après avoir feuilleté quelques livres (il y en a beaucoup dans ce genre de distraction), après avoir gaiement bavardé, 21h est vite arrivé. Avant l'heure c'est pas l'heure, après l'heure c'est plus l'heure. J'avais rempli mon contrat en bon fonctionnaire. Je me suis autorisé à quitter le stand et je suis parti faire un tour dans le salon. Il y avait toujours foule devant le chapeau d'Amélie. Je suis allé rendre visite avec plaisir à des éditeurs avec lesquels j'ai travaillé. J'ai croisé des connaissances perdues de vue. J'ai eu des pertes de connaissances en croisant des gens qui me disaient quelque chose. Cette femme en robe noire avec un badge, je suis sûr l'avoir déjà rencontrée. Je me méfie, je ne suis pas physionomiste pour deux sous, et même pour un seul. Mais je ne l'ai pas abordée, je ne voulais pas me prendre une veste supplémentaire, déjà qu'il faisait si chaud. Après un coup de fil pour se localiser, ma fille m'a rejoint et nous avons continué d'arpenter les allées en plaisantant comme nous le faisons souvent tous les deux en regardant les poses et les clichés de ce monde. Qui porte son verre bien haut. Qui rit trop fort. Qui tient sa cigarette bien en évidence (ah, la bravade d'enfreindre la règle dans un lieu public...). Qui interpelle à voix haute : il faut "abssssolument" que je te présentes... Et puis d'un coup la fatigue, la soif. Nous avons des journées chargées, elle et moi. Nous sommes repartis dans la tiedeur d'un soir de printemps. En rejoignant son logement d'étudiant, nous avons continué à plaisanter. Je jappais comme un chiot pour la faire rire. La nuit, j'ai peut-être rêvé de ma photo en deux fois plus grand et de mon nom en marque de camembert, je ne m'en souviens pas. Ce qui est certain, c'est que, le lendemain, en voulant changer l'ampoule, j'ai cassé en deux le pied de la lampe halogène.
(04/04/07)

 

" Ce matin d'avril, je déploie mes pétales veloutés et aussitôt je suis toute surprise d'avoir la couleur de l'azur. Je regarde les autres roses qui sont rouges, jaunes. Suis-je donc anormale  ?
Un bruit me tire de mes pensées et une main armée d'un sécateur s'approche. Aïe ! l'outil tranchant ma détachée de ma tige.
L'homme me regarde émerveillé et s'écrie joyeusement : "Elle est bleue ! elle est bleue !". Mais, malgré ces compliments, je ne suis pas heureuse. Mais pourquoi m'a-t-il arraché de la sorte, j'étais bien au soleil avec mes voisines." On me dépose dans un vase rempli d'eau fraîche. Ah ! c'est mieux. Je lave mes blessures et, soulagée, je m'endors... "Hé ! faites attention, vous me secouez, vous me faites mal ! être réveillé de la sorte, c'est une honte ", m'écriais-je. Mais l'homme ne m'écoute pas et il m'enferme dans une voiture qui nous conduit, l'horticulteur et moi, dans une exposition de roses.
"Quelle chaleur ici !" Pensais-je en entrant. Autours de moi, des centaines de roses sont alignées comme des petits soldats. Des juges tournent, virent, examinent, hésitent, partent, reviennent, bref, ça me donne mal au cœur. Mon tour arrive. Après m'avoir examinée, une expression d'émerveillement passe dans le jury. Enfin, le juge principal me montre au public en disant : "voici la plus belle !" Je rougis, ce qui me donne une couleur violine ! On me pose dans une coupe en or garnie d'émeraudes. "Oh, joie ! il y a de l'eau. Enfin qu'il est bon de sentir le contact de la fraîcheur sur ma tige "Pensais-je. A ma grande surprise, la coupure ne me fait plus mal.
"
Le sujet de la "rédaction" c'était : "mettez-vous à la place de la fleur dont la tige vient d'être tranchée. Faites nous part de vos réactions et réflexions amères".
La note est de 13/20. L'appréciation écrite à l'encre rouge précise : le devoir n'est pas vraiment terminé. Attention à l'orthographe !". En effet, huit fautes sont soulignées en rouge, dont trois d'accent ou de ponctuation.
Il y a mon nom en haut à gauche, écriture malhabile, aigrelette que j'ai gardée. A droite, c'est écrit 5ème 1B. Ce devait donc être en 1969 et j'avais 11 ans. C'est à peu près à la même époque que j'ai écrit un premier texte qui ne soit pas imposé par l'institution, prose libre donc, sur un souvenir lié à ma grand mêre. Je l'ai conservé, je crois, et je me souviens par coeur de la fin.
(28/03/2007)

Ce mercredi 21 mars, ce sera le printemps. Et malgré la météo qui prévoit un temps maussade, les quelques giboulées de pluie et de neige mêlée ne donneront pas l'illusion d'un retour de l'hiver. D'ailleurs, d'hiver, il n'y a jamais eu. Je me souviens avoir remarqué début janvier, alors que les chiffres du mois n'avaient même pas atteint la dizaine de jours, la floraison des premières primevères, de quelques pâquerettes téméraires. Il n'y a pas eu d'arrêt de la végétation, les cyclamens étaient encore fleuris. Les jonquilles (qu'on ramasse par brassées dans les bois alentours) ont succédé aux perces-neige avec un mois d'avance. Ces derniers n'ont eu de l'hiver aucune croûte blanche à percer. J'aurais presque pu laisser les géraniums dehors. D'ailleurs, je l'ai fait, j'ai juste couvert les balconnières d'un film antigel. Je n'ai pas pu tailler les rosiers, je m'y suis pris trop tard, d'habitude, j'attends les premiers jours de mars mais les feuilles étaient déjà grandes et vernissées. Les pucerons, même pas décimés par quelques gelées, sont déjà réapparus. Les magnolias élèvent leurs fleurs somptueuses, les prunus s'éveillent en mauve, un petit cognassier est fleuri depuis février. Les abeilles s'éveillent gaillardement. Bref, c''est le printemps !
En 2004, vers la même époque, ma rubrique Webcam montrait une saison tardive : les narcisses étaient en boutons sous la neige, il avait fallu attendre avril pour que le printemps rattrape le temps perdu.
Parler des saisons et du temps peut paraître puéril dans ce site à vocation littéraire. Ce n'est pas par esprit bobo, passion pour Rustica ou autre journal des retraités actifs et bucoliques...Mais le printemps est la passerelle vers la saison chaude. C'est une période étrange de pousses nouvelles, de coups de sang soudain et de reculs venteux. Période de transition, rien ne se passe, hormis quelques gesticulations politiques. En attendant, les parleurs de tous poils se réveillent à l'exemple des merles effrontés qui surveillent mon jardin...
(21/03/2007)

 

J'ai le choix ce mardi 13 mars, chiffre porte bonheur : le bonheur donc d'aller écouter un poète de grand renom dans la librairie de ma ville ou de partir à la découverte du nouvel avion de chasse de la base aérienne toute proche et pour lequel je suis invité. Evidemment, on pourrait croire qu'entre poésie et symbole guerrier, il n'y a pas de question à se poser quant au choix à faire.
D'un côté, aller à la rencontre du poète, lui rendre hommage, c'est entrer dans un pays de connaissance, bain de jouvence, partage, communion entre tous les participants, soutenir l'excellente initiative de la librairie. Gageons que les quelques participants seront enchantés de cette belle soirée, on en a besoin.
De l'autre, ce sera explications techniques, poussées, vitesse du son, tout un concentré de technologie humaine, lois de physique avec, en toile de fond, manœuvres et politiques internationales. Fierté, exaltation de la technologie française, initiative vouée au succès de foule, on refusera du monde…
Le choix est simple en apparence : oui à la poésie.
Mais aller au devant d'elle et être sûr d'être conquis, c'est, comment dire, déjà perdre pied avec la réalité, se laisser aller dans ses rêves (et pourtant cette poésie se réclame de la réalité), c'est partager bien sûr, mais au bout de la rencontre que restera-t-il ? Des certitudes affirmées, un consensus, peu de débat…
Aller au devant de la technique, c'est aussi entrer dans la réalité de ces deux milles familles qui vivent au quotidien de la Base Aérienne, la poésie est bien loin, se résume juste au ciel commun aux avions et aux oiseaux. Et de même, d'autres certitudes seront affirmées, il y aura consensus, peu de débat également. Bref, match nul : c'est toujours l'éternel combat entre la poésie et la réalité que symbolise ces deux événements.
A bien y regarder, ce combat ne peut pas être plus au cœur que mon nouveau livre qui commence par le bombardement de la ville espagnole et qui place en opposé la peinture de Picasso ou le poème de Neruda que j'ai placé en épigraphe. Eternel dualité d'une foule attirée par le clinquant de la " Vie Moderne " (comme l'Exposition Internationale du même nom) et la part réduite qu'occupe l'art. En réalité, je n'aurais jamais pensé que le choix soit si dur entre deux événements aussi opposés : vraiment, je ne sais pas opter entre les deux, je suis curieux des deux. Et de même, c'est peut être la même incertitude que j'ai tenté de retracer dans 1937 Paris - Guernica. La vie est bien drôle et cette coïncidence de dates me place en face de mes contradictions (et qui étaient déjà les mêmes pour tous en 1937) : nous avons un même ciel à partager.
(14/03/2007)

 

A la question (qu'on ne me pose jamais...) "Quelle qualité - capacité, don, aptitude que vous ne possédez pas - aimeriez-vous avoir ?", je répondrais dans hésiter : être entièrement bilingue. Être aussi à l'aise dans ma langue maternelle que dans celle que j'aurai choisie, penser, imaginer dans cette langue, en comprendre les subtilités, l'étymologie, la comparer avec l'autre et parler, oui surtout parler. L'étude des langues en France possède ce paradoxe scolaire : depuis l'apprentissage de la sixième, voire maintenant depuis l'école primaire, l'élève qui retient facilement les nouveau mots, qui lève le doigt pour répondre, est bien sûr sollicité mais très rapidement, chaque enseignant le délaisse puisqu'il sait qu'il détient la réponse au profit de ses camarades moins sûr d'eux dans des classes surchargées. Je connais ainsi un lycéen qui obtint 18/20 à son bac d'anglais, épreuve écrite, en n'ayant jamais eu l'occasion d'échanger une véritable conversation. Sa note reflète sa connaissance en vocabulaire, grammaire, syntaxe comme s'il s'agissait du latin ou de toute autre langue morte (pardon, on dit langue ancienne ou disparue, euphémisme et langue de bois...). Je n'ai jamais atteint de tels niveaux de notation quand j'étais au collège ou au lycée et les paroles des Beatles ou les Stones sur les pochettes des 33 tours ont complété mon apprentissage. Car c'est l'anglais que je connais le mieux. J'ai tout oublié de mon allemand scolaire et, à l'étranger, comme tout le monde, j'apprends sur le tas à prononcer dix formules de politesse dans les pays que je visite : les  "gracie mille" et "gracias" italien et espagnol, l'"obrigado" du Brésil ("obrigada" si on est une femme), le "choukran" en arabe. L'anglais qui m'est plus familier, n'en est pas moins difficile, je suis capable d'échanger une ou deux phrases sans trop chercher mes mots, comprendre une conversation si l'accent n'est pas trop prononcé et le débit rapide : exit donc habitants de Manchester et Liverpool, new-yorkais et la plupart des américains. A l'écrit, c'est un peu moins pire et je préfère lire directement en anglais plutôt qu'une mauvaise traduction.  C'est valable pour des articles courts de quelques pages mais l'accumulation d'un roman va vite me fatiguer. J'estime que je connais dans un texte à peu près soixante pour cent des mots, le reste se fait par déduction. A force on finit par un peu entrevoir l'imagerie de l'anglais, pourrait-on dire, sa force d'évocation directe qui m'attire beaucoup.
Bref, j'envie Beckett qui a pu jouer sur les deux registres en explorant la moindre subtilité, le va et vient entre les deux langages pour bâtir ses textes.
Et Jonathan Littell. Car l'auteur des Bienveillantes, controversé par une certaine critique, est je crois, parfaitement bilingue. Je ne sais pas si on a remarqué que "bienveillantes" se dit "bénévolent" en anglais. Et du coup, je me prend à rêver à ces racines communes avec notre bon vieux "bénévolat" typiquement français, de type "association loi de 1901". C'est drôle car pour avoir œuvré dans plusieurs d'entre elles je connais pas mal de bénévoles auxquels l'adjectif de bienveillant est parfois remplacé par soif de pouvoir, genre "je m'accroche à mon siège". Peut-être qu'inconsciemment cette proximité de langue a joué dans les gloses adressées à l'encontre de Littell, leurs auteurs formulant secrètement leur désir de s'accrocher à un panthéon "bénévolent"...
Mais de tout cela, y compris de ma prose, le bénévole de base de n'importe quel horizon associatif s'en fout et il a raison. Il tient à rester en bas de l'échelle parce que c'est là qu'on est le mieux bienveillant.
Et il sait que, comme à l'école, on ne lui donnera pas plus la parole.
(21/02/2007)

 

En 1911, à Dresde, a eut lieu la première exposition universelle d'hygiène et qui accueillit plus de cinq millions de visiteurs. A cette époque, Pasteur et la vaccination étaient encore proches, la médecine faisait de grands progrès, bref, tout ce qui pouvait améliorer la santé était bienvenu. Il y avait beaucoup à apprendre pour une population concentrée dans les campagnes, les réseaux d'eau existaient peu, les puits, les maladies des animaux, quelques règles élémentaires et faciles à mettre en œuvre, sans oublier de s'occuper d'une industrialisation récente qui tirait sur la corde de la santé des travailleurs. Et puis, comme à chaque fois que se profile un marché économique, on chercha à tirer parti de cette mode qu'on appela hygiéniste, sous le prétexte généreux mais lucratif, d'améliorer les conditions de vie et qu'on mélange parfois faussement avec la notion de progrès, d'industrialisation. Réseaux d'eau donc, électricité, tout pour le confort de la ménagère et de ses enfants. Ce n'est pas une époque si lointaine. Je me souviens des lampes à pétrole d'éclairage chez mon grand-père et j'ai connu Albert Kritter, ingénieur hydraulique et écrivain, qui a ventilé l'eau sur tous les robinets de mon département (voir toutes rubriques de ce site dans les archives du 12/03/2003). A l'époque où l'on parle de logements décents, il est bon de se rappeler, sans pour autant se dire que c'était le bon temps, que tous ceux de ma génération, pas si canonique que cela, ont connu, dans leur prime jeunesse, un seul point d'eau par appartement et la joie de se laver sur l'évier devant tout le monde.
Mais revenons aux années trente. L'hygienisme en plein essor fut détourné par l'eugénisme, qui substitua au désir d'améliorer le confort de nos congénères, la volonté d'améliorer l'espèce humaine tout court : on connaît la suite avec la politique des nazis, classements en races, stérilisation des femmes appartenant à celles dites "inférieures", ouvertures de divers camps...
Et tout cela avec pourtant la bonne idée de départ d'une simple question d'hygiène...
Ah, oui, mais nous n'en sommes plus là, allez-vous me rétorquer. Bon, à la rigueur les expérimentations génétiques pourraient faire lien, mais rien à voir avec l'hygiène. Améliorer l'espèce humaine, ce pourrait être aussi le droit à l'avortement dans son détournement vers une politique nataliste ou non, étatisée en tout cas. Mais rien à voir avec l'hygiène. Améliorer l'espèce humaine, ce pourrait être aussi notre interdiction de mourir par temps de canicule. Mais rien à voir avec l'hygiène.  Bon je recommence : et l'interdiction de fumer alors ? Ah, oui, cela a à voir avec l'hygiène de tous, c'est une question d'éthique même (comme la charte d'éthique des entreprises, tiens, il faudra que je pense à vous en reparler un jour). Ne croyez surtout pas que je suis un fervent défenseur de la liberté individuelle de fumer, boire, conduire vite...etc. Ce serait plutôt le contraire et puis je ne supporte pas la fumée. Je n'ai jamais pratiqué le moindre joint, sauf dans mes travaux de plomberie, je bois modérément, j'ai un limiteur de vitesse que j'utilise, bref, j'ai la panoplie du parfait petit citoyen. Mes motivations sont pourtant anarchistes tendance Brassens qui affirmait toujours traverser dans les clous pour avoir le moins de rapport avec la maréchaussée. C'est surtout aussi manière de ne pas donner un seul sou à quelque dealer qu'il soit, agrémenté par l'état ou non. Bref, cette loi m'arrange. Mais ce qui m'inquiète, c'est qu'elle participe de la même manière à cet élan stupide de l'hygiène, de l'interdiction de mourir (c'est sale, la mort, en plus avec un cancer du poumon, pouah...) magnifié par une organisation touffue de justice, de principes de précautions et d'autres compensations financières pour les victimes en cas de manquement avéré d'hygiène. Aux USA, sous prétexte sécuritaire, des lois arrivent, obligeant tout citoyen à dénoncer ce qui peut être insolite, donc dangereux.
Dangereux le tabac, on le savait déjà, bien sûr, il est aussi bon de le rappeler. Comme tout le monde, j'ai vu des proches, voisins, connaissances en souffrir ou en mourir. Mais ce matin, j'ai entendu un éminent spécialiste qui disait à propos de la nouvelle loi sur l'interdiction de fumer qu'elle participait à une vie "bio"... Cela ne veut évidemment rien dire, la Gitane maïs aussi, ce n'est que du "bio" (à condition qu'elle ne soit pas transgénique...) et dans ces conditions on peut continuer à se rouler du gazon séché dans du papier hygiénique sans représailles. On voit bien dans cette confusion des mots, le mélange économique qui nous pousse : produit bio, concepts bobos... On remarque par contre rarement dans cette progression du langage, le danger réel. Hygiène, hygienisme, eugénisme, on sait vers quelles politiques ça nous a mené. Le "bio" se dénature maintenant et nous emmène  vers des actes concrets, lois, punitions, interdiction de mourir malade. Améliorer l'espèce humaine, désolé pour les tenants de l'égalité entre tous : oui, nous y sommes, pourvu que l'espèce visée en question soit centralisée dans les pays développés.
(07/02/2007)

Je n'aime pas la neige. C'est blanc, c'est froid, ça mouille. C'est une vieille plaisanterie familiale qui ressort à la mauvaise saison : souvenir d'une soirée vosgienne où ces états d'âme avaient soulevé une hilarité partagée entre amis. Un bon souvenir donc. C'est étrange car il est vrai que je n'aime pas la neige, mais profondément, j'en éprouve même un dégoût nerveux au départ. Pourtant j'en ai déjà profité maintes et maintes fois. Je sais skier, enfin, je passe à peu près sur n'importe quelle piste. Des souvenirs oui : des virées en solitaire en ski de fond, avec juste le crissement de la neige et les sapins comme témoins, des balades en groupe dans le même sport, le plaisir des haltes et des plaisanteries, la bienfaisante fatigue aussi. Et l'ivresse de la piste : dérapages, bosses à sauter. Je suis un clown à la neige, paraît-il. J'oublie de descendre du télésiège, mes chutes sont spectaculaires, dignes d'un vidéo gag. J'ai même déraillé la fermeture de ma combinaison de ski à 2000 m et je me suis retrouvé presque à poil en bas de la piste avec le vent qui s'engouffrait dans mes habits.  Je dois la bosse que j'ai sur le nez à un accident de luge, tout enfant. La luge avait continué de glisser sans moi : je m'étais encastré dans un arbre. Je me souviens encore du nom du pré en pente que nous dévalions à Langres, le Champ des sœurs. Plus tard, en essayant des dérapages sur neige avec la Renault 4 de ma frangine, je m'étais retrouvé en travers entre deux congères, impossible ni d'avancer, ni de reculer. Je fais rire donc... mais à quel prix ! Car les inconvénients de la neige sont nombreux : les bouchons sur la route, le prix prohibitif des locations, le froid, les queues aux télésièges, les mines renfrognées des voisins. Beaucoup de contraintes pour peu de plaisir en somme. On me rétorquera que je ne suis pas obligé. Mais, en bon père de famille, comme dirait l'autre, la neige représente souvent quelques jours de vacances tous ensemble. Et encore des souvenirs. La peur mêlée de fierté devant sa propre progéniture qui vous dépasse en vitesse, les mains réchauffées de mes deux neveux antillais pas vraiment habitués au climat. Par dessus, c'est aussi l'idée enfantine du plaisir des flocons, bonhommes de neige, batailles de boules.
Mais la neige c'est aussi la route glissante. Je viens d'en faire l'expérience, la voiture a terminé dans une glissière de sécurité en abordant un rond point. Pas grand chose, à peine le pare-chocs égratigné, il a fallu qu'on me pousse pour reprendre mon chemin. J'ai d'ailleurs fait demi-tour et annulé le rendez-vous prévu. Car plus que la déficience supposée de l'entretien des nationales et autoroutes, c'est bien notre façon de vivre qui nous dessert. L'économie, centrée sur le stock minimal des entreprises, jette des norias de camions sur l'asphalte. Les décentralisations, même limitées à trente kilomètres, incitent les salariés à prendre leur véhicule. Les TGV ont verrouillé le paysage ferroviaire vers la capitale : une pub de la SNCF annonce 17 trains Marseille Paris mais quand on veut circuler en travers sur l'axe Dijon Reims, il n'y a absolument aucune navette dans un intervalle de dix-huit heures sur les vingt quatre que représente une journée... Petit à petit, la voiture s'est imposée et, sur les cinquante mille km que j'effectue chaque année, les trois quarts relèvent d'obligations professionnelles. Peut-être nous appartient-il de refuser de nous "conduire" ainsi, doigt sur la couture du pantalon. Risque de neige ? Désolé patron, je travaillerai chez moi... où j'irai faire du ski. Mais j'oubliais, je n'aime pas la neige...
(31/01/2007)

 

2007 sera l'année du cochon chez les chinois. La transition est facile pour vous parler d'un véritable écrivain qui me tient à cœur. Enfin, une écrivaine, une auteure comme on dit maintenant (je ne me ferai jamais à cette déformation artificielle de la langue...). C'est une amie donc, une amie grand-mère, une amie grand-mère écrivain et cochonne. Ourse cochonne c'est son pseudo quand elle m'avertit de la mise à jour de son site, en principe tous les mois. Car en plus, elle surfe, la grand-mère écrivain et cochonne ! Et avec talent : je vous conseille de vous rendre sur son site www.cochonnet.org. Evidemment, l'animal rose est son totem, elle en connaît tous les détours, elle a poussé son groin dans pas mal d'endroits. Journaliste, femme politique même (ce n'est pas réservé qu'à certaines...), on la voit de temps en temps débarquer au volant de son cabriolet de sport rouge, arborant de temps en temps une tenue excentrique, collant rouge flamboyant ou chapeau digne de la Reine d'Angleterre, c'est dire... Car la tranquillité n'est pas son fort, du moins en apparence : son entourage a dû renoncer depuis longtemps à attendre la femme sérieuse qu'elle se devait d'être. Nous y avons gagné en fantaisie, joie de vivre et amitié. Mais il ne faut pas se fier qu'aux apparences, elle sait bâtir du solide, du concret. Elle a su se montrer à la fois capable de s'occuper d'une étude juridique pendant plusieurs dizaines d'années, et, entre deux reportages, d'assumer la comptabilité de l'Entreprise multimédia d'un de ses fils, voire d'un dentiste. Elle fut aussi Présidente des Ecrivains de Haute-Marne et c'est grâce à elle que des salons littéraires virent le jour dans tout le département, grâce aussi à sa volonté que se réalisa l'ouvrage anthologique 52 écrivains de Haute-Marne. Côté écriture Gil Melison, son vrai nom, utilise parfois le pseudo d'Even Gil (sic !) pour quelques nouvelles érotiques et généralement joyeuses. La liste de ces recueils est éclectique, des publications nationales à ses carnets de voyages réservés aux proches, de la poésie la plus pure aux projets les plus inattendus comme cet ouvrage sur les jardins haut-marnais. Il faut absolument suivre sur www.cochonnet.org, le feuilleton Du Hard ou du cochon, dont les trouvailles langagières, l'univers déjanté et la joie de vivre évoque un Rabelais égaré chez les Schtroumfs. S'il est des textes sur Internet qui devraient trouver leur prolongements dans des livres en chair (rose) et en os (jarret de porc ?), assurément  Du Hard ou du cochon est sans doute celui que je rêverais de posséder, imprimé bien entendu sur du papier à charcuterie.
(24/01/2007)

 

J'ai quelques réticences récurrentes à propos d'Internet. Non pas que j'en conteste le bien fondé, je n'y serais pas visible autrement. Je me souviens de Tanguy Viel, dont la jeunesse laissait imaginer une réceptivité plus grande à l'outil Web mais qui finit par abandonner l'idée d'un espace personnel. Cette décision m'a toujours intrigué, continue d'ailleurs à le faire. Et puis l'exemple des autres écrivains, François Bon bien entendu, mais aussi rejoint par d'autres utilisateurs tout aussi dynamiques, constituent des niches où la créativité s'imbrique constamment dans la littérature. Les structures aussi ont dépassé depuis longtemps notre étonnement (d'où la place en cette rubrique), des premiers modèles économiques associant livre et internet comme Inventaire-Invention qui doit bien exister depuis près de dix ans maintenant, jusqu'à la communauté Remue.net. Et que le Web ait repoussé les frontières, nous en voyons les avantages tout autour de nous. Blog de tous poils, échange MSN... Des liens se sont crées, parfois retendus. C'est un beau-frère  resté en Guadeloupe qui converse souvent avec ses quatre enfants installés en métropole, c'est une cousine qui a pu chaque jour montrer à sa toute jeune progéniture leur père qui travaille en Afrique du Sud. Comment tiendrait-on autrement ? Je ne conteste pas la richesse de ces liens et si MSN contribue à augmenter la fréquence des échanges avec sa famille ou ses amis, loin de moi de honnir le Net, de regretter le bon temps du téléphone S63 cadran. Je ne suis pas passéiste. Le web est donc partout dans tous les échanges et a forcement redistribué les cartes de l'économie : le paysage de l'édition, de la distribution et des libraires en sait quelque chose. L'expression "on n'a pas le choix" est réelle pour chaque secteur professionnel, de l'administration à l'usine, du moindre café-tabac perdu en campagne française à une plate-forme de télé opérateurs du Maroc. Alors d'où me vient cette réticence que j'ai bien du mal à formuler ? Disons que ce pourrait-être la volonté de rester un peu en deçà, un peu à la traîne. Non pas pour rester au fond ( je n'ai jamais eu la gloriole du cancre) ou pire revenir en arrière, mais juste parce que j'ai l'impression que le mouvement qui pousse l'ensemble des utilisateurs internautiques à adopter la nouveauté permanente (travail collaboratif   - qui, entre parenthèse, existe depuis dix ans, j'en faisais le Marketing à une époque -, fil RSS et autres), ce mouvement donc me rappelle l'inévitable course au progrès débutée au XIX°. Outils nouveaux, exaltations... Mathématiquement, ce mouvement demeure vectoriel, unipolaire, philosophiquement engagé dans une seule direction et c'est bien là que le bat blesse. On me rétorquera que c'est faux, l'universalité nous garantit pouvoir et contrepouvoir. Oui sans doute mais sait-on prévoir, réfléchir aux conséquences de la connaissance exhaustive et instantanée qu'on nous propose, de surcroît, de plus en plus dirigée ? Orson Welles avait semé la panique aux Etats Unis en 1949 avec la Guerre des Mondes, c'est ce type de réaction collective qui m'inquiète. Déjà on perçoit l'inégalité et les tensions entre ceux qui détiennent l'information et les autres. Oser prétendre qu'Internet sera en mesure d'apporter une même communication, compréhensible par chacun en fonction de sa propre sensibilité (qu'on imagine forcement démocratique) est un dangereux leurre et attise les tensions. De plus, individuellement nous savons déjà bien nous limiter dans les apports de l'information en masse qu'on nous propose : l'un refusera la télé, l'autre le parti-pris d'un journal. Or, collectivement nous ne réagissons pas comme cela, nous avons tendance à avaler l'ensemble du gâteau. Bref, j'ai peur de la vaste manipulation où nous conduit la structure de plus en plus formelle et rigide qui se construit non pas autour de nous, mais avec nous, avec notre assentiment dans la mollesse des consensus du Web. J'ai du mal à expliquer cette position arqueboutée mais j'y tiens, c'est sans doute ma façon de me doter de garde-fous et le fou est toujours dérisoire. Le fonctionnement  pépère de mon site (qui d'ailleurs est visible puisque vous y êtes !) demeure pour moi suffisant. On y voit parfois ringardise, on pense que je pourrais améliorer le côté bricolo mais je n'ai pas le temps et surtout pas l'envie pour les raisons philosophiques évoquées plus haut. Ce qui m'intéresse n'est pas la logique de l'amélioration, de l'esthétisme et du progrès mais celle de l'accumulation, de la réflexion, de l'écrit qui tout de même existe dans ces pages élaborées avec un programme de dix ans d'âge mais dont la mécanique est parfaitement huilée. Et accessoirement, d'y réfuter cette course à la modernité. Intrinsèquement, mon site Web existe donc je suis.
(17/01/2007)

 

Il est d'usage de faire valoir ses bonnes résolutions en début d'année. Je l'ai déjà fait maintes et maintes fois. Intentions d'actions... D'étonnements ? Pourquoi pas. J'avais estimé que 2006 serait politique l'année passée. Que dire de 2007 ! Elle le sera forcément. Attendons nous aux coups bas... Mais pas seulement ! Soyons positifs car la politique est nécessaire. Si le CPE a provoqué un débat, tant mieux. On agite de vieux spectres devant nos yeux, on sait que, comme tout nouveau changement et peu importe le parti, on pressent qu'il y aura rupture. Ne soyons pas angéliques, prêts à dire oui à tout, ou buté pour refuser tout changement. Il faudra transiger, débattre, admettre, se ranger, opter. L'important est de savoir jusqu'où on sera prêt à aller. Dans chacun de nous, il y a une part prête à avaler des couleuvres, nos politiques le savent bien, mais aussi des points d'achoppement irréductibles. Etre de gauche ou de droite n'a guère de sens, les positions de principes et le principe des positions irrémédiables n'ont jamais fait avancer le schmilblic. S'il fallait par exemple descendre dans la rue pour conserver l'abolition de la peine de mort, j'espère que nous serions nombreux à le faire. Mais en revanche, je me sens à l'étroit dans mon tricot de marcel français, je me sens seul à réclamer ma nationalité européenne avant celle de me sentir hexagonal. Je dois être un des rares à défendre une imposition plus large, à vouloir étendre le nombre de contribuables d'une manière significative quitte à faire rentrer dans le calcul les prestations sociales... Chacun de nous à son côté obscur, ses arguments originaux, son côté facho, ses hérissements. Méfions-nous de nos jugements hâtifs : on a failli écarter à jamais du Panthéon des Lettres l'auteur du Voyage au bout de la nuit à causes de ses stupides convictions politiques. Rien ne me déplaît plus que l'aspect visqueux, malsain et crasseux de l'extrème droite, rien ne m'inquiète plus que l'obligatoire solidarité veinée de judéo-chrétien dans un pays qui sut rester crispé sur la question du voile et d'une laïcité empesantie. Les Restos du Cœur deviennent une institution, fêtent chaque année leur anniversaire comme n'importe quel supermarché. Pour un peu, nous trouverions cela normal. Qui pose la question, non pas du libéralisme mais de la consommation effrénée ? J'avais fait un atelier d'écriture il y a deux ans pour une classe de seconde et nous avions abordé la question de la publicité. Celle-ci était tellement imprégnée dans le crâne de chacun avec la consommation qui va avec qu'il n'est pas venu à l'idée d'un seul élève qu'on pouvait se permettre de porter un jugement négatif sur elle. Elle est là, comme tout. Comme Internet. Et d'ailleurs Internet, hein ? Si on se posait la question ? Et si la course à l'information était réversible sans pour autant retouner vers l'obscurantisme ? Et si on en profitait pour élever le débat sur des questions encore plus philosophiques mais dont en entrevoit bien les prolongements ? La vie a-t-elle un coût maximal ? Peut-on nationaliser le corps humain ? A l'inverse, permettre un actionnariat économique de l'individu ? Quel investissement, quel effort sommes nous prêt à mettre pour tout ce qui touche à nos vies, l'amour, la famille, l'écriture, que sais-je encore ?
2007 sera l'année des questions...
A quand les réponses ?
(10/01/2007)