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Notes d'écriture 2008
 

Allez, je le dis ! Je suis heureux, heureux parce que mon septième (huitième ?) livre va paraître. C’est le cinquième chez Fayard et c’est pour le printemps prochain. On en reparlera et je ferai un dossier prochainement sur ces nouvelles en forme de bestiaire.
Le premier réflexe est de constater « un de plus », comme si une sorte de logique comptable semblait prendre le pas sur la réalisation. En réalité, c’est sans doute une manière de marquer l’avancement de l’écriture dans le doute permanent qu’elle suscite. Au bout du cinquième chez le même éditeur, on a l’espoir ténu de représenter, sinon une valeur marchande, a minima une estime de principe qui aide à répondre à la sempiternelle question : au bout de combien de livres devient-on écrivain ? Syndrome de l’horizon qui s’efface toujours, le principal intéressé n’est plus là généralement pour le bilan qualitatif et quantitatif qui sera fait de son œuvre.
D’abord dans la valse des livres et des chiffres, j’ai toujours du mal à énumérer ce que l’on nomme pompeusement bibliographie. Il faudra justement que je pense à refaire cette rubrique sur Feuilles de route. Elle compte neuf titres mais il y a des éditions numériques, donc pas des livres au sens papier du terme. Une des publications est d’ailleurs hybride : Vers Aubervilliers, petit livre d’Inventaire-Invention que l’on trouve dans les bonnes librairies existe aussi en version papier tandis qu’Un dernier soir, chez la même revue éditrice, n’est consultable que sur leur site. Et puis je n’ai pas encore rajouté de la même manière mes accumulations Internet 2000-2003 de Feuilles de route, disponible chez Publie.net. Alors, si je compte les livres uniquement versus papyrus, cela en fera huit en mars prochain sous mon unique nom d’auteur, lui-même imprimé de huit manières différentes avec huit polices de caractères et de couleurs : en gras, en capitale, avec des petites lettres ou un bel aspect brillant et gaufré, façon thriller américain (CV roman). Voici donc quelques précisions que Gérard Genette n’aurait pas reniées dans Seuils, son excellent essai qui répertorie tous les paratextes et épitextes d’un ouvrage (rubrique Le nom d’auteur p. 41 à 57). Cet état, qu’il nomme « l’onymat » est «le plus banal qui reste innommé par l’usage, et le besoin de le nommer répond chez le descripteur au désir de le tirer de cette banalité trompeuse». Discours savant mais dont l’explication humoristique qu’il donne en conclusion me plaît assez : «après tout, signer une œuvre de son vrai nom est un choix comme un autre que rien n’autorise à juger insignifiant.». Sauf que, cher Gérard Genette, la calligraphie, source de signification, est décidée par l’éditeur et mériterait à elle seule toute une étude. Mon dernier CV roman aux capitales pompeuses et gaufrées marquerait-il un changement de statut dans la maison d’édition qui me suit ?
Mais revenons à la comptabilité : huit bouquins papier sous mon nom propre mais il y en a d’autres que j’ai écrit collectivement, voire même dont j’ai aidé à diriger la publication comme l’anthologie 52 écrivains haut-marnais, ce dont je suis très fier. Bref, si je rajoute ces publications papiers collectives, avec les Seize nouvelles du 10° Prix Wepler, juste paru (en Notes de lecture cette semaine), ça fait trois de plus en y incluant ma contribution à Écrire, pourquoi ? publié en 2005 aux éditions Argol. Donc, huit ou onze ? ou alors dix ou treize si j’inclus les publications numériques ? Mais dans ce cas, que faire de mes contributions aux différentes revues, mensuels, numéros spéciaux, semaine de la francophonie, sur Remue.net…etc ? Il y a même eu en projet deux fictions radiophoniques qui n’ont jamais vu le jour mais qui ont été achevées et achetées. Et mes contributions universitaires, journée d’étude à Dijon, à Clermont ? Et les nombreux textes d’atelier d’écriture mis en forme à Dôle, Dijon, Clermont, Langres ou Crogny ? Un rapide comptage rajoute ainsi une bonne vingtaine de textes en plus, mais pourrais-je me vanter réellement d’une bibliographie comptant au total trente titres tout confondu, même si tous sont portés sur la place publique ? Heureusement que je n’inclus pas les projets restés dans les tiroirs, manuscrits refusés, ou correspondance on ajouterait encore quelques milliers de pages.
Pour établir ainsi ma bibliographie, je pourrais me référer à la notice bibliographique « officielle » de ma dernière parution, mais là encore ce serait erroné. En effet, les notices sont changeantes et fausses, le premier livre ne cite bien évidemment pas d’antériorité mais la suite chronologique des ouvrages n’a pas forcément de logique additionnelle : pour preuve, depuis 2000 : La Réserve : rien (logique) ; Central : rien ( j’ai eu 2 premiers romans…); Vers Aubervilliers (1 titre, Central) ; Composants (1 titre, Central) ; Paysage et portrait en pied de poule (2 titres, Central et Composants) ; 1937 Paris-Guernica (7 titres ! La Réserve, Central, Vers Aubervilliers, Composants, 52 écrivains haut-marnais, Paysage et portrait en pied de poule et Ecrire pourquoi ?) ; CV roman (6 titres : La Réserve, Central, Composants, Paysage et portrait en pied de poule et 1937 Paris Guernica). On voit bien que pas mal de critères entrent en jeu pour fausser ces notices. D’abord l’auteur à qui on demande toujours quelle est la bibliographie qu’il souhaite faire figurer (au moment de 1937 Paris-Guernica, j’étais particulièrement généreux). Ensuite, certaines maisons d’édition peuvent ne pas vouloir évoquer les ouvrages parus chez d’autres (ou les particulariser par la mention « paru chez d’autres éditeurs »). Il y aurait une étude très intéressante à mener la dessus. Gérard Genette n’a pas consacré de paragraphe précis dans Seuils sur la constitution d’une notice bibliographique et c’est bien dommage. Par exemple, je lisais récemment la présentation du très prolifique Pierre Bergounioux qui intervenait à la librairie Le Merle Moqueur : « Auteur à ce jour d’une cinquantaine d’ouvrages » ; or sa bibliographie figurant dans ses derniers Carnets de notes 1991-2000, compte exactement quarante mentions jusqu’en 2007. Ce qui montre bien la difficulté d’un comptage exhaustif. Idem pour François Bon, dont je choisis l’exemple en raison de son implication dans la publication numérique : 25 titres figurent sur le dernier Rock’n roll et ce sont seulement les ouvrages imprimés dans des maisons d’édition alors que la somme numérique doit sans doute décupler le total. Fait intéressant et bien révélateur de la difficulté de cohabitation entre numérique et imprimerie : il a ajouté la mention «tous renseignement sur François Bon et bibliographie : www.tiers-livre.net ». La venue des readers ebook va sans doute encore compliquer la donne bibliographique dans un proche avenir.
Il me faut cependant prendre une décision pour le livre à venir : si je me fie à la biblio de CV roman, si je ne compte que les livres écrits sous mon « onymat » dans l’édition traditionnelle, le prochain sera alors le septième…ou le huitième... avec l’impression qu’il en manque. Finalement, je ne suis pas plus avancé : je continuerai à bafouiller toujours autant quand on me demandera : alors c’est ton combien ? avec la même gène d’une mère de famille nombreuse soucieuse de n’oublier aucun de ses rejetons.
(19/12/2008)
 

Est-ce l’effet du bestiaire récemment proposé à mon éditeur ? Je me pose parfois la question de l’animal le plus adapté à l’écrivain. Parmi nos compagnons domestiques, le chat se taille la part du lion, si je puis dire. Que ce soit Rroû de Maurice Genevoix, Bonnot celui de René Fallet ou ceux de Brassens et de Prévert aussi, les matous sont souvent plus présents dans la vie réelle ou imaginaire des écrivains et des poètes. Il n’y a qu’à voir celui qui s’allonge négligemment sur le bureau de L’employée aux écritures, Martine Sonnet, auteur du très beau livre Atelier 62 (note de lecture du 25/07/2008).
Donc,
« J’ai des chats sauvages plein la bouche » comme disait Blaise Cendrars. Les chiens sont ainsi les parents pauvres dans la grande animalerie de l’écriture. Pourquoi le chat mieux que le chien ? On peut supposer que son esprit d’indépendance, sa façon d’être présent en faisant semblant ne rien faire, son don pour la contemplation ressemble évidemment plus à l’activité artistique et à la recherche de l'inspiration, tandis que le chien, son côté lèche-bottes, bon toutou à sa mémère, plaisir immédiat et satisfaction basique est plus éloigné. Quoique, dans le monde commercial du livre où on évolue, bien qu’on s’en défende, ce type de comportement est sans doute assez similaire avec l’attitude du chien : parfois l’édition ressemble à « va chercher la baballe » quand il s’agit de sacrifier à la mode en cours.
Va pourtant pour le chat, mettons qu’il soit plus courant chez les écrivains. Que faire de son chien mort, alors, comme dirait l’ami François Bon ? Il est vrai qu’il n’a pas de chance, l’animal. Domestique, le voici paré d’un caractère servile. Sauvage, le chien rappelle notre peur du loup et il n’a pas le beau rôle dans le monde de la fiction : Combat de nègres et de chiens fut le titre d’une pièce de Bernard-Marie Koltes et Céline était bien inquiétant quand il vivait à Meudon au milieu de ses chiens. Pourquoi imagine-t-on plus Hemingway avec des chiens plutôt qu’avec des chats ? Voilà une question intéressante. Je connais un écrivain qui n’a pas su choisir et qui possédait chat et chien, les deux vivant ensemble dans une parfaite harmonie philosophique. J’ai même proposé d’adopter un jour ce beau dalmatien lorsque cet auteur partit s’installer à l’étranger. Il a trouvé un autre foyer et mon chat n’a pas eu à partager sa gamelle avec cet encombrant voisinage. Sans doute est-ce mieux ainsi, je suis vraiment plus chat que chien. J’ai prononcé le mot de philosophie et je crois que le nœud du problème est là. Il faut une sacrée philosophie pour pouvoir s’adapter à deux animaux aussi contraires. Après tout, ce serait peut-être cela le secret du bien-écrire. Laissons le principe de réalité aux chiens, toujours près à rester prosaïque et terre à terre et l’avancée fictionnelle à ces aventuriers de chats : au final on obtient peut-être un roman complet. Mais tout cela n'est que comparaison qui n’est pas raison, on le sait bien, et imitation réciproque : on se nourrit à la fois de l’air d’indépendance de nos chats et nos chiens nous renvoient à nos propres aboiements. Ainsi l'imitation, la mimesis au sens de Platon et d’Aristote avait déjà planté le décor. Platon se méfiait comme de la peste de la mimesis, cette représentation erronée de la réalité mais Aristote y trouvait l’élan d’un nouvel art poétique. Platon était ainsi, plus dans le dressage du chien et dans son utilité sans fantaisie : chacun chez soi et les vaches seront bien gardées en quelque sorte. Aristote est plus tenté par l’expérience : il jette un chat au milieu de la pièce et regarde le désordre qui s’en suit.
Décidément, je me sens quand même plus proche d’Aristote.
(12/12/2008)

 

La semaine dernière, j’ai remis un manuscrit à mon éditeur (un de ceux qui encombre les circuits ? – voir en note d’étonnement). Je laissais entendre que j’avais eu une autre idée et que je n’étais pas sûr de la concrétiser rapidement. Mais décidément, il n’y a pas que mon cerveau qui n’est jamais en repos, c’est maladif. La crise de goutte (d’encre) a eu lieu dés le week-end : déjà l’équivalent de 40 pages, rédigées en cinq jours et cette impatience intarissable qui me taraude depuis, m’empêche de réfléchir à autre chose. Si je continuais à cette cadence, le bouquin serait achevé en cinq ou six semaines, pour fin janvier. Pourtant le travail s’accumule : le nourricier bien sûr, mais aussi les projets universitaires, les mises à jour de Feuilles de route, plein d’autres choses aussi dans tout ce qui forme un quotidien pourtant serré. Le temps est finalement très élastique, comment ai-je fait pour trouver le temps de rédiger 40 pages, bâtir un personnage, lui inventer un univers tellement précis ? C’est presque une schizophrénie, un dédoublement, une protubérance du cerveau qui me pousse à construire cet univers romanesque, étrangement cohérent, extraordinairement intuitif.
S'il savait, mon éditeur pourrait me prendre pour un fou parce que je sais bien que lorsque j’irai le rencontrer pour parler de ce fameux bestiaire à peine remis la semaine précédente, JdV (J'aime donner des noms de code aux écrits en cours...) sera dans ma tête. Il n’en saura rien, il continuera de me parler de ce qui constitue pour lui, ma dernière nouveauté alors qu‘elle est déjà supplantée. J’ai toujours constaté une étrange amnésie après la fin d’un texte et sa remise à l’éditeur. L’effort incroyable qu’il faut que je fasse pour me persuader que c’est bien moi qui ait écrit ces lignes et de quoi ça parlait déjà ? Cette fois-ci l'amnésie est de l'ordre du remplacement, comme un carreau à la pétanque : une boule chasse l'autre.
(05/12/2008)
 

J’ai remis hier par mail à 19h22 à mon éditeur un recueil de quarante et une nouvelles sous forme d’un bestiaire. Le manuscrit compte 166 426 signes, ce qui formerait, en cas d’acceptation, un bouquin d’environ 140-160 pages dans un format habituel. Comme j’en ai pris l’habitude, j’ai noté les lieux de l’écriture, les dates de début et de fin : « Saint-Dizier, 1° février 2008 – 26 novembre 2008 ». En réalité, la première date est celle du dernier enregistrement de ma première version qui comptait déjà trois textes. J’ai donc commencé la rédaction de ceux-ci dans la dernière semaine de janvier, soit juste après le jour même où j’avais appris que le précédent manuscrit avait été refusé (notes d’écriture du 20/01/2008). Que cette nouvelle ait été positive ou négative n’a pas influencé cette écriture à venir. J’ai cette manie depuis les premières publications : je ne peux rester plusieurs jours sans écrire, du moins me projeter dans un nouveau récit. D’ailleurs, j’ai déjà réfléchi à autre chose depuis quelques jours dans l’achèvement de ce bestiaire. Je n’ai pas eu le temps de formaliser cette idée dans un début, je ne sais pas d’ailleurs si le ferai mais l’esprit s’est mis en route comme une mécanique étrange et bien huilée.
Parler du contenu de ce bestiaire me paraît prématuré. Je n’en ai pas envie, de la même manière que le précédent n’avait pas été davantage évoqué, ne le sera pas à moins d’un revirement de publication et qui ne me traverse même pas l’esprit. C’est ainsi. Je suis né pour écrire en ininterrompu et publier en pointillé. Le continuum de l’écriture se manifeste de cette manière curieuse et précise : savoir quand et à quelle heure je remets un manuscrit, savoir où et quand je l’ai écrit, le baliser par d’autres éléments, nombre de caractères, projection en nombre de pages…etc. De celui-ci par rapport aux précédents, que peut-on en dire ? Qu’est-ce qui change ? Il a été écrit en un seul endroit, à mon domicile et dans mon bureau, ce qui est plutôt rare car je profite souvent de mes lieux de vacances pour compléter un texte en cours. Mais cet été, celles-ci ont été dévolues exclusivement à la préparation d’un mémoire de Master que je défendais en septembre. Bien entendu, les deux cents jours d’écriture ont été discontinus. Les premières pages démarrent généralement très rapidement mais la vie qui mange tout se charge rapidement de diluer les bonnes résolutions de régularité dans un emploi du temps débridé. J’ai particulièrement été gâté cette année, de février à juin, mes Feuilles de route ont d’ailleurs pas mal pâti à cette époque de mises à jour irrégulières : six au total jusqu’en mai, du jamais vu, alors que l’habitude hebdomadaire, reprise depuis, demeure une règle à peu près suivie depuis huit ans. Bref, cette irrégularité m’a pesé et cette difficulté d’avancer sur ce bestiaire jalonne d’ailleurs les notes de cette rubrique cette année (les 02/05, 28/06, 22/08, 03/10). Enfin, voilà qui est fait, tant je considère qu’envoyer un récit terminé ou plutôt ici une série de textes cohérents participe à cet équilibre incroyable et ce constat inouï qui se vérifie à chaque fois : l’écriture repousse comme une plante en pot.
(28/11/2008)
 

A lire le carnet de route de Robert Porchon ainsi que toutes les lettres reçues par sa mère, on est surpris du décalage de style qui existe entre nos deux époques : « C’est en cette qualité d’ami bien sincère, que je me permets, Madame, de vous présenter mes compliments de condoléances émues et respectées. Je comprends la violence du coup qui vous frappe ; soyez assurée que je prends moi-même une grande part à votre douleur, ayant fait de Porchon mon meilleur ami ». Style impeccable, pas de répétition, utilisation du point virgule, la phrase coule avec le naturel un peu suranné de l’époque. Nous qui avons du mal à remplir quelques mots de condoléances dans un style télégraphique sur un bristol, ce décalage parait flagrant. D’autant plus que l’auteur de la lettre en question, s’il était Saint-Cyrien et de la même promotion que Robert Porchon, était cependant bien représentatif de la classe moyenne de l’époque et d’une éducation d’avant-guerre dont le Certificat d’études représentait une ossature déjà élitiste. Loin de moi l’idée du « c’était mieux avant » ou de tomber dans le piège des comparaisons, je préfère remarquer les caractéristiques de cette langue, assez riche dans l’emploi des subordonnées et dans l’usage des temps verbaux (les exemples de « je ne puis » à la place du désormais utilisé platement « je ne peux » abondent dans la correspondance d’alors). L’impression générale est celle d’un style ou l’émotion, les sentiments semblent transparaître plus facilement qu’aujourd’hui. Est-ce vrai ? J’aurais tendance à le penser parce que notre époque actuelle a cette fâcheuse tendance à dénigrer toute démonstration individuelle, soupçonnée d’un sentimentalisme inconvenant avant même qu’elle soit formulée. Il est vrai qu’avant-guerre, le poids de la religion, de la bienséance et de la bonne conscience, loin de donner une image austère, semblait plus apte à véhiculer un romantisme souvent mièvre et parfois teinté d’un patriotisme revanchard. Il n’empêche que cette grandiloquence grand siècle laissait la part belle à l’expression plus lumineuse des sensations personnelles, celle-ci ayant été laminée dans les décennies suivantes de la modernité.
On comprend sans doute mieux le style de Maurice Genevoix, toujours précis et de la même veine. A côté, Proust devait passer pour un mariolle, ce qui d’ailleurs, n’avait pas échappé à Beckett : " On estimait guère le style de Proust dans les cercles littéraires français. Mais à présent qu’on le lit plus, on admet généreusement que sa prose aurait pu être encore bien pire qu’elle n’est ".
(21/11/2008)
 

J’ai autrefois cru que l’écriture était une question de vie ou de mort pour moi. Je m’explique : j’avais l’impression qu’en arrêtant d’écrire, ou si je ne pouvais plus écrire d’une manière ou d’une autre (tarissement de l’inspiration, impossibilité physique…), je passerais de vie à trépas immédiatement. Je n’en suis plus si sûr maintenant. Je pourrais même imaginer un renoncement à l’acte d’écrire sans que mort s'ensuive, pire, sans la moindre blessure. Cette perspective n’est pas liée à une désaffection quelconque de la langue ou de la littérature, bien au contraire, mais plutôt une sorte de liberté nouvelle que je m’octroie, un élargissement d’horizon. Je ne sais pas à quoi cela tient. Sans doute un vieillissement de l’âme, un glissement du temps dans le corps jusqu’au fond des orteils, l’expression « plénitude » (« les années » au sens d’Annie Ernaux) associée à une étrange élasticité, une fringale, l’impression qu’il faut tout avaler de la vie. Je situe cette bascule vers 2005, époque qui n’est jamais que l’instant où j’ai réalisé cette banalité d’avoir parcouru plus de temps derrière qu’il ne m’en reste devant et cette idée, loin de me chagriner, de me tenir dans les affres, me procure étrangement un grand bonheur. Donc, je pourrais arrêter d’écrire où plutôt, dans ma boulimie, c’est plutôt la sensation de mastiquer tout ce qui m’arrive, mots, boulot, quotidien et autres inepties si humbles, tout ensemble au point de ne plus rien espérer sauver quoique ce soit dans cette pâte. Bref, cela forme une boule d’écriture et de vie indissociable dans ma bouche et ça n'a pas le moindre goût de postérité qui est, comme disait Céline, un discours aux asticots. Je n’ai plus aucune peur devant un tarissement éventuel de la plume (où plutôt du clavier) mais j'éprouve une grande hardiesse, et, curieusement, cette impression se dédouble d’un détachement presque corporel, à me regarder ainsi vivre, mon double et l’écriture, mon double et les autres. Il y a sans doute de ma part une grande complaisance à m’épouser de cette manière. Mais c’est bien pratique, car, pour être cet homme heureux (celui de la chanson de William Sheller) je ne serai jamais assez de deux, moi et mon double. Je suis cet homme averti qui en vaut deux. Jamais je n'ai eu aussi faim.
(13/11/2008)


Dans mes recherches concernant la littérature et le monde du travail, un nom revient souvent, Hannah Arendt, qui apporte parfois une caution philosophique à certains auteurs : Nicole Caligaris s’en explique pour L’Os du doute (2006) et Corinne Maier également pour Bonjour paresse (2004). Je ne connais pas Hannah Arendt et j’ai donc puisé quelque informations sur Internet. On trouve qu’elle a été une étudiante privilégiée d’Heidegger, on visionne nombre de ses photographies à tous les âges de sa vie, on constate un véritable engouement pour son œuvre. Ce que j’en retiens, surtout pour l’aspect d’une réflexion au sujet du travail, c’est qu’elle a publié La Condition de l’homme moderne, en 1958, traduit en français en 1961. Disparue en 1975 aux états unis, elle a abordé beaucoup de thèmes, du totalitarisme (elle a assisté au procès d’Eichman) à l’activité politique avec un pragmatisme qui me paraît proche de Bourdieu. Son succès d’aujourd’hui pourrait être un effet de mode mais il est surtout exacerbé par une anticipation de la modernité qui ne cesse de se révéler de nos jours. Je me méfie toutefois des études qui lui sont consacrées sur Internet, des détournements inévitables de sa véritable pensée ou des simplifications hasardeuses. Rien n’est pire que de prendre n’importe quel penseur, d’en déduire de futurs dogmes et de s’ériger en donneur de leçon en lieu et place, ce que généralement, les mêmes penseurs avaient justement refusé par honnêteté intellectuelle. Peur donc, qu’Hannah Arendt soit mêlée à toutes les sauces, et on voit bien comment le monde évolue. On peut très bien revendiquer son pragmatisme et l’associer à une écologie de pacotille complice du libéralisme et qui ne remet pas en cause le mouvement de croissance planétaire, ou se servir de son nom pour la vogue du commerce équitable qui enrichit toujours les mêmes.
Mieux vaut donc citer quelques une de ses réflexions issues La Condition de l’homme moderne, pour constater combien « dans le texte », cinquante ans auparavant, elle avait tout prévu, l’aliénation toujours croissante de l’homme devant le travail, mais surtout la mondialisation et les effets pervers de l’accélération de la consommation :
«  La désagréable vérité, c'est que la victoire que le monde moderne a remportée sur la nécessité est due à l'émancipation du travail, c'est-à-dire au fait que l'animal laborans a eu le droit d'occuper le domaine public. »
« C'est une société de travailleurs que l'on va délivrer des chaînes du travail, et cette société ne sait plus rien des activités plus hautes et plus enrichissantes pour lesquelles il vaudrait la peine de gagner cette liberté. »[
« On accélère tellement la cadence d'usure que la différence objective entre usage et consommation, entre la relative durabilité des objets d'usage et le va-et-vient rapide des biens de consommation, devient finalement insignifiante. »
« L'époque moderne s'accompagne de la glorification théorique du travail et elle arrive en fait à transformer la société tout entière en une société de travailleurs. Le souhait se réalise donc, comme dans les contes de fées, au moment où il ne peut que mystifier. C'est une société de travailleurs que l'on va délivrer des chaînes du travail, et cette société ne sait plus rien des activités plus hautes et plus enrichissantes pour lesquelles il vaudrait la peine de gagner cette liberté. Dans cette société qui est égalitaire, car c'est ainsi que le travail fait vivre ensemble les hommes, il ne reste plus de classe, plus d'aristocratie politique ou spirituelle, qui puisse provoquer une restauration des autres facultés de l'homme. Même les présidents, les rois, les premiers ministres voient dans leurs fonctions des emplois nécessaires à la vie de la société, et, parmi les intellectuels, il ne reste plus que quelques solitaires pour considérer ce qu'ils font comme des œuvres et non comme des moyens de gagner leur vie. Ce que nous avons devant nous, c'est la perspective d'une société de travailleurs sans travail, c'est-à-dire privés de la seule activité qui leur reste. On ne peut rien imaginer de pire. »
(31/10/2008)
 

Après avoir lu Portrait de l’écrivain en animal domestique, de Lydie Salvayre (en note de lecture), se pose la question du monde de la littérature et du milieu économique. Les deux s’attirent et se repoussent depuis pas mal d’années, c’est indéniable. L’écrivain glorifie en secret la puissance de l’homme d’affaire qui, lui-même, voue une admiration au quidam qui personnifie la culture et l’art. Dans ce duel sournois, l’écrivain est généralement le grand perdant face aux symboles de l’argent, il s'aplatit devant comme un animal domestique, c’est ce que semble nous dire Lydie Salvayre. Mais dans cette attirance et cette répulsion réciproque, c’est la langue qui constitue l’enjeu principal de cette lutte. Le monde économique veut étendre son pouvoir sur les mots mais les écrivains résistent et conservent (étrangement ?) la suprématie des locutions les plus précieuses à travers la littérature. Pour autant, méfions-nous : l’économie a depuis longtemps inventé son propre langage. Quand je parle de langage, cela va au-delà des simples termes techniques des planches descriptives de l’Encyclopédie de Diderot, ou, plus loin encore, des mots poétiques des chansons de compagnonnage du Moyen-âge comme Le Fameux devoir des savetiers (Le Maître : de combien d’alènes vous servez-vous pour carreler un soulier dans sa perfection ? L’Arrivé : de trois, Maître, l’alène majeure, l’alène au petit bois et l’alène frétillante….). La langue économique s’exprime depuis longtemps à travers un jargon qui dépasse maintenant le simple cadre des initiés d’un métier ou d’un secteur. Bien sûr, s’il suffit d’entendre les employés de n’importe quelle entreprise pour mesurer combien cette langue professionnelle est devenue autonome comme un dialecte étranger dans lequel on peine à pénétrer. Paradoxalement, la pression médiatique contribue à véhiculer une offre d’information toujours plus précise et pléthorique et ce langage nous traverse largement. Les anglicismes que dénoncent les puristes du français sont souvent la manifestation de cette mondialisation des échanges qui réunit les diverses langues économiques de la planète. En regard de cette puissance qui s’affirme toujours plus, l’erreur consisterait à ce que les « écrivains » se sentent uniquement les garants de la littérature comme une préciosité d’ancien régime jalousement gardée en face des roturiers de l’économie. Ce n’est pas excessif : est aussi erronée la vision qui oppose la lecture numérique qui va débouler en regard des livres papiers. Sous cet angle, à lire ainsi le livre de Lydie Salvayre, on est donc frappé par la retenue d’un libéralisme qui ne ferait qu’une bouchée du monde des lettres, et par une littérature dont la seule force est peut-être justement sa capacité à déployer toutes les possibilités de résistance d’une langue au monde économique. C’est peut-être cet équilibre mouvant qui partage l’énergie dont l’un et l’autre ont besoin.
(24/10/2008)

 

Il y a peu, j’ai subi (un bien grand mot) un examen médical un peu particulier, le genre de truc que certaines professions (pompiers, pilotes) passent régulièrement et destiné à s’assurer de leur capacité à résister aux vertiges. Bref, on vous alterne eau chaude et eau froide dans les oreilles, tout cela pour provoquer ces fameux troubles et on enregistre les réactions de votre œil grâce à une caméra fixée à l’intérieur d’un casque qui vous laisse dans l’obscurité. Ce n’est pas douloureux, ni stressant, mais mon expérience de la plongée et du confinement dans cet élément si particulier m’a peut-être fait mieux supporter que d’autres ces tentatives vertigineuses qui m’ont laissé de marbre. En ce qui me concerne, les résultats sont tout à fait bénins mais bizarres, la capacité qu’à mon oreille gauche de déjouer par le vertige la petite perte d’audition de la droite est paraît-il surprenante, simple coïncidence ou autre, on ne sait pas mais il paraît que mon cas va être évoqué dans un colloque : fierté d’être une énigme pour la science…
Ceci dit, pendant que j’étais dans cette obscurité provoquée, je pensais étrangement aux mots, à l’agencement que nous convoquons avec eux, à leur conduite hasardeuse sur la route des phrases, aux rapprochements des synonymes comme des dépassements audacieux de véhicules. La littérature provoque également de tels vertiges, conduite hypnotique ou attrait de la vitesse, et, dans nos manières d’écrivain, nous avons appris à faire avec, à compenser et à retomber sur nos pattes comme des chats à la fin des chapitres. L’inconscient joue sa part comme dans cet examen : bien sûr on ne peut pas contrôler les nystagmus du globe oculaire et, de même, on ne choisit pas toujours les lapsus qui nous entraînent dans nos dérives d’écritures. Si cet examen révèle la cohérence nerveuse entre l’œil et l’oreille, de même, l’écriture innerve le regard, la transmission de la pensée aux doigts, au regard et à la parole. J’aime à penser que nous développons peut-être quelques capacités pour harmoniser tout cela et que ce qui paraît une énigme pour la médecine n’est peut-être qu’une banalité pour les écrivains.
(17/10/2008)

 

Jean-Marie Le Clézio a eu le Prix Nobel de Littérature ! Nouvelle qui rassure, baume au cœur dans cette période d’incertitude économique : alors quoi, la force de la France demeure société de l’esprit contre les avatars du monde marchand. C’est justement pour cette raison que l’académie suédoise a choisi notre écrivain : rupture d’une vie conformiste, nomadisme de l’intelligence en contrepoint de notre civilisation matérialiste. Il est d’ailleurs étrange de constater qu’on utilise l’adjectif « matérialiste » pour évoquer ce qui s’est mis en crise par conséquence d’une virtualité trop grande d’échanges financiers. Mais ce n’est pas notre propos. L’annonce du Nobel attribué à des français (et cette année, nous sommes gâtés) fait souvent suite à un chauvinisme excessif dans les interprétations. Passe encore que nous reprenions à notre compte les propos exagérés du journaliste américain Donald Morrison qui avait enterré notre pays il y a quelques mois dans Time Magazine (The death of french culture), mais ne continuons pas à nous gargariser de ces hit-parades stupides et comparatifs. En plus Le Clézio, par sa vie même, sa double nationalité, sa vie au Nouveau Mexique, est le modèle même d’un écrivain international. D’ailleurs nous sommes-nous déjà demandé ce qu’il faisait au États-Unis plutôt que dans sa paisible retraite à Nice ? Il a enseigné à l’Université d'Albuquerque, au Nouveau Mexique, et n’a pas pu, paraît-il, accéder au titre de chercheur au CNRS dans notre pays. Tiens, cela rappelle le professeur Montagnier, lauréat du Nobel de médecine, parti exercer outre-Atlantique pour échapper à une retraite imposée ici. Nous sommes ainsi, fiers d’être français et ce n’est pas un défaut si ce sentiment sait se comprendre et se mesurer avec raison et non s’enfermer dans une outrance élitiste souvent procédurière et absurde. Nos motifs d’être fiers sont légitimes : voici un écrivain qui a su au fil des années construire une œuvre à l’écart du tapage et beaucoup de français justement ont quelques livres de Le Clézio dans la bibliothèque : ce n’est déjà pas si mal. Personnellement, je dois bien en avoir lu une petite dizaine. Écrivain à l’œuvre claire et monolithique, adepte du roman, Le Clézio a tout pour séduire et nous réconcilier avec une posture traditionnelle : discrétion de l’écrivain assis à sa table de travail. On est loin des molles agitations actuelles sur les plateaux de télé de BHL et Houellebecq qui valent pourtant mieux que les personnages germanopratins qu’ils se sont édifiés. Grands espaces de l’universalité et de la fiction contre les trottoirs étriqués qui s’éloignent à peine du Café de Flore, travail opiniâtre de l’écriture sur l’immensité d’une page contre le réflexe d’un cynisme balbutiant coincé entre deux rails de coke, comme le répète à l’envi Beigbeder, lui aussi coincé dans son personnage. Alors que je vilipendais un peu plus haut les comparaisons, voilà que je sombre dans les combinaisons hasardeuses : revenons à nos moutons, ou plutôt à nos lecteurs… J’ai lu un commentaire sur le Net, suite à la nomination de Le Clézio : on s’indignait : un tel auteur, après le Nobel, devrait pouvoir rejoindre l’Académie Française, honneur suprême… Amusant. Un peu plus crispants sont les commentaires des journalistes qui rappellent les prédécesseurs de Le Clézio : Camus, ah, oui ! Camus, bien sûr, et Sartre qui l’avait refusé. Parfois Claude Simon, juste pour évoquer qu’il fût le dernier à l’avoir eu en 1985 car on oublie l'imprononçable Gao Xingjian, mi-chinois, mi-français qui l'a reçu en 2000. Jamais le grand Samuel Beckett n’a été cité. Voilà l’image que le Nobel inspire. D’un côté, la tradition française du grand romancier, et Le Clézio entre avec bonheur dans cette catégorie, de l’autre, l’incompréhension patriote devant des auteurs plus confidentiels comme Beckett, Simon ou l'imprononçable Gao Xingjian dont les nominations ont fortement énervé le petit monde des Lettres françaises qui les ignorait superbement, faut-il le rappeler. Finalement, je voudrais que Jean-Marie Gustave le Clézio puisse nous réconcilier sur tous ces aspects. Qu’on s’aperçoive que le prix Nobel 2004, Elfriede Jelinek, l’autrichienne (depuis 1789, ça a toujours un petit côté péjoratif chez nous cette fine appellation) compte autant que « notre » auteur. Qu’on repère dans la grande œuvre, ce qui l’élève au-delà de nos frontières comme ce qui la particularise à l’intérieur de notre langue. Judicieusement placé au centre de son nom, souvent oublié, le désuet prénom Gustave est là pour nous rappeler que la lecture est un mélange d’étrangeté et de familiarité. Bienvenue, donc, à tonton Gustave, avec le même respect que je mets ainsi à nommer tonton Georges (Brassens) et tonton René (Fallet).
(10/10/2008)

 

Ce qu'il y a de bien avec la rentrée, c'est comme de passer un seuil, ça ne dure jamais longtemps et on est précipité dans ce qui suit, et qui ressemble, selon les années, à une nasse si on a l'esprit pessimiste, un désert si on se sent inutile, une pièce avec plein d'objets si l'on est comme moi, plutôt du genre touche à tout. Donc, me voici dans l'antichambre qui préfigure l'année 2009 et les objets se mettent en place. Côté lampe de bureau, le travail nourricier ne va pas me lâcher de sitôt, c'est plutôt bon signe et la folie en ce moment. Délaissons le canapé du salon (horreur de ces machins posé devant télévision, la seule acceptation de ce genre de siège est un chesterfield de cuir brun placé dans ma véranda avec fauteuil du même acabit mais où j'ai si peu le temps de lire, hélas – du coup, envie de retracer l’histoire de ce sofa, voir en Étonnements cette semaine), passons donc à côté du canapé pour rejoindre la bibliothèque où je commence à recenser tout ce que j'aurai besoin pour la deuxième année du master, toujours la littérature et le monde du travail en ligne de mire mais de plus en plus intéressant car de plus en plus contemporain (« à la fin tu es las de ce monde ancien », comme dirait Apollinaire dans Zone) et la participation qui s'annonce rigolote dans une journée d'étude à l'université de Dijon avec des linguistes et des littérateurs et où je vais participer en tant qu'étudiant "pré-doctorant" (comme on m’a dit…), ce qui me plaît pour une fois de revêtir la défroque étudiante au lieu de l'habit d'écrivain, forcément vert du futur académicien que je ne manquerai pas de devenir. Or, l'errance dans une de ces antichambres qui suivent la rentrée est forcément incomplète et mouvante (et le sera toujours car l'antichambre marque par son étymologie l'inverse du repos et de la stabilité) et il me faut toucher d'autres objets, caresser par exemple d'un geste négligeant mais sensuel tel bibelot posé sur un guéridon et qui, pour la circonstance, pourrait revêtir l'apparence d'un animal empaillé, comme un renard portant une caille dans sa gueule, où une belette hissée de façon incongrue sur une branche, voire encore un de ces grand oiseau comme une outarde qui, posée par terre, vous arrive presque jusqu'au menton (la outarde me monte au nez...). Tout cela pour dire qu'en ce moment je reprends ces fameux bestiaires, en essayant de réserver dans un emploi du temps où parcourir chaque latte de plancher de cette antichambre prend un temps infini, réserver donc chaque jour une poignée de minutes souvent matinale pour l'alliance de mes carpes et de mes lapins. Après, oui après, c'est à dire en 2009, pourra-t-on quitter l'antichambre pour d'autres horizons, d’autres espoirs, d’autres soleils ? Des voyages exotiques m'attendent, se peaufinent ici : antichambre comme pièce manquante et arrière boutique, nouveaux projets ou arrières pensées, éviter le dernier salon où l’on cause en vain, viser plutôt la cuisine de l’écriture que les casseroles à traîner, tout un vocabulaire ménager, domestique. Le temps des soupes de légumes et des premiers frimas succède aux salades de tomates. Mort au repos, on est entré dans l’antichambre, merci de ne pas éteindre la lumière en sortant.
(03/10/2008)
 

Rencontres d’écrivains, c’est la formule consacrée pour dire qu’on invite un auteur. Le « on », c’est une librairie, une médiathèque, un salon du livre ou un festival et l’auteur, c’est celui que l’actualité des publications pousse en avant, ou simplement le désir de la part du libraire, de l’hôte, de recevoir quelqu’un dont les livres comptent. Rien que de très normal, quand on s’affranchit des langages médiatico-cyniques (non, l’écrivain ne vient pas que pour faire sa « promo ») ou des programmes culturels uniquement destinés à faire valoir le dynamisme ou la vivacité d’une municipalité ou d’un Conseil général (sous-entendu, pas comme nos prédécesseurs). Rencontres donc. Il se trouve que j’ai assisté récemment à deux rencontres en tant que spectateur. L’une à la Fête de l’Huma (et là-bas, ça s’appelle un débat, une telle rencontre) où Martine Sonnet échangeait avec Sylvain Rossignol sur le thème de la fiction dans le travail, l’autre à Chaumont où Georges Olivier-Châteaureynaud s’entretenait avec François Bon. Il est toujours intéressant d’y assister en tant que spectateur, hormis le fait que je connaisse ces deux auteurs et que c’est une manière discrète mais symbolique mais à laquelle je tiens de me glisser parmi d’autres lecteurs par admiration pour leurs écrits. La posture du spectateur est sans doute un peu faussée : à telle question de l’interviewer, on se prend presque au jeu de répondre silencieusement à la place de l’auteur, simplement parce qu’on a déjà vécu des situations similaires et que les questions sur l’écriture dans ce type de rencontres ne sont pas légion. Et puis, au milieu des spectateurs, on voit bien comment tourne la rencontre. Pour Martine Sonnet, c’est un public de militants mais aussi de vieux ouvriers pour lesquels le Boulogne-Billancourt d’Atelier 62 évoque quelque chose de fort. Public conquis donc, réceptifs, posant questions, argumentant parfois avec émotion et finesse : on lâche le mot « hommage » et le livre de Martine Sonnet prend un tout autre sens. Pour François Bon, la scène est plus petite : l’étage d’une librairie a poussé ses murs. C’est plus intime aussi, pas d’estrade et l’écrivain a peu d’espace au milieu des spectateurs. Ceux-ci sont des habitués, pour la plupart des lecteurs qui assistent chaque mois à une rencontre différente avec le risque de comparaison des auteurs entre eux (Dupont était plus sympa que Durand, mais Durand parlait mieux de ses livres que Martin) un peu comme les habitués des voyages qui ne cessent de comparer les destinations entre elles (on a eu meilleur temps à qu’à Marrakech qu’à Pékin mais la place Tien An Men est dix fois plus grande que Jemaa el Fna). Bien entendu, le type de rencontre et la proximité avec les spectateurs détermine le style et l’aisance de l’écrivain. Un débat de type Fête de l’Huma avec les lecteurs en face à face favorise les questions mais la salle trop grande, la barrière de l’estrade éloigne les réponses. Pourtant, on sent bien une communauté de pensée. François Bon, de façon intuitive, accroche l’espace restreint, la proximité avec les lecteurs, bouscule aussi Georges Olivier-Châteaureynaud dans son fil conducteur : tant à dire sur Dylan ! Le débat dans un temps limité a aussi ses avantages : on se dépêche de poser une question à l’auteur avant qu’il ne s’en aille. Dans une librairie, c’est plus impalpable, l’imperceptible baisse de ton, la façon d’annoncer « une dernière question » à l’auteur marque la fin. Mais c'est toujours à la fin, dans les deux cas, que le mot rencontre prend enfin son sens : face à face, lecteur à même hauteur d’auteur, on vient vous voir. Instant toujours un peu magique où l’hôte et l’invité ont le livre en partage comme le cadeau d'un bouquet de feuilles. Du coup, le très bel haïku bien connu de Ryôta revêt un nouveau sens : ils sont sans parole, l’hôte l’invité et le chrysanthème blanc.
(26/09/2008)

 

La fête de l’Huma, j’y étais encore cette année. Elle n’est quand même pas comme les autres cette fête. Il suffit de lire les comptes rendus qu’en font les écrivains comme Martine Sonnet ou Laure Limongi. Au fil des années, le bien nommé « village du livre » est devenu mon clocher. A peine cette année ai-je eu le temps de m’en éloigner pour arpenter les allées, découvrir avec amusement le beau stand des communistes de Neuilly-sur-Seine ou flâner au milieu des odeurs de saucisses à l’accent alsacien, de kebab polyglottes ou d’acras créoles. Mais j’ai mes amis dans le village : René Ballet et sa charmante épouse, fidèles voisins de table, Cécile Beauvoir qui revient pour la deuxième fois (voir en notes de lecture cette semaine). Il y a tous ceux qu’on reconnait, Maxime Vivas, Didier Daeninckx dont l’étal ne désemplit jamais de clients, pardon, mieux vaut dire ici, de camarades. Donc, année après année, comment trouver encore quelque chose à dire sur cette habitude et pourquoi en notes d’écriture ?
Parce que c’est peut-être là que je me sens le mieux « écrivain », si tant est que cette sensation d’être écrivain se manifestait par l’enchantement étrange de se promener parmi ses personnages, une humanité donc. Sensation étonnante qui rapproche ce qu’on a mis dans nos livres, personnages oui, mais proches de soi, l’auteur, lui-même plus proche aussi du narrateur qu’il a inventé. Bref tout cela crée une sorte de rapport particulier, à la fois autobiographique et diffus. Il est d’ailleurs surprenant qu’aucun universitaire n’ait pensé à analyser ces relations étranges qui se tissent entre lecteurs, personnages, narrateurs et auteurs à la fête de l’humain ainsi mélangé. Voici pour les impressions communes que chaque fête reproduit en moi, comme une sorte de réflexe. Mais aussi chaque fête est marquée par ses particularités. Cette année, c’était la rencontre attendue avec Martine Sonnet et son très beau livre Atelier 62 (note de lecture du 25/07/2008) qui me paraît tellement emblématique d’un rapport particulier entre la littérature et le monde du travail. Justement, à propos de ce thème qui m’intéresse et que je continuerai de développer cette année, j’ai également rencontré l’universitaire Dominique Viart dont le très complet ouvrage La Littérature française au présent aide à comprendre ce qui se trame dans nos paysages d’écriture. Et au milieu de ces paysages, alors oui, baptiser un lieu Village du livre prend tout son sens. Et comme au fond de toute campagne, en cousins éloignés, en villageois d’Épinal ou de la Rochelle, merci aussi à Raymond Bozier, Philippe Annocque et Philippe Didion (les notuliens abondent à l’huma !) de m’avoir adressé à cette occasion un signe virtuel, une attention qui me touche beaucoup. Le véritable événement n’était pas la visite papale dont on nous a rabattu les oreilles tout le week-end (paraît-il – moi, j’étais à la Fête). D’ailleurs je soumets une idée au organisateurs : pourquoi ne pas organiser la prochaine fête de l’Huma à Lourdes ? La messe a rassemblé 150 000 personnes : depuis des années, il y en a 3 fois plus au parc de La Courneuve, on en parle pourtant si peu…
(19/09/2008)
 

Imaginons un auteur neuf, un écrivain au cerveau nettoyé, crâne briqué comme un sou neuf, pas d’arrières pensée, pas de vécu, rien, uniquement préoccupé par le sujet du livre qu’il voudrait écrire. Afin de l’aider dans son choix, peut-être qu’on peut découper celui-ci en trois aspects - l’époque, le lieu, la manière - qu’on peut ainsi indifféremment réfléchir et combiner.
L’époque d’abord. Placer arbitrairement un récit au Moyen-âge (ou tout autre époque) peut se révéler risqué si on ne connaît pas suffisamment cette période. Cette affirmation qui paraît évidente risque d’entraîner l’auteur assez loin dans la vérification de la moindre phrase de son écriture. Je me souviens avoir amassé une tonne de documents pour replacer dans son contexte 1937 Paris-Guernica, jusqu’à vérifier en quelle année Picasso avait fait poser le chauffage central dans son atelier des Grands Augustins. Pour autant, choisir l’époque contemporaine n’est pas pour autant exempte de pièges historiques : nous avons tendance à interpréter certains événements dont nous avons été les témoins et notre mémoire nous fait souvent défaut. L’instantané contemporain (le récit se déroule au moment où l’on parle) présente l’avantage de concerner tout le monde mais porte en lui le piège de l’autobiographie et une question que nous devons nous poser incessamment : que voulons-nous mettre dans ce récit qui nous appartient et que nous vivons en même temps que le lecteur ? (ou vice versa, que voulons-nous cacher qui nous appartient?).
Le lieu se soumet pareillement a des vérifications. Placer un roman à Brasilia sans connaître le moins du monde la particularité architecturale de la capitale bâtie par Oscar Niemeyer est une aventure risquée. Idem si l’on est citadin et qu’on place le cœur de son intrigue au milieu d’une forêt sans se soucier de l’époque à laquelle poussent les champignons. La tentation est alors grande de situer l’action de son récit dans nos lieux de vie bien connus, mais comme pour « l’instantané contemporain », il faut bien discerner quelle part de soi on désire mettre dans ce récit et qui nous implique dans cette géographie familière.
Si tout doit être vérifié d’une manière historique ou géographique, on peut parfois s’en affranchir par quelques subterfuges. Ainsi Pierre Michon, en écrivant Rimbaud le Fils, débute son récit par « on dit que Vitalie Rimbaud, née Cuif … », l’important étant ce « on dit que » qui exonère subtilement l’auteur de toute vérification historique. D’autre part, l’espace et le temps sont suffisamment élastiques pour permettre toutes les combinaisons possibles : focalisation du détail ou au contraire flou dans la perception visuelle, temps fractionné, continu, vécu à la seconde, traversant des années sans marques…etc., tout cela au choix de l’écrivain. Mais d’une façon générale, le récit se conduit mieux si les chausses trappes ne sont pas multipliées : les flash back particulièrement perceptibles au cinéma peuvent compliquer le récit, par essence linéaire. Le passage d’un lieu à un autre peut déstabiliser s’il est mal annoncé. N’oublions pas cependant une chose : le lecteur est aussi un habitué de ces perceptions et il ne faut pas pour autant tout lui expliquer ou s’en tenir à un récit plan-plan et scolaire. Ne pas chercher à lui faire plaisir non plus : après tout, que savez-vous de lui ? Êtes-vous sûr qu’il a envie de sourire ou d’être heureux en lisant votre prose ? Cultiver votre différence : cultiver l’indifférence du lecteur devant les mots, placer-le face à ses contradictions, déstabilisez-le.
Mais je m’éloigne, je m’éloigne, j’allais oublier la manière. J’ai hésité à combiner l’époque et le lieu du récit avec le thème comme critères du sujet. Mais il me semble que la manière est plus extensible que le thème, elle l’inclut. Nous pouvons en effet classer les sujets par thème, l’amour, la guerre, le travail (sujet qui m’est cher). La manière permet de tracer un lien plus indéfectible avec le lieu et l’époque. Car en réalité, quand nous avons choisi un sujet (mais peut-être, plus sûrement d’ailleurs est-ce le sujet qui nous choisit), nous avons déjà étroitement mêlé l’action, le lieu, l’époque, les personnages, l’intrigue, l’illusion que nous voulons produire. Bref la manière. Ceci dit, si la manière englobe tout, pourquoi distinguer époque et lieu au début de ce laïus ? Parce que la seule échappatoire pour éviter de tourner en rond quand la machine se bloque et que le sujet qu’on croyait merveilleux patine, c’est de s’ouvrir au temps et à l’espace, à l’époque et au lieu et toutes leurs accélérations, détournements, points de vue, etc. Car nous le savons bien, le but du jeu n’est pas de vouloir écrire un livre mais plutôt d’arriver à le terminer.
(05/09/2008)
 

Proust est-il un auteur visuel ou auditif ? Si l’on en juge par l’abondante précision des descriptions, on pourrait penser de prime abord que Proust est un auteur visuel : jardins, maisons, expressions de visages, gestes, attitudes, l’ensemble compose des paysages de Monet, des scènes de canotiers dignes de Renoir. Évidemment, après avoir écouté pendant des heures la lecture enregistrée pour les éditions Thélème par d’excellents comédiens au demeurant, j’aurais tendance à penser le contraire. Entre la lecture silencieuse et la lecture à voix haute, ce n’est pas la même gamme de sensations qui nous traversent. Je crois qu’à la lecture silencieuse échappe l’alternance de descriptions et de dialogues : il faut pouvoir à voix haute passer d’une tranquille représentation, un portait peaufiné dans un style impeccable et rassurant à une exclamation de Madame Verdurin, une répartie fine de son mari pour mesurer combien Marcel Proust avait écrit de scènes vivantes et auditives. Et c’est peut-être cela le secret de La Recherche si tant est qu’on se pose des questions sur la longévité et la réception d’une telle œuvre : savoir baliser un univers dans une alternance entre la vision et l’audition, marquer ainsi autant de frontières, d’accélérations, de rebondissements, simplement par changements de rythme. Alors que l’usage dote Proust d’une étiquette d’auteur difficile (hélas, la morgue universitaire a parfois compliqué à outrance l’accès à l’œuvre et les extraits trop souvent présentés comme le passage de la fameuse madeleine ne sont pas parmi les meilleurs à mon goût), j’ai ainsi découvert son humour, lequel n’avait pas échappé à Beckett, qui lui avait d’ailleurs bien rendu dans son Proust : « On estimait guère le style de Proust dans les cercles littéraires français. Mais à présent qu’on le lit plus, on admet généreusement que sa prose aurait pu être encore bien pire qu’elle n’est. ».
J’écris tout cela et qui concerne la lecture de Proust en Notes d’écriture, car cette complémentarité entre vision et audition a influencé le style de beaucoup d’auteurs : Julien Gracq, Claude Simon en sont les exemples les plus proches peut-être, avec Faulkner mais on sent son influence aussi chez Pierre Bergounioux, Pierre Michon, Jean Rouaud et beaucoup d’autres contemporains. Vision et audition : question essentielle donc sur laquelle beaucoup de dents d’auteurs se sont cassées : on appartient rarement de façon équilibrée aux deux sensations. Phrases longues comme la pensée, précisions et justesse des regards pour la plupart expriment bien cette parenté avouée mais plus souvent du côté visuel (« le concret, c'est ce qui est intéressant, la description d'objets, de paysages, de personnages ou d'actions; en dehors, c'est du n'importe quoi. », disait Claude Simon). Plus rares sont ceux qui se réclament d’une ambiance auditive à part égale, car la tenue d’une distance telle que pouvait la réaliser Marcel Proust dans les changements de rythmes est difficile à réaliser La difficulté d’insertion des dialogues constitue un bon exemple : trop direct ou trop simpliste, on se heurtera à une cassure dans le texte. Trop alambiqués le passage manquera de naturel et détonnera avec par exemple une longue description qui précède. L’héritage de Proust n’est pas chose facile à assumer.
(29/08/2008)
 

Bémol à ce que j'ai dit dans ma précédente note d'écriture. J'ai finalement pris pas mal de plaisir à boucler ce mémoire. Plaisir est peut-être un bien grand mot. Disons que je ne me suis pas désintéressé de ce travail au point de m'escrimer entre 4 et 5 heures par jour pendant 15 jours ininterrompus. Ce qui m'ennuyait au départ c'était de sacrifier un temps précieux, enfin, d'avoir un temps de vacances suffisamment long à pouvoir de consacrer à ma "propre écriture", et de le porter sur ce boulot universitaire. A constater qu'il y ait eu tout de même un intérêt, un "plaisir du texte" au sens de Barthes, m'étonne, m'interpelle. Peut-être que finalement il n'y a pas si grande différence entre une écriture de ce type et une écriture d'invention de type romanesque comme je l'ai jusqu'ici pratiqué, ce que je nomme ma "propre écriture". Déjà, c'est évidement antinomique de ne pas considérer ce mémoire de master comme étant de "ma propre écriture". Les analogies ne s'arrêtent pas là non plus. D'un point de vue formel, au final, la distance est celle d'un roman : édité dans cette forme, ça donnerait 220 pages. D'un point de vue de la réflexion, j'ai l'impression d'avoir également balisé un chemin et les sensations de ce que j'ai pu découvrir sont du même type de ce que je découvre en écrivant une fiction. Une différence cependant : une oeuvre de fiction peut se passer de vérification, mais ici la rigueur universitaire de devoir tout citer, tout justifier, l'emporte et constitue sans doute l'aspect le plus contraignant. Ainsi, écrire un roman pourrait passer comme une facilité offerte à un auteur. Et c'est peut-être dans ce sens qu'on peut comprendre le sentiment d'imposture ressenti par certains romanciers, Faulkner, par exemple. L'imposture dans le domaine universitaire fait l'objet d'une traque permanente. Domaine de l'inquisition, cet aspect se révèle vite étouffant. Mais il a aussi ses qualités : ne pas parler de tout et de n'importe quoi, ne pas parler sans savoir. Ce qui provoque aussi le culte du secret : ne pas tout dire, garder aussi quelques découvertes et réflexions pour soi : savoir sans parler. Monde énervant donc, clos et qui se mord la queue. Mais qui avance tout de même, qui réfléchit et pas seulement comme synonyme de miroiter, qui recherche aussi.
Peut-être alors ce qui me gêne dans la perte de ma "propre écriture", c'est de perdre un statut d'écrivain, au sens de romancier, de fabriquant de texte de fiction, ne plus pouvoir me citer dans cette acception. Plus j'en prends conscience et moins ça me freine pour continuer les deux, verser vers le travail de recherche universitaire mais aussi poursuivre ces élans de créativité d'écriture comme par exemple ces histoires de bestiaires qui traînent depuis quelques mois mais qui ressortent régulièrement de leurs terriers. Et cela dépasse une simple oscillation entre essayiste ou romancier : ce n'est pas tant pouvoir mettre une étiquette sur ce que je fabrique qui finalement m'importe. Tout cela est superfétatoire, en plus sujet à caution (à voir comment les universitaires bons poils considèrent avec mépris l'essai, à voir aussi comment les écrivains regardent de la même façon le roman). L'important c'est d'ajouter des signes à sa "propre écriture" et proprement : cette note d'écriture c'est trois mille caractères en plus à verser dans mes bavardages.
(22/08/2008)
 

Le temps des vacances, c’est trois semaines d’affilée et tout ce qu’on y projette : le sommeil à rattraper, les balades, le repos, de quoi rêvasser à sa propre écriture. Cette année, pas le temps de me consacrer à ma propre écriture pour cause du fameux mémoire universitaire que je soutiens en septembre et dont je rabats les oreilles à tout mon entourage. Et ce sera chaud : 40 pages à rédiger encore sous 40° à l'ombre. Je me suis mis en retard car ce n’est pas facile de concilier travail prenant, famille et ces études. Mais bon, il faut garder raison : je n’ai aucunement besoin de diplômes universitaires supplémentaires, ce devrait être du pur plaisir. Mais le plaisir est un peu gâché par la doxa universitaire envers le sujet qui me passionne (la littérature du travail) et qui s’est fait mangé… par mon propre travail… Exit ma propre littérature aussi, et donc devoir terminer ce machin coûte que coûte. Ce qui me chagrine, c’est la précipitation des jours qui m’a empêché d’avoir le recul nécessaire pour structurer ce mémoire d’une façon plus précise : rien pu faire de février à juin. Bref, me voilà réduit à faire du remplissage à la va-vite pour rentrer dans les normes universitaires d’un travail de recherche. Entendez par là, l’application des théories aux exemples choisis du sujet, comme par exemple le rapport autobiographique décrit complètement par Lejeune, la littérarité inventée par Jakobson, les allusions aux paratextes chers à Genette. Tout cela me semble stérile, du domaine de la constatation et ça ne fait guère avancer la littérature. Ce n’est pas comme cela que je comptais m’y prendre mais je n’ai plus le temps d’y réfléchir et il me faut rentrer dans le moule façonné par des générations de professeurs ayant ergoté pour savoir si l’autofiction et le roman autobiographique étaient la même chose… Ceci dit, on y trouve tout de même du plaisir, celui de la recherche et qui est du même ordre que fouiller dans des archives à la recherche de sa généalogie. Mais au final, quel est l’intérêt ? Celui de mon travail, je le connais : avoir recensé depuis huit ans beaucoup d’articles qui traite de la littérature d’entreprise, avoir établi une bibliographie quasi exhaustive des ouvrages de ce domaine sur les quarante dernières années. Un étudiant fraîchement arrivé ne pourrait évidemment pas prétendre à cette exhaustivité, fruit d'une accumulation, mais on ne demande pas cela lors d’un mémoire, simplement donner l’illusion d’avoir compris les grandes théories de la littérature et pouvoir les appliquer dans un travail de recherche. C’est de la simple reproduction intellectuelle et c’est dommage.
(25/07/2008)


Ça fait exactement trente ans que je travaille. J’ai commencé à Toulouse en juillet 1978, j’allais avoir vingt ans, je vais passer le demi-siècle. Incroyable… Ce même été, j’avais commencé un roman, j’en avais écrit soixante dix pages entre juillet et novembre. Je me souviens que j’allais parfois l’écrire dans ce grand parc. Encore présents le soleil, la poussière du gravier, les bancs sur le pourtour des allées, l’ombre bienfaisante, les bassins. Martin Martin était son titre, est toujours son titre d’ailleurs car je l’ai conservé et non seulement gardé mais terminé dix ans plus tard, ça fait donc vingt ans. J’avais acquis mon premier ordinateur on disait PC, comme Personal Computer, c’était un Thomson qui servait à rédiger la thèse de mon épouse. J’avais eu l’idée de taper ce que j’avais écrit dix ans plus tôt. Je n’avais pas égaré ni détruit cette prose (d’ailleurs j’ai toujours tout gardé). C’était simplement une écriture en suspension que je reprenais, une parenthèse de dix ans sans écriture et sans doute que ça avait été nécessaire pour construire ma vie. J’étais à présent un père tout neuf et le souvenir que je garde c’est que je recopiais les soixante-dix pages du cahier toulousain pendant la sieste de ma fille. Et puis j’ai continué jusqu’à le terminer quelques mois plus tard. Je n’ai pas eu l’intention de le publier d’ailleurs il aurait été sans doute trop imparfait dans l’état. C’était un roman d’apprentissage. Voir comment les mots s’assemblent entre eux, comment on forme des paragraphes et des chapitres. Découvrir combien changer le temps d’un verbe, ajouter ici un adjectif, là une phrase, modifie profondément les images que l’on crée. Je garde très précisément l’univers fictif de Martin Martin dans ma tête. Contrairement à beaucoup d’écrivains, je ne renie pas ce premier texte. Peut-être parce que je n’ai pas eu la velléité de le publier. J’en garde une tendresse qui est du même ordre que les souvenirs vécus. Cette histoire m’appartient et je la tiens pour vraie au même titre que l’éloignement temporel des évènements qui me sont réellement arrivés à cette époque. J’ai d’autres sensations qui me sont tout aussi importantes : je revois l’aspect du papier sur lequel je l’avais imprimé, je sens encore la couverture de carton et l’écriture aigrelette qui est la mienne dont l’encre a dû passer un peu sur le carnet. Les pages doivent être un peu jaunies, devenues cassantes. Tout cela doit être dans un coin de la maison. Pas besoin de le chercher, j’ai également la sensation exacte de cette présence : Martin Martin et cela me suffit…
Écrire, c’est peut-être cela, emmagasiner les mots mais pas forcément les retenir. Par contre se souvenir des circonstances exactes dans lesquelles on les a écrites, pouvoir à tout moment refaire ce parcours, se plonger dans cette fiction qui se s’ajoute à celle qu’on a voulu écrire. En cela, j’éprouve les mêmes impressions que pour certaines lectures qui demeurent dans ma mémoire : ce sont autant les circonstances qui ont entouré la lecture qui importent : L’Or de Cendrars sur une terrasse en Corse, en Corse toujours Les Bestiaires de Maurice Genevoix, la découverte de Beckett dans un Mac-Donald. Pour ma première écriture à vingt ans, j’étais dans une chambre de la rue Armand Sylvestre à Toulouse. Mon propriétaire était âgé et avait été médecin pendant la Grande guerre. Les quelques fois où j’ai partagé son repas avec sa femme qui s’adressait à lui en l’appelant « le docteur », il racontait ses amputations à la scie pendant qu’on mangeait du poulet. On accédait à la chambre par un escalier qui grinçait. Il y avait des tableaux et des gravures qui m’impressionnaient. La chambre avait une unique fenêtre que je laissais souvent ouverte et qui donnait sur le jardin. La vigne vierge couvrait les murs. Le jour où j'ai écrit Martin Martin, je fumais des Gitanes et j’écrivais sur ce carnet qui doit être maintenant quelque part dans la maison. Voilà tout.
(18/07/2008)

 

 

François Bon à New-York et Muriel Barbery à Kyoto. Nos écrivains voyagent... Tandis que l'une se glisse avec élégance et gourmandise dans une tradition japonaise souvent millénaire, l'autre découvre avec autant de gourmandise le high tech américain, avec ce qu'il y a de plus récent et novateur. Ainsi le reader Sony PRS 505. "Liseuse numérique", comme il dit, ces objets encore rares et aux faciès d'agenda électronique, utilisent la technologie très prometteuse du papier numérique, e-Paper comme je l'avais évoqué dans cette même rubrique le 2 mai dernier suite à une journée organisée sur la Numérisation de l'écrit : j'y avais aussi tripoté le Sony et quelques autres de ces étonnants readers. Le confort de lecture est étonnant : c'est du à l'absence de rétro éclairage qui ne fatigue pas la vue. Au début, c'est drôle, on croit que la lumière de l'appareil est grillée mais on se rend vite compte que le changement de page fonctionne avec une facilité déconcertante. De là à dire que cela va remplacer le livre : non bien sûr et ce n'est pas mon propos. Ce qui m'interpelle dans ces utilisations à venir (c'est à dire tout juste demain, pas dans cinq ans, non demain...) ce sont les usages et le partage que l'on va faire entre le livre et la lecture numérique.
Si François Bon commence sérieusement à trouver les astuces et à nous en faire bénéficier avec générosité, il est cependant un pan de réflexion qui laisse le milieu du numérique étrangement muet : l'archivage. Oui, bien sûr, on évacue le problème d'un revers de main car justement le numérique est fait pour cela : garder traces de tout ce qui a été écrit précédemment, s'affranchir des lieux et des catastrophes comme l'incendie d'une bibliothèque par exemple. En sauvegardant nos fichiers via Internet, bien sûr on procède de la meilleure méthode pour l'archivage. Sauf que Internet rend l'utilisateur dépendant de son fournisseur (d'accès, d'espaces virtuels).
Mais il y a pire : le ventre de nos ordinateurs contient des données que nous avons oubliés de sauvegarder par centaines. Depuis que j'utilise les ordinateurs personnels (tiens ça fait tout juste vingt ans), j'ai usé à vue de nez une demi douzaine rien à la maison et sans doute autant au bureau. Quant aux portables, il n'est pas rare que je jongle parfois avec deux simultanément plus un autre ordinateur, comme aujourd'hui. Ces usages disséminent un peu partout des traces numériques. Si je vais chercher mes vieux PC au grenier, je suis sûr d'y trouver encore des centaines, des milliers de pages. A chaque fois que j'ai changé de machine au bureau, on a tout effacé. Il ne reste plus rien du travail passé. Place à l'instantané. les vieilleries numériques et internautiques n'ont pas leur place. Pourtant,  rapide calcul : combien ai-je écrit/ reçus de courriels depuis le début ? 10000 ? 20000 ? 50000 ? Combien sont conservés ? Et pour combien de temps ?
(10/07/2008)

 

Ça fait des semaines (exactement depuis début février) que j’essaie de lever le pied côté boulot. On est 150 000 dans ma boîte et pas moyen pourtant de partager. Cette semaine je me l’étais promis – comme la semaine précédente d’ailleurs – et j’ai fait le compte du temps passé pour le boulot : 48 heures en 5 jours avec un pic mercredi, allez va, à peine 15 heures ce jour là, mais j’ai pris trois quart d’heure aussi pour manger le midi et j’ai juste parcouru 650 km. Quel rapport avec l’écriture ? Tout : le temps qui file, les fichiers ouverts pour glaner ça et là une phrase que j’aurais l’idée d’écrire mais non, rien ne vient car on passe du coq à l’âne, ce qui pourrait être une bonne chose pour qui tente en ce moment d’écrire un bestiaire. Mais j’ai aussi d’autres chats à fouetter : mémoire de Master à terminer dans une semaine. Par exemple, aujourd'hui ce devait être repos, mais juste une petite réunion qui se rajoute au dernier moment, hop 2 heures de filées. Et puis le travail qu'on y a récolté, pas grand chose, juste une dizaine de coup de fils passés, autant de reçus, une vingtaine de mail échangés. Boulot de relation, coordination, organisation, déceler les accélérations à ne pas louper, temporiser sur les lourdeurs des gros projets, du boulot quoi : 18 heures étaient vite arrivées, j'avais un fichier ouvert pour mon mémoire, pas eu trop le temps. Alors sur le coup, écrire est important, ne serait-ce que cette mise à jour puisque ce ne serait que cela qui resterait : je commence à 19h, 2 heures pleine course à aligner des mots, il doit rester des fautes mais tant pis, c'est comme aller courir pour se défouler.
Je ne remets pas en cause ces choix que j’ai fait, vivre de tout et tout vivre, oui c’est bien mais c’est harassant, arasant, arroseur arrosé que je suis, vivre de tout et l’impression parfois de ne rien retenir, se retourner hagard au milieu d’un couloir : qu’est-ce que j’étais parti chercher ? se perdre au milieu d’une réplique : qu’est-ce que je voulais te dire ? réagir dans les oublis : il faudra penser à, (il faut absolument… est la phrase qui me fait le plus peur : ça veut dire pas le droit à l’erreur, se souvenir obligatoirement…). J’ai mes méthodes : agenda pour tout noter, un micro portable toujours ouvert, une connexion au monde en permanence, le téléphone portable dans la poche. Wififil à la papatte. Bon chien, bon chien : la semaine prochaine, ce sera combien d’heures avant de rentrer dans ta niche ? Pendant ce temps-là, ton bestiaire ne s’écrit pas… Quoique…
(28/06/2008)
 

Je ne suis pas poète. Je suis libertin. Je n'ai aucune méthode de travail. J'ai un sexe. Je suis par trop sensible. Je ne sais pas parler objectivement de moi-même. Tout être vivant est une physiologie. Et si j'écris, c'est peut-être par besoin, par hygiène, comme on mange, comme on respire, comme on chante. C'est peut-être par instinct : peut-être par spiritualité. Pangue lingua. Les animaux ont tant des manies ! C'est peut-être aussi pour m'entraîner, pour m'exister - pour m'exister à vivre, mieux, tant et plus !
La littérature fait partie de la vie. Ce n'est pas quelque chose "à part". Je n'écris pas par métier. Vivre n'est pas un métier. Il n'y a donc pas d'artistes. Les organismes vivants ne travaillent pas. Je n'aime pas la sueur de mon front malgré les avis salutaires d'un livre par trop fameux. Il n'y a pas de spécialisations. Je ne suis pas hommes de lettres. Je dénonce les bûcheurs et les arrivistes. Il n'y a pas d'écoles. En Grèce ou dans les geôles de Sing-Sing, j'écrirais tout autrement. J'ai fait mes plus beaux poèmes dans les grandes villes parmi cinq millions d'hommes - ou à cinq mille lieues sous les mers en compagnie de Jules Verne, pour ne pas oublier les plus beaux jeux de mon enfance. Toute vie n'est qu'un poème, un mouvement. Je ne suis qu'un mot, un verbe, une profondeur, dans le sens le plus sauvage, le plus mystique, le plus vivant.
La Prose du Transsibérien est donc bien un poème, puisque c'est l'oeuvre d'un libertin. Mettons que c'est son amour, sa passion, son vice, sa grandeur, son vomissement. C'est une partie de lui-même. Son Eve. La côte qu'il s'est arrachée. Une oeuvre mortelle, blessée d'amour, enceinte.
Un rire effroyable. De la vie, de la vie. Du rouge et du bleu, du rêve et du sang, comme dans les contes. J'aime les légendes, les dialectes, les fautes de langage, les romans policiers, la chair des filles, le soleil, la tour Eiffel, les Apaches, les bons nègres et ce rusé d'Européen qui jouit goguenard de la modernité. Où je vais ? Je n'en sais rien puisque j'entre même dans les musées. Quant à mes moyens, ils sont inépuisables : je suis né prodigue.
Le chat domestique a le pelage soyeux ; son échine est souple, électrique ; ses pattes sont bien armées, ses griffes fortes ; il saute sur la proie qu'il convoite. Mais le chat sauvage saute bien mieux : il ne manque jamais son coup. J'ai des chats sauvages plein la bouche.
Voilà ce que je tenais à dire : j'ai la fièvre. Et c'est pourquoi j'aime la peinture des Delaunay, pleine de soleil, de ruts, de violences. Mme Delaunay a fait un si beau livre de couleurs que mon poème est plus trempé de lumière que la vie. Voilà ce qui me rend heureux. Puis encore, que ce livre ait deux mètres de long ! - et encore, que l'édition atteigne la hauteur de la tour Eiffel !
... Maintenant il se trouvera bien des grincheux pour dire que le soleil a peut-être des fenêtres et que je n'ai pas fait mon voyage...

Blaise Cendrars, Paris, Septembre 1913, article paru dans Der Sturm à propos de La Prose du Transsibérien et de la Petite Jehanne de France.

(21/06/2008)


 

Je suis fatigué. Les trajets incessants du travail, cette prise de risque stupide sur les routes encombrées m’ont usé plus que je ne l’imaginais. Pour exemple, hier encore : 600 km de route et d'autoroute, Lille aller et retour dans la même journée, une folie que l’engrenage du travail justifie mais à bien y réfléchir, ne pas accomplir cette ineptie était possible et sans aucune conséquence sur mon travail. J’entends par travail, ce à quoi je suis payé, les objectifs qui me sont assignés, les résultats que j’obtiens : cela oui j’y souscris, je souhaite même être évalué que sur mes réalisations. Mais voilà : dans notre monde d’artifice, on ne peut se contenter de la réalisation brutale des objectifs, il faut montrer, démontrer, se montrer. Hypocrisie obligatoire de nos esprits grégaires, crises de nerfs collectives et permanentes de nos vies laborieuses. La même hypocrisie a d’ailleurs conduit ma boîte a me dénoncer auprès de la maréchaussée qui m’a flashé, il y a 15 jours, à 111 km/h à la place de 110… Et son refus aussi de participer pécuniairement au stage de récupération de points auquel il faudra que je finisse par aller.
Dénoncé ! Comme un juif en quarante. Se rend-t-on compte de toute cette hypocrisie sociale ? Car oublions ma boîte : cela se passe partout en France dans cette gangrène méfiante qui préside à la relation entre nous. Je dis bien nous, car nous sommes à la fois tortionnaires et victimes, dénoncés et dénonciateurs. C’est imprégnés en nous, c’est même une question de langage : nous sommes tous les « collaborateurs » d’une entreprise, l’expression est devenue plus seyante que simples « employés », nos mémoires sont courtes, la délation, c’est fou et on oublie vite l’histoire.
Il nous appartient de réagir : on ne le peut pas toujours. J’aurais encore des trajets inutiles, des sorties de circonstances même si j’ai déjà annoncé que je limitais les déplacements (on dit alors que je fais ma mauvaise tête…), la semaine prochaine, ce sera encore Saint-Quentin et Beauvais, sans compter les 140 km de trajet allers et retours pour me rendre à mon travail, bref, je vais encore largement dépasser les 1300 km pour la gloire. Dans le local de l’imprimante à côté de mon bureau, on a entreposé une plaque en marbre qui porte le nom d’un collègue. Cette plaque avait été apposée sur une salle de conférence, modeste hommage de l’entreprise à un de ses employés (on ne disait pas alors «collaborateurs ») mort sur la route du boulot plusieurs dizaines d’années auparavant. C’est assez symbolique, je trouve, cette plaque démontée, posée par terre à la poussière, révélateur des mouvements désordonnés et des mémoires qui se délitent (je me souviens que nous avions reçus en stage le fils de cet employé : lui a-t’on proposé de récupérer cette plaque de marbre à la mémoire de son père ? ). Le bâtiment est maintenant vendu et cette mémoire est devenue encombrante d'où la relégation de la plaque de marbre dans le local de l'imprimante. Si un tel malheur arrivait encore – d’ailleurs ça arrive tous les jours – il est même certain qu’une telle déférence, avoir son nom gravé sur une plaque de marbre, ne serait plus de mise envers nous-mêmes, dénoncés/dénonciateurs, employés/collaborateurs. Nous ne vaudrions même plus un nom gravé au couteau sur un parpaing de béton.
Je voulais faire une note d’écriture dans laquelle j’aurais parlé de mes difficultés actuelles pour trouver le temps d’écrire, parce que passer huit heures comme hier le cul dans une voiture, c’est forcement stérile pour l’écriture. Ma note de non-écriture se résume donc à cela, ce simple constat de l’abrutissement du pare-brise, des yeux rivés sur le compteur pour espérer ne plus jamais dépasser la vitesse autorisée, l’amertume d’être pris pour un danger public, les bourdonnements fréquents d’une oreille malade qui ne s’estompent quasiment plus quand le moteur est coupé. Au lieu de cette note d'écriture, j'aurai donc rédigé un billet d'humeur, un règlement de compte, j'aurai transcrit la peur de finir victime du devoir comme on dit dans l'indifférence d'un hérisson écrasé. Sans élégance, comme dirait Muriel Barbery (ou maintenant Poivre d'Arvor, viré de TF1...)
Mais demeure le vaste chantier de l’écriture et du langage : la pelle à manier pour jeter aux orties les mots « collaborateurs » et autres paroles inutiles du travail. Alors au travail, donc, mais à ma manière et contre l’hypocrisie globale. C’est aussi pour cela que je tente de reprendre avec régularité ces Feuilles de route, jamais aussi bien nommées.
(13/06/2008)

 

J'ai des périodes de peintres. Attention, je ne dis pas peinture, car comme pour l'écriture, il me semble que les artistes sont indissociables de leur art : donc, je me dirige vers les biographies et autres éléments intimes en même temps que leurs oeuvres. J'aurai ainsi passé au peigne fin Picasso, qui m'était utile de toute façon pour 1937 Paris Guernica au point d'en connaître les détails les plus anodins comme par exemple l'année où fut installé le chauffage central dans son atelier des Grands Augustins ou l'agencement précis du carrelage qui en recouvrait le sol. Il y aura eu aussi Gauguin, que ce soit à Pont Aven ou à sa dernière demeure paradisiaque (voir Ma mission Gauguin aux Marquises, de Pierre Bompard, note de lecture du 01/01/2002), sans oublier quelques découvertes comme l'étonnant Georges Bouche au Musée d'art moderne de Troyes, son nom ne le destinait pourtant pas à être oublié mais il le fut (note d'écriture du 04/05/2005). Citons quelques contemporains comme Alexandre Hollan, magnifiquement retracé par Yves Bonnefoy (notes d'écriture et de lecture du 3/11/2004) ou Jacques Monory, remarqué bien avant l'exposition sur la figuration narrative que je n'ai toujours pas eu le temps d'aller voir. Grande figure aussi de Joseph Haydn, qui fut l'ami de Beckett (note de lecture du 26/03/03). Pourtant ce ne sont pas ses magnifiques paysages qui m'auront inspirés en premier lieu pour Paysage et portrait en pied de poule, mais les deux italiennes peintes par Picasso et Matisse en 1916 et 1917.
Si la vie des peintres m'intéresse, bien entendu, c'est pour en apprendre plus sur le choc pictural que je ressens à travers leurs oeuvres. Et c'est bien ces chocs qui constituent les points de départ de ¨mes recherches. Je reconnais un Picasso à cent mètres et je suis capable de le dater à quelques années près. La cohérence, les différences, la comparaison : tout m'intéresse. Par exemple, l'exposition diversifiée du collectionneur Jean Planque m'a passionnée et du coup j'ai lu... sa biographie ! ( notes d'écriture et  de lecture du 11/06/2003).
En ce moment, c'est Vincent Van Gogh qui me passionne. Et ce n'est pas le hasard d'une exposition qui me conduit à lui, plutôt la chance d'avoir fouiné chez le libraire de ma ville et d'en avoir rapporté les Lettres à son frère Théo (voir en notes de lecture, cette semaine), son frère, marchand d'art, avec lequel il entretiendra une correspondance suivie jusqu'à sa mort.
La place dans cette rubrique d'écriture se justifie pleinement par le rapport très étroit et incessant qu'entretiendra le peintre avec la littérature. Véritable passion qui lui fera apprécier Balzac, Hugo, Zola, Shakespeare, Voltaire et même Daudet et son Tartarin de Tarascon (à propos de Tartarin, souvenir d'avoir feuilleté la parution initiale en feuilleton dans de vieux journaux du XIX° chez mon grand-père maternel). Rares sont les lettres où il ne fait pas allusion à ses lectures, en retrace ses impressions, les conseille à son jeune frère. Et la Bible bien sûr au début puisqu'il se destinait à devenir un pasteur calviniste comme son père. C'est ce seul écart qui le différencie de Rimbaud, réfractaire à la religion dés le plus jeune âge, car bien des points communs les réunissent. En premier lieu l'époque et leur destin : à un an près, les deux artistes auront vécus chacun pendant trente-sept ans. Vies difficiles également : le renoncement à Dieu pour Vincent et à la poésie pour Arthur. On pourrait d'ailleurs épiloguer sur les rapports entre ces deux mysticismes et mystifications d'ailleurs que sont la religion et la poésie, ce serait sans doute très intéressant à condition de ne pas tomber dans un laïus psychanalytique. Mais bornons-nous à évoquer les points communs entre Van Gogh et Rimbaud hormis le goût pour la correspondance familiale. Les voyages, Londres, la rencontre avec d'autres peintres ou d'autres poètes, l'importance de Verlaine pour Arthur et de Gauguin pour Vincent. Et puis le renoncement, la lente descente vers la folie pour le peintre et vers les déserts du Yemen ou du Harar pour le poète. On pense aussi à une parenté certaine avec Baudelaire, modernité des "villes énormes" vers lesquelles ils aimaient retourner bien que, j'en suis persuadé, rien ne comptait plus pour le peintre ou le poète que la liberté de s'en aller "les poings dans mes poches trouées" et poser un chevalet au bord d'un chemin creux.
Pour en revenir à leurs correspondances familiales, il y aurait sans doute un travail éditorial important à faire en croisant leurs lettres (j'imagine qu'une telle entreprise a déjà dû être menée dans les arcanes universitaires).
(06/06/08)

 

Cette année, j’ai eu à étudier la littérature des voyages au XVII° et XVIII° siècle. J’en avais déjà eu un aperçu avec le Supplément au voyage de Bougainville, de Diderot, mais la glose philosophique avait finalement noyé le véritable récit du navigateur (voir en note de lecture). Et c’est justement, cette semaine, je me retrouve étrangement dans une situation de voyage, deux cents quarante ans après Bougainville. Situation de voyage qui n’a rien de comparable, une semaine n’est pas plusieurs années de tour du Monde. Ceci dit, ma chambre d’hôtel dans laquelle j’écris ressemble à une cabine de bateau. Ceci dit, la zone commerciale qui déborde de toute part de l’hôtel liée à la quasi impossibilité qu’il y a de se déplacer à pied ressemble à une mer. Je suis donc en situation de récit de voyage, coincé devant mon hublot, le bruit des camions sur la voie rapide me parvenant en vagues. Étrangeté donc de ce navire, étrave sans entrave, sextant d’un genre indéfini, cartes marines en catalogues de supermarché, l’ensemble me parvient comme le cri des mouettes, le crissement du sable, quelque chose d’insaisissable. J’écris ceci et pourtant est-ce écrire ? Écrire au sens où on l’entend habituellement, l’écriture normée affichée éditoriale, le longs cours d’un roman de deux cents pages. Ici, ce ne sont que des impressions fugaces, quelque chose d’écrit sur le vif, de pêché au vif dans les profondeurs d’un cerveau qui n’a pas en ce moment le temps ni la disponibilité de creuser plus en amont. Ce sont des coups de sonde. Profondeur trente brasse, annonce le matelot perché à l’avant du navire pris dans ses brouillards. Mais d’autres l’ont fait avant moi, que ce soit Bougainville sur sa goélette La Boudeuse ou Cendrars sur le cargo Le Formose. Impressions pareillement notées en voyage, coups de pinceaux à la Van Gogh (j’en parlerai bientôt de ce peintre) devant un champ de blé ou le souvenir fugace de quelques pas dans un hall de supermarché désert, tout cela s’inscrit dans le grand zapping de nos vies, et c’est profondément cela qui s’appelle écrire.
(30/05/2008)

 

Mai 68 rabâché, ravalé, digéré, vomi. Sur tous les tons, toutes les mimiques : les indignés, les complices, les anciens, les désabusés, les pessimistes, les révolutionnaires, pour, contre, indécis. Un constat cependant : ça fait parler encore, ça fait date, il s’est tout de même passé quelque chose, même fuyant, même dans l’instant, une truite affolée, insaisissable. Ça fait donc quarante ans, cette passade. Je n’avais pas envie de rajouter quelque chose à ce qui est donc passé inaperçu à mes dix ans (le souvenir juste d’une manifestation avec des tracteurs agricoles dans la rue Diderot, rue principale de Langres, et mon père, routier, qui revenait chaque semaine de Rungis ou de Paris, qui racontait, appuyait les images de notre télé toute neuve, j’avais peur de cette drôle de guerre civile). Le hasard a voulu qu’en lisant Les outils de Leslie Kaplan (voir en Notes de lecture cette semaine) je tombe sur un texte écrit pour les trente ans des « événements » : « Il se trouve que les trente ans de Mai 68 coïncident avec la fin du procès de Maurice Papon, ainsi qu’avec l’alliance d’une partie de la droite avec le front national (et aussi le fait que le premier Ministre déclare à propos de cette alliance qu’il n’y a pas de crise politique en France) ». Dix ans avant donc, nous étions aux prises avec cette sombre histoire de crime contre l’humanité. Le Pen avait déjà prononcé son fameux mot à propos des chambre à gaz : « Le détail, on sait que Le Pen le tourne en dérision, c’est dans sa logique nazie », ajoutait Leslie Kaplan. Aujourd’hui, l’électorat de Le Pen est en perte de vitesse, on peut s’en réjouir.
Ou pas.
Penser qu’une partie de son électorat s’est fondue dans un Sarkosysme même pas dur, juste banalisé avec la légitimité du pouvoir. Peut-être qu’alors en finir avec 68 comme le souhaite notre Président, c’est affiner cette logique de « détail » : 68, un détail, le colonialisme, un détail, les expulsions, un détail, les heures sup, un détail, l’Europe, un détail. Notre histoire passée et à venir est parsemée de détails. Probablement que la phrase de Le Pen prononcée maintenant passerait inaperçue. C’est peut-être cela la vraie question de l’évolution des mœurs depuis 68, une dureté supplémentaire.
(17/05/2008)

 

Passé le coup de gueule de ma note d'étonnements, cette même semaine, je préfère parler positif, comme on dit, donc, addition, accumulation, total et solde créditeur. Dans le grand match de la vie, je suis en effet gagnant en ce moment : du boulot par dessus la tête - qui s'en plaindrait ? - contacts, machins et trucs intéressants dans le boulot nourricier au point où l'on pourrait croire que le reste va en pâtir. Mais le reste, c'est à dire l'écriture et tout ce qui gravite autour arrive à surnager même s'il m'arrive de boire la tasse où d'être moins constant dans mes mises à jour de Feuilles de route par exemple.
Petit point donc sur les activités de ces derniers mois (à la manière des notules de Philippe Didion) :
- Ecriture : le refus en janvier d'un nouveau manuscrit est déjà un vieux souvenir (pas même mauvais en plus). J'ai remis le couvert sous la forme d'un Bestiaire. On verra ce que ça donne, ces histoires où les pigeons voisinent avec des lapins et des poules. J'ai déjà la somme de soixante pages. Je pense fournir un bon début pour mon éditrice en juin. C'est étonnant, pas forcément bucolique, ça se tient plutôt bien.
- Projet presque abouti : François Bon va publier sur Publie.net l'historique de ce site : les quatre premières années, 2000 à 2003, de ces "accumulations Internet"  sont déjà prévues. Suivra un 2° tome avec les quatre suivantes. Comme pour Philippe Didion et ses Notules justement, ou Philippe De Jonckheere et son Désordre, la publication sous format pdf ou format e-book via Publie.net prouve un passage étonnant du média Internet vers le livre : dans ce sens, qui l'eut cru ?
- Projet à ne pas oublier : justement, dans le même ordre idée de la captation Internet qui me suit depuis dix ans comme une source d'eau vive et claire, je voudrais rassembler la correspondance numérique que j'ai éclatée sur un ordinateur de bureau, trois portables, un disque dur de sauvegarde et un serveur.
- Vie d'écrivain : J'ai participé à une journée organisée par la DRAC de ma région et l'ORCCA. Sous ces sigles barbares de dieux Viking, se cachent les institutions culturelles de ma région et le thème de la journée "la numérisation de l'écrit" était plutôt allèchant. Ouvert à tous, le public  était toutefois composé de bibliothécaires principalement, ce qui en dit long sur la vision globale des acteurs du livre et l'éclatement de la chaîne du livre en petits maillons faibles dans le monde de l'édition avec un grand E comme "économie du livre" puisque ce sont ces deux termes qui régissent maintenant la nouvelle organisation du Ministère de Tutelle (les 450 millions d'euros de plus value de la vente Editis-Planeta font bien entendu partie du terme économie - voir en Notes d'étonnements toujours). Cette journée fut grande : on a joué à se faire peur devant le numérique mais rassurons-nous, les pièces de l'échiquier sont déjà en place et les acteurs du livre prêts à manger du virtuel à tout va (sauf les auteurs, mais ils ne s'en soucient pas eux-mêmes). E-paper, e-book, e comme économie du livre, je sais je l'ai déjà dit. Moment le plus agréable, le plaisir de rencontrer Thomas Adam et  Anne Marchionini  d'Inventaire-invention, d'être fier d'avoir participé à cette véritable maison d'édition fondée par Patrick Cahuzac et qui prouve depuis bientôt dix ans la viabilité de petites structures qui n'ont rien à envier aux  450 millions d'euros de plus value de la vente Editis-Planeta (je me répète, mais il faut que ça rentre dans les esprits) mais qui traitent leurs auteurs avec infiniment plus de respect que bien des grands groupes.
- Vie d'écrivain encore : le lendemain de cette faste journée, une autre journée tout aussi faste m'attendait. Invité par Jean-Pierre Burdin, j'ai présenté ma "littérature du travail" aux syndicalistes de la CGT à Montreuil. C'était la deuxième fois que je venais dans ce lieu. La première fois, en 2001 après la sortie de Central, j'avais déjeuné avec Maryse Dumas. Un comédien a lu (et très bien) des extraits de trois de mes romans. J'ai parlé pendant deux heures et j'ai rencontré Liliane Vialat, qui a organisé un travail artistique assez subversif chez Mercedez-Benz. On oublie trop souvent au delà des clivages partisans ou politiques le rôle extrêmement important que peuvent jouer de telles structures dans leur inestimable mémoire du réel et dans le questionnement entre art et entreprise.
- Vie d'étudiant toujours : dans cette profusion, je rame mais je tiens bon. La quatrième année de Lettres Modernes n'a d'intérêt que via cette étude sur la "littérature du travail" que j'ai entrepris et qui devrait me tenir jusqu'au Master final et plus si affinité. Vaste chantier textuel mais les enjeux sont vastes et à la hauteur de cette accélération du temps social : travailler plus pour écrire plus, voilà mon slogan.
Finalement, à la vue de toutes ces vies de boulot, d'écrivain, d'étudiant sur le retour, je préfère deux fois plus mon sort à celui des grosses légumes qui vont s'empocher quelques millions d'euros car c'est bien cette équation en guise de pied de nez qu'il faut retenir : un potache, deux légumes...
(02/05/2008)

 

 

Le 22 avril prochain, à Châlons-en-Champagne, à l'initiative du Centre Régional du Livre de Champagne-Ardenne, aura lieu une journée thématique autour des questions que posent les (nouvelles ?) technologies, publications numériques et autres activités internautiques.
Invité à y débattre, j'y réponds avec joie. On m'a donc demandé un petit texte de présentation pour me situer dans le programme qui sera élaboré. Hélas, j'avais mal calculé mon coup et envoyé un lignage un peu trop conséquent, j'ai planché à nouveau pour une présentation plus classique en quatre ou cinq lignes.  Comme il me plaisait d'avoir élaboré ce premier jet d'une manière poétique, voici donc ma bio versus "écrivain du numérique", pas perdue pour tout le monde :

Thierry Beinstingel, côté cour, côté jardin

En 2000, côté cour, il entre sans frapper dans la maison traditionnelle de l’écriture et occupe, dés le printemps, la salle à manger familiale de l’édition champenoise avec "La Réserve" chez Dominique Gueniot, puis le salon des lettres parisiennes, avec "Central"chez Fayard en septembre. Le même mois, il entrouvre le portail du jardin numérique en créant son propre site Internet Feuilles de route.

Huit ans plus tard, la maison s’est agrandie : cuisine équipée ("Composants", Fayard 2002), chambre ("Paysage et portrait en pied de poule", Fayard 2004), salle de bains ("1937 Paris Guernica", Maren Sell, 2007), combles aménagés ("CV roman", Fayard 2007). Il pourrait se reposer dans son meublé publicatif en vrai papier, mais le jardin numérique l’appelle, sans cesse en friche, éternellement à tondre : jamais de repos !

Pourtant, de même que le papier peint des murs est fleuri, la pelouse est un régal pour les yeux : des milliers de pâquerettes-blogs se sont propagées, le pommier "Inventaire-Invention" est devenu un bel arbre, le cerisier "Remue.net" étant ses branches dans la copropriété voisine. François Bon, son voisin, taille sa haie en chapeau de paille. On se fait des signes d’amitié. Tout cela fait oublier les buissons des sites d’éditeurs qui rechignent à pousser.

Huit ans déjà ! Allongé sur sa chaise longue, il pense, l’écrivain, à ces cent soixante mille visiteurs qui ont déjà foulé les pixels de son gazon rustique. Il ferme les yeux. Un monde de signes volatiles, lumineux comme des papillons sans mémoire s’évapore au soleil. Dans la maison, les papiers peints jaunissent dans l’ombre.

(Thierry Beinstingel a aussi publié "Vers Aubervilliers" chez Inventaire-Invention.)


(08/03/2008)

 

Fête du livre de Bron 
parce que je me trompe de sens en sortant du train
parce qu’on me retrouve
parce que Christophe Fourvel attend aussi la navette
parce que Brigitte Giraud m’accueille
parce que Véronique Forcet bavarde avec moi en déjeunant
parce que des noms
parce que, vite un café on y va
parce que Nicole Caligaris est avant moi
parce que des visages enfin sur des noms
parce que Benoît Legemble insiste pour savoir pourquoi le thème de la mort dans ma bibliothèque idéale
parce que je ne sais pas
parce que Thierry Guichard est dans le public
parce qu’un passant inconnu achète devant moi Central
parceque le débat à 15h30
parce que bonjour, Charly Delwart, Joël Egloff
parce que cent cinquante visages à vous regarder
parce que des questions 
parce que des réponses (CV roman comme « les Caisses sont Vides", dixit notre président)
parce qu’une passante inconnue insiste pour modifier une dédicace
parce que des échanges, des visages, des gestes
parce que des débats encore
parce qu’une salle « accueil écrivains »
parce qu’on fait cercle
parce que des noms sur des visages, des gestes sur des noms
parce que bière ou vin blanc ?
parce que cette histoire incroyable de champignon animal pour passer le temps
parce que Nicole Caligaris, enfin se parler
parce que des kirs à l’apéro
parce que repas avec tous
parce que Christophe Grossi que fais-tu là ?
parce que des gestes et des visages
parce que Wilfried N'Sonde arrive au dessert
parce que des noms et des visages
parce qu'encore un verre de vin
parce que où est mon appareil photo ?
parce que l’hôtel Ibis
parce que Internet à 5h contre l’insomnie
parce que tout le monde au petit déjeuner, noms, visages, pas trop de gestes
parce que l'hippodrome au matin
parce que je retrouve mon appareil-photo
parce que parcourir encore les étals de livres
parce que François Bon, gestes, visage, sourires
parce que allons prendre un café
parce qu’Isabelle (Rossignol) de dos et Jacques Serena de face pour la première fois
parce que le soleil, bouille ronde
parce que des noms, des gestes, des visages, des sourires
parce que merci pour tout Brigitte, vraiment

(22/02/2008)

 

Cela se passait à Clermont-Ferrand, où j'étais invité à l'Université Blaise Pascal, Département Métiers du Livre, comme il y a deux ans et presque jour pour jour. Joie de revoir Françoise et Elisabeth. Je venais d'intervenir l'après-midi pour une séance d'atelier d'écriture, tout comme il y a deux ans. Cette séance, bien entendu, à été en lien avec CV roman, que j'avais déjà évoqué il y a deux ans. Impression étrange de renouer avec cette littérature du travail qui me travaille justement et ce, depuis plus de deux ans. Cette séance d'atelier a été l'occasion de prendre le contre-pied de nos normes, prescriptions, recommandations, principes, procédures, consignes et diverses directives qui hante les arcanes de la recherche d'emploi, et dont le CV est le point d'orgue, l'aboutissement, le sésame, le passage obligatoire.
Premier exercice donc : à
partir d’un personnage célèbre, imaginer le CV comme je l'ai fait pour Rimbaud dans CV roman, ou imaginer un nouveau type de CV, un jeu de questions/ réponses, une narration impersonnelle, trop personnelle, romanesque, typée nouveau roman, proustienne, encyclopédique à la manière de Diderot ou "histoire naturelle" comme Buffon... imaginer plus férocement le discours de départ à la retraite ou l'oraison funèbre qui retracera votre parcours professionnel... Deuxième exercice : imaginer une lettre de non-motivation destinée à refuser un emploi qui ne vous intéresse pas, à l'instar des désopilantes lettres de non-motivation de Julien Prévieux. (Je serais très heureux de récupérer les joyeux textes produits, merci  Elisabeth). Prendre le contre-pied de nos normes, donc, car tout discours cadré, tout slogan péremptoire possède sa part de saine perversion, de bienfaisant détournement qui nous donne une distance nécessaire et un humour dynamique sans quoi notre société vieillissante et confondue nous apparaîtrait comme l'espace d'un gruyère percé de rond points et d'inutiles magasins de bricolage pour nos âmes étayées par d'improbables cannes anglaises. Travailler plus pour gagner plus dans ce vaste monde ou tout s'entasse dans des rayons déjà remplis qui auraient désespéré l'intérimaire de Composants... Mais je m'égare sans doute. Bref, j'ai donc renoué avec l'atelier d'écriture, inusité depuis plus de neuf mois mais qui va reprendre également pour quelques séances à l'Université de Bourgogne, on en reparlera. Vieilles habitudes à reprendre : je ne me suis pas senti vraiment à l'aise, sauf à retrouver la rapidité de deux heures qui filent trop vite, sauf à retrouver avec plaisir le petit moment magique où chacun est bien studieux devant sa propre écriture et sa propre inspiration.
Après, et cela se passait toujours à Clermont-Ferrand, j'ai attendu dans le bureau d'Elisabeth et une étudiante est passée pour se renseigner sur ses notes obtenues lors des examens partiels qui venaient juste de se terminer. Elle avait l'air plutôt contente devant la plupart de ses résultats parfois excellents sauf dans une matière qui m'a interpellé : en "auteur", elle avait eu 4/20, alors qu'en "éditeur" et "libraire" c'était plutôt correct. Je ne sais pas à quoi correspondent ces matières, quel est leur contenu dans le cursus des Métiers du livre, mais j'avais envie de m'excuser, en tant qu'auteur d'avoir participé à cette mauvaise note... Que peut-on bien apprendre de si important dans la matière "auteur"qui puisse mériter une telle sanction ? Alors que ce métier échappe à toutes les normes, tous les schémas, chaque écrivain a son propre parcours...
Retour aux normes donc : la prochaine fois que je viendrai à Clermont-Ferrand, je proposerai un atelier pour faire éclater cette théorisation des écrivains : on prend date, Françoise ?
(27/01/2008)


 

J’ai présenté un nouveau manuscrit à mon éditrice. Elle n’en à pas voulu : trop imparfait, trop décalé peut-être avec ce que je fais, trop « pieds nickelés ». J’ai adoré cette réflexion et je l’en remercie beaucoup. Voilà, je sais maintenant que je ne suis pas un écrivain pieds nickelés. Il n’est jamais facile pour un éditeur d’annoncer à un auteur qu’il ne publiera pas le manuscrit qu’il l’a souvent accaparé pendant plusieurs mois (là c’était un an). Mais pour ma part, recevoir une telle nouvelle ne me gène en rien. J’ai terminé un livre tout seul, comme j’en ai l’habitude car je ne fais jamais lire à mon entourage le travail en cours (ou parfois juste un paragraphe ou deux) (ou parfois à mon amie MB et pour mon ego car elle adore tout ce que je fais :-). Là, dans ce cas précis, j’avais terminé ce livre, je l’ai remis rapidement quelques jours plus tard, comme à l'accoutumée. La boucle était bouclée : c’est le rôle de l’écrivain de remettre à son éditeur le produit de sa plume ou plutôt de son clavier, c’était donc fait. Le reste, la décision de l'éditeur m’importe peu à la limite, même si, ne soyons pas maso, on préfère un oui franc à un non embarrassé... J’écris beaucoup et je sais que si un manuscrit est refusé, c’est que ce n’était pas le bon livre mais un de ces livres  "de passage" comme je les nomme, c'est-à-dire un machin dactylographié qui relie le précédent publié au suivant qui le sera. Leur utilité à ces livres "de passage" n'est pourtant pas des moindres : destiné à asseoir une nouvelle inspiration plus solide, manuscrit relégué dans l'ombre des tiroirs, ils viennent hanter les rêves de littérature, jalonnent la vaste agglomération d'écriture que nous bâtissons pierre après pierre, trottoirs après trottoirs, rue après rue, comme autant d'impasses, de terrains vagues, de faubourgs incertains, de potagers abandonnés.
Après, dans la suite de la conversation entre mon éditrice et moi, il y a eu ce moment délicieux où il a fallu expliquer tout ce point de vue, dire qu’on ne fait aucun pataquès de ce refus, bien au contraire. Le refus, comme je lui ai ajouté, ne me concerne pas, ce n’est pas un jugement de valeur émis sur ma personne, pas de lézard... Par conséquent je vais donc l’annoncer de ce pas à l’auteur Thierry Beinstingel qui, j’en suis sûr, prendra cela très bien avec sa bonne humeur coutumière avant de se remettre à l'écriture, tellement de choses encore à dire, toute cette immense ville à bâtir qui n'est jamais qu'une vie à laquelle on rajoute deux "ailes". (ah, je suis assez fier de cette formule...).
Et milles excuses à MB qui reste au bord du chemin à contempler le terrain vague, le faubourg incertain, le potager abandonné, sans savoir ce qui arrivera aux héros de ce roman qu'elle avait entrevus...

(20/01/2008)

 

Pour faire écho à mon récent voyage et parce que j’étais seulement à cent kilomètres d’Aden voici en bonus une lettre de Rimbaud écrite à sa famille depuis cette côte Sud du Yemen et dans laquelle je m’approprie sa manière pour vous présenter mes vœux pour l’année nouvelle.
Cinq ans auparavant, à son arrivée le 25 août 1880, Rimbaud écrivait : Aden est un roc affreux, sans un seul brin d’herbe ni une goutte d’eau bonne. Dans cette lettre, les sentiments de l’ex-poète n’on pas changé au sujet de ce sale pays, le Harar avait sa préférence et le retour à Aden, point central de son travail de négociant, était souvent mal vécu. Pour autant, dans cette lettre, Rimbaud évoque sa fascination intacte pour le voyage.
« Aden, le 15 janvier 1885
Mes chers amis
J’ai reçu votre lettre du 26 Xbre 84, merci de vos souhaits. Que l’hiver soit court et l’année heureuse. Je me porte toujours bien dans ce sale pays.
J’ai rengagé pour un an, c’est-à-dire jusqu’à fin 85, mais il est possible que cette fois encore les affaires soient suspendues avant ce terme. Ces pays-ci sont devenus très mauvais depuis les affaires d’Egypte. Je reste aux mêmes conditions. J’ai 300 francs net par mois, sans compter mes autres frais qui sont payés et qui représente encore 300 autres francs par mois. Cet emploi est donc d’environ 7000 francs par ans dont il me reste net environ 3500 à 4000 francs à la fin de l’année. Ne me croyez pas capitaliste, tout mon capital est d’environ 13000 francs et sera d’environs 17000 francs à la fin de l’année. J’aurai travaillé 5 ans pour ramasser cette somme. Mais quoi faire ailleurs ? J’ai mieux fait de patienter là où je pouvais vivre en travaillant, car quelles sont mes perspectives ailleurs. Mais ça m’est égal, les années se passent et je n’amasse rien, je n’arriverai jamais à vivre de mes rentes dans ces pays.
Mon travail consiste ici à faire des achats de cafés, j’achète environ 200 000 francs par mois. En 1883, j’avais acheté plus de trois millions dans l’année et mon bénéfice n’est rien de plus que mes malheureux appointements, soit quatre mille francs par an, vous voyez que les emplois sont mal payés partout. Il est vrai que l’ancienne maison a fait une faillite de neuf cent mille francs, mais non attribuable aux affaires d’Aden, qui, si elles ne laissaient pas de bénéfice, ne perdaient au moins rien. J’achète aussi beaucoup d’autres choses : des gommes, encens, plumes d’autruches, ivoire, cuirs secs, girofles, etc. etc.
Je ne vous envoie pas ma photographie ; j’évite avec soin tous les frais inutiles ; je suis d’ailleurs toujours mal habillé. On ne peut se vêtir ici que de cotonnades très légères ; les gens qui ont passés qques années ici ne peuvent plus passer l’hiver en Europe, il crèveraient de suite par quelque fluxion de poitrine. Si je reviens, ce ne sera jamais qu’en été, et je serai forcé de redescendre en hiver au moins vers la Méditerranée. En tout cas, ne comptez pas que mon humeur deviendrait moins vagabonde, au contraire, si j‘avais le moyen de voyager sans être forcé de séjourner pour travailler et gagner l'existence, on ne me verrait pas deux mois à la même place. Le monde est très grand, et plein de contrées magnifiques que l'existence de mille hommes ne suffirait pas à visiter. Mais d'un autre côté, je ne voudrais pas vagabonder dans la misère, je voudrais avoir qques milliers de francs de rentes, et pouvoir passer l'année dans deux ou trois contrées différentes, en vivant modestement et en faisant qques petits trafics pour payer mes frais. Mais pour vivre toujours au même lieu, je trouverai cela très malheureux. Enfin, le plus probable, c'est qu'on va plutôt où l'on ne veut pas, et que l'on fait plutôt ce qu'on ne voudrait pas faire, et qu'on vit et décède tout autrement qu'on ne le voudrait jamais, sans espoir d'aucune espèce de compensation.
Pour les Corans, je les ai reçus il y a longtemps, il y a juste un an, au Harar même. Quant aux autres livres, ils ont en effet dû être vendus. Je voudrais bien vous faire envoyer quelques livres, mais j'ai déjà perdu de l'argent à cela. Pourtant je n'ai aucune distraction ici, où il n'y a ni journaux, ni bibliothèques et où l'on vit comme des sauvages. Ecrivez cependant à la librairie Hachette, je crois, et demandez quelle est la plus récente édition du "Dictionnaire de commerce et de navigation de Guillaumin." - S'il y a une édition récente, après 1880, vous pouvez me l'envoyer, il y a deux gros volumes, ça coûte cent francs, mais on peut avoir cela au rabais chez Sauton. Mais s'il n'y a que de vieilles éditions, je n'en veux pas. - Attendez ma prochaine lettre pour cela. Bien à vous.
Rimbaud"
(09/01/2008)