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Le temps, la nuit

Texte lu dimanche 28/11, au Musée du Temps de Besançon, à l'occasion des Petites Fugues 2004

 

Longtemps je me suis couché de bonne heure, disait Proust.

Oui, un vrai bonheur ! Sentir les draps remonter lentement, le poids de la couverture sur les pieds, le glissement dans l’obscur, fin du jour joyeuse, nuit sereine et linceul frais. La mort démystifiée. Et le jour évanoui, et les milles et une choses de lumière, le train-train du quotidien, travail, famille : pas triste. Donc, comme on fait son lit on se couche, ordre des choses. La marquise sortit à cinq heures, nous rentrions au bercail à six. Soirée et pantoufles, draps et lampe de chevet : longtemps je me suis couché de bonne heure…

Mais un jour, tout roman étant appelé à disparaître, même " à la recherche du temps perdu ", ne serait-ce que par ce mot " fin " d’un livre et que cesse ce jeux stupide. Longtemps JE me suis couché… Que cesse le JE balourd, borné, bouché, et que le type (en face de vous, dedans vous, que vous écoutez, que vous lisez), que le type sorte de son lit, de son île de draps blancs au cocotier dérisoire, que son IL donc se dédouble.

" Tout corps branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir " comme dit Hubert Félix Thiefaine.
Il est dans un café.
" Emboîtés dans le bar, suspendus aux conversations, aux cliquetis de flippers, au brouhaha de buveurs, artifices d’un monde grégaire, mille images et bruits inventés par les hommes prennent corps, tellement différents du silence et de la vue des champs et des brumes. Ici, c’est un aplat dense, épais. Griffure de deux ombres rejoignant une table, la porte qui s’ouvre, le patron derrière le bar soudain agité, essuyant la vaisselle avec énergie, va-et-vient incessant de sa femme pour amener des verres pleins, en rapporter des vides sur un plateau marqué Suze, tous ces déplacements sont francs, talochés, semblables à des zébrures qui attirent, éveillent immanquablement l’œil ".

Il avait écrit cela dans son dernier livre, à six heures du matin sans doute car longtemps il s’est couché de bonne heure pour une écriture matinale.
Il est dans un café, C’est la nuit. C’est un temps de bout du monde. C’est une petite fugue partagée. Elle est en face de lui sur la banquette, les yeux brillants sous la lumière d’une petite lampe.

La lampe est une sorte de champignon posée sur la table. La table est en formidable Formica de couleur brune, il se souvient de tous les détails. Ses yeux brillent : il est fleur bleue, il parle, elle parle, c’est la nuit, ils ont du temps. Des types bourrés jouent aux fléchettes, le patron rince quelques verres de temps en temps, il se souvient, se souviendra de tous les détails, c’est le temps mélangé, présent, futur, passé. Ils en parlent, se le racontent. Temps perdu, nuit retrouvée.

Combien lui apparaissent ridicules ces petits préjugés qu’il avait appliqués jusqu’à présent : le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt. Oui, moi, vous savez : à 6h du matin, hop ! devant mon ordinateur l’écriture me vient comme ça, au saut du lit ! Non jamais de problème d’insomnie : un vrai bébé… Et tout ce qui est dit pour conforter le confortable jour : pour la transparence, la lumière, par exemple, on se dit tout, on ne se cache rien ; pour l’espace étendu, infini, clairvoyant, on invente des barrières, des repères, frontières, pays, coin non fumeur - fumeur : ne vient pas polluer mon espace, mon jour, mon temps !

Basta ! Bas les masques. C’est la nuit, il est dans un café, enfumé comme un hareng, il tousse, il n’a pas l’habitude. Sous la lampe-champignon, ses yeux jouent avec les ombres, elle regarde les reflets sur ses mains. C’est le grand déballage, c’est la nuit, c’est le temps, on joue franc jeu et le JE redeviens sincère, comment dire, hors champ corporel, rien qu’en regardant l’autre. C’est une situation nouvelle pour lui sans doute, mais véritable, démiettée de toute cette quincaillerie stupide que l’on trimballe, théories de la littérature, tous ces petits classements clairs et précis du grand jour, le nouveau nouveau nouveau roman renouvelé à chaque aurore, l’écriture blanche, lumineuse donc ! (comment peut-on appliquer une seule couleur à l’écriture ?). Cette peur du lyrisme, de la fleur bleue, de la rime ringarde, tout cela s’efface.
Seuls restent des mots couleur nuit entre elle et lui.

Et le foutu temps retrouvé, bienheureux et qui file trop vite.