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Julien Gracq, carnets du
petit chemin 
Pour François Bon 
  
    C'est facile à trouver, il faut s'engager sur le quai juste
    à gauche du pont suspendu et se garer vers l'auberge.  
    Et prendre le petit chemin à droite.  
    Pas le premier, c'est la rue d'enfer qui borde la tour de la gabelle. La ruelle du grenier
    à sel, en toute logique est à côté. Alors on voit la maison. Déjà tellement vue,
    scrutée, ici
    ou ici,
    en hommage discret, par procuration à l'époque, et merci François pour ce partage
    généreux.  
    Six ans après presque jour pour jour, le hasard d'un réveillon juste à côté m'amène
    ici. Je ne le savais pas, j'ai vu le panneau indicateur dans un de ces ronds-points
    monotones et, de suite, le nom du village m'a sauté aux yeux, pêle mêle avec le nom de
    plume inspiré par Julien Sorel et la litanie des livres aimés arrive d'un bloc : Lettrines,
    La presqu'île, Le rivage des Syrtes, Au Château d'Argol, Un Balcon en Forêt, En lisant
    en écrivant, La forme d'une ville. | 
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    Je choisis le dernier jour de l'année pour venir. Temps gris
    et fin crachin. Rien n'a changé en apparence depuis six ans. Enfin tout, puisqu'il n'est
    plus là et qu'il y a eu la honte habituelle de ceux qui ne savent pas quoi faire des héritages
    culturels. La maison s'est endormie, semble attendre avec ses fenêtres fermées sur la Loire. Il faut alors
    remonter la ruelle, laisser sa main toucher le crépi sombre, se retourner pour apprécier
    la vue sur le fleuve, continuer jusqu'à la plaque de rue barrée d'un immuable trait de
    rouille. | 
   
  
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    | A gauche, d'autres rues en eaux étroites laissent
    voir l'église et ramènent au centre. Rien n'a changé, guirlandes de Noël et la vie qui
    continue, on pourrait chercher en vain des traces. Au tabac-presse, tout de même, on s'en
    souvient mais l'affiche est déjà passée et l'enfant du pays glisse un peu plus dans
    l'oubli au fond de la vitrine. On peut toutefois y acheter ses livres. | 
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    Alors les traces on les cherche, on veut quelque chose, des
    empreintes des marques, on veut quelque chose pour faire le pont entre lui qui est parti,
    nous qui restons, entre le dernier jour de l'année et celle qui arrive, on veut la Loire,
    le mouvement, la vie. On veut estimer combien de fois il a touché ses poignées de porte,
    celle du jardin, celle de la cave, la grille de fer, la balustrade de pierre. On veut
    morceler la maison et reconstituer sa vie passée à écrire, on veut l'héritage sans la
    honte. Peut-être qu'en insistant, on pourrait percer l'obscurité rouillée des volets,
    écarter les persiennes, faire grand jour sur le mystère de l'écriture. | 
   
  
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    | Tout cela est vain, un peu de pierre immobile et pas le
    mouvement escompté. Il faut redescendre vers le fleuve pour cela et aller le long des
    berges, baptisées pour l'occasion Promenade Julien Gracq, seul hommage visible
    de la municipalité. Julien Gracq y est présenté comme Maurice Genevoix en chantre de la
    Loire. C'est forcément réducteur mais mieux que rien. Et on n'a pas lésiné sur les
    extraits : dans ce dernier jour gris et pluvieux de l'année, l'île batailleuse semblait
    plus pugnace et vivante que jamais sous les mots de Julien Gracq. | 
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(04/01/2012) 
  
  
  
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